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Depuis l’aube des temps

Preuve s’il en faut que la littérature des Marches et de Ombrie est fort précoce, deux de ses auteurs entrent dans l’histoire avant même la naissance du Christ : Lucius Accius, qui voit le jour vers -170 à Pesaro, et Properce, qui naît aux alentours de -47 près d’Assise. Le premier gagne postérité et, visiblement, admiration, tant il sera repris par ses pairs, de Cicéron à Horace en passant par Ovide notamment grâce à sa production théâtrale, que l’on ne peut qu’imaginer somptueuse et féconde car seuls de rares extraits nous sont parvenus. Il est en tout cas dit que l’homme écrivait en latin mais s’inspirait des modèles grecs et que, surtout, il innova dans sa volonté de créer une œuvre cohérente, en initiant deux grands cycles inspirés de la guerre des Sept Chefs et de la guerre de Troie. Ayant alors déjà prouvé à quel point il était prolixe, il aurait par ailleurs rédigé de nombreux ouvrages de critiques littéraires, et se serait en outre intéressé aux questions de grammaire latine. Ses Fragments se lisent aux Belles-Lettres en édition bilingue latin-français. Il est plus simple, de nos jours, de découvrir Properce dont les Élégies ont été reprises par le même éditeur et qui se retrouve également au catalogue de l’Imprimerie Nationale (Cynthia : élégies amoureuses). À l’inverse de Lucius Accius, les informations qui le concernent, et qui ont réussi à échapper au tamis des siècles, proviennent de sa plume et n’ont pas été rapportées par d’autres. Tout de même très parcellaires, ces éléments autobiographiques le présentent comme issu d’une classe aisée qui put lui apporter une bonne éducation, malgré le décès du père et la confiscation ultérieure des terres familiales sur décision de l’empereur Auguste. Surtout, on le surprend jeune homme, tombé éperdument amoureux d’une femme, Cynthia, qui deviendra sa muse. En lui donnant un pseudonyme (sans doute inspiré du mont Cynthe à Délos, en Grèce, sur lequel serait né Apollon), il ouvrit lieu à toutes les rumeurs, certains la virent mariée, d’autres prostituée, elle incarna, quoi qu’il en soit, la femme libre, savante et érotique, qui enflamma sa poésie.

Écriture et religion

Il faut ensuite patienter de longs siècles avant de rencontrer un auteur aussi talentueux que ses deux prédécesseurs, mais l’attente s’avère fructueuse. Il naît Giovanni di Pietro Bernardone en 1181 ou 1182, sa ville natale et la religion qu’il rejoindra et qui le canonisera seulement deux ans après sa mort survenue en 1226 ! lui donneront le nom sous lequel il est connu du monde entier : François d’Assise. On peut être appelé à devenir saint et ne pas se montrer conventionnel, c’est ce que semble démontrer sa jeunesse révoltée où ses revendications contre la noblesse lui coûtent une année de prison, mais la maladie le rappelle à l’ordre et l’oblige à revoir ses plans de carrière. Pourtant, lui qui s’était rêvé chevalier n’en demeure pas moins chevaleresque : il dépense à tout va l’argent familial dans la restauration d’une vieille chapelle et multiplie les oboles. Tant de générosité lui vaut un procès de la part de son propre père qui, n’en pouvant plus de voir sa fortune dilapidée, veut le déshériter. L’Eglise lui assure alors protection et l’accueille en son sein. Si, bien sûr, sa légende s’écrit en mêlant hardiment réalité et mythes, tels celui du loup de Gubbio qu’il convainc de changer radicalement de régime alimentaire, les textes une fois supprimés ceux qui lui avaient été attribués par erreur restent et achèvent de convaincre que François d’Assise n’était pas seulement un homme bon (également avec les animaux dont il deviendra le saint patron : le 4 octobre où il est fêté est par ailleurs la journée qu’il leur est consacrée à l’échelle mondiale depuis 1931), mais aussi un écrivain émérite (qui n’avait pourtant pas fait de grandes études, comme en toute humilité il le rappelait). Au-delà du message religieux, son Cantique des créatures (appelé également Cantique de frère soleil), composé au cours de l’hiver 1224-1225 à l’abbaye San Damiano et dont la musique est malheureusement perdue, est considéré par certains comme le premier poème italien moderne. Il a été écrit en dialecte ombrien qui reste finalement assez proche du toscan dont découlera l’italien d’aujourd’hui, après que, en 1861, le Royaume d’Italie fraîchement proclamé a décidé d’adopter une langue unique.

Dans les pas de François d’Assise s’inscrivent deux écrivains, eux aussi hommes de foi, qui ont marqué le XIIIe siècle : Jacopone da Todi (1236-1306) et Ugolino da Brunforte (1262-1348). Le premier a quelques points communs avec le saint, celui d’avoir eu au moins deux vies : une dans le monde qui le voit devenir veuf, un drame dont il ne se remettra qu’à grand-peine, une au sein de l’Eglise où son opposition au pape Boniface VIII l’envoie en prison. Une âme complexe qu’il exalte dans ses Laudes, écrits plus pour lui-même que pour entrer en communion avec ses contemporains, voilà la clef de sa notoriété immémoriale. Bien que certaines de ses louanges se consacrent au Christ ou à la Vierge, d’autres évoquent des thèmes universels, comme la maladie, la mort, l’introspection et l’extase mystique, tout un programme que proposent en lecture les Belles-Lettres. Le second mena une existence plus conventionnelle, même s’il eut aussi maille à partir avec Boniface VIII. Sa vie de reclus lui donna tout loisir pour façonner le recueil Les Fioretti (Gallimard) et faire ainsi œuvre de son admiration pour François d’Assise en déclinant, en 53 chapitres, des anecdotes et autres miracles attribués au saint. Citons, pour parfaire ce tableau religieux, Federico Frezzi, évêque de la ville de Foligno qui l’avait vu naître au mitan du XIVe siècle. Il versa dans les écrits dogmatiques mais composa également le Quadriregio, imitation de Dante.

Érudition et talent

Le XVIe siècle s’ouvre de la plus jolie des façons par la publication d’un ouvrage qui, s’il n’est pas le fait d’un auteur d'Ombrie ou des Marches, prend place dans la région. Ainsi, en 1528, Baldassare Castiglione fait paraître Le Livre du courtisan qui rencontre immédiatement son public bien au-delà des frontières italiennes. Sous la forme d’une conversation, qui se déroule au cœur de la très raffinée Cour d’Urbino en mars 1507 et se déploie sur quatre soirées, des amis dissertent sur leur définition de l’homme accompli qui saurait mêler, avec grâce, sens du devoir et désinvolture. Devenu un classique, ce texte n’a cessé d’être réédité et est bien entendu toujours disponible en français (éditions Flammarion, collection GF). La Renaissance s’ingénie à porter les valeurs humanistes et Polydore Virgile, né en 1470 à Urbino où il trouvera la mort en 1555 après de longues années passées en Angleterre, contribue à promulguer les idées nouvelles grâce à trois publications qui lui assurent la reconnaissance (et une mise à l’index) : Proverbiorum libellus (1498), recueil de proverbes latins, Anglica Historia (achevé en 1513, imprimé en 1534), qui confirme ses qualités d’historien, et surtout De inventoribus rerum, écrit, dit-on, en trois mois et paru en 1499. Encyclopédique, ce travail l’est assurément, mais l’auteur va au-delà du simple référencement des « origines » de celles des dieux à celles du mariage, des outils, des théâtres, etc. puisqu’il s’y autorise réflexions et commentaires, dont certains sur le mariage des prêtres, entre autres, qui lui vaudront donc quelques déboires avec l’Église. Il gagna pourtant de nombreux lecteurs à sa cause et fut traduit de son vivant dans la plupart des langues européennes. Le goût de l’ailleurs ayant décidément frappé les écrivains, c’est en Chine que Matteo Ricci (1552-1610) trouvera quant à lui sa voie, après s’y être rendu dans le cadre de ses fonctions ecclésiastiques. Si son aîné et concitoyen avait excellé à produire une histoire de l’Angleterre argumentée et documentée, lui se fera fort de s’imprégner totalement de la culture de son pays d’adoption. Ainsi, sa maîtrise du chinois le verra devenir le premier Européen à rédiger un ouvrage dans cette langue, et ses traités en particulier De l’amitié paru en 1595 raviront les lettrés des deux continents. Toujours en édition bilingue, Les Belles-Lettres ont établi une magnifique édition du Sens réel de « Seigneur du Ciel », texte d’envergure devenu référence dans lequel l’auteur s’attache à démontrer que les deux croyances la chrétienne et la confucéenne sont totalement compatibles. Homme passionnant au parcours étonnant, Matteo Ricci fait par ailleurs l’objet de nombreuses biographies. Il est enfin impossible d’évoquer ces siècles érudits sans nommer Francesco Angeloni (1587-1652), dramaturge mais surtout numismate, qui s’inscrivit dans la lignée des écrivains-antiquaires ouverte au XVe siècle par Cyriaque d’Ancône, épigraphiste qui reçut le surnom de « père de l’archéologie ».

Le XVIIe siècle salue les poètes Guidubaldo Benemati (La Vittoria navale, Il Trivisano, etc.) et Giovanni Francesco Lazzarelli (La Cicceide legitima), tandis que la toute fin du XVIIIe siècle s’enorgueillit de voir naître, à Recanati en 1798, Giacomo Leopardi dont l’influence fut comparée à celle de Dante ! Fils d’un comte et d’une marquise, le jeune homme voua son existence, pourtant chiche, à la littérature et à ses aspirations funestes. « Poète du pessimisme », il transforma ses déceptions en autant d’écrits, mettant au point une certaine philosophie du mal de vivre qui transparaîtra dans son « journal intellectuel », le Zilbadone, et dans sa correspondance. Les belles éditions Allia ont donné des extraits des deux : Tout est rien, La Théorie du plaisir, Adieu ma pilule, etc. Son poème le plus célèbre, L’Infini, a quant à lui été réédité par La Pionnière, dans pas moins de 40 traductions différentes ! Cette courte vie, toute d’angoisse et de mélancolie, ponctuée par de nombreux maux, s’achèvera précocement quelques jours avant que Leopardi ne fête ses 39 ans, mais sa renommée lui survivra. Enfin, l’époque contemporaine s’ouvrit sur la promesse des écrivains à venir grâce au très prolifique Paolo Volponi qui creusa ses idées politiques dans ses romans et poèmes (de Il Ramarro en 1948 à Il Leone e la volpe en 1995) couronnés par deux fois par le Prix Viraggio et par deux fois, également, par le Prix Strega.