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Napoléon en 1814 © duncan1890 - Shutterstock.com.jpg

Retour sur un exil dont les empreintes sont encore fortes aujourd’hui…

Le 11 avril 1814, suite à l’échec de la campagne de Russie et à la signature du traité de Fontainebleau, Napoléon Bonaparte obtient la propriété de l’île d’Elbe en échange de son abdication. L'objectif des Alliés est clair : éloigner l’ex-empereur de la politique européenne ; c'est pourquoi le terme « exil » est quelque peu galvaudé, il s'agit plus conformément d'un éloignement. Ou, nous pouvons maintenant dire, d’un confinement… Précision importante, c'est Napoléon lui-même qui choisit l'île d’Elbe (Malte et Corfou faisaient partie de la liste proposée par les Anglais). Pourquoi ? Car il s’agit alors d’un territoire français, car sa sœur Elisa est en Toscane, et que plusieurs de ses soldats vivent sur l’Elbe – notamment Léopold Hugo, père de Victor Hugo.

Après quatre jours de mer, la frégate anglaise, avec à son bord l’empereur déchu, jette l’ancre à Portoferraio. Au son des roulements de tambour et sous les applaudissements de la foule, Napoléon, debout et stoïque, découvre sa nouvelle capitale. Le 4 mai 1814, les Elbois peuvent lire une proclamation sur le port déclarant : « Le plus heureux événement qui pût jamais illustrer l'histoire de l'île d'Elbe s'est réalisé en ce jour ! Notre auguste souverain l'empereur Napoléon est arrivé parmi nous. Nos vœux sont accomplis : la félicité de l'île d'Elbe est assurée… Unissons-nous autour de sa personne sacrée, rivalisons de zèle et de fidélité pour le servir… ».

L’île d’Elbe comptait alors environ 12 000 âmes, dont 3 000 à Portoferraio. Du 4 mai 1814 au 26 février 1815, le souverain régna avec rigueur sur son petit royaume d’à peine 224 kilomètres carrés : nouvelles infrastructures routières et agricoles, modification de l'arsenal des lois, modernisation de l'urbanisme, stimulation de l'économie, et même nouveau drapeau.
L’occasion est parfaite pour se pencher sur cette cocarde elboise, blanche, traversée par une bande rouge diagonale et semée de trois abeilles d'or.
La création du drapeau de l’île d’Elbe fut ordonnée par Napoléon en route vers son nouveau royaume, alors qu'il se trouvait encore à bord de l'Undaunted, la frégate anglaise qui mit les voiles le 29 avril 1814 à 11h, de Saint-Raphaël. Ce drapeau fut hissé à Portoferraio, sur le fort Stella, dans la soirée du 3 mai 1814, lorsque l'empereur débarqua sur l'Elbe.
Pour la première fois de son histoire, l'île est alors unifiée sous un même drapeau ; aujourd'hui encore l'administration est divisée en huit communes. Malgré plusieurs interprétations, les trois abeilles ont un sens bien précis et symbolisent le lien avec la dynastie des Mérovingiens. En effet, une abeille en or fut retrouvée dans la tombe du roi Childéric Ier. De même, dans l'Egypte antique, l'abeille était un symbole de pouvoir et évoquait le labeur, l'obéissance et la fidélité. L'abeille était chère à Napoléon, et en choisissant cette symbolique impériale, il souhaitait donner à l'île un sens d'unité sous son règne.
Le nouveau drapeau de l'Elbe rencontra un tel succès que, comme l'écrit Pons de l'Hérault dans Souvenirs et anecdotes de l'île d'Elbe, les pirates barbares le saluaient au large, y voyant le symbole d'un héros guerrier, en la personne de Napoléon.

Une vie ostensible sur un mini-empire

Napoléon réside principalement à Portoferraio, à la Palazzina dei Mulini, réaménagée selon ses exigences. Cette résidence de représentation se situe au cœur du complexe des forteresses médicéennes. La qualité de ces ouvrages défensifs était d’ailleurs réputée dans l’Europe entière. Dès son arrivée sur l’île d’Elbe, l’empereur avait remarqué la position stratégique des Mulini, à la fois protégés par deux forts et se trouvant à-pic au-dessus de la mer. Un palais facile à défendre ! 

Lorsque la température estivale grimpe, Napoléon prend la direction de San Martino, sa résidence de campagne, découverte au hasard lors d’une promenade à cheval. Il fut séduit par ce vallon au calme, planté de vignes, et qui bénéficie en outre d’un large panorama sur la mer et Portoferraio. Distante d'une lieue des Mulini, cette résidence rustique d’été, acquise en juin 1814, constitue sans doute la relique napoléonienne la mieux conservée de l’île d’Elbe.

Du 23 août au 5 septembre 1814, Napoléon séjourne au Sanctuaire de la Madonna del Monte, près de Marciana, immergé dans un paysage aussi hostile que poétique, fait de pentes escarpées. C’est un lieu stratégique où l'ex-empereur pouvait observer le mouvement des navires, comme il le fera plus tard à Sainte-Hélène... De là, il communiquait secrètement à l'aide d'un télégraphe optique à bras articulés sur le rocher dell'Aquila. Ce haut éboulis de roches évoque en effet un aigle aux ailes déployées avec au loin la côte elboise découpée au levant et la Corse au couchant.

A l'époque, on savait beaucoup de choses sur l'empereur : la rapidité de ses repas, ses bains fréquents, son habitude à dormir dans des lits de camp... Mais on ne savait jamais où il était ! Sur l'île d'Elbe, Bonaparte ressentait une grande vulnérabilité, car pour la première fois, tout le monde savait où il se trouvait... Et même ce qu’il buvait ! A savoir le fameux vin liquoreux de l’île, prénommé l’Aleatico, dont la production et le prestige furent accrus par l’empereur.

Les yeux du monde entier sont alors fixés sur l'île d'Elbe, devenue principauté en 1814. Chaque fait et chaque geste de Napoléon, sous le contrôle officiel du commissaire britannique Sir Neil Campbell (1776-1827), sont épiés et soumis à la curiosité d'une véritable foule de « touristes », venus sur l'île pour voir de plus près un personnage si célèbre.

Réalisations, réformes, améliorations, projets… dans un « royaume d’opérette »

Lors de son exil, l’entourage de Napoléon est nombreux, et par conséquent coûteux. Aux 675 grenadiers de la Garde et 54 chevaux-légers polonais venus rejoindre l’empereur, s’ajoutent un bataillon recruté sur place ainsi qu’un bataillon corse recruté sur son île natale. Une foule de fonctionnaires vient compléter ce tableau diplomatique qui gravite, parfois entre intrigues et manœuvres, autour du « maître ».

Un fidèle parmi les fidèles, le général Drouot (1774-1847), suivit Napoléon sur l’île d’Elbe et en devint gouverneur militaire. Henri-Gatien Bertrand (1773-1844), grand maréchal du Palais et conseiller militaire de Napoléon, sera ministre de l'Intérieur. Egalement Cambronne, commandant de la place de Portoferraio, fut l’un de ses principaux compagnons d’infortune. Sans oublier André Pons de l’Hérault (1772-1853), scribe et confident de Napoléon lors de son exil insulaire. En 1809, pour le récompenser de sa carrière militaire, l’empereur le nomme administrateur des mines de fer de Rio Marina. Très populaire et attaché au progrès social, il instaure des primes, augmente le salaire des mineurs, il dote le village d’un médecin, d’une caisse de secours et de retraite.

De l’entourage proche de Napoléon, seules sa mère, Letizia, et sa sœur, Paolina, vinrent le rejoindre. Son épouse Marie-Louise ne fit jamais le déplacement, et sa maîtresse Marie Walewska, accompagnée de leur jeune fils, ne lui rendit visite que deux jours.

La fin du règne elbois et le retour de l’Aigle

Mais Napoléon, convaincu que les Français n'attendent que son retour, ne songeait plus qu'à reprendre le pouvoir à Paris. Confiné, il était cependant au courant de l'impopularité croissante de Louis XVIII, des menaces pesant sur les acquis de la Révolution, de l'instabilité entre les puissances européennes, mais aussi de l'infidélité de son épouse, Marie-Louise d'Autriche. Il se dit que l’empereur, afin de planifier au calme son retour d’exil et sans craindre d’espions, aimait parcourir les sentiers près de sa maison de campagne à San Martino. Peut-être était-ce aussi un habile stratagème ? Se faire oublier pour mieux préparer son retour…

C’est donc le 26 février 1815, vers 19h, que Napoléon fit ses adieux aux fonctionnaires de l’île. Renseigné par des espions de l'absence du représentant anglais Neil Campbell au port de Portoferraio, il s'évade de l'île d'Elbe à bord de L'Inconstant (cela ne s’invente pas !), suivi par six autres navires. Cette évasion, loin d’être une fuite soudaine, fut préparée avec minutie. A son départ, Napoléon s’exclame : « Bons Elbois, adieu ! Je vous confie ma mère et ma sœur. Adieu mes amis, vous êtes les braves de la Toscane ! » Et à la foule de répondre en italien : « E viva l’Imperatore ! E viva Napoleone ! »

Bonaparte débarque le 1er mars sur les côtes de Provence, à Golfe-Juan, avec 900 grenadiers. L’heure de la reconquête de la France a sonné. Les rangs de ses partisans gonflent au fur et à mesure de la marche. Napoléon regagne Paris le 20 mars 1815 et fait une entrée triomphale au palais des Tuileries, d'où le roi Louis XVIII s'est enfui en hâte la veille. Son retour au pouvoir durera 100 jours, jusqu'à la défaite militaire de Waterloo, le 18 juin 1815.

Aujourd’hui, Napoléon continue de vibrer dans l’air et dans les eaux de l’île d’Elbe. Il n’y a qu’à voir l’engouement des insulaires – et des touristes de passage - lors des évènements liés à l’empereur, comme le Maggio Napoleonico. Chaque 5 mai, et ce depuis 1852, une messe est célébrée en l'église de la Miséricorde, à Portoferraio, en l'honneur de Bonaparte. Entre expositions, débats et festivités, la ville en liesse voit défiler des figurants en costumes d'époque.

L'Elbe, une île à fleur d'écume, un « confetti » impérial…