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Aux origines

Les Grands Parcs de l’Ouest Américain abritent d’incroyables trésors rappelant la richesse culturelle des premiers peuples ayant foulé ces terres. Appelés Indiens Pueblos, en référence aux étonnants villages (pueblos) qu’ils édifièrent entre 300 et 1300, ces derniers se divisaient en différentes tribus : Anasazis, Hopis, Sinaguas… Au départ, leur habitat était relativement modeste, consistant en des petites maisons enterrées superficiellement avec des toits en terre et en branchage. Progressivement, ces maisons éparses ont été regroupées en petits hameaux et ont gagné en sophistication. Réalisées en adobe, de forme cubique, avec un toit plat supporté par un système de poutre en bois, ces maisons n’offraient souvent qu’un accès unique, par le toit. Sans porte, ces maisons n’ont également que peu ou pas de fenêtres, ces dernières étant très étroites et enfoncées dans les murs épais afin d’assurer une protection contre la chaleur. Cette simplicité de plan rend possible l’imbrication des volumes et donc la réalisation de structures à étages et à pièces multiples baptisées great houses. Les villages sont alors souvent clos par des murs, construits sur des tertres pour assurer visibilité et protection et sont associés à d’importants travaux d’ingénierie : creusement de fossés, établissement de terrasses cultivées, création de barrages et réservoirs. Puis à partir du XIVe siècle, les Indiens Pueblos délaissèrent ces villages pour trouver refuge au cœur des falaises, y établissant des villages alternant entre habitat troglodyte et habitat semi-construit, et laissant sur les parois rocheuses d’étonnants pétroglyphes. L’habitat y est le plus souvent réalisé en pierre sèche ou en grès et en mortier de terre. Les toits sont constitués d’une succession de couches de terre et de branchages supportées par des rondins de bois. Plats, ils permettent toujours l’imbrication des volumes permettant la réalisation d’une infinité de structures, des modestes espaces de stockage aux imposantes great houses. Les murs, réalisés en torchis et consolidés par un système de treillis en bois, sont souvent revêtus de plâtre, adobe ou argile, surface qui peut ensuite être décorée de motifs variés. Quels que soient les clans, tous partagent une architecture empreinte d’une forte puissance symbolique. Ainsi les espaces communautaires et rituels revêtent-ils une place centrale dans les villages. Le plus important est la kiva, sorte de puits circulaire semi-enterré ou entièrement souterrain dont l’entrée est souvent marquée par un toit de boue et rondins soutenu par des poteaux. La kiva est associée au sipapu, trou qui permet l’émergence du monde spirituel. Ces cités perchées sur des terrasses naturelles abritées dans la roche se font ainsi le lien entre ciel et terre. Parmi les plus beaux témoins de cette richesse autochtone, ne manquez pas : les vestiges du Canyon de Chelly ; les sites de Betatakin et Keet Steel à Monument Valley ; et surtout les trésors du Wupatki National Monument avec notamment le flamboyant Wukoki Pueblo et la great house de Wupatki. Les Indiens Navajos, eux, ont développé un habitat semi-nomade dont les hogans sont les fières représentantes. Ces huttes coniques, de plan octogonal ou hexagonal, étaient au départ réalisées en terre et branchages, et leur ouverture était invariablement orientée à l’Est. Aujourd’hui, si les Navajos se sont sédentarisés et ont opté pour un habitat en dur, les hogans sont toujours utilisées comme espaces annexes. En Arizona, au cœur de la plus grande réserve, le Navajo Community College s’est même inspiré de ces huttes pour certains de ces bâtiments !

XIXe-début XXe

La Ruée vers l’Or et l’avènement du chemin de fer ont vu naître d’innombrables « villes champignons » au style baptisé boomtown… comprenez des villes construites en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! Les règles de construction étaient toujours les mêmes : on construisait d’abord un bâtiment de plan carré en bois avec un ou deux étages et un toit presque plat pour minimiser les pertes d’espace, puis on y ajoutait une sorte de façade postiche se déployant au-delà de la limite du toit, médaillons, créneaux et gradins venant orner les pignons. Les influences stylistiques étaient alors très éclectiques, dans le plus pur esprit victorien, qui ressortait particulièrement dans les jolies arcades et balcons ouvragés protégeant de très élégants trottoirs en bois. Carson City, la capitale du Nevada, possède encore un beau centre historique, tout comme Virginia City qui, à l’époque, faisait figure de parangon de la modernité avec son système d’égout, ses canalisations de gaz et son ascenseur, le 1er de l’Ouest américain ! Cette dernière, tout comme Jerome en Arizona, fut plusieurs fois détruite par des incendies et alors reconstruite en brique et pierre. Une transformation que l’on retrouve dans la plus pittoresque des cités de l’époque : Flagstaff. La gare y impose son élégante silhouette victorienne teintée de bleu et blanc, tandis que le long de la Route 66, s’égrènent les anciens saloons construits pour les ouvriers du chemin de fer. Mais la ville possède surtout de très beaux exemples de l’architecture commerciale et hôtelière d’alors qui se traduit dans d’imposants édifices de grès rouge, aux accents très industriels, mais malgré tout ornés de belles balustrades. Le Babbit Brothers Building et le Weatherford Hotel en sont de parfaits exemples.

Le tournant du siècle marque, lui, les débuts de Las Vegas, qui n’est alors qu’un modeste poste de ravitaillement imaginé par la compagnie ferroviaire en charge de la zone. Fremont Street devient alors l’artère principale et accueille non seulement la gare, dont les verrières étaient inspirées des galeries parisiennes, mais surtout les premiers hôtels et casinos. Mais il faut attendre les années 1930 et la construction du Hoover Dam pour que la ville prenne véritablement son essor. Chef-d’œuvre d’ingénierie, ce barrage de 379 m de haut (le plus imposant du monde à l’époque !) nécessita des millions de tonnes de béton. Pour souligner sa modernité, on lui donna une forme carénée et très épurée aux accents Art déco, comme le montrent bien ses tours sculptées, et à l’intérieur, on opta notamment pour des décorations inspirées des motifs Pueblos et Navajos. Encaissé dans un étroit défilé rocheux, le Hoover Dam est, aujourd’hui encore, considéré comme l’une des plus impressionnantes constructions du XXe siècle. Cette période XIXe-XXe marque également l’avènement des Grands Parcs Nationaux gérés par le National Park Service. Au cœur de ces parcs, se développe une architecture unique, d’un style résolument rustique, que certains qualifieront même de parkitecture, et que l’on retrouve dans les cabins des rangers, autant que dans les hôtels et lodges qui s’y établissent. Très inspirée de la simplicité et de la sobriété des styles Arts and Crafts et chalet ; faisant la part-belle aux matériaux locaux, pierre et bois en tête ; et pensée en harmonie avec son environnement, cette parkitecture est indissociable de l’identité ouest-américaine. Gilbert Stanley Underwood fut l’un des grands architectes de ce style. On lui doit notamment les très élégants Zion Lodge, Bryce Canyon Lodge et Grand Canyon Lodge, que l’on reconnaît à leurs structures en rondins massifs et calcaires naturels et à leurs toits dont les oscillations répondent à celles des paysages alentour. Mais la figure la plus fascinante de ce mouvement fut Mary Colter, l’une des seules femmes architectes de l’époque, et qui réalisa de superbes structures mêlant styles autochtone et rustique. Elle travailla notamment pour la chaîne d’hôtels et restaurants Fred Harvey et laissa plus particulièrement son empreinte dans le parc du Grand Canyon. L’Hermits Rest et le Phantom Ranch, tout de pierre et bois, et la Hopi House, inspirée des maisons en grès autochtones, comptent parmi ses plus belles réalisations.

Essor de Sin City

Les années 1960 marquent un tournant dans l’évolution de Las Vegas. C’est à cette période que commencent à sortir de terre d’extravagants casinos, le plus fascinant de tous étant sans conteste le Caesars Palace. Entrée marquée par un arc triomphal et un auvent d’une seule portée aux dimensions impressionnantes, intérieur peuplé de statues en marbre de Carrare et dorures, temples, rotondes et jardins pompéiens, et même piscine géante inspirée des thermes de Caracalla… le Caesars Palace annonce la couleur : Las Vegas est un théâtre d’illusions. Partout néons et enseignes publicitaires attirent le regard, tandis que l’ensemble de la ville se pense avant tout en fonction de la voiture. Les hôtels et casinos portent une attention particulière aux façades donnant sur l’autoroute, et se dotent tous d’un parking placé entre l’autoroute et leur entrée. La ville se développe ainsi sans réelle planification, changeant de visage au gré de la concurrence que se livrent promoteurs et financiers. Fascinés par cette ville d’un genre nouveau, les architectes Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour décident de l’explorer sous tous ses aspects. De cette étude, ils tireront un essai paru en 1972 : Learning from Las Vegas. Dès sa parution, l’ouvrage suscite une virulente polémique. Pourtant, au-delà de certaines assertions pensées uniquement pour provoquer – comme cette comparaison entre les Jardins de Versailles et les parkings de Las Vegas, ou cette théorie du hangar décoré, structure à bas coût aux allures de boîte à chaussures précédée de spectaculaires enseignes lumineuses et colorées et dont la réalisation transforme l’architecte en simple décorateur –, les auteurs ont permis de mettre en avant ce qui fait la spécificité de Las Vegas. En rupture avec les codes architecturaux et urbanistiques européens classiques, la ville illustre une culture populaire et commerciale typiquement américaine, que l’on retrouve dans toutes les périphéries ou suburbs. « La lumière assemblée des enseignes y fabrique des formes nouvelles » et l’architecture se transforme en vecteur de cette nouvelle société de la communication. A partir des années 1980, la ville connaît un nouvel essor. On entre alors dans l’ère des hôtels-casinos et complexes commerciaux surdimensionnés dont « les architectures fantaisistes sont comme des miroirs grossissants qui exagèrent les stéréotypes qui les ont inspirés. » Parmi les plus célèbres représentants de cette culture du pastiche, il y a bien sûr le Luxor avec sa pyramide et son sphinx ; le New York-New York avec ses gratte-ciel et sa statue de la liberté ; le Paris Las Vegas offrant une reconstitution de tous les grands sites de la capitale ; sans oublier The Venetian avec son palais des doges et son grand canal. Des promoteurs comme Steve Wynn, à qui l’on doit notamment le Treasure Island, engrangent alors des sommes colossales en transformant le visage de la ville. Celle qui, encore récemment, possédait des panoramas sur les superbes paysages alentour, se transforme en une cité dont les différents espaces reliés par des escalators, ponts, tunnels et ascenseurs n’offrent plus qu’un horizon de verre, d’acier et de béton.

Dérives et perspectives contemporaines

Depuis les années 1980, Las Vegas a connu une impressionnante croissance démographique et urbaine, et ce, de manière continue, frôlant aujourd’hui les 2 millions d’habitants. Pour les loger, la ville a multiplié les constructions de lotissements résidentiels, sortes de petites villes tracées au cordeau en plein cœur du désert d’où émergent pourtant plans d’eau et verdoyantes pelouses et où climatiseurs et diffuseurs d’eau sont rois. Lake Las Vegas en est un parfait exemple. Malheureusement, si la population continue de croître, les ressources en eau, elles, ne cessent de s’amoindrir. Pour tenter d’enrayer le phénomène, la ville a édicté de nouvelles règles d’urbanisme. Depuis 2004, il est ainsi interdit de planter une pelouse devant une nouvelle construction, tandis qu’à l’arrière, seule la moitié de la surface peut-être recouverte de gazon. Très gourmandes en eau, les pelouses tendent aujourd’hui à disparaître au profit de jardins secs. Mais rien ne semble pouvoir enrayer la raréfaction de l’or bleu. L’assèchement progressif du Lac Meade a même fait réapparaître les vestiges de la ville de Saint-Thomas qui avait pourtant été entièrement engloutie lors de la création du barrage et du lac. Malgré tout, promoteurs et financiers continuent à livrer bataille à grands coups de projets hôteliers ou résidentiels pharaoniques et totalement aberrants, telle la petite ville nouvelle de Coyote Springs, planifiée pour 250 000 habitants et dont le golf est déjà sorti de terre. Ville du rêve et de l’illusion, Las Vegas est cependant de plus en plus lucide sur les enjeux urbains et climatiques auxquels elle doit faire face. Projet phare de la revitalisation de la zone, la réhabilitation du North Las Vegas City Hall and Civic Plaza par l’agence Fentress, récompensée du National Award en 2012, s’inspire des architectures civiques traditionnelles avec ses rythmes classiques, ses masses tripartites, ses corniches en porte-à-faux et ses couleurs naturelles, mais surtout redonne toute sa place à l’humain qui peut déambuler dans les différents espaces ouverts. Mais c’est sans doute le projet du City Center Las Vegas qui impressionne le plus. Sur une surface d’un peu plus de 1 km2, ce nouveau centre abrite pas moins de 6 bâtiments ayant obtenu le niveau or de la célèbre et très exigeante certification écologique LEED. Imaginés par les plus grandes agences internationales, ces bâtiments illustrent ce que pourrait être la ville de demain, avec un urbanisme à haute densité et des circulations facilitées, et un souci accru de l’humain et de l’environnement. Si le Harmon Hotel dessiné par Foster & Partners a finalement été démoli pour cause de malfaçons (une première pour le célèbre architecte !), le City Center abrite bien d’autres superbes réalisations comme le Aria Resort & Casino imaginé par l’agence Pelli Clarke & Partners qui impressionne par l’élégance de ses courbes, sa canopée de verre facettée et texturée et ses façades-rideaux pensées pour favoriser les économies d’énergie ; les dansantes et chatoyantes Veer Towers d’Helmut Jahn ; ou bien encore le Crystals, district commercial au design extérieur imaginé par le Studio Daniel Libeskind. A quelques encablures de cet étonnant City Center, la ville abrite une autre fascinante création, pensée elle aussi pour limiter son impact environnemental : le Cleveland Clinic Lou Ruvo Center for Brain Health signé Frank Gehry et dont on ne peut manquer les volumes d’acier qui s’interpénètrent dans un ballet fantastique où tout n’est que courbes et torsions. Smart City et autres complexes centrés sur les énergies renouvelables sont également en projet… Las Vegas serait-elle en train de nous apprendre à comment mieux habiter demain ?