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Les musiques et danses traditionnelles

Une des pratiques traditionnelles les plus anciennes des deux îles est sans aucun doute les danses bélé. Elle remonte à la fin du XVIIIe siècle, époque où les Français des plantations organisaient de grands bals chez eux. Les esclaves de maison imitaient ces danses, moquant leurs maîtres et reproduisant leurs grands mouvements et de façon non gracieuse. Il existe une dizaine de danses bélé, dont le « Grand bélé » et le « Congo bélé ».

À la fin du XIXe siècle, les colons européens interdisent aux esclaves les combats de bâtons et surtout les tambours lors du carnaval, suite aux émeutes de Canboulay. Qu’à cela ne tienne, les esclaves les remplacent par des bâtons de bambou évidés frappés ensemble et contre le sol : les « Tamboo-Bamboo » (le mot « Tamboo » étant issu du mot français « tambour »). En 1934, le Tamboo-Bamboo est également interdit, les instruments servant comme armes lors de rixes entre bandes rivales. Les musiciens se tournent alors vers des percussions fabriquées à partir d’objets métalliques - boîtes de biscuits, couvercles de poubelle, pièces de mécanique - et se dirigent peu à peu vers l’invention du steelpan, instrument emblématique de l’île.

Autre tradition singulière à Trinidad, le kaiso trouve ses origines en Afrique de l’Ouest (surtout le Nigéria), dans les chants d'appel et de réponse apportés par les esclaves. Généralement narratives, les chansons - performées par des « chantwells » - possèdent souvent un sous-texte politique. Avec le temps, le genre a progressivement évolué vers le calypso actuel.

Dernière forme traditionnelle remarquable, le parang est une musique importée par les Espagnols (ce qui explique pourquoi les textes sont hispaniques). Aujourd’hui perpétuée par les descendants des premiers occupants espagnols, cette musique jouée à la guitare, mandoline et au violon regagne en popularité ces dernières années, profitant de la proximité des deux îles avec le continent sud-américain et de l’arrivée assez récente de nombreux Vénézuéliens. Le parang se joue essentiellement à la saison de Noël, mais il est possible d’en entendre si l’on se rend à la fête de Sant Rosa, tous les 23 août. Autrement, le carnaval de Trinidad est, on s’en doute, une excellente vitrine pour croiser quelques pratiques traditionnelles.

Le calypso

Si l’on pose l’équation « musique + Trinidad & Tobago » il y a de fortes chances que le résultat obtenu soit le calypso. Autrement dit, le calypso est le genre trinidadien par excellence. Si ses origines demeurent mystérieuses - est-ce une tradition africaine importée par esclaves ? - il est clair que le genre descend du kaiso d’Afrique de l’Ouest (mentionné précédemment) notamment dans la manière de chanter des chantwells. Popularisées après l'abolition de l’esclavage, le développement de ces ballades aux rythmes syncopés coïncide avec celui du carnaval début XIXe siècle. Très vite, les premiers interprètes populaires ouvrent la voie à la généralisation du genre, portée par ses premières vedettes : Lord Kitchener ou Mighty Sparrow. Si Lord Invader (le vrai auteur de Rum & Coca-Cola) est le grand nom de l'âge d'or du calypso dans les années 1930, c’est Harry Belafonte, un Américain d'origine jamaïcaine (les Américains découvrent le calypso lors de leur présence militaire dans les deux îles) chantant en anglais, qui fut de loin le plus populaire au niveau international. Avec son LP Calypso, Belafonte a même été le premier artiste de l’Histoire à vendre un million d’albums. Revers de la médaille, sa musique a été vivement critiquée par les puristes pour son édulcoration du calypso. C’est également le cas d’un autre album de calypso, lui aussi très connu, et lui aussi composé par un Américain célèbre : Calypso is like so de Robert Mitchum. Tombé amoureux du genre, l’acteur américain a enregistré un disque atypique et drôle, mais frisant souvent la parodie malgré lui.

Une grande caractéristique du calypso est sa fonction de critique sociale et de subversion, contenue dans des textes satyriques, moquant la société coloniale de l’époque. Sans surprise, certaines chansons ont été interdites ou censurées par le gouvernement colonial britannique, et le calypso est devenu une méthode de communication clandestine.

Dans les années 1970, la dynamique du calypso s’essouffle. Sa popularité auprès des jeunes est éclipsée par la pop internationale et le reggae jamaïcain. Le calypso entamera alors une mue vers la soca et le rapso. Moins populaire, le calypso demeure un genre national de premier ordre, joué désormais principalement au moment du carnaval, où les joutes musicales qui se tiennent dans les « calypso-tents » voient s’affronter les meilleurs calypsoniens des deux îles.

Il est bon de noter également que Mighty Sparrow (1935) est un des derniers calypsoniens de la première vague toujours de ce monde. Hélas, il ne se produit pratiquement plus sur scène. Pour découvrir le « Roi du Calypso », il faudra donc se tourner vers l’excellente anthologie Sparrowmania que lui a dédié le label allemand Strut en 2012. Cela dit, à peine plus jeune (elle est née en 1940), Calypso Rose continue de faire rayonner le genre trinidadien sur les scènes du monde entier.

La soca et le rapso

L’ainé des enfants du calypso, c’est la soca - dont, pour certains, elle ne serait qu’une version accélérée. Contraction de « soul » (« âme ») et « calypso », la soca apparait dans les années 1970, entre les mains du musicien Ras Shorty (Garfield Blackman) qui cherche à faire évoluer le calypso pour qu’il puisse rivaliser avec les genres étrangers (principalement le disco) de plus en plus populaires sur les iles. Ainsi, lui et quelques musiciens bousculent sa structure rythmique pour le rendre plus dansant, accentuent les basses et ajoutent ce je-ne-sais-quoi de funky provenant des rythmes indo-orientaux. Endless Vibrations (1974), premier tube de ce genre à peine créé, le raconte très bien.

Aujourd’hui, la soca est devenue la reine du carnaval, son rythme de plus en plus fiévreux - pour ne pas dire brûlant - a trouvé quelques maitres comme Machel Montano (le hitmaker), Bunji Garlin, Destra, Patrice Roberts ou Fay-Ann Lyons-Alvarez.

Le succès de la soca a entrainé dans son sillage une version adaptée aux goûts de la communauté indienne, la chutney soca. Reprenant le rythme fougueux de la soca mais en utilisant des instruments spécifiquement indiens - dholak ou le sitar - et chantant en anglais ou en hindi, la chutney soca a, elle aussi, trouvé sa place parmi les festivités du carnaval, chaque année voyant une reine et un roi de la chutney soca être élus.

Les fans de soca (et curieux), se rendront sans faute au Rhyner’s Record Shop, la plus ancienne boutique de disques de l’île où l’on trouve des disques de calypso et soca de toute époque ainsi qu’à la Habana, bar minuscule très populaire où les DJs ne manquent jamais de faire danser les foules sur de la soca.

L’autre rejeton du calypso - et donc le petit frère de la soca - c’est le « rapso ». Contraction de « rap » et du « so » de calypso (ou de soca au choix), le rapso est littéralement un cousin trinidadien du hip-hop dans sa véhémence, son engagement, mais habillé de la culture locale. Apparu dans les années 1990, le courant n’est aujourd’hui plus aussi vif qu’à l’époque où ses grands représentants - Brother Resistance, Ataklan et surtout 3 Kanal - connaissaient l’apogée de leur carrière.

Les steel bands

Le calypso et la soca sont le visage de Trinidad. Mais son âme, ce sont les steel-bands. Ces orchestres polyphoniques de percussions venus des ghettos de Laventille jouent aussi bien du calypso que Bach (avec une préférence pour le calypso, on le devine) et sont devenus avec le temps les vedettes du carnaval.

Ils sont constitués entre autres du steel-drum, appelé aussi pan (« casserole » en anglais), considéré comme le dernier instrument acoustique à avoir été inventé dans le monde. Aujourd’hui décrété « instrument national » de Trinidad & Tobago, il s’est institutionnalisé jusqu’à devenir le symbole d’une nation.

L’histoire du steel-drum remonte à la fin du XIXe siècle, époque où, comme indiqué précédemment, les colons européens interdirent aux esclaves les combats de bâtons et des tambours lors du carnaval. Une restriction qui engendre l’apparition des premiers orchestres de « tamboo-bamboo », qui s’enrichissent dès la fin des années 1920 de percussions tirées d’objets métalliques : boîtes de biscuits, couvercles de poubelle, pièces de mécanique etc. Dès la décennie suivante apparaissent les premiers groupes utilisant uniquement des percussions fabriquées à partir d’éléments métalliques puis, progressivement, dans le ghetto de Laventille, les musiciens se mettent à façonner des bidons, martelant leur fond pour les rendre concaves, y dessinant de petites bosselures convexes pour créer et séparer les notes, réglant la hauteur des fûts en fonction de l’octave à atteindre. Le pan est sur le point d’être inventé.

Depuis, des concerts de steel-bands ont été donnés à Londres devant la reine ou au Carnegie Hall de New York. Et si chaque année, les festivités du carnaval sont toujours la meilleure vitrine de la discipline - avec le Panorama, gigantesque compétition de steel-bands où viennent concourir presque 200 formations actives sur les deux îles - l’attrait pour le steel-drum a largement débordé les frontières de Trinidad & Tobago, et l’on peut maintenant en entendre dans toute l’Europe, y compris en France.

Le Carnaval est le meilleur moment pour découvrir le steel-pan. L’occasion de voir comment est constitué un orchestre de steel-drum : d’abord la section rythmique, appelée « engine room » (salle des machines) constituée d’instruments composites : congas, tambourins, les cymbales, cloches, etc. puis la frontline, qui est la section portant la mélodie composée généralement de bidons ténors ou double ténors et enfin le background, qui soutient le tout. C’est la section des bidons de basse. Tous les steel-drums sont joués avec deux baguettes munies d’embouts en caoutchouc.

À Port of Spain, au moment du carnaval, on entend tous les soirs un peu partout dans la ville, les orchestres répétant dans leurs panyards, le plus souvent à l’air libre, le morceau qu’ils interpréteront pour le Panorama. Les panyards sont les lieux de répétition des groupes de steel-bands. Les visiteurs sont invités à y assister, généralement tous les soirs de janvier à février pendant la préparation du carnaval. Plus que de simples lieux de répétitions, les panyards sont même considérés par le pouvoir comme des « écoles de vie », capables de canaliser la jeunesse pauvre, de l’éloigner de la violence et des gangs tout en lui redonnant une capacité d’estime de soi.

Les musiques actuelles

Si la scène actuelle est dynamique, elle tourne beaucoup en orbite autour de la soca. Cela étant dit, il y a quelques artistes trinidadiens à connaitre, à commencer par… Nicki Minaj. Oui, Onika Tanya Maraj est une rappeuse américaine, mais elle est née (en 1982) à Port of Spain. On ne présente plus celle qui est sans doute une des toutes meilleures rappeuses de l’Histoire, collectionnant les tubes et les succès commerciaux, mais on ajoutera par contre qu’elle est restée très proche de ses racines. Une preuve : elle adore la soca et elle ne manque jamais de féliciter les stars locales (comme Machel Montano) dans les commentaires des clips postés sur YouTube.

Parmi les noms à connaitre, Andre Tanker, surnommé le « Bob Dylan de Trinité », fut un musicien touche-à-tout (jazz, blues, reggae, calypso, etc.) très engagé tandis que le poète, écrivain et musicien Anthony Joseph est un digne héritier de Gil Scott Heron et Fela Kuti. Son groove jazz-funk et caribéen est trempé de philosophie et de réflexions percutantes sur la vie diasporique (il est lui-même installé à Londres).