La politique singulière de l’Australie

Il y a encore 30 ans, l’éducation australienne était encore très britannique. Toutefois, l'influence anglaise a commencé à décliner pour laisser place aux modes de vie américains. Grâce à son multiculturalisme, l'Australie s'est encore récemment ouverte à d'autres cultures à la fois européennes et asiatiques. On a pu observer les balbutiements de ce glissement au début des années 1970 et, dans les années 1980, elle s'est largement répandue. Mais l’Australie, membre du Commonwealth, reste une monarchie constitutionnelle. Elizabeth II fut ainsi reine d’Australie et chef de l’Etat pendant 70 ans jusqu'à son décès le 8 septembre 2022. Deux jours après le décès d'Elizabeth II, Charles III a été officiellement proclamé roi. Dans les faits, il n’exerce aucun rôle clé dans l’exercice du pouvoir. Ses pouvoirs sont en réalité délégués au gouverneur général lui-même limité par la tradition politique du pays : si la Constitution lui octroie d’assez larges pouvoirs exécutifs, ceux-ci ne sont plus utilisés. Le gouverneur général peut d’ailleurs dissoudre le parlement et congédier le Premier ministre, ce qui n’a été fait qu’une seule fois dans l’histoire australienne, en 1975. Le Premier ministre travailliste Gough Whitlam était alors impliqué dans différents scandales, dont une affaire de prêts financiers douteux. Cet événement produisit un séisme politique, et il est difficile d’imaginer un même scénario se reproduire de nos jours. Le gouverneur général est nommé officiellement par le monarque, mais est recommandé par le gouvernement. Leur profil est souvent apolitique, actuellement un ancien officier militaire. La question de la république est loin d’être aussi souvent abordée que ce à quoi on pourrait s’attendre. Depuis le décès d’Elizabeth II, quelques prises de position publiques ont eu lieu dans ce sens mais elles restent publiquement minoritaires. Il faut dire qu’un référendum sur la question a été perdu en 1999, principalement à cause de divisions politiques au sujet du nouveau système qui aurait été adopté. Vous ne trouverez en Australie qu’un très petit nombre de fervents défenseurs de la monarchie, il est plus souvent question d’apathie ou d’absence de besoin de changement.

Le pouvoir est divisé en trois branches :

-       Le pouvoir législatif aux mains du Parlement qui vote les lois, mais qui sont promulguées par une signature du gouverneur-général, représentant le roi. A noter que les deux chambres, la House of Representatives et le Senate ont des pouvoirs presque égaux. Les lois nécessitent donc l’aval de ces deux chambres. Les 151 membres de la chambre des représentants sont élus pour trois ans par un système dit « préférentiel » ; où les électeurs votent pour leurs candidats par ordre de préférence. Les 76 sénateurs sont élus à la proportionnelle dans chaque État ou territoire pour une durée de six ans. Chaque Etat est représenté par 12 sénateurs tandis que les deux territoires, le Northern Territory et l’Australian Capital Territory, n’ont que deux sénateurs.

-       Le pouvoir exécutif est aux mains du Premier ministre et de ses ministres. Le Premier ministre est un membre de la chambre des représentants et est également le leader du parti politique avec le plus de membres.

-       Le pouvoir judiciaire est géré par un système de tribunaux dominé par la Haute Cour de Justice (High Court).

Il faut aussi dire que l’Australie est un Etat fédéral et que la Constitution définit la séparation des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les États, qui ont par exemple la responsabilité de l’éducation, de la santé, de la police, etc. Chaque Etat a un système de gouvernement spécifique, en général à peu près basé sur le système fédéral.

Tout citoyen de plus de 18 ans a obligation de voter à toutes les élections, ceux qui ne votent pas sans présenter d’excuse valable sont punis par une amende.

Lucky Country : une nation riche, jeune et puissante

Littéralement surnommée « le pays chanceux », l'Australie est généralement perçue comme un eldorado. Le chômage est très bas (normalement autour de 5 %, mais en dessous de 4 % début 2024 !) et le pays affiche une croissance qui fait rêver les autres membres de l’OCDE. Treizième plus grande économie au monde, les signes de réussite de l'Australie sont incontestables : un PIB par habitant qui culmine à 62 600 US$, une espérance de vie de 84 ans et le cinquième IDH (Indice de Développement Humain) mondial. Perçues comme un territoire hostile, ces terres australes ont fini par attirer les plus opportunistes : cachée parmi les immensités arides souvent déconsidérées par les colons, une surprise attendait les prospecteurs. Le sous-sol renfermait quantité de précieux minerais. Aussitôt, les capitaux affluèrent, la Bourse explosa et les usines se multiplièrent : le niveau de vie du pays devint alors l’un des plus élevés au monde. Aujourd’hui, l’Australie exporte vers les géants de l’Asie, principaux importateurs de ses minerais. Le pays se place désormais au 1er rang pour la production de bauxite, d’alumine, de diamant, d’étain, de titane, de plomb, et au 2e rang pour l’or, le nickel, l’uranium, le zinc. L’Australie produit également du charbon, du pétrole, du fer, du gaz naturel, du lignite et de l’argent. Les enjeux du changement climatique et d’une possible transition écologique sont donc essentiels pour le gouvernement travailliste actuel, qui vient remplacer 9 ans de gouvernement conservateur qui a maintenu une politique considérée pro-charbon par beaucoup. L’ouverture de son économie à la concurrence internationale à partir des années 1970 ainsi que de nombreuses restructurations et privatisations ont progressivement permis une modernisation de l’ensemble du secteur industriel. Enfin, entre secteurs de la construction et des infrastructures, économie agricole – l'Australie est le premier exportateur mondial de laine et produit de grandes quantités de viande qu'elle exporte dans le monde entier – ou encore l’industrie vinicole, qui participe à hauteur de 5,7 milliards AU$ à l'économie du pays – l’Australie semble maintenir un équilibre entre une économie de service majoritairement citadine et l’exploitation constante de ses ressources agricoles et minières.

Géopolitique : le grand écart entre les Etats-Unis et la Chine

La position géographique asiatique et la culture européenne historique de l’Australie en font un pays qui a parfois du mal à savoir sur quel pied danser au niveau géopolitique. Ces questions sont un des enjeux absolument essentiels du XXIe siècle pour ce pays. Son grand écart entre les Etats-Unis et la Chine de ses dernières années en est l’illustration.

Il faut dire que la domination coloniale de la Grande-Bretagne, suivie par une perception de délaissement, particulièrement pendant la Seconde guerre mondiale, a encouragé l’Australie à se diriger vers les Etats-Unis. Avec leurs voisins néo-zélandais, le traité de l’ANZUS fut signé en 1951 avec les Etats-Unis, dans le but d’assurer la sécurité de ces deux Etats insulaires du Pacifique. Cela a conduit l’Australie à être de tous les combats menés par les Etats-Unis, notamment le Vietnam ou l’Irak. Mais alors qu'en 1947 près de 90 % des migrants australiens, étaient nés en Europe, aujourd’hui une plus grande partie de la population vient d’Asie.

Ainsi, au début des années 1970, l'Australie a resserré ses liens diplomatiques avec la Chine, le Japon et l'Asie du Sud afin de garantir une coopération régionale. L’Australie s'est aussi progressivement recentrée sur la zone du Pacifique, ce qui ouvre la voie à un nouveau développement économique et suscite une prospection intensive de son sous-sol. L’Australie se tourne désormais vers ses plus proches voisins, constituant un marché d'avenir pour ses exportations. Depuis 1980, le pays a pris l'initiative de mettre en place une organisation régionale : la Coopération économique pour l'Asie Pacifique (Asia Pacific Economic Cooperation). Cette coopération regroupe 21 pays, dont la Chine et les Etats-Unis et vise à faciliter le libre-échange et la croissance économique de la région Pacifique.

La Chine est quant à elle le premier client, le premier fournisseur et le premier investisseur étranger en Australie. Les chiffres font tourner la tête et obligent donc à une certaine entente. Une période de rapprochement politique et culturel eut lieu dans les années 2000, avec notamment un apprentissage plus développé de la langue chinoise dans les écoles australiennes. La réalité géopolitique a néanmoins rendu la situation beaucoup plus paradoxale. Depuis 2017, l’Australie augmente son investissement militaire, craignant la « menace chinoise » en mer de Chine méridionale. Pékin y mène une politique de revendication agressive et construit des installations militaires en Asie en dehors de toute légalité internationale. La politique chinoise installe aussi progressivement son influence sur les petits Etats insulaires du Pacifique (Salomon, Vanuatu, Fidji...) afin de tirer profit de leurs riches ressources marines. Dans une position délicate, cela a conduit l’Australie a cherché de nouvelles alliances économiques, signant des accords de libre-échange avec de nombreux pays des deux côtés du Pacifique. Du point de vue géopolitique et militaire, l’Australie s’est clairement retournée vers les Etats-Unis ces dernières années, tout en trouvant d’autres alliés dans la région. C’est ainsi que l’alliance du Quad, initiée en 2007 avec les Etats-Unis, l’Inde et le Japon s’est récemment approfondie. Puis la nouvelle alliance AUKUS avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni est maintenant vu comme le fer de lance de la défense australienne. Après avoir annulé le contrat géant de construction de sous-marins avec la France en 2021, l’Australie s’est donc dirigée vers ces deux partenaires et annoncé en 2023 la construction de sous-marins nucléaires, ce qui provoque des débats considérables dans ce pays traditionnellement anti-nucléaire. La facture dépasse les 200 milliards d’euros sur les trente prochaines années, du jamais vu. L'annonce de ce nouveau contrat n'a pas été bien reçue par la Chine.

La question aborigène

Les questions sur le développement économique et social des peuples aborigènes ne quittent que très rarement la scène politique australienne. Alors que la population aborigène a été décimée dès les débuts de la colonisation, au point d'être réduite à une soixantaine de milliers de personnes en 1930, les Aborigènes sont désormais au nombre de 880 000 (il est estimé qu’ils étaient environ 750 000 à l’arrivée des colons). Cette survie est source d'une grande fierté entachée de blessures coloniales indélébiles. Depuis la fin de la politique de l’Australie blanche, des avancées constitutionnelles et législatives ont permis d'intégrer les Aborigènes à la population nationale. Plusieurs lois sur les droits fonciers ont aussi cherché à leur permettre de récupérer des terres et un débat sur la reconnaissance des Aborigènes dans la constitution en tant que peuple premier est en cours depuis plusieurs années. Néanmoins, ne représentant que 3 % de la population, les Aborigènes constituent un quart de la population carcérale et plus de la moitié des mineurs placés en détention juvénile. Les enfants aborigènes sont, pour leur part, dix fois plus exposés que le reste des Australiens à être retirés de leur famille pour être placés en famille d'accueil ou en institutions. Enfin, comme le modèle économique de l'Australie est fondé sur le développement minier à outrance, leur reconnaître des droits trop importants peut être compliqué. D’autre part, l’Australie n'a recensé que très peu de faits historiques des guerres frontalières entre les populations aborigènes et les colons blancs : cela entretient donc l'illusion d'une colonisation pacifique où l'appropriation des terres s'est faite sans révoltes. Le travail de mémoire est aujourd’hui un enjeu majeur. Le programme scolaire a d’ailleurs beaucoup évolué à ce sujet ces quinze dernières années, il faut dire qu’il partait de très loin. Les Aborigènes souhaitent la reconnaissance de la souveraineté politique de leurs peuples ainsi que dans certains cas, des demandes de compensation pour la destruction de leur société et de leur environnement. En 1992, la Cour Suprême rendait l’arrêt Mabo, une décision de justice historique en faveur des Aborigènes. Abolissant le concept de terra nullius en vertu duquel les Britanniques s'étaient approprié « légalement » les terres de l’Australie, l'arrêt Mabo a rétabli une vérité évidente : l’Australie était déjà peuplée avant l’arrivée des Anglais. Par la suite, de nombreuses communautés aborigènes s'adresseront au gouvernement afin de récupérer légalement leurs terres ancestrales. Les terres du Northern Territory par exemple, sont maintenant possédées à presque 50 % par des intérêts aborigènes.

Face aux séquelles coloniales, l’intérêt des nouvelles générations pour leur passé et leurs racines liées à la culture aborigène ouvre désormais la voie à une réconciliation plus de 200 ans après le début de la colonisation. Une étape importante a été franchie en 2008, avec les excuses officielles du gouvernement australien sur le système de « générations volées » (stolen generations, en référence aux enfants qui furent enlevés à leurs parents aborigènes et placés dans des familles adoptives ou des institutions) délivrées par le Premier ministre Kevin Rudd. Ces excuses formelles ne faisaient pas l’unanimité et ont notamment été snobées par l’actuel leader de l’opposition conservatrice, Peter Dutton.

Le nouveau gouvernement d'Anthony Albanese, quant à lui, semblait incarner un nouvel espoir lors de sa prise de fonctions en 2022 : le Premier ministre avait promis de renforcer les droits des Aborigènes et s'était engagé à répondre à l'une des principales revendications des Premières Nations : organiser un référendum constitutionnel afin de mettre en place un organe consultatif, représentatif de toutes les communautés aborigènes et insulaires du détroit de Torres. Ce dernier aurait eu un droit d’exprimer son opinion sur toutes les lois les concernant. Cela faisait suite à des années de débat sur la reconnaissance des Aborigènes dans la Constitution. L’opinion publique semblait être initialement favorable à ce changement mais la campagne fut marquée par les divisions et le référendum livra un résultat sans appel : environ 60% des Australiens rejetèrent la proposition du gouvernement. Certains leaders aborigènes s’étaient aussi opposés à cet organe consultatif, qui, selon eux, n’allait pas assez loin. La question reste donc toujours ouverte sur la reconnaissance des Premières Nations d’Australie et dans tous les cas, beaucoup de travail reste à faire pour s’assurer que la pauvreté et les problèmes sociaux soient réduits dans les années à venir parmi la population autochtone.