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Les latifundia historiques

Les latifundia, ces grandes propriétés agricoles apparues pendant la Rome antique, ont marqué fortement l'histoire et l'occupation humaine de la Sicile, considérée comme le grenier à blé de l’Empire romain. Les esclaves constituaient alors les petites mains agricoles de l’île. Interrompu sous l'occupation musulmane, et limité sous le règne des Normands à un millier de petits villages ruraux (les « casals »), le latifundium redevient légion après le règne de Frédéric II, jusqu'à l'époque contemporaine. Les terres appartiennent alors à des grandes familles aristocratiques, à l'Eglise et au roi. Elles sont fortement peuplées par cette main-d’œuvre servile. Les grands propriétaires terriens résident à Palerme, tandis que les terres sont régies par des contremaîtres autoritaires appelés caporati. Les paysans sans terre sont largement exploités et leur situation s’aggrave avec l’unification italienne, entraînant l’apparition de mafias. Une grande réforme en 1950 tente de mettre fin à ce système pernicieux, mais les latifundia restent nombreuses dans tout le sud de l’Italie, qui s’enfonce dans la pauvreté. Aujourd’hui, les immigrés ont pris la place des autochtones dans les champs et travaillent dans des conditions difficiles, principalement dans la récolte de fruits en Sicile.

Une terre d’émigration aux XIXe et XXe siècles

Depuis 50 ans, la population a faiblement progressé en Sicile, de seulement 700 000 personnes environ. C’est peu et c’est beaucoup à la fois, lorsqu’on prend en considération la baisse de la natalité et l’exode rural (la natalité autrefois était forte). En raison de l’extrême pauvreté des habitants héritée de la tradition des latifundia, de grands contingents de population partaient chaque année faire fortune dans le nord de l’Italie (principalement dans la région industrielle de Milan en plein essor économique au siècle dernier). Environ 1,5 million de Siciliens s’exilèrent pour tenter leur chance dans le Nouveau Monde : en Argentine, au Venezuela et en Australie, mais surtout aux États-Unis (à la fin du XIXe siècle). Enfin, de nombreux Siciliens choisirent l’Europe, dont la France. La diaspora sicilienne compte près de 10 millions de descendants dans le monde ! Jusque dans les années 1980, la Sicile accusait une balance démographique déficitaire en raison de l’émigration mais une population en constante augmentation, passant de 2,4 millions d’habitant en 1860 à 4,8 millions dans les années 1980. Si l’émigration reste aujourd’hui encore un problème préoccupant en raison de l’attrait d’autres villes du Mezzogiorno (plus de 10 000 personnes s’en vont chaque année), elle est moins forte et la démographie de l’île stagne à  5 millions d’habitants, même si les campagnes continuent de se vider au profit des villes côtières et des grandes agglomérations plus offrantes en emplois dans l’industrie et le secteur tertiaire.

Palerme, Catane et Messine

On a l’image d’une Sicile rurale, rustique, peuplée de villages endormis. Pourtant, trois de ses villes, Palerme, Catane et Messine, sont parmi les douze plus importantes d’Italie en termes de population. Les trois capitales provinciales comptent respectivement 1 250 000, 1 100 000 et 650 000 habitants (agglomérations incluses) et emploient près de 60 % de la population active. Viennent ensuite les villes de Syracuse, Marsala, Gela, Raguse et Trapani par ordre d’importance. La population se concentre essentiellement sur le littoral, répartie dans une multitude de villes secondaires, mais aussi dans les rares plaines de l’île comme la Conca d’Oro palermitaine ou dans la plaine de Catane, où la densité peut atteindre 500 hab./km2.

Un taux de natalité en berne

L’Italie souffre d’un taux de natalité bas. A l’instar des autres régions du Mezzogiorno, la Sicile n’a pas échappé à ce processus démographique et à la disparition progressive des mammas et de cette image traditionnelle des femmes escortées par une ribambelle d’enfants. Alors que le taux de natalité était encore de 24 ‰ dans les années 1950, aujourd’hui il n’est plus que de 12 ‰, mais reste supérieur à la moyenne européenne et surtout nationale qui est de 7 ‰. Il n’y a pas vraiment de prénoms plus typiques en Sicile que dans le reste de la Péninsule, même si ce sont en général les grands saints qui ont la préférence des mères : Maria pour les filles évidemment, et pour les garçons Marco, Giuseppe, Giovanni, Francesco (dit Ciccio pour les intimes), mais surtout Salvatore qui veut dire sauveur. C’est une assurance de protection pour l’éternité !

Une île de transition migratoire

La Sicile brassa durant des siècles des peuples d’ethnies et de sangs différents : des Grecs aux Germains, en passant par les Romains, les Arabes et les Normands. On peut constater une homogénéité de la population au sein même de la région, même si ces origines si diverses et lointaines mettent la « sicilianité » bien en marge de « l’italianité ». Depuis le début du XXIe siècle, avec la chute de Kadhafi en Libye, l’île est devenue une zone de transit pour l'immigration clandestine de l'Afrique subsaharienne vers l'Europe du Nord, notamment à nouveau l’île de Lampedusa, la plus proche des côtes tunisiennes d’où partent les bateaux, depuis la fermeture des ports de Pozzallo, Augusta ou surtout Catane sur l’île principale, décidée par Salvini en 2019. Si pendant une dizaine d’années la Sicile a vu débarquer entre 100 000 et 150 000 migrants par an de Libye, elle n’a été qu’un sol de passage pour beaucoup.

Une immigration faible

Comme dans toute l’Italie, la présence de gens issus de l’immigration est faible. En 2022, les immigrés étaient recensés au nombre de 200 000 personnes en Sicile, principalement des Roumains (60 000 personnes), des Tunisiens (20 000), des Marocains (16 000), et dans une moindre mesure des Sri-lankais (13 500), Albanais (10 000), Bengalis (9 000), Chinois (7 500), Philippins, Polonais et Nigérians (5 000 pour chacune des communautés). L’immigration ne représente que 4 % de la population de l’île. D’abord parce que l’Italie répartit dans des « campos » situés dans tout le pays les migrants arrivant au port de Catane ou de Lampedusa. Ensuite parce que les possibilités d’intégration sont très réduites (peu d’écoles pour les mineurs, peu de travail pour les majeurs). Le maire de Palerme, Leoluca Orlando, est une personnalité à contre-courant de la vie politique sicilienne, et accueille les migrants. On peut citer aussi le village de Sutera, près de Caltanisseta dans l’intérieur de l’île, un hameau fantôme qui voyait sa population décimée par l’exode rural. Son maire Giuseppe Grizzanti accueille depuis quelques années les migrants dans des maisons vacantes et le village fait désormais figure de modèle d’intégration. Les nouveaux enfants ont permis de sauver l’école menacée de fermeture.

La langue italienne

Elle est la preuve incontestable du métissage constant auquel le peuple italien a été exposé pendant des siècles. Ainsi, ragazzo et magazzino (garçon et entrepôt) sont des mots d’origine arabe, tandis que albergo, banca, guardia ou sapone (hôtel, banque, garde, savon) sont d’origine germanique. Charles Quint plaisantait en disant qu’on parle à Dieu en espagnol, aux hommes en français et aux femmes en… italien ! L’italien est en effet une des langues latines les plus mélodieuses. Elle ne s’est formée que très tardivement car elle n’apparaît en tant qu’idiome littéraire qu’au XIIe siècle, l’aristocratie et les écrivains italiens ayant longtemps préféré parler le latin, le provençal ou le français. Cette évolution fut progressive, puisque, à la fin du XIIIe siècle, Marco Polo écrivait son très célèbre Il Milione en franco-vénitien. Peu à peu une langue s’est définie, grâce à l’œuvre d’auteurs tels que Dante, Boccace ou Pétrarque. A partir du XVIe siècle, l’influence en Europe, et particulièrement en France, des grands Etats italiens, se développe. Outre leur rôle moteur dans la Renaissance (de nombreux artistes italiens viennent travailler en France), ces États s’immiscent dans la politique française : on pense notamment aux Médicis, qui fournissent deux reines à la France (Marie et Catherine), et à des hommes comme Concini et Mazarin, quasiment arrivés dans leurs valises. L’Italie fascine notamment les grands écrivains français de l’époque, et les emprunts aux langues italiennes se multiplient. On peut citer alarme, qui vient de alle arme, « aux armes », le signal pour se précipiter à l’armurerie, banque, de banca, « le banc », c’est-à-dire la planche sur laquelle s’installaient les marchands, ou encore escarpin, de scarpino, littéralement une « petite chaussure ».

La langue sicilienne toujours parlée

Si l’italien est la langue officielle de la Sicile, vous constaterez que les insulaires parlent entre eux en sicilien. En réalité, la langue sicilienne regroupe le sicilien de Sicile, le salentin des Pouilles, le calabrais centro-méridional et le cilentain méridional (de Campanie). Bien que proche de l’italien avec lequel il partage une base romaine et latine, le sicilien n’en est pas moins une langue romaine à part. Preuve en est qu’il se décline en 11 dialectes régionaux ! Il varie ainsi selon que l’on se trouve à Palerme, Messine ou Agrigente. Fruit de siècles d’invasions et de dominations étrangères, le sicilianu a intégré des éléments du grec, de l’arabe, du catalan, de l’espagnol ou encore du français. Il a ses propres grammaire, conjugaison et vocabulaire. La littérature en langue sicilienne apparaît en Italie après le déclin du latin au XIIIe siècle, sous l’égide de Frédéric II et de sa cour éclairée, composée de scientifiques, philosophes et personnalités lettrées. Chose étonnante, le sicilien n’est pas enseigné à l’école. Pour autant, on estime que 90 % de la population le pratique, principalement en famille ou entre amis. Si vous parlez l’italien, vous pourrez déceler de nombreuses expressions, prononciations et autres accents très spécifiques et très ouverts (faisant parfois penser à l’influence de l’Espagne ou même de l’Afrique du Nord), savoureusement variés et colorés. N’hésitez pas à employer des termes du cru en présence d’un Sicilien, cet effort sera très apprécié même si ce n’est que quelques mots.