Une nation cosmopolite

Deux ethnies africaines prédominent au Zimbabwe : les Shona, dont les ancêtres sont des colons de langue bantoue, arrivés en Afrique australe et orientale au début du millénaire, et les Ndebele, qui se sont installés au sud du pays (Matabeleland) dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous la pression des guerriers zoulous du roi Shaka. Hormis ces groupes ethniques majoritaires, 5 % de la population zimbabwéenne appartiennent à diverses communautés. Certaines sont très localisées, comme les Tonga, vivant au bord du Zambèze, les Hlengwe ou Shangaan du Lowveld et les Venda de l’extrême sud du pays. D’autres ne possèdent pas d’unité géographique : on trouve des Européens, des Asiatiques ainsi que des métis. L’une des seize langues officielles est l’anglais, compris et parlé par toutes les couches de la population (sauf celle des zones rurales reculées). C’est la langue qui est enseignée à l’école, utilisée par la majorité des médias ainsi que par les policiers, les chauffeurs de taxi, les pompistes et les hôteliers. Les deux autres langues officielles les plus utilisées par les locaux sont le shona (67 %) et le ndebele (16 %). Cette dernière est surtout parlée dans le Matabeleland, ainsi qu’à l’ouest du pays (notamment à Bulawayo) ; c’est une langue récente, créée il y a moins de deux siècles et dérivée du zoulou. Le shona est une langue beaucoup plus ancienne, surtout parlée dans le centre de l’est du pays ; elle se divise en six dialectes majeurs (le kalanga, le karanga, le zezuru, le manyika, le ndau et le korekore), eux-mêmes subdivisés en une trentaine de dialectes moins importants. Le zezuru est considéré comme une langue prestigieuse puisque c’est celle que la radio et les habitants noirs d’Harare utilisent. On parle aussi beaucoup le tonga (langue à part) dans le Nord (où vivent les Tonga, le peuple du fleuve). Le chilapalapa est encore sporadiquement utilisé dans certaines entreprises ou sur certaines exploitations rurales : mélange composite de mots ndebele, anglais, shona et afrikaans, c’est un dialecte très relâché, sans véritable grammaire (il contient de nombreux verbes mais on ne les conjugue qu’à l’impératif !). Surtout utilisée entre employeurs et employés avant l’indépendance, c’est une langue de moins en moins parlée, car elle est directement liée à l’époque de l’exploitation coloniale. Au début des années 1960, la communauté blanche représentait au moins 5 % de la population du pays, mais avec les violences liées à l’indépendance, cette proportion aura chuté autour de 2 % vingt ans plus tard. Deux décennies plus tard, elle était ramenée entre 0,2 et 0,3 % de la population, du fait des répercussions de la réforme agraire et de la situation économico-financière du pays, beaucoup ayant émigré vers l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et le Royaume-Uni.

Les Shona

Agriculteurs et maîtres dans les techniques de la fonderie, les Bantous s’installèrent, au début du premier millénaire, dans le Highveld, le Middleveld et dans la région des Eastern Highlands ; ils donnèrent naissance aux Shona, l’ethnie la plus importante du Zimbabwe. Le terme « shona » proviendrait de la contraction d’une phrase zouloue, eshona langa, signifiant « ouest » ou, plus exactement, « où le soleil se couche ». La majorité de la communauté habite dans le Mashonaland, la région du Zimbabwe qui s’étend du Zambèze jusqu’à Gweru. Les Shona vivent dans des huttes traditionnelles dont la structure varie selon les régions. Les Shona considèrent qu’ils tiennent leurs terres directement de leur dieu, Mwari. Le lien qui les unit à la terre vient de la totale dépendance de ce peuple vis-à-vis de son territoire, depuis des générations. Empreints de mysticisme, ils respectent profondément l’esprit de leurs ancêtres, ou Mudzimu. Les Shona considèrent que ces derniers sont responsables, au même titre que Mwari, de l’infortune, de la maladie ou encore de la mort de tel ou tel membre de la communauté au comportement incorrect. La magie tient également une place prépondérante dans la culture shona. Les membres de la communauté reconnaissent ainsi des pouvoirs surnaturels aux sorciers, ou N’anga. Ces derniers prédisent l’avenir, protègent contre les esprits diaboliques ou guérissent les maladies à l’aide de dés (hakata) faits d’os, de coquillages ou de fèves. Le maïs, le millet, l’igname, le riz et le tabac constituent les principales cultures de la communauté shona ; ils complètent leur alimentation grâce à la chasse et à la pêche. La mise en terre des semences ainsi que les récoltes donnent lieu à des cérémonies traditionnelles, dédiées aux esprits. Le chef de la communauté shona est autonome. Il est consulté pour toutes les affaires touchant à la sorcellerie et aux meurtres, et possède le pouvoir d’infliger la peine capitale à l’un de ses sujets. Dans certaines communautés, il était d’usage d’étrangler le roi lorsqu’il devenait infirme ou trop vieux pour régner.

Les Ndebele

Ndebele signifie « ceux aux longs boucliers » ; cette appellation leur aurait été donnée par le peuple sotho. Les Ndebele constituent la deuxième ethnie du Zimbabwe (25 % de la population). Ils sont originaires du nord du Zoulouland et ont envahi le sud du Zimbabwe (le Matabeleland) aux alentours de 1820, à la suite d’un conflit opposant Mzilikazi (leader ndebele) à Shaka (roi zoulou). À la fois agriculteurs et éleveurs de bétail, ils consacrent une partie de leur terre à la culture du maïs, du sorgho, des patates douces et des fèves et le reste aux pâturages. Du temps de la royauté, le roi (inkosi) possédait les pleins pouvoirs et certaines offenses comme l’inceste, la trahison ou encore la sorcellerie étaient punies par la mort. Les castes supérieures consacraient leur temps à la chasse et aux affaires militaires. Quelle que soit leur origine sociale, les Ndebele croient en Unkulu ukulu, l'être suprême créateur du monde. Ils sont convaincus d’une vie après la mort et respectent les esprits de leurs ancêtres, Amandlozi. Ce sont également de grands mystiques ; ils consultent régulièrement le sorcier du village et suivent généralement ses conseils. La tenue traditionnelle du guerrier ndebele est constituée d’un kilt en peau de singe, d’un manteau et d’un bouclier dont les motifs caractéristiques indiquent le rang et le régiment de son propriétaire.

Les Tonga

Les Tonga sont les habitants de la vallée du Zambèze. On ne connaît pas leur origine exacte, ni quand et comment ils parvinrent dans cette partie de l’actuel Zimbabwe. Aucune légende ou histoire ne fait allusion à d’éventuels mouvements de population, comme si les Tonga s’étaient trouvés liés au fleuve depuis la nuit des temps… Peu de recherches ont de fait été entreprises sur cette tribu dont seules quelques traditions sont parvenues jusqu’aux oreilles des plus intéressés. On sait par exemple que les Tonga fument régulièrement la òdagga (marijuana), les hommes dans de grandes pipes en terre, les femmes dans des calebasses (incelwa). On sait également que les femmes, pour des raisons esthétiques, aimaient autrefois se percer le nez, les oreilles et les lèvres, à l’aide d’épines plus ou moins larges. Une autre coutume, beaucoup plus troublante, consistait à s’arracher les six dents de devant avant la puberté ; les théories foisonnent quant à cette tradition, mais la tendance majoritaire serait qu’il s’agissait d’une façon de s’enlaidir pour ne pas être emporté comme esclave par les tribus plus puissantes. La plupart de ces coutumes, comme celle de tuer l’enfant arrivé en deuxième position lorsqu’on accouchait de jumeaux, disparurent complètement à partir des années 1960. À cette époque en effet, le célèbre barrage de Kariba a été achevé et on décida de délocaliser les Tonga, de la vallée du Zambèze vers des terres plus intérieures. C'est ainsi que 50 000 personnes furent arrachées au sol de leur enfance et déplacées vers l’actuelle Zambie ou l’actuelle zone occidentale du lac. Essentiellement pêcheurs à l’origine, les Tonga se trouvèrent contraints de devenir agriculteurs, de surcroît sur des terres beaucoup moins fertiles que leurs plaines ancestrales inondées du Zambèze. La colère des anthropologues n’y fit rien, et cette délocalisation tragique suscita même (époque coloniale oblige !) beaucoup moins l’intérêt des foules et journalistes que la campagne de sauvetage d’animaux entreprise par Fothergill… Les Tonga furent pourtant obligés de quitter leurs maisons, leurs bases de pêche (et de survie), leurs proches vivant de l’autre côté du fleuve, leurs défunts, etc. La vie, alors, devint terrible pour les membres de cette tribu, dont les coutumes, les cérémonies, les savoirs avaient été depuis toujours basés sur la proximité du fleuve. Aujourd’hui, les Tonga sont l’une des populations rurales les plus pauvres du Zimbabwe. Comme pour les Khoisan du Kalahari, qui vivent à peu près la même situation, des projets ont été mis en place pour secourir cette tribu. À Binga par exemple, on développe le tourisme culturel et on favorise l’artisanat local. Des centaines de Tonga sont ainsi employés par des coopératives de craft, qui leur commandent de superbes paniers tressés.