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De la préhistoire à l’Empire byzantin

Le site de Runik abrite les étonnants vestiges d’un habitat néolithique composé de huttes renforcées par des poutrelles de bois. Un emploi de matériaux naturels que l’on retrouve à l’Age du Bronze où les maisons d’adobe sont couvertes d’un toit composé de bois et brindilles. C’est à cette période qu’apparaissent d’imposantes forteresses, toujours élevées en hauteur et tirant profit d’un relief et d’une nature accidentés. C’est le cas des forteresses de Gradishta et de Korishë. L’une des plus impressionnantes est sans doute celle de Bellaçec, de forme trapézoïdale et protégée par des tranchées et des rangées de traverses faites de terre et de galets. Illyriens et Dardaniens poursuivent cette architecture défensive en érigeant de nouvelles forteresses, de forme souvent irrégulière, à l’image de celle de Keqekollë. Mais les Illyriens vont surtout ériger d’impressionnantes nécropoles regroupant plusieurs tumuli (amas de terre ou de pierres artificiel) abritant des sépultures. Le site de Gjinoc impressionne par les dimensions de son tumulus, 84 m de diamètre pour près de 10 m de haut ; tandis que le site de Boka-Përçeva, lui, étonne par les 19 tumuli qu’il regroupe.

Les Illyriens sont aussi connus pour avoir manifesté un authentique souci de l’urbanisme. L’antique cité d’Ulpiana en est un bon exemple. Un schéma urbain que les Romains étoffèrent à l’aide d’un découpage en damier, auxquels ils adjoignirent un ingénieux système de canalisation. Autre site phare : l’antique ville minière de Municipium Dardanorum avec son imposant forum flanqué d’une rangée de colonnes, sa plateforme supportant un temple, ses thermes, mais aussi les vestiges de sa basilique, qui servait alors de lieu de stockage des minerais, et de ses ponts et piliers de pierre, témoignant d’un art consommé de l’ingénierie. Le site de Pestova, lui, témoigne du faste des grandes villae rusticae organisées autour d’un atrium et dont les différents espaces sont reliés par de larges corridors. Mais c’est surtout l’Empereur Justinien, grande figure de l’Empire Byzantin, qui marqua le Kosovo de son empreinte. Ce dernier imagina notamment un puissant système défensif. La forteresse d’Harilaq, avec ses remparts et murs circulaires de pierre et de brique ; la reconstruction de la cité d’Ulpiana avec ses épais remparts et tours semi-circulaires ; et la forteresse de Podgrade avec sa forme pentagonale épousant la topographie accidentée du site, ses murs protecteurs aux coins flanqués de tours et son imposante tour de guet de plan carré, sont de beaux exemples de cette architecture tout en hauteur, symétrie et massivité. C’est également de cette époque que datent les premiers sites paléochrétiens, dont l’église à 3 nefs et les 2 édifices de plan circulaire composant un complexe sacral au sein de la forteresse d’Harilaq ; et les fondations de l’église et du tombeau-crypte à voûte semi-circulaire du village de Vrela.

Royaume médiéval de Serbie

Les Serbes réutilisent et renforcent des sites fortifiés préexistants, tout en créant de nouvelles positions stratégiques. La forteresse de Prizren, avec ses puissants murs aux imposantes arcades, en est l’une des plus célèbres. Elle inspirera d’ailleurs la forteresse de Visegrad, dont on admire les remparts et le donjon. Autre site d’importance : la forteresse de Novo Brdo qui peut s’enorgueillir de posséder une forme hexagonale d’une étonnante régularité. À l’abri de ses remparts, de ses tours de plan carré et de son impressionnant donjon de plan rectangulaire, se développe une cité divisée en ville haute et basse où se déploient des édifices mêlant emprunts aux styles byzantins et orthodoxes et influences occidentales, romanes notamment.

Mais cette période se caractérise surtout par une effervescence religieuse, culturelle et artistique sans précédent. Originellement, les églises byzantines se caractérisent par un plan centré ou un plan en croix grecque (bras de même longueur), une accumulation de voûtes et coupoles et une grande richesse ornementale (mosaïques colorées, fresques, décors de marbre, colonnes et chapiteaux stylisés, polychromie). Inspirés par ce faste byzantin, les Serbes vont imaginer un style serbo-byzantin aux étonnantes variations dont églises et monastères se font les plus beaux représentants. Le monastère de Banjska abrite une église dédiée à Saint-Etienne qui porte la marque de l’école de La Rasca, avec sa nef unique surmontée d’un dôme et sa sobriété extérieure contrastant avec la richesse de ses fresques. L’école serbo-byzantine proprement dite, se caractérise, elle, par des plans cruciformes souvent inscrits dans des plans carrés, la multiplication de dômes, la présence d’un porche en façade occidentale, la polychromie créée par l’alternance de pierres et de briques dessinant des motifs souvent géométriques, et la richesse des fresques et icônes. L’église du monastère de Gracanica avec son plan à double croix, son appareillage de brique et de pierre aux tons rose-orangés, ses savants jeux d’arcatures et de dômes créant une sensation d’élévation malgré la massivité de l’édifice, et son impressionnant cycle de fresques ; et le monastère patriarcal de Peć avec ses 3 églises aux façades précédées de narthex monumentaux et aux intérieurs recouverts de riches fresques, sont les grands représentants de cette école. L’école de La Morava va pousser encore plus loin cette richesse structurelle et ornementale, en imposant notamment le modèle du plan tréflé et des façades polychromes ornées d’éléments plastiques raffinés. Le monastère des Saints-Archanges en est le fier représentant. A ce style serbo-byzantin vont également s’ajouter des influences romanes et gothiques venues d’Occident. Le monastère de Visoki Dekani en est l’exemple phare. Sa cathédrale, la plus grande des Balkans, entre la sobriété de ses lignes extérieures empruntées au roman et sa richesse ornementale toute byzantine, offre un mélange des genres saisissant.

Héritage ottoman

Sous le règne ottoman, les villes vont connaître un nouvel essor, se développant autour de vastes complexes comprenant mosquées, medersas (écoles coraniques), imarets (cuisines populaires), auberges, bains et hammams, et bibliothèques ; ce complexe jouxtant le bazar. La mosquée ottomane se caractérise par un plan centré ; de savants jeux de coupoles dont le chevauchement crée des effets de vagues pyramidales ; des minarets aux silhouettes fines et fuselées ; des arcatures variées ; une subtilité dans l’équilibre des masses et des volumes ; et une importance donnée à la lumière qui éclaire la salle de prière dont chaque élément décoratif révèle un extrême raffinement du travail de la pierre. Les bazars, eux, sont constitués d’un réseau dense et régulier d’allées auquel se rattachent des magasins en bois. Les hammams, que l’on reconnaît à leurs coupoles ajourées, ainsi que les nombreuses fontaines, traduisent une fascinante architecture de l’eau. Tekkés (ensembles comprenant une mosquée, le tombeau d’un saint et les loges à destination des derviches qui y officient) et mausolées complètent ce panorama. A Prizren, la mosquée Sinan-Pacha, la plus importante de tout le Kosovo, impressionne par la monumentalité de ses coupoles et surtout la richesse des décors entourant son mihrab (niche indiquant La Mecque) faisant la part belle aux motifs calligraphiques et floraux. Ses dizaines d’autres somptueuses mosquées, son vaste hammam double, ses puissants et élégants ponts de pierre, ses fontaines et son bazar aux multiples maisons d’artisans comptent parmi les autres richesses ottomanes de Prizren. Richesses que l’on retrouve à Gjakova avec son Grand Bazar aux rues pavées bordées de petites maisons aux volets de bois, sa mosquée Hadum aux superbes décors d’arabesques et d’entrelacs, son Pont Terzi qui, avec ses 190 m, fut autrefois le plus long pont du Kosovo, et ses 7 tekkés. Quant à Pristina, c’est sous le règne ottoman qu’elle passe de petit village à ville d’envergure, centrée autour de l’incroyable mosquée impériale, dont on admire la coupole de 15,5 m de diamètre supportée par un savant système de pendentifs (chacun des quatre triangles sphériques ménagés entre les grands arcs), et ornée de somptueuses mosaïques aux motifs floraux et géométriques.

Pristina abrite également l’un des plus beaux exemples de maison ottomane : le complexe résidentiel Emin Gjik, transformé en musée ethnologique. L’organisation de la maison ottomane est régie par un souci permanent de l’intimité. Le mur de protection de la maison est percé d’une entrée qui donne accès au jardin ou à la cour. La maison elle-même est flanquée d’un porche qui offre tout à la fois une dernière protection et un espace de rencontre. La pièce la plus importante est l’oda, qui sert de salon d’accueil pour les invités et voyageurs, mais aussi de salle de réunion pour les hommes. Autant d’éléments que l’on retrouve dans l’architecture vernaculaire du Kosovo, avec les murets chaulés de blanc protégeant des maisons aux structures en bois remplies de torchis et aux toits composés d’un maillage de bois recouvert de tuiles. A partir du XVIIe siècle, le Kosovo voit également apparaître les premières kullas, qui se généraliseront aux siècles suivants. Les kullas sont des maisons-tours fortifiées aux murs épais percés de meurtrières au rez-de-chaussée et de petites fenêtres aux étages. Le rez-de-chaussée sert de grange, le 1er étage sert pour la famille, tandis que le 2e étage abrite la « oda e burrave », la salle de réunion réservée aux hommes. Aux étages supérieurs, des éléments en bois peuvent être ajoutés tels escaliers extérieurs, balcons et galeries. Les kullas sont très nombreuses dans la région de Dukagjini. Parmi les plus impressionnantes, ne manquez pas : la Haxhi Zeka ou Pacha Kulla de Pela, et la Kulla d’Abdullah Pashë Dreni à Gjakova.

Période yougoslave

Comme la plupart des régimes autoritaires, la Yougoslavie socialiste opte au départ pour une architecture classique monumentale. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est un temps associée au bloc soviétique dont elle partage alors l’engouement pour le réalisme socialiste, tout à la gloire des valeurs communistes. Mais cette association ne dure pas, la nouvelle Yougoslavie trouvant finalement dans les nouvelles recherches formelles du modernisme les outils de démonstration de sa puissance. La devise de l’époque : « Détruire l’ancien, construire le nouveau. » Le gouvernement décide de la destruction de tout le patrimoine prémoderne… une appellation qui désigne, en réalité, le patrimoine ottoman, associé alors à la culture albanaise. Des fronts populaires se créent pour détruire ces témoins de l’histoire, à l’image du bazar de Pristina dont les deux cents boutiques, tenues alors par des Albanais, sont entièrement rasées. Détruire donc… mais construire également. En 1959, le conseil municipal de Pristina propose un plan d’urbanisation prévoyant de nouveaux appartements et de nouvelles infrastructures de santé et de services. La fonctionnalité est de mise et les barres d’immeubles uniformes aux volumes géométriques et aux balcons de béton ajouré fleurissent. On voit également éclore les Spomeniks, monumentaux mémoriaux de béton, mêlant expressionnisme et abstraction, et traduisant l’esprit de fraternité, d’union et de modernité de la nouvelle ère socialiste. Parmi les plus célèbres, notons le monument de la Fraternité et de l’Unité, étonnante structure de béton blanc s’élançant tels deux bras tendus vers le ciel à Pristina, ou bien encore le sanctuaire de la Révolution à Mitrovica, véritable dolmen de béton. Le brutalisme inspiré de Le Corbusier sera également très à la mode avec ses murs de béton, ses formes géométriques massives, anguleuses et répétitives et ses toits plats, comme dans le Centre culturel de Kaçanik et les habitations ouvrières de Gjilan. Mais s’il ne fallait retenir que deux bâtiments de cette période yougoslave, ce serait évidemment la Bibliothèque nationale du Kosovo et le palais de la Jeunesse et des Sports, tous deux à Pristina.

La première, œuvre du croate Andrija Mutnjakovic, étonne avec ses 99 dômes translucides, ses décorations de marbres et de plâtres et son treillis d’hexagones en aluminium enveloppant ses volumes et favorisant éclairage et aération. Le second se compose de différents pavillons mêlant verre et béton et offrant d’étonnants espaces, notamment la toiture sur laquelle il est possible de marcher. Une effervescence qui sera brutalement stoppée par les guerres fratricides qui vont plonger le pays dans le chaos. Il s’agit alors de détruire l’architecture, vue comme le paradigme de la culture de l’autre. Les populations serbes détruisent toute forme de patrimoine islamique, tandis que les Albanais s’attaquent aux monastères et églises serbes. Une guerre des identités qui laissera le pays meurtri et exsangue.

Kosovo contemporain

En proclamant son indépendance, le Kosovo entre dans une phase d’optimisme qui s’accompagne d’une explosion démographique et immobilière. Mais en l’absence de cadre légal, les villes, et notamment Pristina, voient proliférer des immeubles standardisés de faible qualité, qui empiètent sur le moindre espace libre, entraînant également la destruction du patrimoine existant. Avec son « Plan de développement urbain 2012-2022 », Pristina tente de planifier son urbanisme de façon plus raisonnée, en repensant ses axes routiers et ses nouveaux quartiers, mais ces derniers, fortement occidentalisés, font malheureusement primer la voiture sur le piéton, le gigantisme sur le minimalisme, les tours de verre et d’acier sur les maisons traditionnelles. Fort heureusement, des initiatives voient le jour pour tenter de faire mieux et différemment. La Kosovo Architecture Foundation, plus grande organisation du genre basée à Pristina, a reçu le prestigieux prix Keeping it modern de la Fondation Getty pour son travail de recherches documentaires sur la Bibliothèque nationale permettant sa conservation et son classement en site historique, et sa contribution à promouvoir l’architecture locale tout en créant des passerelles avec les créateurs du monde entier grâce à sa plateforme de design et d’architecture. Përparim Rama a fait rayonner son pays d’origine en remportant le World Interiors News Award pour sa décoration originale du Hammam Jazz Bar de Pristina qui revisite les techniques traditionnelles kosovares dans un élégant brutalisme. Parmi les créations les plus récentes, le Lakeside Hotel & Spa à Vërmica fait la part belle aux volumes géométriques simples et blancs et aux panneaux profilés en aluminium. Le Kosovo se fait aussi terre d’innovation avec le projet imaginé par Architecture for Humans baptisé « quartier zéro émission » centré sur des bâtiments passifs, des systèmes solaires actifs et des infrastructures et appareils à haut rendement énergétique. Après des décennies de destruction, le Kosovo imagine un avenir durable.