Les essentiels de la cuisine vénitienne

Dans une ville connue pour son raffinement parfois poussé à l’extrême, il est peu surprenant que la cuisine vénitienne fasse preuve d’une créativité et d’un savoir-faire sans pareils, malgré l’utilisation de produits pourtant assez simples, mais préparés avec beaucoup de soin et savamment assaisonnés.

Comme dans le reste du pays, un repas traditionnel à Venise se compose d’antipasti, d’un primo (pâtes, risotto ou soupe), d’un secondo (viande ou poisson) avec ou sans contorno (l'accompagnement), suivis d’un dessert et surtout de café. La cuisine typiquement vénitienne est principalement à base de poisson, alors que la viande est plus commune dans le reste de la Vénétie (volaille, porc, agneau), sans parler les légumes qui sont très utilisés. Mais rares sont les repas qui contiennent autant d’éléments, et on peut se régaler avec simplement quelques hors-d’œuvres, qui peuvent constituer à eux seuls un repas à part entière.

Cicchetti est un terme vénitien pour désigner ce qu’on appellerait antipasti dans le reste du pays. On les consomme généralement dans les bàcari, équivalent local de l’osteria italienne. Venise étant une cité d’eau, les cicchetti sont principalement à base de poisson. Vous aurez le choix entre des sarde in saor (des sardines frites puis marinées avec du vinaigre), des petits calmars, frits ou juste grillés, des seiches dans leur encre (sepe nere), des poulpes, des filets de poisson panés, ainsi que des moeche fritte, des crabes à carapace molle frits. Très prisés, ces crabes sont pêchés lorsqu’ils muent. Leurs carapaces restent molles seulement quelques heures ce qui permet de les déguster entiers sans les décortiquer. Sinon la classique insalata di mare se présente sous forme d’un mélange de fruits de mer variés généreusement citronné, parfumé d’ail et de persil.

Pour ceux qui n’aiment pas le poisson, il y a souvent sur les comptoirs des polpette (des petites boulettes de viande), des melanzane/zucchini in carrozza, comprendre des beignets de tranches d’aubergines/courgettes fourrées de mozzarella fondante. Les très populaires tramezzini sont des sandwiches en triangle au pain de mie avec des garnitures aussi variées que du salami, du prosciutto, de la mozzarella ou encore des artichauts en saumure ou des anchois avec des œufs durs. Les crostini sont couronnés d’une garniture tout aussi variée, mais se présentent sous la forme de petites tranches de pain toastées. Autre entrée typique de Venise, le carapaccio di cipriani est une version moderne d’une recette assez ancienne – la carne cruda all'albese – qui a été remise au goût du jour dans les années 1950 par Giuseppe Cipriani, chef du Harry’s Bar. Il est composé de tranches de bœuf fines comme du papier, décorées de roquette, de copeaux de parmesan et de câpres. On l’assaisonne généralement d’huile d’olive et de vinaigre balsamique, ou parfois d’une garniture plus riche à base de crème, de mayonnaise et de moutarde. Contrairement au reste de l’Italie, on produit assez peu de fromage et de charcuterie en Vénétie. On retrouve cependant l’asiago, fromage fabriqué dans la ville du même nom, au pied des Dolomites.

Polenta et pasta

Bien que les primi en Vénétie fassent la part belle aux pâtes et au riz, la polenta tient une place essentielle dans la région, même si elle sert très souvent de contorno (accompagnement). A l’origine, cette purée de céréales se composait d’orge ou de millet, remplacés par du maïs. Bien que d’apparence facile, la cuisson de la polenta nécessite de mélanger la farine de maïs pendant plusieurs dizaines de minutes, alors que la bouillie devient de plus en plus dense et pâteuse. Elle peut être ainsi servie chaude et crémeuse ou laissée à refroidir où elle va devenir ferme avant d’être coupée en tranches que l’on fait griller avec un filet d’huile. La polenta bianca, originaire de Venise, Padoue et Trévise, est plus fine et plus pâle que la polenta classique. Typique de la plaine du Pô, le risotto est bien sûr très apprécié en Vénétie. Le risotto di ghiozzo ou est un simple risotto agrémenté de chair de gobie, un des poissons les plus communs de la lagune de Venise. Le classique risotto al nero di seppia, à l’encre, est garni de morceaux de seiche alors que dans l’arrière-pays on retrouve également le risotto al tastasal, parfumé de chair à saucisse. Le risotto all'Amarone est simplement assaisonné d’un bouillon parfumé au vin rouge. Le risi e bisi, à la pancetta et aux petits pois, légèrement plus liquide qu’un risotto classique, est originaire de la ville de Vicence. Inversement on retrouve peu de recettes de pâtes traditionnelles en Vénétie, comme dans le reste du nord de l’Italie. Exception faite avec les bigoli, d’épais spaghetti moulés grâce à une presse, leur donnant une texture légèrement râpeuse, idéale pour tenir la sauce. Les bigoli in salsa sont servis avec une sauce aux anchois et à l’oignon alors que les bigoli con l’anatra sont accompagnés d’un ragù à base de viande de canard. Bien qu’originaires du sud de l’Italie, impossible de passer à côté des célèbres spaghetti alle vongole, à Venise, où ils s’accommodent très bien des palourdes (vongole) de la lagune, le tout parfumé de vin blanc, d’herbes aromatiques et d’huile d’olive. Les tortellini di Valeggio sul Mincio sont des pâtes farcies au bœuf, au porc et aux légumes, emblématiques du village éponyme, au sud de Vérone. Enfin la pasta e fagioli (pasta e faxioi, en dialecte vénitien) – plat paysan par excellence – est une soupe aux haricots épaisse garnie de longues pâtes plates. Les légumes sont essentiels à la cuisine de la région, avec de nombreuses variétés propres à la Vénétie comme le radicchio (chicorée) di Treviso rosso, le radicchio variegato di Castelfranco et le raddichio di Chioggia. Les asperges blanches de Bassano sont appréciées pour préparer les asparagi in salsa servies avec une sauce aux anchois et câpres alors que les chicorées sont par exemple cuites al forno avec beaucoup d’huile d’olive et servies avec des pâtes ou du risotto. Pommes de terre, courges, artichauts, radis rouges, fèves, haricots et bien d’autres légumes sont régulièrement consommés.

Poissons de la lagune et autres viandes

Il n’est pas surprenant que les secondi les plus appréciées à Venise soient le plus souvent à base de poissons et de fruits de mer. Le Mercato ittico all’ingrosso di Chioggia, au sud de Venise, se targue d’ailleurs d’être le plus grand marché aux poissons d’Italie. Le baccalà (morue séchée et conservée sous sel) est précieux aux yeux des Vénitiens, qui s’en servaient autrefois comme monnaie d’échange dans le commerce des épices. Généralement accompagné de polenta, on retrouve plusieurs recettes comme le baccalà alla vicentina, mijoté dans du lait pendant plusieurs heures avant d’être saupoudré de parmesan et gratiné. Le baccalà mantecato ressemblerait plus à une purée de morue très aillée, proche d’une brandade. La zuppa di cozze e vongole est une soupe légère de moules et de praires au vin blanc que l’on sert dans une assiette sur un lit de pain grillé. Au-delà de recettes bien définies, on retrouve toutes sortes de poissons et de fruits de mer venant de la lagune, simplement grillés avec un filet d’huile. Certaines parties de la Vénétie forment un véritable dédale de marais et de canaux où prospèrent les anguilles que l’on déguste parfois rôties avec du laurier (bisato sull’ara).

Côté viande, l’un des plats les plus célèbres de Venise est sûrement le fegato alla veneziana, une recette de foie de veau revenu avec de très fines tranches d’oignon. Le brasato all'Amarone est un ragoût de viande de bœuf du vin d'Amarone alors que la pastissada de caval – plat très ancien aujourd’hui moins commun – est un ragoût de viande de cheval parfumé de feuilles de laurier, de muscade et de clous de girofle, mijoté avec des légumes jusqu’à ce que la viande soit fondante. Ces deux plats sont servis avec de la polenta. Spécialité paysanne plus rare, le lesso e pearà,, qui est une sorte de pot-au-feu – originaire de Vérone – contenant du bœuf et de la saucisse (type cotechino), est servi avec de la pearà, une sauce crémeuse très poivrée à base de bouillon, de mie de pain et de moelle de bœuf. La castradina est une recette de mouton et de chou, mijotés longuement dans du vin agrémenté d’oignons et d’épices. Le grigliata mista est simplement un assortiment de grillades : côtes de porc, de bœuf, saucisse, poitrine salée et blancs de poulet, le tout accompagné de polenta, elle aussi grillée. Plus délicat, le maiale al latte est du porc braisé à feu doux dans du lait. L’oca in onto ressemblerait trait pour trait à une sorte de confit de canard, à la seule différence qu’en Vénétie on utilise de l’oie. Enfin l’anatra alla vallesana est un plat de canard sauvage cuit dans une sauce aux anchois et au vinaigre.

Desserts de Carnaval et cafés d’exception

La Vénétie – comme de nombreuses régions italiennes – est assez pauvre en desserts, comparé à la longue liste de plats salés. On retrouve néanmoins quelques spécialités alléchantes. La plus connue d’entre elles, même si peu d’amateurs le savent, est le tiramisù. Son origine fait en réalité débat car plusieurs régions d’Italie (notamment le Frioul-Vénétie Julienne) se disputent sa paternité. Il est probable que cet entremets dérive de la zuppa inglese, un dessert datant de la Renaissance composé de couches de crème aux œufs et de biscuits imbibés de liqueur (généralement de l’alkermès). Cependant, la version moderne au café, au mascarpone et au cacao aurait été créée dans un restaurant de Trévise, Le Beccherie, dans les années 1960.

On retrouve de nombreuses spécialités plus anciennes comme le pan del Doge, une brioche dense et riche agrémentée de raisins secs, d'écorces d'orange confites et d'amandes. La pâte est parfois parfumée avec de la fleur d'oranger, du miel ou du vin blanc. Tandis que les amateurs l'apprécieront nature, les gourmands se régaleront des versions à la pistache ou au chocolat. Son nom vient du doge Silvestro Valiero (1630-1700), un grand amateur de bonne chère. Consommé à Noël, le pandoro est une brioche originaire de Vérone, descendant du pane de oro, que l’on servait traditionnellement sur les tables de l’aristocratie vénitienne. A ne pas confondre avec le panettone, milanais, un peu plus dense et garni de raisins secs.

On retrouve également de nombreux biscuits – parfaits pour ramener dans ses bagages – comme les bussolai (en forme d’anneaux, de l’île de Burano), les basi di dama (pâtes d’amande au cacao) ou encore les lingue di suocera (biscuits recouverts de chocolat dont le nom signifie littéralement « langues de belle-mère »). Le mandorlato est une variété de nougat aux amandes et au miel. De nombreuses douceurs font le plaisir des Vénitiens durant le carnaval, qui a lieu dans la Sérénissime depuis la fin du XIe siècle. On y déguste par exemple les frittelle alla veneziana, des petits beignets au sucre parfois fourrés de crème à la vanille, et les crostoli, similaires aux bugnes lyonnaises, en forme de losanges de pâte croustillante. Enfin, les zaletti sont des biscuits de carnaval à la farine de maïs et aux raisins secs parfumés à la grappa.

Grâce à ses liens privilégiés quoique instables avec l’Empire ottoman, Venise fut la première ville d’Europe à importer et consommer des grains de café. Le premier café aurait ouvert ses portes dans la cité des Doges dès 1640. Depuis les Italiens sont restés inimitables dans la préparation du café. On retrouve ainsi le classique espresso, le macchiato (littéralement « taché » d’une goutte de lait). Le café au lait se dit caffé con latte, à ne pas confondre avec le fameux cappuccino qui doit être mousseux et saupoudré de cacao. Enfin, le caffé corretto est agrémenté d’un trait de liqueur. Pour ceux qui boudent un peu le café, on peut aussi déguster un chocolat chaud à l’italienne, connu pour être presque aussi épais qu’une crème dessert.

Et pour siroter une boisson chaude dans un cadre digne de ce nom, Venise possède quelques établissements d’exception comme le célébrissime Caffé Florian – situé sur la place Saint-Marc – inauguré en 1720 sous le nom de Alla Venezia Trionfante mais vite rebaptisé par la clientèle en l’honneur de son propriétaire, Floriano Francesconi. Il possède plusieurs salles aux décorations éclectiques d’inspirations orientale, baroque ou même chinoise. Autre lieu mythique, le Gran Caffé Quadri, ouvert en 1775 par le marchant vénitien Giorgio Quadri, est connu pour ses intérieurs pastel richement décorés.

Les vins de la Vénétie et le célèbre Bellini

La Vénétie est la première région d’Italie pour la production de vins de qualité avec ses 20 zones classées DOC (Denominazione di Origine Controllata). Les vins blancs de la Vénétie sont particulièrement appréciés en Italie, surtout ceux qui sont produits dans la région de Trévise, comme le spumante di Valdobbiadene di Cartizze. Également remarquables, le verduzzo, dont le nom rappelle sa couleur vert clair, et le tocai, parfumé et sec. Les terres d’origine volcanique de la région de Padoue produisent le pinello, le serprino et le très parfumé fior d’Arancio, un vin sucré et aromatisé obtenu à partir d’un raisin muscat jaune. Autour de Vérone, près du lac de Garde, s’étendent les domaines les plus connus de la région.

Parmi les rouges, il faut goûter le valpolicella, le bardolino ou le clinto, parfait avec le gibier. Un autre rouge de qualité est le recioto. Dans les blancs, les vins de Soave, de Montello et d’Asolo sont conseillés pour accompagner le poisson. Enfin, le fragolino évoque au nez la fraise – d’où son nom – et vous le trouverez en rouge comme en blanc. Il se boit comme digestif, accompagné de petits biscuits.

Déjà bien connu en France, le prosecco, également appelé prosecco di Conegliano ou prosecco di Valdobbiadene, est tantôt un vin sec très fruité, tantôt un mousseux qui appartient alors à la famille des spumanti. Se déclinant de mille façons, on le retrouve dans de nombreux cocktails ayant vu le jour à Venise comme l’emblématique Spritz, à base de prosecco, d’Aperol (une liqueur amère originaire de Padoue), d’eau gazeuse et de rondelles d’orange. Le Bellini mêle prosecco et purée de pêche blanche. Dans le même genre, le Rossini est à base de purée de fraises, que l’on remplace par du jus de raisin rouge pour faire un Tiziano. Enfin le Sgroppino est une sorte de trou normand à la vénitienne : on sert dans une coupe une boule de sorbet au citron que l’on couvre de vodka et de prosecco. Très apprécié pendant un repas copieux car très rafraîchissant, on le sert notamment lors des mariages entre le primo et le secondo.

De nombreux cocktails comme le Bellini ont vu le jour dans le mythique Harry’s Bar, situé à deux pas de la place Saint-Marc. Fondé en 1931, il tire son nom d’un étudiant américain, Harry Pickering, venu à Venise dans les années 1920 avec sa tante pour soigner son alcoolisme. Abandonné dans la ville par cette dernière, son histoire émut tellement Giuseppe Cipriani, alors barman de l'hôtel, qu’il lui prêta 10 000 lires pour lui permettre de rentrer dans son pays. Après avoir guéri de son alcoolisme, quelques années plus tard, Harry Pickering revint à Venise et retrouva la trace de Cipriani : en signe de gratitude, ce dernier lui restitua la somme initiale du prêt, en y ajoutant 30 000 lires. L’ancien barman put alors s'installer à son nom, et Cipriani décida lui-même d'appeler son établissement le Harry's Bar, en l'honneur de son bienfaiteur.