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Etonnant urbanisme

Ceignant la ville sur une dizaine de kilomètres, les murailles de Marrakech sont un chef-d’œuvre de l’architecture de terre. D’un pisé rougeoyant, elles sont percées de 10 portes monumentales (bab) témoins d’un étonnant mélange d’ingénierie militaire et d’art du décor. Voyez la célèbre Bab Agnaou avec sa superposition d’arcs divers (outrepassé, brisé, en plein cintre) créant un effet de mouvement renforcé par les élégants éléments coufiques sculptés dans les grès rouges et verts l’encadrant. Ces murailles protègent la médina, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, et chef-d’œuvre d’urbanisme arabe, ses ruelles labyrinthiques menant aux édifices phares de la cité. Il y a bien sûr les souks que l’on reconnaît à leur clayonnage de bois, de roseau ou de palmier protégeant les habitants des rudesses du soleil et à leurs échoppes savamment agencées par corps de métiers. Plus loin, de beaux passages voûtés ou à encorbellements vous mèneront à une place ornée d’une fontaine aux superbes décors de bois sculpté, d’arcs à stalactites ou de céramiques colorées, telle la Fontaine Mouassine, dont le bruissement de l’eau fait écho aux sons étouffés provenant des bains et hammams, que l’on reconnaît à leurs coupoles souvent percées d’ouvertures en forme d’étoiles permettant à la vapeur de s’échapper et surtout à leur mur en tadelakt, enduit composé d’une chaux teintée de pigments naturels et polis à l’aide de galets pour lui donner un aspect lisse et brillant proche de la pierre et pensé pour absorber l’humidité des murs. Les Hammams El-Bacha et Bab-Doukkala en sont deux beaux exemples. De nouveaux passages arqués vous mèneront à des fondouks, ces hôtels-entrepôts, dont le rez-de-chaussée est occupé par une boutique et le 1er étage par une galerie desservant les chambres. Marrakech en compte près d’une centaine. Mais la ville est surtout connue pour abriter les légendaires riads. Derrière d'imposantes portes élégamment décorées de ferronneries et de boiseries sculptées, de peintures et d’impressionnants clous en cuivre, et des murs aveugles, se découvre un univers unique et intime. Tout se joue à l’intérieur, autour d’un jardin découpé en 4 parterres par 2 allées pavées de zellige (petits fragments de céramiques de diverses couleurs juxtaposés pour former des motifs décoratifs et fixés avec du mortier) qui se croisent autour d’une vasque ou d’une fontaine. Cette oasis de fraîcheur est bordée de galeries desservant les différentes pièces de la maison. C’est ce jardin qui distingue les riads des dars, maisons simples de plain-pied ou à un étage organisées autour d’une cour intérieure ouverte, et également réalisées en briques de pisé. Les toits de ces demeures sont le plus souvent aménagés en terrasse et leur juxtaposition crée comme une seconde ville suspendue. A côté de cette bouillonnante médina se dresse un autre quartier d’importance, le mellah ou ancien quartier juif, que l’on reconnaît à ses hautes bâtisses en briques crues ornées de balcons en fer forgé.

Splendeurs de l’Islam

Au cœur de sa médina, Marrakech abrite de véritables trésors de l’architecture islamique, à commencer par la célèbre Koutoubia, l’une des plus grandes mosquées de l’Occident musulman. La première mosquée érigée par les Almoravides fut jugée mal orientée vers la Mecque par leurs successeurs les Almohades. Ces derniers décidèrent donc de construire à côté de cette « erreur » une nouvelle mosquée en tout point identique à son modèle. Si les deux édifices cohabitèrent un certain temps, la première mosquée finit par être détruite… seules subsistent ses fondations. Mais la seconde et donc actuelle Koutoubia, elle, impressionne par ses volumes et dimensions : 16 nefs parallèles identiques et 1 nef médiane plus large… étonnant ! Mais à la foisonnante ornementation chère aux Almoravides, et que l’on peut encore observer dans le minbar (chaire pour les prêches) avec ses milliers de pièces de cèdre incrustées d’argent et ornées de motifs calligraphiques sculptés et de somptueux éléments de marqueterie, les Almohades ont préféré un style moins « extravagant » mais faisant tout de même une place importante au décor, comme en témoignent les 11 coupoles à stalactites (ou muqarnas) et les chapiteaux et charpentes moulurés et ornés de motifs géométriques, floraux ou calligraphiques. L’élément phare de la Koutoubia reste bien sûr son minaret, véritable sentinelle du désert qui veille sur la ville du haut de ses 77 m, et que l’on reconnaît aux 4 sphères (jammour) de grandeurs décroissantes et couvertes, dit-on, de l’or des bijoux de la femme du Sultan Yacoub el-Mansour. Un point commun qu’il partage avec le minaret d’une autre superbe mosquée de la ville : la Mosquée de la Kasbah, souvent surnommée « la mosquée aux pommes d’or » ! Les tombeaux et mausolées comptent parmi les autres splendeurs de l’Islam, à commencer par la Koubba el-Barudiyne, seul grand vestige intact de la période almoravide. Une koubba se caractérise par une couverture en coupole. Voyez ici comme la coupole est élégamment nervurée. Bâtie en pierre et en brique, cette koubba impressionne aussi par son riche décor fait de rosaces, d’arcatures diverses et, à l’intérieur, de beaux marbres sculptés. Une somptuosité du décor qui contraste avec la sobriété des marabouts, les modestes mausolées des grands saints de la ville et qui se caractérisent le plus souvent par des volumes cubiques simples. Cette magnificence n’égale pas celle des incroyables tombeaux érigés par la dynastie saadienne. Délicatesse de la décoration, harmonie et pureté des lignes caractérisent ces chefs-d’œuvre de l’art funéraire, dont on peut admirer la salle aux 12 colonnes de marbre de Carrare supportant une coupole en cèdre doré ou bien encore la salle au mihrab, niche indiquant La Mecque, flanquée ici de belles colonnettes de marbre gris. Alors qu’il cherchait à détruire toute trace des royaumes passés, Moulay Ismaïl fut si impressionné par ses tombeaux qu’il décida de les préserver… en prenant soin toutefois de les enfermer dans de hautes murailles ! Autre bâtiment phare de l’architecture islamique : la médersa ou école coranique. La médersa Ben Youssef de Marrakech est sans doute l’une des plus célèbres de tout le pays. Le joyau de l’école est sa cour centrale ornée d’un grand bassin de marbre blanc et bordée de piliers formant un élégant portique. Frises, consoles et tuiles vernissées vertes couronnent les façades, elles-mêmes percées de portes en bois de cèdre sculpté. Le haram, la salle d’enseignement et de prière, est couvert d’un dôme lui-même coiffé d’un toit pyramidal de tuiles vertes. A l’étage, les galeries sont fermées par de belles balustrades en bois rappelant des moucharabiehs et assurant l’intimité des élèves. De façon générale, les espaces et volumes ont été pensés avec précision afin de permettre aération et isolation, tout en maintenant une exposition équilibrée à la lumière. A cela s’ajoute un riche décor fait de céramiques polychromes, de marqueterie et de stucs et plâtres sculptés. Un enchantement !

Jardins et palais

Marrakech est aussi célèbre pour ses nombreux jardins, dont les plus célèbres, les Agdals, sont aujourd’hui encore irrigués par un ingénieux système mis en place par les Almoravides. Baptisé khettara, ce système se compose de canaux souterrains ponctués de puits permettant de drainer vers les oasis les eaux des sources et des nappes phréatiques, et de bassins d’accumulation liés à un réseau de séguias ou rigoles à ciel ouvert distribuant l’eau vers les champs et les jardins. C’est ce système qui permet à la ville de se draper dans une telle luxuriance végétale. De somptueux jardins qui vont souvent de pair avec de magnifiques palais royaux, à l’image du célèbre Palais de la Bahia aux incroyables plafonds de bois peints, dorés et marquetés et à la grande cour d’honneur pavée de marbres et ornée de zelliges, chef-d’œuvre d’architecture hispano-mauresque ; ou bien encore du Dar Si Saïd avec ses montants de portes et fenêtres ornées d’incrustations, de sculptures et motifs géométriques peints. Ces deux palais du XIXe siècle sont de précieux témoins du savoir-faire des maalem, les célèbres artisans marocains. Du légendaire Palais El-Badi, surnommé « l’Incomparable », dont la construction au XVIe siècle avait nécessité le travail de centaines d’artisans venus d’Afrique Noire, d’Europe et même des Indes et qui pouvait s’enorgueillir de posséder 360 pièces décorées des plus beaux matériaux, il ne reste que bien peu de choses… Moulay Ismaïl dépeça littéralement le palais de ses marbres, onyx, ors, ivoires et bois précieux pour construire les palais de Meknès, son nouveau fief !

Influences contemporaines

Créé sous le Protectorat français, le quartier du Guéliz tire son nom du grès extrait des carrières situées dans les collines avoisinantes. Imaginée par Henri Prost, l’architecte du Général Lyautey, cette « ville nouvelle » reprend les codes de l’urbanisme à l’européenne avec un plan ordonné et quadrillé dessiné par d’imposantes artères, ici l’Avenue Mohammed V. Banques, administrations et hôtels s’y regroupent, de même que les communautés d’expatriés et les familles aisées qui se font construire d’élégantes villas qui oscillent entre les styles néo, néo-classique et néo-mauresque surtout, et la grande modernité du style Art déco, avec ses volumes simples et ses lignes épurées. Point de repère nimbé d’une aura quasi mystique, le Jardin Majorelle abrite au cœur de sa végétation luxuriante le grand atelier de Louis Majorelle avec ses pergolas et tonnelles recouvertes d’un bleu perçant. Depuis 2017, le jardin abrite un nouveau lieu rapidement devenu incontournable : le Musée Yves Saint-Laurent (le couturier avait racheté le jardin et la villa !) imaginé par le Studio KO. Admirez sa façade faite d’un assemblage de cubes habillés de briques qui sous l’effet de la lumière et d’étonnants jeux de textures donnent un effet « dentelle ». De nombreux autres musées et lieux culturels investissent les fondouks restaurés. Parmi les autres belles réalisations contemporaines, il faut bien sûr citer le nouvel aéroport de la ville avec ses volumes blancs aux motifs géométriques et alvéolés, sa grande coupole, ses passerelles et esplanades piétonnes qui ne sont pas sans rappeler l’urbanisme typique des villes arabes. Très prisés, les riads font l’objet de transformation et restauration, à l’image de la Villa Makassar, qui tire son nom d’un bois précieux, et qui a entièrement été repensée dans l’esprit… Art déco ! Un joli dialogue entre les époques. Au cœur de la Palmeraie, le Palais Aziza, lui, combine luxe contemporain et emploi de matériaux traditionnels : zellige et tadelakt pour les murs ; bejmat (carreaux artisanaux rectangulaires ou carrés d’argile cuite émaillée ou naturelle) pour les sols ; menuiserie et marqueterie d’essences locales, toit couvert de karmoudes, tuiles traditionnelles de couleur verte… autant d’échos aux demeures traditionnelles de la ville.

Trésors berbères

Aux alentours de Marrakech, c’est un tout autre type d’architecture qui vous attend. La tradition berbère se lit dans des édifices, le plus souvent fortifiés, d’aspect plutôt austère, de plan généralement carré, et ne possédant que de rares éléments décoratifs… ici, la puissance et la sobriété de cette riche architecture de terre se suffisent à elles-mêmes ! Parmi les immanquables : les villages fortifiés du Haut Atlas avec leurs ighrems ou greniers collectifs, la kyrielle de villages (douar) aux maisons en pisé qui s’étagent sur les plateaux de la Vallée de l’Ourika et bien sûr la Casbah de Telouet. Château fort autant que résidence seigneuriale, la kasbah révèle la résistance des constructions en pisé ou brique cuite et la puissance de leur silhouette aux allures de pyramides étagées, percées de rares ouvertures, ce qui renforce encore ce caractère austère. A Telouet, les murailles hérissées de créneaux et flanquées de bastions carrés de la kasbah, abritent les ruines de ce qui fut une résidence d’agrément du XIXe siècle avec colonnes et murs décorés de zelliges et stucs ciselés et plafonds peints ou à stalactites, dans la plus pure tradition de l’architecture hispano-mauresque. A Ouirgane, vous pourrez également observer des maisons en pisé dotées de toits plats constitués de rondins et de branchages recouverts de terre, ingénieux système permettant isolation et ventilation.

Escapade à Essaouira

Essaouira est une ville unique issue d’un étonnant mélange entre urbanisme à la française et traditions arabes. Au XVIIIe siècle, le sultan alaouite Sidi Mohammed Ben Abdallah charge l’ingénieur (et prisonnier !) français Théodore Cornut de tracer le plan d’une ville nouvelle. Cette dernière va se développer selon un tracé rectiligne où se croisent rues et avenues à la largeur encore jamais vue dans ces régions, tout en étant protégée par d’impressionnants remparts inspirés des modèles de Vauban. C’est ainsi que Mogador va devenir Essaouira, « la bien dessinée » ! Parmi les éléments phares de ces fortifications, ne manquez pas la skala du port, grande plateforme d’artillerie de 200 m de long entourée de murs crénelés, et dont les casemates sont aujourd’hui occupées par de nombreux artistes ; et la Porte de la Marine surmontée d’un fronton reposant sur deux colonnes cannelées et encadré de deux échauguettes, et reliée à la skala par un pont aux piles trapues et au parapet crénelé. Ces puissants remparts protègent la médina de la ville, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. Souks animés, portails en pierre de taille finement sculptée et aux arcatures ornées de zellige ouvrant sur les cours intérieures des belles demeures urbaines aux murs chaulés de blanc et rehaussés par des encadrements de portes et fenêtres d’un bleu profond, sont autant de témoins de l’identité arabe de la ville. Ne manquez pas non plus la très belle place Moulay el-Hassan et son style marocain-portugais… eh oui, les Portugais apposèrent aussi leur marque sur la cité, comme le montrent les vestiges du Château Royal construit en 1506 ! Devenue une destination populaire, Essaouira fait l’objet de projets touristiques et immobiliers qui inquiètent les défenseurs de son riche patrimoine… fort heureusement certains font le choix du respect des lieux, à l’image de la future Cité des Arts et de la Culture, qui sortira bientôt de terre et dont les courbes rappelant l’envol des mouettes sur la ville ont été dessinées par le célèbre architecte brésilien Oscar Niemeyer !