L’éclosion de Chicago

Ancien point de passage entre le Canada et le bassin du Mississippi, la région était occupée par les Amérindiens jusqu’à l’arrivée des premiers Européens. Le Mitchell Museum of the American Indian d’Evanston est l’un des rares musées consacrés à la culture et à l’art des natifs Américains. Durant la guerre d’Indépendance (1775-1783), la région fut transformée en comté d’Illinois. Les peuples indiens regroupés en Conseil des Trois Feux durent céder leurs terres. En 1833, la ville signa officiellement sa fondation et sa population s’accrut à toute allure. Attirés par la possibilité de travailler dans les abattoirs et les usines sidérurgiques florissantes de la ville, des immigrants affluèrent du monde entier : Irlande, Allemagne, Pologne, Italie, Royaume-Uni, Suède, Russie et Sud des États-Unis.

La photographie commerciale explosa à Chicago pour répondre aux demandes de carte de visites et de portraits des industriels. Rapidement, les photographes se tournèrent vers les paysages et léguèrent de précieux témoignages de l’essor de la ville. Suite à l’apparition de l’appareil Kodak en 1888, la photographie amateur se démocratisa. Les Chicagoans se mirent à immortaliser tous les aspects de leur quotidien. De la même façon, la peinture américaine se limita aux portraits jusqu’à l’apparition du paysage dans le courant du XIXe siècle, sous forme de scènes romantiques ou de vastes panoramas. Les peintres de l’époque se nommaient James Whistler, Mary Cassatt, John Singer Sargent.

Laboratoire d’innovations

En octobre 1871, le Grand Incendie de Chicago ravagea la métropole. Chicago se reconstruisit sur la base d’un squelette en acier qui ouvrit la voie à l’invention des tours modernes. Les parcs accueillirent des sculptures monumentales offertes par de riches philanthropes. Pionnière dans le domaine de l'art public, Chicago n’a jamais cessé d’associer développements urbain et artistique.

L’exposition universelle de 1893 qui se déroula à Jackson Park attira 27 millions de visiteurs. À cette occasion, des photographies urbaines éditées en carte postale remportèrent un immense succès. Leur popularité dura jusque dans les années 1920.

Naissance des institutions culturelles

Entre 1871 et 1945, les lieux culturels qui font la réputation de Chicago virent le jour. L’Art Institute of Chicago ouvrit ses portes en 1879 et développa une collection inégalable d’art impressionniste et postimpressionniste. La raison est simple : à la fin du XIXe siècle, des Américains qui séjournaient à Paris entreprirent de miser sur des peintres dédaignés. À leur tête, Lousine Havemeyer acheta à Degas son premier pastel en 1874, ainsi que plusieurs œuvres de Manet. Par la suite, elle légua sa collection au Met, tandis que Palmer Potter enrichit les collections de Chicago. À l'aube du XXe siècle, Chicago devint un foyer culturel rivalisant avec New York.

Prohibition et ère moderne

Les années 1890-1935 sont marquées par les gangs et la contrebande. Al Capone dit « Scarface », le plus célèbre des gangsters américains, contrôlait 161 bars clandestins à la fin des années 1920. La fusillade la plus mémorable de la Prohibition reste le massacre de la Saint-Valentin qui eut lieu le 14 février 1929.

Au début du XXe siècle, la peinture américaine est largement dominée par le courant réaliste. Mené par George Bellows, apparut un courant pictural à vocation documentaire et social. L’art contemporain occidental commença à pénétrer en Amérique suite à la prestigieuse exposition de l’Armory Show qui se tint à New York en 1913. Dès lors, une peinture abstraite inspirée du cubisme coexiste en parallèle du témoignage social.

L’entre-deux-guerres vit éclore l’école du régionalisme américain qui puise ses thèmes dans la vie provinciale du Midwest et du Sud. Parmi eux, Edward Hopper ou Grant Wood dessinèrent le portrait de la Grande Dépression de 1929.

Dans le même esprit, la photographie de journalisme changea progressivement le regard des Américains sur leur pays. Elle atteignit son apogée dans les années 1930 et 1940 par le biais de magazines à succès tels que Life, imprimé à Chicago. Ce faisant, les agences gouvernementales commandèrent des photoreportages destinés à faire état de « la vraie vie des Américains ». Le projet le plus ambitieux fut initié par la Farm Security Administration, qui confia notamment à Dorothea Lange la tâche de documenter la vie rurale. Ses portraits poignants des paysans victimes de la misère, hissés au rang d’art, marquent encore les esprits. Il faut attendre les années 1950 pour que la photographie trouve sa place dans les galeries d’art de Chicago et les collections de musées tels que l’Art Institute.

Les grandes commandes publiques

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Amérique accueille des artistes étrangers chassés par le nazisme, dont Max Ernst, Yves Tanguy, André Masson, Fernand Léger, Salvador Dali, Marc Chagall. La tendance européenne fit de nombreux émules si bien que le pays devint le foyer international des arts. Le mouvement surréaliste connut un renouveau. Le couple Franklin et Penelope Rosemont fonda à Chicago le premier groupe surréaliste américain.

La fin des années 1960 vit émerger un art public grandiose grâce au financement d’associations, de fondations et de la Ville de Chicago. Commandée en 1963 par les architectes du Daley Center, la monumentale sculpture en acier de Picasso fut érigée en 1967 entre les gratte-ciel du Loop. Faute d’avoir reçu un titre officiel, elle porte le surnom « The Picasso » qui reflète tout le mystère qui auréole son interprétation.

La même année, la première œuvre collective de street art voit le jour dans le quartier de Bronzeville. Composé par quatorze artistes, The Wall of Respect racontait l’histoire de la communauté afro-américaine à travers le portrait de quelques-uns de ses représentants tels que Martin Luther King, Nina Simone, John Coltrane, Aretha Franklin ou Malcolm X. Cette fresque révolutionnaire ouvrit la voie à un art public qui reflète la diversité de la population de Chicago.

The Picasso inaugure une série de commandes d’œuvres urbaines destinées au centre-ville de Chicago. En 1974, Marc Chagall réalise sa mosaïque Four Seasons au pied de la Chase Tower, sur quatre murs dont on peut faire le tour pour admirer ses innombrables personnages, fleurs, oiseaux, poissons et couples d’amoureux. La même année, l’Américain Alexander Calder pose son Flamingo sur Federal Plaza, un stabile rouge haut de 16 mètres, commandé par l’Administration des services généraux. Puis, en 1981, c’est au tour de Joan Miró d’installer Le Soleil, la lune et une étoile à Brunswick Plaza. Une copie de sa sculpture surnommée Miss Chicago est exposée au Milwaukee Art Museum. Jean Dubuffet dresse, au pied des bureaux de l'État de l'Illinois, son Monument à la bête debout en 1984.

Millenium Park, le poumon artistique

Entre-temps, la ville vote la loi Percent for Art selon laquelle un pourcentage des coûts de construction doit soutenir l’art public. Jusqu’à présent, tous les maires ont perpétué la tradition et continué à faire de Chicago un exceptionnel musée à ciel ouvert.

Le lieu le plus symbolique de cette politique reste le Millenium Park, imaginé par Richard M. Daley, aux commandes de la ville entre 1989 et 2011. Le parc abrite des œuvres emblématiques. Surnommé The Bean en référence à sa forme de haricot, The Cloud Gate d’Anish Kapoor s’inspire du mercure en fusion. La ville déformée se reflète sur sa surface argentée. Plus loin, sur les deux écrans géants de la Crown Fountain, les promeneurs voient défiler des visages qui rejettent de l’eau comme des gargouilles. À travers cette œuvre, Jaume Plensa ajoute ainsi la vidéo à l’art des rues.

Pilsen et Wabash

Dans le sud-ouest de la ville, le quartier de Pilsen est un terrain apprécié du street art depuis la fin des années 1960. Sur ses murs, la population sud-américaine exprime son identité dans des fresques colorées inspirées de Diego Rivera. La municipalité n’a jamais cessé d’allouer des crédits aux artistes locaux pour soutenir l’art urbain. Pour preuve, la station de métro 18th street sur la ligne rose, embellie par les étudiants du quartier, vaut le détour. À Pilsen, on trouve aussi une trentaine de galeries tenues par des artistes entre la 18th et Halsted. Le second vendredi de chaque mois, elles organisent une soirée portes ouvertes. Pilsen abrite également le National Museum of Mexican Art, qui veille sur la plus grande collection d’art mexicain du pays. Ses 7 500 pièces couvrent l’art mexicain des temps anciens à l’époque moderne.

Non loin, les quartiers de Bridgeport et Hyde Park ont vu éclore ces dernières années des galeries dédiées aux artistes émergents. Pour les amateurs d’art contemporain, le Bridgeport Art Center et le Zhou B Art Center sont logés dans de vastes entrepôts de West 35th street. À Hyde Park, l’art contemporain local s’expose au Hyde Park Art Center et au Logan Center.

Entre Hyde Park et Washington Park, le Smart museum, implanté sur le campus de l’université, organise des rencontres stimulantes en plus d’ouvrir gratuitement ses archives originales et ses quatre salles d’art moderne, européen, asiatique et contemporain. 

Depuis 2013, l’initiative Wabash Arts Corridor a transformé un quartier délaissé du sud du Loop en vaste espace d’expression artistique où se rencontrent artistes internationaux reconnus et étudiants en arts du Columbia College Chicago. Une quarantaine de fresques sont nées de ce programme à ce jour. Attaché à entretenir cette dynamique de revitalisation, le WAC propose des événements tout au long de l’année. Darryll Schiff a récemment installé « Descending to Heaven », la première fresque photographique illuminée du programme.

River North et Milwaukee Avenue

Célèbre pour ses magasins et ses restaurants, River North organise son circuit des galeries le premier jeudi de chaque mois. Tous les moyens d’expression sont représentés : photographie à la Project Room, peintures impressionnistes et modernes à la Richard Nixon Gallery. Sur Milwaukee Avenue, entre Wicker Park et Logan Square, se succèdent des œuvres murales variées, dont la fameuse Greetings from Chicago qui joue avec les clichés locaux.  

À tous les coins de rue, le street art raconte l’histoire des Chicagoans dans toute sa diversité. La plupart des œuvres renferment des messages sociaux, politiques ou historiques et ajoutent un caractère singulier à chaque quartier. 

À l’image de la ville résolument tournée vers l’avenir, le Museum of Contemporary Art servit au premier emballage d’immeuble sur le sol américain de Christo en 1967. En plus de sa collection de 6 000 pièces, le MCA organisa les premières expositions de Frida Kahlo en 1978, d’Antoni Tàpies en 1977 ou de Jeff Koons en 1988.