Parc de la Ciutadella ©  trabantos - Shutterstock.com.jpg
Casa Amatler et Batlo ©  Zabotnova Inna - Shutterstock.com.jpg
Casa Vincens © Alexandr Vorobev - Shutterstock.com.jpg
La Pedrera © Jaroslav Moravcik - Shutterstock.com .jpg
Casa batlo © Montipaiton - Shutterstock.com.jpg
Parc Guell ©  Levranii - Shutterstock.com.jpg
Sagrada Familia © Nikada - iStockphoto.com.jpg
Détail de la façade de la Nativité © Pecold - Shutterstock.com.jpg

Un élan de modernité

Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, époque marquée par les progrès techniques et une relative prospérité économique, plusieurs pays européens voient émerger un mouvement artistique qui cherchait à rompre avec l’académisme dominant. Selon les pays, on le baptisa Art nouveau en France et en Belgique, Modern Style en Grande-Bretagne et aux États-Unis, Jugendstil en Allemagne ou encore Liberty en Italie. En Espagne, on le nomma Modernismo (Modernisme en catalan).

Associé aux concepts de modernité et de progrès, le Modernisme se développe en Catalogne grâce aux élites nées de la Révolution industrielle. Après avoir favorisé la Renaixença – la renaissance culturelle catalane –, cette nouvelle bourgeoisie affirme sa volonté de situer Barcelone dans une modernité d’envergure européenne, ou selon les mots de l’écrivain Joan Fuster, transformer « une culture régionale traditionaliste en une culture nationale moderne ».

Les premières constructions modernistes apparaissent en 1888 à l’occasion de l’Exposition universelle de Barcelone. L’Arc de triomf et le château des trois dragons, à l’intérieur du Parc de la Ciutadella, marquent les prémices de cette révolution moderniste. Mais c’est surtout grâce à la création de l’Eixample que le Modernisme va pouvoir se développer. Ce quartier, dessiné par l’urbaniste Ildefons Cerdà dans les années 1860, constituait une « extension » planifiée du centre-ville, après la destruction des murailles de Barcelone (1854-1856).

Conçu sur un plan quadrillé, avec des îlots d’habitations parfaitement identiques, l’Eixample se déploie autour du Passeig de Gràcia, l’axe principal de la cité nouvelle. L’élégante promenade devient, à partir de 1890, le cœur résidentiel de la haute bourgeoisie et la vitrine du Modernisme catalan. Grâce au mécénat, de splendides constructions signées Gaudí, Puig i Cadafalch et Domènech i Montaner y voient le jour entre 1890 et 1920. La confrontation de leur génie est visible sur l’Illa de la Discòrdia, où se jouxtent la Casa Amatller (nº 41) et la Casa Batlló (nº 43).

Traits caractéristiques du Modernisme

En partie influencé par l’Arts and Crafts, mouvement anglo-saxon prônant la renaissance de l’artisanat, le Modernisme partageait surtout de nombreuses affinités avec l’Art nouveau et ses différentes variantes européennes : désir de liberté créative, lignes courbes, goût pour la richesse ornementale et les formes de la nature. En Catalogne, la singularité du mouvement et de ses artistes fut telle que le « Modernisme catalan » fut rapidement considéré comme un mouvement autonome.

Les références à l’architecture médiévale sont l’un des traits caractéristiques du premier Modernisme. En témoignent la Casa de les Punxes, tel un château gothique s’élevant sur l’avinguda Diagonal, ou la Casa Martí (1895-1896), reconnaissable à ses lignes néogothiques. Mais loin de recopier ce langage médiéval, les architectes modernistes le transcendent en y associant les méthodes de constructions traditionnelles catalanes et les matériaux typiques de l’ère industrielle. Ainsi, la voûte catalane et le fer forgé s’y conjuguent avec la briquette, la céramique et le verre industriel.

Autre particularité du Modernisme catalan : le recours à des formes et motifs empruntés au nationalisme. La présence récurrente de la Senyera (drapeau catalan) et la représentation de Sant Jordi et du dragon en sont les meilleurs exemples. Sur la façade de la Casa Amatller, on distingue facilement le superbe Sant Jordi sculpté par Eusebi Arnau. Le toit de la Casa Batlló, semblable à l’échine du dragon, et le Sant Jordi en céramique qui couronne la Casa de les Punxes, comptent parmi les plus beaux exemples de la ville.

Les grands architectes modernistes

Parmi les principaux représentants du Modernisme, trois noms se distinguent dans le panorama catalan : ceux de Lluís Domènech i Montaner, Josep Puig i Cadafalch et Antoni Gaudí. De l’historicisme des débuts, chacun va perfectionner son propre langage et évoluer vers un style singulier. Leurs œuvres illustrent une profonde recherche formelle, positionnant la ville de Barcelone à l’avant-garde de la création artistique.

Lluís Domènech i Montaner (Barcelone 1850-1923) participa grandement à la diffusion du Modernisme depuis sa position au sein de l’École technique supérieure d’architecture de Barcelone, dont il fut le directeur à partir de 1900. Il est également l’auteur d’un article publié en 1878 dans la revue La Renaixença, « À la cherche d’une architecture nationale », dans lequel il théorisa les prémisses de l’Art nouveau catalan. Ses œuvres majeures témoignent d’une fantaisie architecturale qui n’a guère d’équivalent ailleurs. À Barcelone, il est l’auteur de la maison d’édition Montaner i Simón (1885), aujourd’hui siège de la Fundació Tàpies, du café-restaurant de l’Exposition universelle (1888), véritable château féodal plus connu sous le nom de Castell dels tres Dragons (château des trois dragons), ou encore de la Casa Lleó i Morera (1902), ornée de balcons et chapiteaux aux motifs végétaux, avec à son sommet, d’élégants créneaux ouvragés surmontés d’une tourelle.

L'Enceinte moderniste de Sant Pau (1902-1912), véritable cité-jardin formée de quarante-huit pavillons reliés par des rues et des souterrains, se pare de sculptures d’Eusebi Arnau et Pablo Gargallo, sur fond de briques et de mosaïques. Mais son œuvre la plus célèbre demeure le Palau de la Música Catalana (1905-1908), temple de la musique catalane et fleuron du Modernisme, où l’alliance entre architecture et Arts décoratifs atteint son apogée. Édifié en brique, le bâtiment est un enchantement de vitraux, de mosaïques, et de délicates sculptures conçues par Eusebi Arnau. Ces deux édifices, classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO, comptent parmi les plus belles contributions à l’architecture de Barcelone.

Josep Puig i Cadafalch (Mataró, 1867- Barcelone, 1956) est considéré comme le dernier représentant de l’Art nouveau catalan. Disciple de Lluís Domènech i Montaner, il réalisa ses plus grandes œuvres modernistes durant la première étape de son parcours d’architecte (1895-1905), avant de s’orienter vers le rationalisme puis le monumentalisme. Cet historien de l’art, passionné du Moyen Âge et en particulier de l’art roman, puisa dans l’imaginaire médiéviste pour réaliser ses œuvres, tout en accordant une place fondamentale aux Arts décoratifs.

Il est l’auteur de la Casa Martí (1895-96), fabuleuse demeure inspirée du gothique nord-européen, devenu le fief de la bohème artistique avec l’ouverture de la taverne Els Quatre Gats en 1897. On lui doit également la Casa de Les Punxes, proche du gothique flamand, dont les tourelles s’élèvent dans le ciel barcelonais comme de véritables pointes (punxes). Avec le Palau Baró de Quadrás, bâti entre 1904 et 1906, Josep Puig i Cadafalch réinterprète les façades gothiques du nord de l’Europe. Là encore, la collaboration avec le sculpteur Eusebi Arnau met en lumière l’importance des Arts décoratifs dans l’imaginaire moderniste. De l’intérieur du bâtiment, beaucoup plus éclectique, se dégage une certaine influence arabe.

La Fàbrica Casaramona, siège du centre culturel CaixaForum, offre un bel exemple de l’esthétique moderniste appliquée à l’architecture industrielle. Cette ancienne usine textile située aux portes de Montjuïc mêle les influences gothique et mudéjare, avec ses hautes tours semblables à des minarets. Autre exemple d’architecture industrielle, les Caves Codorniu, à Sant Sadurní d’Anoia, intègrent les techniques innovantes des voûtes catalanes et des arcs paraboliques. Mais son œuvre la plus remarquable est sans doute la Casa Amatller, sur le Passeig de Gràcia. Achevée en 1900, cette merveilleuse demeure évoque le gothique flamand avec ses pignons à redents ornés de mosaïques.

Gaudí, le génie mystique

Antoni Gaudí (Reus, 1852-Barcelone, 1926) est le plus célèbre représentant du Modernisme catalan, et une figure essentielle de l’histoire de l’architecture contemporaine. Son œuvre, en grande partie classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, est le résultat d’emprunts historiques autant que d’audaces formelles. Né au sein d’une famille modeste, il suit des études d’architecture à Barcelone et reçoit sa première commande importante en 1883 avec la Casa Vicens, véritable palais d’inspiration orientale, reconnaissable à sa façade polychrome ornée de carreaux de faïence. La même année, il prend la direction des travaux de la Sagrada Familia, chantier pharaonique auquel il consacra toute sa vie, et point de départ d’une ascension professionnelle fulgurante.

Sa rencontre avec le riche industriel Eusebi Güell lui permit de donner libre cours à son génie créatif. Les deux hommes, qui partagent les mêmes valeurs nationalistes et catholiques, entament une collaboration prolifique basée sur une admiration mutuelle. En témoignent les Pavellons Güell (1884-1887), dont le portail en forme de dragon est un chef-d’œuvre de la ferronnerie ; le Palau Güell (1886-1890), demeure d’un raffinement extrême, imaginée comme résidence principale du mécène ; la Colonia Güell, dont la crypte (1908-1915) fut le banc d’essai de plusieurs techniques innovantes, appliquées par la suite sur le chantier de la Sagrada Familia ; et bien sûr le parc Güell, merveilleuse cité-jardin inachevée, dont le petit dragon et le banc ondulant recouvert de trencadís sont aujourd’hui des icônes de Barcelone.

Sur le Passeig de Gràcia, Gaudí laissa libre cours à son imagination pour remodeler la Casa Batlló (1904-1907), dont l’extraordinaire façade se pare d’éclats de mosaïques et de balcons aux formes organiques qui lui valurent le surnom de « maison des os ». Presque en face, La Casa Milà - La Pedrera (1906-1912) se distingue par son utilisation du plan libre : grâce à une structure porteuse faite de piliers et de poutres, la façade est libérée de toute contrainte structurelle et s’impose, immense, telle une masse de pierre ondulante. Elle fut la dernière œuvre publique de Gaudí, qui se consacra ensuite exclusivement à son chef-d’œuvre inachevé, La Sagrada Familia.

La visite de la basilique est indispensable pour comprendre toute la dimension à la fois géniale et pieuse de l’architecte. De 1914 jusqu’à sa mort en 1926, il se consacra corps et âme à sa construction, allant jusqu’à emménager dans son atelier au cours des derniers mois de sa vie. L’architecte, dont le style fut souvent qualifié de « naturaliste », s’inspira plus que jamais de la nature pour penser l’espace et la structure de ses œuvres. En témoigne l’immense forêt de colonnes dans la nef de la basilique, qui se ramifient au sommet, telles des branches d’arbre.

Gaudí meurt le 10 juin 1926 des suites d’un tragique accident. Le vieil ascète, en chemin vers l’église de Sant Felip Neri pour assister à une messe, fut renversé par un tramway. Il était si mal vêtu qu’on le prit pour un indigent. Seules la crypte – où son corps est inhumé – et la façade de la Nativité furent achevées de son vivant. L’éternel chantier de la Sagrada Familia se poursuit et devrait prendre fin en 2026 pour le centenaire de la mort de l’architecte.

Pour aller plus loin dans la découverte de l’œuvre de Gaudí, n’hésitez pas à télécharger l’application « La Barcelone de Gaudí » sur le site de l’office de tourisme. Plusieurs agences locales proposent aussi des visites guidées en français sur le thème de Gaudí et du Modernisme, notamment Ma Barcelone et son itinéraire « Barcelona Modernista ». Enfin, n’hésitez pas à consulter le site web et les publications de la Ruta del Modernisme (rutadelmodernisme.com), précieuse source d’informations sur l’Art nouveau catalan, disponible en français. Le site recense quelque 120 monuments à découvrir à Barcelone, ainsi qu’une sélection d’œuvres à voir aux alentours de la ville.