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Danseurs traditionnels crétois (c) Veniamakis Stefanos - Shutterstock.com.jpg

Les musiques traditionnelles et populaires grecques

Dès que l’on aborde le sujet des musiques traditionnelles ou populaires en Grèce, viennent immédiatement en tête des images de sirtaki ou des échos de bouzouki (la mandoline grecque). Si ces deux aspects monopolisent l’imaginaire, un monde d’une profondeur fabuleuse se dissimule pourtant derrière. Carrefour de la Méditerranée, envahi à maintes reprises, l’histoire du pays est imprimée dans ses musiques traditionnelles et populaires. Bien que les îles, par leur passé, connaissent des folklores propres, la Grèce dans sa totalité partage trois grands piliers musicaux : le dimotiko, le rébétiko et le laïko. Le dimotiko, c’est le chant populaire grec le plus ancien. Il est communément divisé en deux mouvements, l’akritique, datant du IXe siècle, et le klephtique, courant durant toute l’occupation ottomane (de la fin de la période byzantine au début de la Révolution grecque de 1821). Le dimotiko est un bon moyen d’entendre tous les instruments piliers de la musique folklorique du pays : la lira (une vièle emblématique de la Crète), la gaida (une cornemuse), le laouto  (le luth grec), le tambouras (un autre luth grec) ou encore le daouli (un tambour)…

Le genre grec par excellence (classé patrimoine culturel immatériel de l’humanité), c’est le rébétiko. Musique populaire datant du début des années 1960, ce « blues grec » est le chant des déracinés, des exclus, des marginaux, né dans les cafés souterrains d’Athènes et de Thessalonique. Il raconte le quotidien fait de pauvreté, de douleur, de faim ou de toxicomanie des « Micrasiates », ces réfugiés grecs expulsés d’Asie Mineure en 1922. Une très belle musique gorgée de spleen qui a connu son heure de gloire entre les mains de Vassilis Tsitsanis, Markos Vamvakaris ou Marika Ninou.

Le troisième grand courant grec, le laïko, est apparu dans les années 1950 et 1960. Signifiant « populaire », le laïko est de la musique pop dans le sens le plus littéral du terme et un descendant du rébétiko. Le terme a évolué avec le temps et qualifie désormais la pop moderne grecque dans son ensemble, voire même la variété. Dans les années 1960, deux grandes stars du pays ont explosé via le laïko : Stelios Kazantzidis et Manolis Angelopoulos. Parmi les grands noms de la musique grecque contemporaine, son plus illustre ambassadeur fut Manos Hatzidakis (1925-1994). Célèbre compositeur des Enfants du Pirée, il est aussi le découvreur de Nana Mouskouri (une Crétoise !) et a fait voyager le rébétiko dans le monde. Il est, avec Melina Mercouri, de ces artistes qui ont donné une dimension internationale aux airs grecs. Depuis les années 1980, les grands noms de la musique populaire grecque sont Dionysis Savvopoulos, Charis Alexiou, Nikos Papazoglou, Giorgos Dalaras ou le rockeur Vassilis Papakonstandinou.

Les spécificités crétoises

En Crète, la musique surgit, selon la mythologie, à la naissance de Zeus, sur le mont d’Ida : les Courettes, des soldats mythiques crétois, auraient commencé à danser et à faire du bruit en battant leurs armes autour de nouveau-né afin de couvrir ses pleurs et cris et protéger, ainsi, le futur père des dieux du courroux de son géniteur, Cronos. Plus tard, Thésée, le vainqueur du Minotaure, laissant derrière lui l’île de la Crète, va danser entouré de ses compagnons une danse ayant un rythme jusqu’alors inconnu, imitant le trajet sinueux et hélicoïdal qu’il avait dû suivre dans le Labyrinthe. Ainsi naît la danse dite de Géranos, une danse que l’on pratique encore aujourd’hui dans les îles de la mer Égée.  

La musique qui rythmait une grande partie de la vie des Anciens Grecs est apparue dès le Néolithique. Le plus ancien instrument de percussion découvert jusqu’à nos jours sur l’île de Crète est une sorte de seistron, exposé au musée archéologique d’Héracleion. En terre cuite, il date de 2000-1900 av. J.-C. et a été découvert dans la tombe d’un jeune enfant lors de fouilles effectuées à Fourni, à Acharnes. Un instrument lui ressemblant est représenté sur le relief du fameux vase dit « des moissonneurs » (1500 av. J.-C.) découvert lors des fouilles à la nécropole d’Aghia Triada (Musée archéologique d’Héracleion) : un homme portant ce seistron est en train de suivre un cortège de moissonneurs lors d’une procession à l’honneur de la Déesse Terre – Mère primitive. Sur le même site, les archéologues ont découvert un sarcophage (1500 av. J.-C.) décoré de fresques illustrant sur un côté un aulète et sur l’autre côté un joueur de lyre à sept cordes. 

Parmi les premiers instruments musicaux du Néolithique, nombreux sont ceux qui proviennent de la mer. Le triton, ce mollusque gastéropode qui peut atteindre une longueur de 40 cm, connu également sous le nom de la « trompette de Neptune », a été amplement utilisé par les Crétois lors de rituels religieux et autres célébrations réunissant l’ensemble de la communauté primitive. Un de ces tritons transformé en trompe par une fine ouverture sur sa coque est actuellement exposé au musée archéologique d’Héracleion : il porte encore les traces de l’ocre rouge qui le décorait. Il provient du palais de Phaistos et date de 1800-1700 av. J.-C. Issu de la même période, une sorte de sifflet, en ossement de bovidé, a été découvert à Cnossos.

Platon, dans son Minos, raconte l’anecdote selon laquelle ce roi légendaire crétois donna l’ordre d’enterrer son fils Glaucos avec sa collection de flûtes, adorées de son vivant.  La musique crétoise aurait rencontré la civilisation mycénienne grâce à Thalitas, un législateur et musicien crétois provenant de Gortyne, appelé à Sparte au VIIIe siècle av. J.-C. Selon Plutarque, il aurait transféré en Grèce continentale la richesse musicale de la Crète et le rôle important qu’elle joue dans l’éducation des jeunes enfants.

Au carrefour des civilisations anatoliennes et occidentales, le patrimoine musical de la Crète s’est enrichi bien des siècles après la destruction de ses palais antiques. La musique a été fortement marquée par les influences vénitiennes à partir du XIIIe siècle lorsque les Vénitiens occupent l’île. C’est alors que le violon et le luth sont introduits dans les compositions musicales locales. La rime apparaît vers la fin du XIVe siècle pour donner naissance aux mantinades, cette forme poétique spécifique de la Crète qui a joué un rôle considérable dans l’évolution de l’improvisation musicale crétoise.

Puis viennent les influences byzantines, surtout après la prise de Constantinople par les Ottomans (1453). À cette époque, l’île, sous domination vénitienne, devient un refuge pour de nombreux professeurs de musique ecclésiastique. Ceux-ci profitent de la liberté créative offerte en Crète et fondent des écoles de musique gréco-byzantine tout en cultivant la musique traditionnelle crétoise.

Lorsque les Ottomans occupent finalement la Crète, l'héritage musical s’enrichit davantage et la lyre, telle qu’on la connaît aujourd’hui, devient l’instrument symbolique de l’île. Pendant l’occupation ottomane, plusieurs Crétois vont trouver refuge dans les îles ioniennes encore sous occupation vénitienne. C’est à cette occasion-là que les musiciens crétois vont développer sur leurs patries d’adoption la musique « crypto-crétoise » que l’on peut apprécier encore aujourd’hui.

Le genre crétois le plus célèbre est donc sans aucun doute les mantinades. Ce type de chanson populaire se caractérise par ses paroles improvisées devant respecter une certaine métrique (2 vers rimés de 15 syllabes chacun). Trouvant son origine dans la poésie crétoise médiévale, les paroles sont aujourd’hui souvent portées sur les femmes et l’érotisme. L’accompagnement musical des mantinades est appelé kontilia, et prend généralement la forme d’une mélodie à quatre mesures répétées tout le long de la chanson. Autre forme crétoise courante, le rizitika, très ancien, est un chant de montagne a capella qui aime raconter les légendes merveilleuses de l’île. Un rizitika chanté par Nikos Xylouris (1936-1980) au début des années 1970 est resté particulièrement célèbre sur l’île (et dans le pays). Sobrement baptisé The Rizitika of Crete, le morceau est sans doute aussi fameux du fait de la popularité de son interprète, chanteur mythique de l’île surnommé « l’Archange de la Crète ». Enfant d’une famille de musiciens du village d'Anogia, Nikos Xylouris apprend à manier très jeune la lyre crétoise. Amoureux de la musique traditionnelle de son île – alors tombée en désuétude -, l’artiste prend le parti très tôt dans sa carrière de tenter de la revaloriser. Pari réussi, en la mariant avec des sonorités venues d’ailleurs et en la modernisant, Xylouris a massivement participé au renouveau de la musique crétoise, tout en devenant lui-même iconique. Son frère,  Andonis Xylouris, connu sous le pseudonyme de Psarantonis, est également l’un des musiciens crétois les plus reconnus aujourd’hui.

La Crète est dans l’ensemble une terre fertile pour les musiciens. Parmi les plus réputés à l’heure actuelle, on peut citer les chanteurs Stelios Petrakis, véritable ambassadeur de la musique crétoise, Thanasis Skordalos, grand joueur de lyre, Psarogiorgis, célèbre pour son maniement du laouto et fils du joueur de lyre crétoise Psarantonis (le « Jazzman de la Crète »). Récemment, c’est le groupe Chainides qui a connu un certain succès en mariant l’héritage crétois à des genres plus modernes.

Il est courant d’entendre de la musique traditionnelle crétoise dans des évènements comme les fêtes patronales, appelées panégyries, s’accompagnant toujours de musique et de danse. Aussi, le Festival d’été, se tenant chaque été dans la capitale crétoise, accueille danse, musique et spectacles au sein d’une très bonne programmation.

La danse

Fait amusant, le sirtaki n’est pas une danse traditionnelle, mais elle est l’est devenue avec le temps. Créée en 1964 par Jean Vassilis (sur une musique de Théodorakis) pour le film Zorba le Grec de Michel Cacoyannis, elle s’inspire néanmoins d’une danse traditionnelle, le hasápikos (ou hasaposerviko) mais n’existait pas à proprement parler avant ça. La danse traditionnelle la plus célèbre du pays n’est donc pas… « traditionnelle ». Et pourtant des danses folkloriques, en Grèce, il y a en a énormément – on en dénombrerait même 10 000 différentes sur tout le territoire. Et si elles sont le reflet des spécificités régionales, elles partagent un socle commun. Par exemple, à l’instar du syrtos, de nombreuses danses sont exécutées en rond. En effet, à l’origine, en formant un cercle, les danseurs entendaient se protéger des influences néfastes. En Crète, la danse la plus célèbre et la plus visible est de loin le pendozali. D’inspiration guerrière, le pendozali est une danse traditionnelle vigoureuse, tout en sauts et dynamisme et pétrie d’improvisations. Encore très présente dans les fêtes de village, elle voit les danseurs s’aligner en se tenant par les épaules et exécuter les mêmes pas que le danseur voisin, en suivant le premier qui mène le bal. Lorsque le rythme s’accélère, la danse le suit en cadence et peut devenir très rapide. Le pendozali fait partie d’un groupe de danses dynamiques sautées ou avec rebonds nommé Pidiktos, dont on trouve bon nombre de variantes sur l’île. Un peu à part, n’oublions pas le sousta, seule danse de couple pratiquée en Crète.