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Art primitof aborigene, Uluru © Stanislav Fosenbauer - Shutterstock.com.jpg

Premiers hommes d’Australie

« Aborigène » vient du latin ab origine qui signifie « ceux qui sont là depuis les origines ». Les travaux en génétique ont montré que les ancêtres des aborigènes seraient issus des premières populations à avoir quitté l'Afrique, il y a au moins 100 000 ans, c'est-à-dire lors de la période glaciaire durant laquelle l'Australie, la Nouvelle-Guinée et la Tasmanie formaient un continent unique. Ils sont certainement passés à pied par l'Asie du Sud-Est et ont rejoint les Terres Australes après une courte traversée maritime : une longue immigration considérée aujourd’hui comme le premier voyage marin de l’homme. Premiers occupants de l'Australie, ils se sont ensuite dispersés sur le continent et ont façonné des sociétés complexes, sans écriture, reposant sur la transmission orale des savoirs et des rites. D'après les archéologues, ils habitaient déjà les environs de Kakadu il y a 60 000 ans. Avant la colonisation, l’Australie aborigène comptait une variété colossale de sociétés et de mythologies différentes : il existait pas moins de 500 langues différentes, ce qui se traduit par 500 mythologies et 500 types de sociétés différentes. Certains peuples furent exterminés très vite après l'arrivée des colons et il ne reste que peu d'informations sur leurs sociétés. Loin d’être une culture homogène, il existe toutefois un tronc commun à toutes ces sociétés, unies par un système similaire de croyances et de pratiques sociales. Les Aborigènes partagent notamment une cosmologie similaire que l'on appelle en français « le temps du rêve ».

Un peuple hors du commun

Les premiers Australiens ont trouvé un continent vierge dont les animaux étaient les seuls habitants. Pour apprivoiser cet environnement à la fois nouveau et fascinant, les Aborigènes ont commencé à vouloir représenter la richesse de la faune et de la flore. Le climat et l'environnement étant défavorables à l’agriculture, les Aborigènes ne se sont jamais sédentarisés et semblent avoir volontairement maintenu des densités de population plutôt basses afin de ne pas épuiser leur milieu. Chasseurs-cueilleurs nomades, leurs déplacements variaient selon les régions et les ressources en nourriture et en eau. Ils contrôlaient également l'environnement par des feux. Les brûlis ne provoquaient pas d'incendies ravageurs, ne détruisaient pas les arbres et la nouvelle végétation attirait les animaux. Agiles et ingénieux, les Aborigènes savaient se repérer et identifier ce qui est comestible : racines, baies, fruits, plantes... Ils ne prélevaient que ce dont ils avaient besoin pour usages alimentaires ou médicinaux. Ils s’installaient parfois dans des abris rocheux et édifiaient des sites culturels 40 000 ans avant l'édification de Stonehenge en Grande-Bretagne. L’art aborigène est, à ce jour, reconnu comme l'art le plus ancien de la planète : la plus ancienne œuvre d'art pariétal est un kangourou grandeur nature, peint dans un style très réaliste il y a plus de 17 000 ans dans la région de Kimberley (nord-ouest de l’Australie). A titre de comparaison, la pierre polie fut inventée en Europe, il y a 10 000 ans lors de l’essor de l’agriculture. Les Aborigènes en fabriquaient déjà, il y a plus de 35 000 ans !

Il est difficile de généraliser tant les systèmes varient, mais ils sont couramment organisés en clans ou tribus, souvent d'entre 20 et 40 personnes. Les clans sont regroupés au sein d'un « peuple », qui parle la même langue. Aujourd'hui, le terme de nation est également utilisé, et vient du Canada (les First Nations). Au sein des tribus et entre les tribus, les liens sont complexes : un système savamment organisé permet d’établir des règles de société, mais également d'éviter les problèmes de consanguinité. On parle ainsi de familles « de sang » ou « de peau » (les skin names), noms que se donnent eux-mêmes les Aborigènes et qui permettent de déterminer la place de chaque individu dans le réseau des relations sociales de la communauté. Chez les aborigènes de la langue Warlpiri, dans le centre-ouest du Territoire du Nord, il existe par exemple huit noms de peau : uppurula, apaganti, angala, apaltjari, apananga, ampitjinpa, ungurrayi et akamarra. Tel nom de peau ne peut se marier qu'avec tel autre nom de peau : les règles sont strictes et prédéterminées. S'il ne pense pas appartenir à une société commune, chaque groupe connaît ses voisins et entretient des relations d'échanges avec eux.

A noter également que les autochtones du détroit de Torres au nord-est du continent sont considérés comme un groupe ethnique à part, du fait de leur histoire différente. C'est pour cela que vous entendrez couramment l'expression Aboriginal and Torres Strait Islander Peoples, en référence aux deux groupes autochtones de l'Australie.

Mythes ancestraux et croyances millénaires

Les Aborigènes ont sillonné l’île-continent durant des millénaires, survivant dans des conditions extrêmes grâce à leur connaissance approfondie de l'environnement, et forts de leur connexion spirituelle à la terre. Ils s'orientaient grâce à la tradition orale des songlines. Puisant dans les reliefs singuliers du paysages et les constellations, ces itinéraires sacrés courent sur des centaines voire des milliers de kilomètres et témoignent de l'héritage aborigène. Ainsi, Uluru, au cœur de l’Australie, est l’emblème des sites sacrés de cet immense territoire et le Serpent arc-en-ciel, figure créatrice récurrente, se retrouve également dans les divers récits présents à travers tout le territoire. Les songlines ont permis de mettre en relation les différentes nations aborigènes partageant la même histoire originelle, celle du Temps du rêve (Dreamtime). Véritable Bible, le Dreamtime oriente les premiers habitants d'Australie tant sur le plan géographique que spirituel. La transmission des savoirs repose ainsi sur la tradition orale et la structure du pouvoir se détermine en fonction de la capacité des individus à révéler ces chants et ces récits. En général, les Anciens, c’est-à-dire, les hommes les plus âgés sont ceux qui connaissent le mieux les mythes, les secrets et les rites, mais aucun individu ne peut détenir à lui seul l'entièreté du savoir : celui-ci est toujours exercé à plusieurs. Au-delà des mythes ancestraux, les sociétés s’organisent autour de rituels et de cérémonies : véritables lois au sens social, elles prescrivent les comportements à adopter afin d’établir et d’entretenir la connexion avec la nature. C’est à travers l’initiation, un long processus d'apprentissage laissé par les ancêtres, que chaque individu progresse dans la compréhension de la mythologie : les niveaux d'initiation sont symbolisés sur le corps par des motifs liés à des lieux, des peintures sur le sol, des objets cérémoniels, des fleurs, des plumes…

L’histoire mouvementée d’un peuple méprisé

À l'arrivée des colons européens, le mode de vie des Aborigènes fut bouleversé. La conquête s'est justifiée via la doctrine Terra nullius, selon laquelle le territoire australien n’appartenait à personne : les Aborigènes ne pratiquant pas l’agriculture, les colons considéraient de ce fait qu’ils n’avaient pas d'emprise apparente sur leur territoire. Les colons mirent en place des politiques discriminatoires, comme la pratique de l'enlèvement des enfants (stolen generations) jusque dans les années 1970, et continuaient à percevoir les Aborigènes comme des hommes préhistoriques qu’il fallait assimiler à une société « plus civilisée ». La plupart des Australiens ont été éduqués dans l’illusion d’une colonisation pacifique puisque l'appropriation du territoire par les colons s'est faite sans guerre de conquête ni traité de négociation (contrairement à ce qui s'est fait quasiment partout, ailleurs dans le monde). Mais bien qu’occultée, l’histoire de l’Australie coloniale a laissé des traces indélébiles et traumatisantes dans l’esprit des Aborigènes victimes de violents massacres. Chassés de leurs terres, les Aborigènes survivants sont par la suite déportés dans des réserves au début du XXe siècle, puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tuer des Aborigènes est considéré comme un crime, mais violence et viol sont monnaie courante. D’hommes libres à peuple exploité et méprisé, les Aborigènes sont par la suite soumis à une politique d’autodétermination : soumis au modèle occidental, ils sont ainsi incités à travailler, posséder et s’enrichir et sont éloignés de leur connaissance intime de la nature et de leurs modes de vie.

La question aborigène au XXIe siècle

Ecrasés par la politique de l'Australie blanche, les Aborigènes sortent aujourd'hui du silence. En rétablissant les faits, le gouvernement australien s’efforce petit à petit à bâtir une relation plus apaisée avec la communauté aborigène. Depuis la fin des années 1960, des avancées constitutionnelles et législatives ont permis d'intégrer les Aborigènes à la population nationale avant de donner un peu plus d'autonomie aux communautés aborigènes. Il a fallu en effet attendre le référendum de 1967 pour que les Aborigènes deviennent citoyens à part entière. Plusieurs lois sur les droits fonciers, notamment le célèbre arrêt Mabo de 1992, ont aussi cherché à rendre aux Aborigènes la souveraineté de leurs terres. Mais le modèle économique de l’Australie, fondé sur le développement minier, convoite des terres situées sur des territoires aborigènes : leur reconnaître des droits trop importants s’avère donc compliqué pour le développement économique… et la complexité de la situation ne s’arrête pas là. Pour récupérer leurs terres, la législation australienne sur les droits fonciers demande aux peuples aborigènes de prouver l’existence d’une société qui avait des lois régissant la propriété foncière : difficile pour une culture qui n’avait pas le mot « propriété » dans son vocabulaire ! Dans les communautés aborigènes de l'Outback, l'Australie offre le visage d'une population souvent marginalisée : population la plus pauvre du pays, les Aborigènes ont une espérance de vie inférieure à plus de dix ans à la moyenne nationale. On parle d'un taux de suicide de 4 à 7 fois plus élevé que dans le reste de la population australienne. La majorité des suicides est enregistrée chez les moins de 30 ans (alcool, perte d'identité culturelle, drogue comme principaux facteurs) et les Aborigènes constituent également une portion anormalement élevée de la population carcérale.

Malgré ces réalités persistantes, la richesse de leurs systèmes de valeurs est encore très présente dans les modes de vie : au sein des villages aborigènes, on a tendance à davantage s'exprimer dans une ou plusieurs langues, à participer à des cérémonies culturelles et à s'identifier comme appartenant à un clan. Une centaine de langues aborigènes sont ainsi toujours parlées dans le pays, en incluant les créoles. Parmi ses langues, une petite vingtaine d'entre elles a plus de 1 000 locuteurs. La plupart de ces langues, qui pour certaines, ne montrent pas de signes de faiblesse, se trouvent dans le Northern Territory, qui peut être considéré comme le bastion de la culture aborigène. Là-bas, près de 60 % des 75 000 Aborigènes du Territoire parlent dans une langue aborigène à la maison.

Au point de vue national, une génération montante a désormais réussi à gagner la classe moyenne et dirigeante et certains programmes sont diffusés dans des langues indigènes, dont des programmes pour enfants. L'opinion publique a aussi beaucoup évolué ces dernières années et une forme de respect s'est imposée dans la société australienne, quoique contestée. De plus en plus de noms aborigènes sont dorénavant utilisés, et vous entendrez sûrement des noms comme Naarm (Melbourne), Meeanjin (Brisbane) ou Mparntwe (Alice Springs) pendant vos voyages. On trouve également et de plus en plus de centres d'art où des artistes et des peintres présentent leurs célèbres toiles aux pointillés colorés du Temps du Rêve. L'Australian Museum de Sydney, le Kakadu, le plus grand parc national d’Australie, le Kings Canyon (Northern Territory), le Maruku Arts ou le Cultural Centre d'Uluru, les gorges du Nitmiluk National Park ou encore la Janbal Gallery, au nord de Port Douglas (Queensland) sont autant de lieux qui honorent la culture aborigène. Vous pourrez explorer d'anciens sites rupestres, participez à des expositions d'art et vous familiarisez avec un univers aussi riche que fascinant. Depuis 2009, pour contribuer à l’amélioration de la situation aborigène, le gouvernement australien publie un rapport annuel intitulé Closing the gap qui vise à réduire les inégalités dans les domaines de l'éducation, de la santé, de l’emploi.

Un débat sur la reconnaissance des Aborigènes dans la Constitution en tant que peuple premier a lieu depuis de nombreuses années. Le Premier ministre Anthony Albanese (nommé en 2022) et son gouvernement avaient proposé l'inscription dans la Constitution australienne d'une « voix » (« the Aboriginal and Torres Strait Islander Voice to Parliament »), qui aurait permis aux Aborigènes et aux insulaires du détroit de Torres de pouvoir être entendus par le système législatif sur les processus parlementaires qui les affectent directement. Les électeurs australiens ont été appelés à se prononcer sur cette modification de leur Constitution lors d’un référendum ayant eu lieu le 14 octobre 2023. Le résultat a été sans équivoque avec au global environ 60 % des votes contre la proposition et au niveau de chaque Etat le « non » l’a systématiquement emporté alors que cela était également une condition pour que l’amendement soit adopté qu’au moins 4 Etats sur 6 votent en faveur de l’amendement. C’est un camouflet pour le pouvoir en place qui avait porté la proposition d’amendement et cela réduit aussi les espoirs d’avoir enfin une réconciliation entre les différentes cultures en Australie.