shutterstock_417368866.jpg
Dans les rues de Sydney © olaser - iStockphoto.com.jpg

L’identité australienne, une âme aborigène

Pour les Aborigènes, différentes vagues de peuplement se sont succédées, mais il est encore toujours difficile de les dater. Il y a environ 4 000 ans, le chien est apparu en Australie, certainement amené d'Asie du Sud-Est par des groupes humains. Il a provoqué d'importants changements socioculturels : c'est à cette époque que des sociétés de chasseurs se sont alors constituées au-delà des pratiques menées par les chasseurs-cueilleurs. Rechercher l'antériorité de l'occupation aborigène semble toujours complexe, mais l'art rupestre reste un indice privilégié pour dater les traces d’occupation de ces premières nations : certaines de ces peintures sont parmi les plus anciennes au monde et remontent à au moins 30 000 ans ! Des siècles avant l'arrivée des colons britanniques, des échanges commerciaux avaient déjà lieu entre des pêcheurs indonésiens et les peuples aborigènes du nord du continent. Le langage aborigène yolgnu possède encore des traces de cette période avec des mots d’origine asiatique tels que rupiah (monnaie) ou balanda (homme blanc).

Peuples de chasseurs-cueilleurs, les Aborigènes ont su s'adapter à des conditions climatiques extrêmes, signe de leur capacité à survivre en ces terres particulièrement hostiles. Bien avant que les Européens ne posent le pied sur leur continent, le peuple aborigène était composé de centaines de nations et de langues. Les premiers habitants, venus du Sud-Est asiatique, ont rejoint ces terres australes par vagues, à la faveur des ères glaciaires, leur permettant ainsi un accès par voie terrestre. Arrivés par le nord, ils sont alors progressivement descendus vers le sud tout en développant des cultures et des rites propres à chaque clan. S'adaptant à différents climats, différentes géographies et aux différentes ressources. Contrairement aux croyances des colons fraîchement débarqués sur le territoire, les Aborigènes ne formaient pas un peuple uniforme. Par exemple, les Saltwater People, ceux vivant à proximité de la mer, avaient traditionnellement des modes de vie très différents des peuples d'eau douce, vivant davantage à l'intérieur des terres. De récentes recherches montrent qu'ils étaient également plus sédentaires que l'opinion publique ne le pensait et que leur profil de chasseur-cueilleur est aussi à relativiser, avec quelques traces de proto-agriculture retrouvée dans le continent. Le livre à succès Dark Emu, de Bruce Pascoe, a ainsi ouvert ce débat et a encouragé toute une partie de la population à en savoir plus. Comme ce dernier l'écrit : « L'Australie coloniale a cherché à oublier la nature avancée de la société et de l'économie aborigènes, et cette amnésie a été ancrée quand les colons, qui sont arrivés après le dépeuplement de district entier, n'ont pas trouvé de structure plus substantielle que des brise-vent ni d'autres populations que celle humiliée, dégradée et malade. (…) C'est sans surprise qu'après 1860 les gens n'ont vu aucune trace d'une autre civilisation complexe préexistante. (…) Les attaques des pionniers envers les Aborigènes, lors des récoltes, ce sont des parades guerrières très sous-estimées ». Certains accusent les colons européens d'avoir cherché à éradiquer les Aborigènes, que ce soit par la politique de l'assimilation, ou par des massacres afin de s'approprier leurs terres de manière illégitime. Les maladies apportées par les Européens ont parfois éradiqué des populations qui n'avaient jamais été en contact avec ces nouveaux virus (grippe, rougeole, variole…). S'il n'y a pas de preuve d'une volonté systématique d'éliminer les premiers habitants, l'arrivée des colons a été vécue comme un désastre pour les Aborigènes.

Une terre de bagnards

L’Australie est, indéniablement, une terre de bagnards. Aujourd'hui, les Australiens se réclament de ces « pères fondateurs » originaires de différentes régions de l'Empire britannique. Criminels déportés, ces bagnards – appelés convicts – étaient généralement condamnés pour avoir commis des petits délits à l'époque où la misère touchait la Grande-Bretagne. Sur 859 arrivants, les 11 bateaux de la Première Flotte débarqués dans la baie de Botany Bay transportaient 751 convicts. La première colonie pénitentiaire fut ainsi fondée. Le Musée de Sydney, bâti sur le site de la première résidence des gouverneurs racontent leurs histoires. En tout, on estime que 162 000 exilés ont rejoint la colonie : un système de colonisation qui s'est révélé être le plus important exil orchestré par un gouvernement européen. Les nouveaux colons bénéficiaient du système d'assignation et profitaient des bagnards comme main-d'œuvre gratuite. Au bout de quelques années, il était possible pour les convicts qui s'étaient bien comportés de gagner leur liberté. Après avoir purgé une certaine période de peine, les convicts pouvaient bénéficier d'une liberté conditionnelle appelée «  ticket of leave » (un permis donnant l'autorisation de circuler et de travailler sous certaines conditions). Libres d'habiter où ils le souhaitaient, les convicts jouissent alors d’une relative autonomie : concentrés en Nouvelle-Galles du Sud, ils sont facilement employés dans toutes sortes d’activités et participent ainsi aux finances de la colonie. Celle-ci organise aussi un système de libération par le conditional pardon (une liberté conditionnelle qui ne permet toutefois pas de quitter la colonie). Dès 1820, les convicts seront majoritaires en nombre face aux propriétaires « libres » venus coloniser la future nation. Ils constituaient par ailleurs la grande masse de travailleurs qui posaient les fondements de l’Australie. Jusqu’en 1827, une douzaine d'hectares sont ainsi offerts aux anciens condamnés qui ont purgé leur peine. Redevenus citoyens libres, ils accèdent à des conditions de vie beaucoup plus envieuses que celles laissées en Grande-Bretagne : suite à leur émancipation, ils intègrent la nouvelle société australienne. Certains forment une nouvelle classe aux côtés des colons britanniques et s’enrichissent au fil des années. Toutefois, la présence des convicts donnait mauvaise réputation à ce pays naissant. Aussi, les colons libres luttèrent pour obtenir l’abrogation des déportations : celle-ci prendra définitivement fin en 1840 dans le New South Wales. En Tasmanie, les déportations se poursuivront jusqu’en 1853, et en Western Australia jusqu’en 1868. Et si, pendant longtemps, avouer que l'on avait un ancêtre convict pouvait être une honte que l’on tentait de cacher, aujourd’hui leurs descendants le revendiquent comme une fierté.

Des vagues de migrations successives

L’immigration est le pilier de l'Australie moderne. L’histoire du pays est marquée par diverses vagues migratoires, composées de personnes, des quatre coins du monde, tentant d’échapper aux difficultés de leur pays d’origine afin de s’offrir un avenir meilleur. Débarqués par bateaux, les colons européens s’installent d’abord sur les côtes australiennes de Sydney à Perth en passant par Adélaïde. De 1820 à 1850, un esprit communautaire fédère la colonie et aucune idéologie raciale ne prédomine : parmi les nouveaux venus, on compte des Juifs, des Écossais ou encore des immigrés d'Afrique noire. Le flux de migrants s’intensifie lors de la ruée vers l’or : elle entraîna un véritable brassage ethnique sur le territoire. Si les effets économiques du « rush of gold » sont mesurables, les conséquences démographiques et sociales n'en sont pas moins fortes. Cet élan migratoire brisa un tant soit peu l’esprit bien installé de camaraderie et l’arrivée de la main-d'œuvre chinoise, dès les années 1850, initia alors quelques tensions. En 1860, le pays comptait plus de 1,1 million d'habitants, puis vingt ans plus tard, en 1880, les colons nés en Australie surpassaient déjà la population aborigène. Ainsi la population, qui ne se résumait plus qu’aux colons britanniques, tripla en moins de 10 ans et elle quintupla dans l’État du Victoria. Un siècle après le débarquement de la première flotte, l'Australie comptait alors plus de deux millions de nouveaux habitants.

En parallèle, ces installations frénétiques entraînèrent la déclinaison progressive du nombre d’Aborigènes sur le territoire. Les nouveaux arrivants, indifférents, se soucient peu de la présence des Aborigènes et les méprisent la grande majorité du temps. Cette déconsidération ne fut pas exclusivement tournée vers les peuples aborigènes : du fait de leur insularité, les colons britanniques ont tenté dès les premières générations d’immigrés de maintenir la « race blanche » en préservant l’homogénéité de la colonie britannique. Tout au long du XIXe siècle, les Chinois, qui participèrent à l'édification du pays, s’installèrent et firent fortune dans les mines d’or. La population chinoise bondit à 17 000 en 1855 puis à 40 000 en 1859, soit 20 % de la population masculine adulte : la population de la colonie quadrupla en vingt ans. Leur arrivée massive, considérée comme un « péril jaune » participa notamment à l’émergence de la politique de l'« Australie blanche », une politique envisagée comme une politique de secours pour contrer la venue de migrants non européens. En 1855, le nouveau Parlement de la colonie de Victoria introduit une mesure visant à réduire le nombre de Chinois en leur imposant une forte taxe d’entrée. Prétextant la limitation de la concurrence économique, ce racisme dissimulé se poursuivit jusqu’au XIXe siècle, où de nombreuses émeutes se succéderont dans les quartiers asiatiques des grandes villes du pays. Le maintien de la pureté raciale était une priorité : tout mélange avec des « races » considérées comme « inférieures » mènerait forcément à une société décadente. Les nouveaux migrants suscitaient également l'hostilité des australiens déjà installés qui leur reprochaient de faire une concurrence déloyale aux travailleurs d'origine européenne en acceptant des salaires beaucoup plus faibles.

Afin de limiter l’immigration autre que britannique – et même plus globalement européenne –, les Australiens eurent recours à un subterfuge : dès 1901, tous les candidats à l'immigration devaient réussir une courte dictée en anglais. Seules les personnes de couleur se la voyaient infliger. La politique de la « White Australia » perdura jusque dans les années 1970, privilégiant une immigration choisie sur base ethnique dans le souci de préserver le caractère anglo-saxon – autrement dit blanc – de la société australienne. Parallèlement, la population de métisses, issue de relations entre colons et Aborigènes, augmenta au point de menacer la politique de l’« Australie blanche ». Pour faire face à ce « problème », une politique d'enlèvement des enfants métis fut instaurée afin de les assimiler de force à la population européenne.

Après la Seconde Guerre mondiale

Déterminée à intensifier la croissance de sa population, tout en canalisant les critères d’immigration, l’Australie met alors en place divers programmes d’immigration. L'un d'eux proposait à des familles britanniques de venir en paquebot pour seulement dix livres : un programme politique baptisé le Ten Pound Pom. La politique fut aussi élargie aux pays européens, partageant sensiblement les mêmes valeurs chrétiennes. Deux millions d’immigrants gagnèrent bientôt l’Australie à un rythme jamais égalé à aucune autre période ou par aucun autre pays au monde. Jusqu’alors de prédominance anglo-saxonne, l’Australie devint, malgré elle et avant l’heure, pluriculturelle.

Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau programme de colonisation du territoire est annoncé : le ministre de l'Immigration de l'époque, Arthur Caldwell, invite les rescapés de l'après-guerre à venir commencer une nouvelle vie en Australie, c'est la politique du « Populate or perish », une politique d’immigration massive. Au-delà des réfugiés britanniques, le lucky country élargit cette fois-ci ses critères d'immigration et accueille plusieurs nationalités européennes – toujours dans un souci dissimulé d'Australie blanche. Plus tard, dans les années 1960, plusieurs réfugiés venus d'Asie, du Moyen-Orient et d'Afrique,  s'installent ainsi que des Italiens, des Grecs, des Yougoslaves, des Allemands ou encore des Libanais tentant alors de faire fortune loin de la misère et des tribulations de leurs pays d’origine. Ainsi, c'est véritablement à partir des années 1970 que la politique de « l'Australie blanche » commence peu à peu à se fracturer. Face aux événements mondiaux, l’Australie souffrait inévitablement de son racisme virulent face aux changements considérables des droits civiques aux États-Unis et plus tard en Afrique du Sud. C'est ainsi qu'une politique de multiculturalisme est mise en place : les immigrants s’intégrèrent alors à la société australienne sans délaisser leur héritage culturel. De nombreux programmes d’accompagnements et de mesures ont ainsi aidé les migrants à se faire une place au sein de leur pays d’adoption : cours de langue pour les non-anglophones, service d'interprétariat, informations administratives traduites, etc.

L'Australie multiculturelle et cosmopolite

Paradoxalement, au regard de ses politiques de contrôle migratoires qui ont prévalu durant des décennies, l’Australie reste l'un des pays où le multiculturalisme a été le plus réussi. Depuis 1945, c'est presque 8 millions de personnes qui ont émigré en Australie. Après la politique du « péril jaune », l'Australie a su – pour des raisons essentiellement géopolitiques – cultiver l’amitié avec ses voisins asiatiques, devenus des alliés importants. Entre 2008 et 2015, l'Australie a connu un pic de migration en provenance des deux pays les plus peuplés du monde : la Chine et l'Inde. C'est ce qu'on nomme « l’asianisation » australienne.

Nation fondée sur l'apport migratoire, l’Australie accueille environ 200 000 migrants permanents par an mais en 2022 et 2023 ce solde migratoire était plus proche de 500 000. Plus d'un Australien sur quatre est né à l’étranger et un quart parle une autre langue que l'anglais à la maison. A Melbourne et Sydney, 40 % de la population est née en dehors du pays. La croissance migratoire (autour de 0,8 % de la population par an) place l'Australie au même niveau que l'Inde en termes d'accroissement de sa population. Aucune surprise concernant un tel attrait pour l'Australie : c'est le seul pays de l'OCDE à connaître une croissance économique ininterrompue depuis plus de 25 ans. Le multiculturalisme se révèle dans les rues, à travers les différents États, Territoires et les différentes villes du pays, où vous entendrez résonner toutes sortes d'accents. La fusion des différentes cultures qui peuplent cette île-continent en fait indéniablement sa force et sa singularité. L'Australien blond, musclé et bronzé à la génétique anglo-saxonne n’est plus qu'un mythe nourri durant des décennies par la politique de la « White Australia ». Aujourd'hui, l'Australien est asiatique, africain, européen ou encore sud-américain. Au sein de cette immigration, les Français occupent une place encore timide, bien que croissante. Lors du dernier recensement en 2021, on a compté 35 000 résidents du pays nés en France et près de 150 000 déclarant avoir des racines françaises .

Le visage multiculturel qu'offre l'Australie de nos jours ne résiste cependant pas aux tensions raciales qui persistent encore… Comme partout ailleurs à travers le monde, malheureusement. Il est encore difficile d'échapper au conditionnement de la « White Australia » qui a encore laissé des marques : dans les années 2000, des émeutes ont opposé des Australiens « blancs » à des Australiens de différentes origines – libanaises, chinoises ou encore africaines. De plus, le pays met toujours en place une politique d’immigration sélective. Mais paradoxalement, la philosophie de la population australienne, société mondialisée, s’ancre dans un « vivre-ensemble » hospitalier et bienveillant, évitant ainsi les conflits entre communautés. Malgré une réputation qui fut longtemps celle d'une population raciste, les Australiens sont toutefois très tolérants parce qu'ils n'ont pas eu cette culture de conflits majeurs : ni guerre civile ni insurrection. C’est la culture du « no worries mate » nourrie par un esprit de liberté, d’épanouissement et de confort de vie. C’est en cela que le rêve australien diffère du rêve américain : il y est moins question de faire fortune que de trouver le bon équilibre entre vie personnelle et professionnelle.