Le dorlis

La priorité d’un dorlis est uniquement d’ordre sexuel. Il a pour seul et unique objectif d’assouvir ses désirs sur des femmes durant la nuit. Le dorlis n’a pas de forme physique précise. Nul ne sait qui cela peut être. Il n’a l’apparence de quoi que ce soit, mais il est le plus souvent invisible, cependant il peut prendre la forme d’un animal, un rat, un papillon de nuit, un crapaud, etc., pour ne pas attirer l’attention, au moment de s’en aller, et ce absolument avant le chant du coq pour ne pas se faire prendre. C’est l’équivalent de l’incube, le démon mâle qui abuse des femmes endormies alors que le succube, démon femelle judéo-chrétien qui s’introduit dans les rêves des hommes pour les séduire, ne fait pas partie du panthéon martiniquais. Il parait même que selon l’auteur martiniquais David Gagner, dans certains pays d'Afrique comme le Sénégal et le Burkina Faso le dorlis est appelé « mari de nuit ».

Qu’est-ce que le dorlis ? Le dorlis vous côtoie et connaît vos habitudes. Il peut être votre frère, votre père, votre mari, quelqu’un de votre famille en tout cas qui à la nuit tombée obtient, l’on ne sait comment et par quelle magie, la capacité de devenir invisible. Il peut donc posséder des grimoires à ne surtout pas mettre entre les mains d’innocents. Il vient durant votre sommeil, dans un intérêt purement sexuel. Il est transparent comme l’air, inodore et indétectable. Premièrement, il rentre chez vous le soir par le trou de la serrure mais si vous y avez laissé la clef, il va passer par la fente du dessous de la porte. Il va entrer.

Une fois à l’intérieur, il trouve son lieu de prédilection, la chambre à coucher. Le dorlis glisse alors sous la porte ou bien il passe par le trou de la serrure comme à son habitude. Il détient un tel pouvoir que vous vous trouvez dans l'obligation de vous soumettre sans aucune possibilité de vous révolter, vous devenez sa chose. Après des rêves érotiques incroyables, une force très puissante possède votre corps et cela sans vous réveiller. Elle paralyse ensuite tous vos membres. Vous devenez inconsciente, totalement à sa merci, vous le subissez sans le savoir. Vous ne pouvez pas le voir le dorlis. C’est une entité invisible, mais si vous êtes une personne hautement sensible, spirituellement éveillée et donc bien protégée, ainsi que si vous êtes une personne dit-on née-coiffée (secret qu’il ne faut d’ailleurs dévoiler à quiconque, tout comme votre prénom de baptême non plus) vous pouvez alors pressentir sa présence dans la pénombre sans pour autant le voir. Mais seuls des êtres exceptionnels sont munis de ce pouvoir.

Elles sont très rares, pour ne pas dire inexistantes, les personnes de ce pays ayant pu capturer un dorlis. Sauf parait-il, une certaine dame habitant la Tracée, - haut lieu réputé de redressement pour enfants difficiles – femme aujourd’hui partie rejoindre le pays des plus nombreux. Ne vous attendez jamais à voir le dorlis. Aussi en premier lieu, est-il important de penser d’abord à vous préserver, en portant la nuit une culotte noire, que vous aurez pris grand soin de mettre à l’envers. Ne pas oublier de placer surtout, sous votre matelas, ou derrière la porte, une paire de ciseaux grands ouverts. Alors et seulement alors, vous dormirez tranquille sur vos deux oreilles, dit-on, dans les cases, les chaumières et même les maisons qui ne donnent pas l’air d’y croire, mais méfiez-vous, car elles aussi elles connaissent parfaitement la musique.

De nos jours des gens y croient encore, pour s’expliquer les bruits multiples sur les tôles, leur sommeil agité ou lourd, leur corps fatigué, le gros papillon noir qui volait dans la chambre, leurs insomnies, et surtout, les traces sur les draps, les griffures sur la peau, griffures soit dit en passant qu’elles peuvent se faire toutes seules, surtout si des moustiques les ont piqués durant la nuit. Mais qu’importe, la croyance est aussi têtue que l’Homme.

Depuis peu, des psychiatres et autres psychologues ou psychanalystes, intrigués par des grossesses inattendues, ont pu affirmer, sans pour cela être entendus de la population indifférente, ou peut-être volontairement malentendante, que ces fameux dorlis de certaines nuits tropicales n’étaient rien d’autre que le père, le frère ou simplement le mari lui-même qui partait pratiquer l’inceste sur un membre de sa famille. Les grossesses inexpliquées de jeunes filles vertueuses s’expliquent un peu mieux, et aujourd’hui l’ADN permet aussi de dénoncer tous ces malhonnêtes. La croyance de l’existence du dorlis persiste tout de même, sans en rien désagréger sa réputation auprès de certaines personnes…

Comment se débarrasser d’un dorlis. « Si tu veux te protéger des dowlis, achète du charbon, mais pas au magasin ; achète-le dans les mains de monsieur Roland qui a son four à Morne Kasav. Tu sais, Roland Madame Athanase. Ramasse du sable noir du Lorrain et dépose-le avec le charbon sur un vieux journal Fansantiy devant ta porte. Tu pourras prann sonmey bien konmifo (dormir sur tes deux oreilles) : premièrement le temps que le dowlis compte tous les grains de sable, demain sera déjà arrivé. Deuxièmement tu vas connaître la figure du dowlis parce que c’est lui premier que tu vas croiser dans la rue et qui tournera sa tête quand il va te voir. Fais-le, tu vas voir, c’est pas une fig (un bobard) ».

Le jeune qui tenait ces propos n’était pourtant rien moins qu’un servant d’église ! » Extrait de J’ai juste bien, Christine Jeanne, p. 21, Éditions L’Harmattan, Lettres des Caraïbes, mai 2022. Des propos agrémentés de mots et d’expressions créoles qui y ajoutent toute leur saveur.

Le quimbois

L’origine du mot quimbois. Le terme quimbois, serait une simple francisation du mot créole tjenbwa équivalent français du mot créole tjenbwa, ou encore tjenbra selon la région du locuteur, ce serait la reprise créolisée des verbes français tenir et boire à l’impératif : tiens bois. C’est l’hypothèse que préconise le père Labat qui se base sur la pratique courante d’autant qu’il y a bien corrélation entre l’action de prendre et boire une décoction à base de plantes et de racines que l’on va souvent donner pour apaiser une douleur. Pour d’autres cependant, l’expression est moins élémentaire et bien plus profonde qu’elle n’y parait, elle serait d’origine kikongo, répète-t-on, et signifierait « connaissance, savoir », et serait arrivée avec les esclavagisés qui échouaient à la Martinique munis toutefois, fort heureusement du reste, de leurs bagages ancestraux, les savoirs patrimoniaux viscéralement inscrits dans leurs connaissances. Le seul fait que l’on cherche sans trouver une réelle précision à son origine ne montre-t-il pas qu’il est avant tout l’équivalent d’un occultisme certain ?

Qu’est-ce qu’un quimbois ? C’est un terme générique qui désigne un ensemble de faits de croyances et de pratiques magico-religieuses présentes de la Martinique à Sainte-Lucie, Guadeloupe, Dominique, et même par-delà les Antilles, la Guyane, pour finalement comprendre, que dans toutes ces régions les mots quimbois et sorcellerie ne sont que de grands associés. On dit aussi zenzen ou piay qui renvoient à la même qualification.

Il est souvent comparé, à tort quelquefois, au vaudou haïtien, au candomblé au Brésil, à la santéria, au palo monte à Cuba qui eux ont assez souvent des pratiques traditionnelles issues du syncrétisme entre les traditions amérindiennes, européennes, africaines et plus tardivement hindoues.

Ce n’est pas une religion, c’est le recours au magico-religieux, et une manière plutôt occulte de pratiquer la religion. Sous la contrainte des missionnaires, les habitants ont été forcés de rejeter leur croyance animiste, d’accepter celle du maître qu’ils ont colonisé à leur façon, et aucun culte structuré n’a été mis en place comme sur les grands espaces. La pratique du quimbois serait un bon moyen de résistance en face des exigences des békés. C’est l’objet fabriqué, le produit obtenu, aussi le résultat. Il est constitué de divers rites et pratiques. Faire du quimbois c’est travailler spécialement et particulièrement sur un objet, pratiquer de la magie noire, de la sorcellerie, des actes indissociables de la pratique, pour répondre aux besoins mystiques de ceux qui consultent le quimboiseur. Le quimboiseur dispense des rites et pratiques propres au quimbois.

Autres origines étymologiques supposées. Selon Frédéric Mafina dans l'article Les Immortelles chansons d’Afrique citées par Les Dépêches du bassin du Congo, 23/30 septembre 2021, « le mot quimbois serait issu du mot khimba : nom d'une société initiatique chargée de former les guérisseurs traditionnels (les nganga) dans le royaume de Loango, ou encore du mot kimbanda : nom des guérisseurs traditionnels dans le royaume de Ndongo en Abola ou serait de kimbwa : nom d'un rythme musical et d'une danse traditionnelle kongo.  Il est possible, mais pas certain, que l'origine étymologique du quimbois soit également la racine du kimbisa (synonyme du palo monte, avant d'en devenir une branche spécifique au XIXe siècle) et de la quimbanda afro-brésilienne. Tous ces systèmes de croyances incorporent des principes animistes issus des religions traditionnelles ouest-africaines et bantoues ».

Le quimbois serait-il uniquement et essentiellement un héritage spirituel d’Afrique ? Le quimbois serait-il réellement né uniquement, des rites animistes arrivés aux Antilles avec l’esclavage, rites qui se seraient répandus dans les Antilles ? Lorsque l’on est conscient du fait que le désir de l’homme quelle que soit son origine, c’est de pouvoir agir sur le cours de son destin afin d’apaiser ses craintes, qui peut et comment affirmer avec certitude que les colons débarquant aux Antilles ont laissé leur croyances et rites en Europe ? On doit donc s'interroger sur les rapports entre sorcellerie et religion en Europe eu égard notamment à certaines pratiques moyenâgeuses. L’idée d’un surnaturel peut provenir de n’importe quel système de croyance. Les démarches rituelles telles que les interdits, sacrifices, invocations, initiations communes à la religion et à la magie trouvent des modalités concrètes et symboliques dans n’importe quel esprit qu’il soit Africain ou européen, même si la pratique culturelle africaine est le plus souvent en évidence on doit aussi compter avec les croyances et pratiques « magico-religieuses », dissimulées sous le catholicisme. Le quimboiseur, possède la connaissance.

Le quimboiseur. Ainsi, le quimboiseur connaît les plantes, qui, comme du temps de l’esclavage ont pu empoisonner les maîtres, ou leurs animaux, chien, bœuf, cheval, il sait comment les utiliser pour des pratiques expéditives, le mancenillier notamment, les racines de certaines plantes insoupçonnables qui font mourir sans laisser de traces, etc. Il connaît les vertus et toxicités de tout ce qui fait la forêt. De nos jours encore, personne ne se déclare ouvertement quimboiseur, tjenbwazè, gadézafè chòché ou malfentè comme on les nomme en créole. Nul ne se permet non plus, devant un éventuel quimboiseur de le désigner comme tel. Il a un statut particulier c’est avant tout un personnage mystique, il détient le pouvoir. Le quimboiseur est un homme craint que tout le monde respecte. Il doit tout à sa réputation, et assez souvent à la qualité de sa prestation, que le bouche-à-oreille a essaimé, et qui le fait respecter comme un maître « menntò ». Il ne dort pas comme le séancier, lors de ses pratiques, il agit. Ses connaissances lui ont donné un statut particulier, ce depuis des générations ou de sa propre initiative livresque, au contact de grimoires pas très recommandables pour non-initiés. Il a le pouvoir d’interpréter les signes du visible et de l’invisible, avec lequel il est en connexion ; ce qui naturellement échappe au commun des mortels. Le quimboiseur assez souvent est lui-même devenu pratiquant, suite à une initiation ou ce qui est le plus fréquent, une transmission du savoir occulte, acquis de génération en génération. Toute classe sociale confondue fait appel discrètement à ses services pour trouver un sens à sa vie, obtenir des réponses rapides à des désirs inassouvis, ou encore ce qui n’est pas le moindre, pour des velléités politiques. Solitaire, isolé de la population, c’est un personnage mystique, garant d’une certaine tradition, un guérisseur qui pratique sa méthode de manière très radicale. On le connaît par le bouche-à-oreille qui leur fabrique assurément leur popularité, et leur réputation n’est plus à faire.

Il peut prédire l’avenir, lire dans le marc de café, tous ces « enfantillages » des médiums, mais il sait surtout pratiquer la magie noire, la sorcellerie, faite de messes basses dans certains lieux, à des heures indues, sous des arbres précis pour répondre aux rituels que nécessitent, les demandes de ses clients. Il continue discrètement d’avoir ses adeptes et il serait même considéré par certains comme une espèce d’héritier de l’animisme africain.

Le rituel du quimboiseur. Il fabrique des talismans, des préparations occultes. Dans l’échange il reste flou, ne nomme jamais personne mais vous donne à douter de votre entourage. C’est, vous affirme-t-il, par exemple, une chabine ou un homme grisonnant, qui vous fait du tort dans votre quartier, et comme non loin de chez-vous, il y a toujours un chabin, ou une personne aux cheveux grisonnants, vous jetez votre dévolu sur les premiers que vous rencontrez, et vous devenez leur ennemi. Une fois ce postulat établi, l’homme vous demande de lui ramener des choses impossibles à trouver, qu’il peut d’ailleurs vous vendre pour simplifier les choses. Il vous prépare une invention de son cru. Il parviendra à vous faire semer ou planter ses « contre-poisons » qui expédieront votre malotru ailleurs et ainsi vous prémunir. Si personne n’a pas de poule frisée pourchasseuse de quimbois, l’affaire est faite.

On le consulte pour se protéger contre les sortilèges, entrer en relation avec les esprits, déjouer les pouvoirs maléfiques, préparer des philtres et charmes aphrodisiaques. Dans les rituels quimbois, il fabrique des potions composées de venin de serpent, pratique des sacrifices d’animaux comme le poulet. Le crapaud va servir pour régler un problème litigieux où la justice est mêlée, il va en effet cadenasser la gueule de deux pauvres bêtes et l’adversaire ne pourra s’exprimer.

Les rites et pratiques du quimboiseur. Le quimboiseur est consulté pour les préparations en tout genre : faire des potions, donner ou faire des prières, dans la perspective d’examens. Faire des sacrifices d’animaux (poulets ficelés dans les croisées autour d’un couvert). Mettre des petits cercueils dans les « katchimen ». Préparer des potions spéciales. Protéger de sortilèges et pouvoirs maléfiques. Retenir un mari, une femme avec des charmes aphrodisiaques ou d’amour de sa préparation. Entrer en relation avec les esprits.

Le séancier, médium

Il faut nettement distinguer le séancier du quimboiseur. On appelle séancier celui qui possède l’art divinatoire, a la capacité d’interpréter ce qu’il voit pour prédire votre avenir, il sait lire les lignes de la main, consulter et interpréter les cartes. C’est un peu l’équivalent d’un médium. Son pouvoir il le détient de naissance. Il a des qualités favorables à la pratique de son don : il dort et vous révèle lors de « son sommeil » des vérités connues de vous seul. Il peut, si vous n’y croyez pas trop, vous les avoir soustraites à travers ses questions qui paraissent anodines. Il cite des versets de la Bible. Vous donne à faire des neuvaines. Vous soigne à l’aide de plantes. Il est respecté et moins craint que le quimboiseur, on conseille sans ambages d’aller le voir pour des « blesses » ces maladies créoles, parfois maladies de l’inconscient, affections inexpliquées de l’âme. Il aide « psychologiquement » à sa façon à faire résilience, manière de supporter son passé. Il reçoit ouvertement, mais discrètement. On lui amène des épileptiques, des malades du cancer, toutes ces maladies qui résistent aux connaissances médicales européennes.

Personnages fantastiques

Nous sommes dans les années 1970 et certains soirs, il y a sur les murs de l’école de Baie des Tourelles, à Fort-de-France, une main noire qui bouge. Cette main totalement mystérieuse, qui d’ailleurs est fort irrespectueuse, se déplace « tout partout » même dans des lieux, comme dirait Brassens, qu’il est interdit de nommer ici. L’affaire se retrouve bientôt dans toutes les bouches, toujours à la recherche de sensationnel, qui ne parlent que de cela et dans tous les coins et recoins de toute l’île : on la voit. Elle est vraiment partout. Sa réputation la précédant, l’histoire fait grand bruit au point où la main noire devient celle d’un « personnage » invisible dont on ne voit que cette partie du corps. Selon les rares incrédules ce ne serait là que les prouesses d’un jeune se munissant d’un grand drap blanc, réalisant des ombres chinoises, et projetant en toute discrétion cette main noire. Des ombres chinoises ? Les gens d’ici, hélas, n’y connaissant rien. Calembredaines que tout cela ! Alors de papotage en ragot, chacun de déduire que ce que l’on voit n’est que la main d’un zombie. Et c’est ainsi que tous les non-initiés, donc totalement ignorants de ces pratiques, vont faire naître la rumeur qui va propager sa « popularité » qui sera immortalisée par le chanteur-compositeur Fernand Donatien, et depuis la main noire fait partie si l’on peut dire du patrimoine culturel. Tout comme l’homme sans tête, un être bien vivant qui se déplace dans les rues sans… cabèche. Au début des années 1950, cette autre créature de fiction, tout enfant désobéissant peut la rencontrer au bout de la rue. Il a fait plus tard l’objet d’une chanson. Il a hanté l’enfance et participé à l’éducation de toute une génération. La légende de l’homme sans tête, les « chérubins » d’aujourd’hui, habitués à d’autres frayeurs autrement plus intenses, la trouvent presque puérile, et bien naïfs ceux qui, en leur temps, y ont cru. Mais n’était-ce pas une manière assez particulière de faire comprendre qu’un homme sans tête est effrayant et qu’il faut toujours garder la sienne sur ses épaules pour ne pas passer pour un écervelé monstrueux ?