23_part_238594.jpg

Prédominance du catholicisme

En Martinique, si les confessions religieuses sont nombreuses, c’est la religion catholique qui prédomine. Très présente dans la vie quotidienne, elle joue un rôle fondamental dans la culture martiniquaise. On dénombre une cinquantaine de paroisses à travers tout le territoire et chaque village possède sa propre église. Détruite par un incendie puis reconstruite, la cathédrale Saint-Louis à Fort-de-France est l’une des plus belles des Caraïbes, véritable chef-d’œuvre métallique, destiné à résister à tout jamais aux caprices de Dame Nature.

La messe dominicale attire une foule importante de fidèles qui prennent plaisir à se retrouver et entonner en chœur les chants liturgiques. Outre les pèlerinages et processions, chaque enterrement rassemble toute la commune et les avis d’obsèques sont quotidiennement énoncés après les bulletins d’information.

Fêtes religieuses. Toutes les fêtes du calendrier chrétien sont scrupuleusement célébrées, à commencer par la Toussaint, où tous les cimetières de l’île s’illuminent tandis que, dans les maisons, des bougies sont allumées en souvenir des défunts. L’on vient ainsi en famille trinquer dans les cimetières en mémoire des défunts, en prenant soin de verser une petite goutte de rhum à terre pour faire participer les morts.

De même, la période de restriction liée au carême est particulièrement respectée. La population a l’habitude de se retrouver le dimanche et le lundi de Pâques autour du traditionnel plat, le crabe « matoutou ». Cette tradition est issue de la période esclavagiste : peu friands du crabe pimenté que préparaient autrefois les Amérindiens, les colons obligeaient les esclaves, convertis de force au christianisme, à consommer pendant la période du carême quantité de crustacés plutôt que des viandes grasses. Le dimanche de Pâques, les esclaves célébraient ainsi le « droit » de consommer à nouveau du bœuf et de la volaille en se réunissant autour d’un immense festin destiné à finir les réserves de crabe. C’est ainsi que le crabe « matoutou » est devenu le plat traditionnel pascal en Martinique.

Dès la mi-novembre, c’est toute l’île qui vibre au son des innombrables « chanté Nwel » qui égaient dès la tombée de la nuit les rues et les places publiques, ces chants religieux traditionnels qui célèbrent la naissance du Christ.

Une diversité de confessions

Bien que très pratiqué (plus de 80 % de la population martiniquaise est de confession catholique), le catholicisme coexiste en Martinique avec d’autres religions plus confidentielles, comme les témoins de Jéhovah, les évangélistes baptistes ou les adventistes du septième jour (2e communauté religieuse après les catholiques), qui possèdent leurs propres lieux de culture (le temple Ephèse par exemple). Les Indiens ont également conservé leurs rites, comme la cérémonie sacrificielle de Bon Dié Coolie, où pendant quatre jours se succèdent sacrifices d’animaux et danses rituelles hautes en couleur. Les campagnes martiniquaises recèlent les temples hindouistes, comme à Basse-Pointe, berceau de la communauté tamoule venue entre 1858 et 1885 remplacer la main-d’œuvre esclave. La ville abrite deux temples hindouistes que l’on peut tenter de visiter le dimanche.

Les religions juive et musulmane sont également représentées. Les juifs possèdent même leur synagogue à Schoelcher, et les musulmans, leur mosquée et leur école coranique à Fort-de-France. La Trinité, Saint-Joseph et Sainte-Marie sont les hauts lieux du mysticisme martiniquais où se mêlent et se rejoignent les cultes hindouistes, vaudous, les croyances africaines et européennes. Le mélange est assez détonnant et participe de près à la vie quotidienne, chaque geste, chaque événement ou chaque cérémonie ayant sa part de spiritualité. Quoi qu’il en soit, ce qui compte, c’est avant tout la ferveur religieuse.

« Z’esprits », quimboiseurs et magie noire

En Martinique, les superstitions sont légion. Incontournables de la civilisation antillaise, elles sont le reflet de l’histoire et des composantes diverses de la population. Miracle, magie et autres incantations font partie des croyances fortes, même si les Antillais font souvent semblant de ne rien savoir sur la question.

Les quimboiseurs. C’est ainsi que les « quimboiseurs » ou « gadé z’affaires » locaux sont très populaires en Martinique. Ces sorciers comptent la bonne aventure en interprétant les lignes de vie de la paume de la main, et prescrivent toute sorte de bains corporels, décoctions et amulettes pour éloigner le mauvais sort, assurer bonheur et prospérité, faire revenir l’être aimé ou encore soulager les panaris ! Le quimbois n’est autre qu’un « charme » ou philtre magique qu’administraient autrefois les rebouteux et les guérisseurs. Cette médecine ancestrale, enrichie de savoirs amérindiens et africains, a longtemps été pratiquée sur les habitations et dans les mornes. Sa transmission a été assurée de génération en génération par la personne la plus âgée de la famille, le plus souvent la femme, qui faisait office de thérapeute.

Pour trouver la source du mal, les quimboiseurs ont souvent recours à la communication avec les « z’esprits ». Le mythe des « zombis » et « dorlis », ces fameux morts-vivants qui terrorisent les âmes sensibles dans les films de série B, reste toujours bien vivace dans la mythologie antillaise. Il désigne des personnages diaboliques, des défunts qui errent après leur mort et qui surgissent la nuit au détour des routes peu éclairées et des forêts denses.

Les plantes magiques du jardin créole. Fruit d’une tradition héritée des Amérindiens, des Européens et des Africains, le jardin créole, petit écosystème typique des Antilles destiné à la survie de la famille qui le cultive, abrite lui aussi des plantes cultivées pour des raisons mystiques, disposées selon un ordre précis, suivant leur symbolique ou leur usage. Certaines sont censées apporter protection, chance et bonheur (l’ail, le bois bandé, le pois d’Angole), d’autres la santé et sont associées à des prières, d’autres éloignent les mauvais esprits (le roseau des Indes, l’acacia, l’armoise, le persil), d’autres encore favoriseraient le passage d’une âme lors de la mort (la fougère queue de poisson). Opérant un retour en force remarqué en Martinique, le jardin créole est ainsi porteur d’une dimension magico-religieuse très forte. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est à la femme, gardienne des traditions, tout particulièrement dans la société matrifocale martiniquaise, que revient le soin exclusif de ce jardin.

Le retour en force des traditions

Fidèle à ses traditions, la Martinique possède un patrimoine immatériel culturel fort, qui s’est transmis oralement de génération en génération et auquel la population est très attachée. Ainsi en va-t-il du costume traditionnel, des combats de coqs, et des pratiques solidaires, sans oublier bien sûr le carnaval.

Le costume martiniquais. Fruit de la rencontre entre style indien (le tissu de madras) et style européen (le corsage et les jupons), le costume martiniquais a longtemps été l’apanage des esclaves. Un luxe qui, dans un premier temps, fut mal accepté par l’administration coloniale. D’un tissu brillant, le grand costume de cérémonie se compose d’un corsage froncé et d’une jupe large pincée de côté pour découvrir le jupon. De moins en moins porté, le costume féminin traditionnel a été progressivement abandonné au profit de tenues plus contemporaines. On peut néanmoins encore apercevoir quelques silhouettes joliment parées de bijoux, de coiffe et de jupons de madras dans les grandes occasions ou pour la messe. Quelques modèles anciens sont visibles au musée régional d’Art et d’Ethnographie de Fort-de-France.

Combats de coqs, une tradition controversée. Appelés communément « pitt » selon la diction anglaise, les combats de coqs sont l’un des passe-temps favoris des Martiniquais, ou plutôt d’un certain public généralement masculin. C’est dans l’ambiance brûlante d’un « dimanch bomaten » que, lâchés dans l’arène, deux coqs se livrent un combat parfois très sanglant. Âmes sensibles s’abstenir ! A éviter absolument avec des enfants. Au premier rang, sous la fournaise de la tôle ondulée, les juges et leurs aides font signe aux invités de s’installer dans un bric-à-brac de planches multicolores. Au centre de cette invraisemblable construction, l’arène est d’un diamètre de 4 m à 10 m dans lequel tous les espoirs sont permis. En terre battue, elle est le plus souvent recouverte de moquette rouge, verte ou bleue pour éviter les tempêtes de poussière. Séparé des gradins du public comme il se doit, le cercle est agrémenté d’une ou deux portes d’accès permettant aux patrons, jurés et arbitres de s’affairer aux préparatifs de la joute. Au centre de ce charivari, dans un compartiment hissé d’un coup de corde au plafond, coq « chien » et coq « major » sont enfin libérés. Nourris à grand renfort de sardines mélangées, les coqs, la cape coiffée, attendent leur tour dans des « calojs » (petits boxes) numérotées. Dès lors s’engage un combat sans merci pendant lequel les parieurs, accrochés à la rambarde capitonnée, la gorge déployée, encouragent leur champion. Les paris s’enchaînent et les voix s’élèvent, sur fond d’envolée de plumes, de cris et d’ergots acérés. Parfois une mangouste et un serpent remplacent les deux volailles. L’ambiance frôle l’excitation d’un stade pendant un match de foot. 

Cette attraction, même si elle fait partie de la tradition martiniquaise, est sujette à controverse pour des questions évidentes de respect du bien-être animal. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs confirmé l’interdiction d’ouvrir sur le territoire national de nouveaux gallodromes. Cela autorise implicitement ceux existant à poursuivre leurs activités. L’objectif est de les voir disparaître peu à peu et que cette tradition s’essouffle avec le temps. Même s’ils ne ressortent jamais indemnes de ces combats, il est rare que les animaux décèdent (ils valent trop cher !). Les « pitt » se terminent souvent par un bèlè improvisé au centre de l’arène qui se mue en piste de danse.

Le bèlè. Depuis quelques années en effet, la Martinique se réconcilie avec son passé. Des pratiques longtemps considérées comme honteuses car héritées du temps des colonies refont surface et connaissent un renouveau. C’est le cas du bèlè, un ensemble de musiques, de chants créoles et de danses rythmés par le tambouyé (le joueur de tambour). Appelé aussi « bel air », le bèlè a fait son apparition pendant la période coloniale et permettait de travailler les champs souvent éloignés les uns des autres en musique, tout en racontant l’histoire de l’île et des communautés. Longtemps délaissé, le bèlè, symbole d’entraide et de partage, fait aujourd’hui un retour en force en Martinique qui compte trois principaux foyers : au nord caraïbe (Basse-Pointe et ses environs), à Sainte-Marie, et au sud de l’île, aux Anses-d’Arlet.

Le lasotè. Même regain de dynamisme pour le lasotè (littéralement « à l’assaut de la terre »), une tradition qui a émergé après l’abolition de l’esclavage en 1848, lorsqu’une petite paysannerie à faibles revenus a hérité de terrains pentus difficilement exploitables. On faisait alors appel à ses pairs qui, en cadence, levaient leurs outils en chœur et les écrasaient dans la terre, encouragés par le rythme du tambour pour ne pas relâcher leurs efforts. Cette pratique de labour collectif qui décuple la solidarité et la fraternité s’est étiolée dans la seconde moitié du XXe siècle avec le départ des populations vers les villes, mais à la faveur de quelques passionnés, comme l’association Lasotè à Fonds-Saint-Denis, elle opère un retour remarqué en Martinique, dans un esprit d’échange et de transmission de ces savoir-faire et savoir-être.

Le carnaval de Martinique. Enfin, impossible de parler des traditions martiniquaises sans évoquer le carnaval, la plus grande fête populaire de l’année, véritable liesse qui emporte l'île entière dans son sillon. Venu d’Europe, le carnaval fut introduit sur l’île par les colons français au XVIIe siècle ; les esclaves prirent tout de suite le goût de fêter dans l’euphorie générale les derniers jours avant le carême. Déguisés (parfois en maîtres), les esclaves défilaient en convois (l’ancêtre du vidé) et vivaient ce moment comme une parenthèse de liberté. A partir de la libération de 1848, cette tradition est célébrée chaque année dans l’euphorie générale. C’est dans les rues que vont naître les principaux personnages du carnaval martiniquais (Caroline Zié Loli, Mariann La Po Fig…). A partir de 1950, la place de la Savane ne suffit plus à contenir la foule, toujours plus nombreuse à venir célébrer le carnaval. Du dimanche au mercredi précédant les Cendres, la Martinique est en effet à l’arrêt et ne vit que pour et par son carnaval, symbole de trêve dans la vie quotidienne. L’événement démarre le vendredi qui suit le jour des Rois (l’Epiphanie) et se termine le mercredi des Cendres. Pendant les semaines qui précédent le carnaval ont lieu les élections des rois et des reines de la manifestation des communes de la Martinique, de certains lycées ou quartiers qui viendront fièrement représenter leurs localités dans les grands vidés (parades dans les rues sur des rythmes de carnaval au son des sonos des chars ou des groupes à pied) de Fort-de-France ou de la Parade du Sud. Au cœur du carnaval, chaque journée est unique : lundi et ses mariages burlesques, Mardi gras marqué d'un rouge et noir diabolique, mercredi des Cendres en noir et blanc en signe de deuil (c'est le jour où l'on brûle Vaval, le roi du carnaval). Jours et nuits se succèdent donc dans une atmosphère de frénésie et de joie, expiatrice avant le carême, très observé.