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Trésors berbères

Dans les vallées du Drâa, du Dadès et du Ziz, à flanc de montagne ou au cœur des oasis (irriguées par un ingénieux système de canaux souterrains et de puits drainant l’eau des sources et des nappes phréatiques baptisé khettara), se déploient tous les trésors de l’architecture berbère pensée pour s’intégrer parfaitement à son environnement et s’adapter aux contraintes du relief et du climat. De pisé (tobb en arabe), de pierres sèches (galets de rivière, moellons) et de bois (chêne, pin, thuya, palmier), ces constructions se font les puissants et sobres témoins d’une architecture résolument défensive. Aux origines était le tighremt ou agadir, étonnant grenier fortifié mentionné dès l’époque romaine. Il peut être creusé le plus haut possible dans la roche d’un piton escarpé ou prendre les allures d’un petit ouvrage fortifié dont les murs épais et les tourelles d’angles protègent une cour centrale autour de laquelle se déploient plusieurs étages de cellules ou greniers individuels où chaque famille entrepose ses vivres. Le grenier d’Ighrem N’Ougdal impressionne avec sa structure en pisé reposant sur un soubassement de pierre et ses cellules aux portes peintes de motifs berbères et fermées par des serrures de bois au décor ciselé, tout comme celui d’Imilchil avec ses losanges et chevrons peints sur un fond blanchi à la chaux. Isolés, ces greniers peuvent aussi être intégrés aux ksour, les villages fortifiés typiques du Grand Sud marocain. Lorsqu’ils sont bâtis à flanc de montagne, ils sont souvent étagés en gradins pour suivre les aspérités du relief, le grenier se trouvant alors au point le plus élevé. Modèles d’organisation politique et urbaine, les ksour, entourés de puissantes murailles aveugles percées d’une seule entrée défendue par une barbacane, s’organisent autour d’une grande place publique, autour de laquelle on retrouve les éléments communautaires phares (puits, greniers, mosquée, medersa…) Les aires de battage des céréales et les différentes cultures en gradins se trouvent le plus généralement à l’extérieur des remparts. En fonction de la taille des ksour, une seule allée centrale ou tout un lacis de ruelles dévoilent un habitat individuel mêlant petites maisons cubiques imbriquées les unes dans les autres et demeures seigneuriales organisées autour de patio. Dans tous les cas, ces maisons offrent à la rue des murs aveugles pour mieux s’ouvrir vers le ciel grâce à d’imposantes terrasses.

Dernier élément phare de ce système de défense berbère : la légendaire kasbah. Forteresse isolée ou élément constitutif d’un ksar, la kasbah impressionne. De plan polygonal, le plus souvent carré, la kasbah est protégée par d’imposantes murailles crénelées percées de meurtrières ou d’étroites fenêtres grillagées ou fermées de moucharabiehs sculptés dans le bois, et flanquées de tours d’angles aux allures d’obélisques tronqués, dont la finesse vers le sommet offre des élans de hauteur à cette architecture pour le moins massive. Une porte monumentale en garantit l’accès, tandis que cours, patios et couloirs couverts y créent un dédale protégeant les différents espaces d’habitation, la tamesriyt ou salle d’hôte étant la plus importante. Aussi austères que semblent ces kasbahs, elles n’en font pas moins l’objet d’un étonnant souci décoratif, notamment dans les parties supérieures des tours et murailles souvent blanchies à la chaux. Damiers, triangles, chevrons sont autant de motifs géométriques que l’on retrouve ciselés, incisés ou obtenus par un savant agencement des briques de terre. Parmi les autres atours décoratifs de ces kasbahs, notons le travail réalisé pour les charpentes et plafonds en bois dont la disposition des poutres est imaginée de façon à créer, en trompe-l’œil, un effet de profondeur (ces charpentes en bois et branchage peuvent aussi être recouvertes de terre comme dans les maisons de Ouirgane et offrir ainsi isolation et aération) ; les portes à vantaux aux parties supérieures ornées d’arcatures et aux parties inférieures composées d’élégants éléments de ferronnerie ; et les clés et serrures mêlant bois gravés et fer ciselé. Il y a tant de splendeurs à découvrir qu’il semble impossible de toutes les citer, mais parmi les incontournables, ne manquez pas : le ksar d’Aït-Ben-Haddou, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco ; le ksar d’Oulad Abdelhalim ; la Kasbah de Taourirt qui abrite le Centre de Conservation et de Réhabilitation du patrimoine architectural des zones atlasiques et subatlasiques; la Kasbah de Telouet avec harem et salle de réception rehaussés d’un décor arabo-andalou où se mêlent stucs, zelliges (céramiques) et plafonds peints ; ou bien encore la Kasbah de Tifoultoute. Les silhouettes ocrées de ces ouvrages fortifiés répondent aux nuances colorées du désert où pointent çà et là les tentes des nomades. Leur toit est formé d’un vélum composé de bandes tissées et cousues entre elles reposant sur une ou deux poutres faîtières et tendu et fixé au sol par des piquets. Le vide laissé entre le sable et le tissu pour éviter qu’il ne s’abîme est souvent comblé par des broussailles. Pour isoler l’ensemble du vent, une longue bande tissée de laine, coton ou ajonc est placée autour de la tente. Elle fait l’objet de toutes les attentions décoratives. L’intérieur s’organise comme celui d’une maison en dur, l’espace principal et le plus fourni étant celui réservé aux hôtes.

Art urbain

Ceignant la ville sur une dizaine de kilomètres, les murailles de Marrakech sont un chef-d’œuvre de l’architecture de terre. D’un pisé rougeoyant, elles sont percées de 10 portes monumentales (bab) témoins d’un étonnant mélange d’ingénierie militaire et d’art du décor. Voyez la célèbre Bab Agnaou avec sa superposition d’arcs divers (outrepassé, brisé, en plein cintre) créant un effet de mouvement renforcé par les élégants éléments coufiques sculptés dans les grès rouges et verts l’encadrant. Egalement en pisé, les puissantes murailles crénelées de Taroudant impressionnent par leurs multiples bastions et leurs 5 portes monumentales… elles valurent d’ailleurs à la ville le surnom de « petite Marrakech » ! Tiznit, elle, est entourée de près de 6 km de murailles crénelées en pisé rose. Ces murailles protègent les médinas aux ruelles labyrinthiques. Prenons le temps de déambuler dans la médina de Marrakech classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. Ses ruelles mènent aux souks que l’on reconnaît à leur clayonnage de bois, de roseau ou de palmier protégeant les habitants des rudesses du soleil. Plus loin, de beaux passages voûtés ou à encorbellements vous mèneront à une place ornée d’une fontaine aux superbes décors de bois sculpté, d’arcs à stalactites ou de céramiques colorées, telle la Fontaine Mouassine, dont le bruissement de l’eau fait écho aux sons étouffés provenant des bains et hammams, que l’on reconnaît à leurs coupoles souvent percées d’ouvertures en forme d’étoiles permettant à la vapeur de s’échapper et surtout à leur mur en tadelakt, enduit composé d’une chaux teintée de pigments naturels et polis à l’aide de galets pour lui donner un aspect lisse et brillant proche de la pierre et pensé pour absorber l’humidité des murs. Les Hammams El-Bacha et Bab-Doukkala en sont deux beaux exemples. De nouveaux passages arqués vous mèneront à des fondouks, ces hôtels-entrepôts, dont le rez-de-chaussée est occupé par une boutique et le 1er étage par une galerie desservant les chambres. Marrakech en compte près d’une centaine. Mais la ville est surtout connue pour abriter les légendaires riads. Derrière d'imposantes portes élégamment décorées de ferronneries et de boiseries sculptées, de peintures et d’impressionnants clous en cuivre, et des murs aveugles, se découvre un univers unique et intime. Tout se joue à l’intérieur, autour d’un jardin découpé en 4 parterres par 2 allées pavées de zellige (petits fragments de céramiques de diverses couleurs juxtaposés pour former des motifs décoratifs et fixés avec du mortier) qui se croisent autour d’une vasque ou d’une fontaine. Cette oasis de fraîcheur est bordée de galeries desservant les différentes pièces de la maison. C’est ce jardin qui distingue les riads des dars, maisons simples de plain-pied ou à un étage, organisées autour d’une cour intérieure ouverte, et également réalisées en briques de pisé. Les toits de ces demeures sont le plus souvent aménagés en terrasse et leur juxtaposition crée comme une seconde ville suspendue. A côté de cette bouillonnante médina se dresse un autre quartier d’importance, le mellah ou ancien quartier juif, que l’on reconnaît à ses hautes bâtisses en briques crues ornées de balcons de fer forgé.

Les somptueux jardins de Marrakech vont souvent de pair avec de magnifiques palais royaux, à l’image du célèbre Palais de la Bahia aux incroyables plafonds de bois peints, dorés et marquetés et à la grande cour d’honneur pavée de marbres et ornée de zelliges, chef-d’œuvre d’architecture hispano-mauresque. Ces palais du XIXe siècle sont de précieux témoins du savoir-faire des maalem, les célèbres artisans marocains. Du légendaire Palais El-Badi, surnommé « l’Incomparable », dont la construction au XVIe siècle avait nécessité le travail de centaines d’artisans venus d’Afrique Noire, d’Europe et même des Indes et qui pouvait s’enorgueillir de posséder 360 pièces décorées des plus beaux matériaux, il ne reste que bien peu de choses…Moulay Ismaïl dépeça littéralement le palais de ses marbres, onyx, ors, ivoires et bois précieux pour construire les palais de Meknès, son nouveau fief ! Cette abondance décorative était permise car les souverains se servaient du sucre, à la valeur alors inestimable, comme monnaie d’échange. Sur la route de Chemaia, vous découvrirez d’ailleurs les vestiges d’un aqueduc qui alimentait au XVIe siècle une grande sucrerie. Au plus fort de la production, la région comptait près de 15 fabriques de sucres et de nombreux aqueducs. Etonnant !

Splendeurs de l’Islam

Au cœur de sa médina, Marrakech abrite de véritables trésors de l’architecture islamique, à commencer par la célèbre Koutoubia, l’une des plus grandes mosquées de l’Occident musulman avec ses 16 nefs parallèles identiques et sa nef médiane plus large. Mais à la foisonnante ornementation chère aux Almoravides, et que l’on peut encore observer dans le minbar (chaire pour les prêches) avec ses milliers de pièces de cèdre incrustées d’argent et ornées de motifs calligraphiques sculptés et de somptueux éléments de marqueterie, les Almohades ont préféré un style moins « extravagant » mais faisant tout de même une place importante au décor, comme en témoignent les 11 coupoles à stalactites (ou muqarnas) et les chapiteaux et charpentes moulurés et ornés de motifs géométriques, floraux ou calligraphiques. L’élément phare de la Koutoubia reste bien sûr son minaret, véritable sentinelle du désert qui veille sur la ville du haut de ses 77 m,  et que l’on reconnaît aux 4 sphères (jammour) de grandeurs décroissantes et couvertes, dit-on, de l’or des bijoux de la femme du Sultan Yacoub el-Mansour. L’autre superbe et célèbre mosquée de ce Grand Sud marocain est la mosquée de Tinmel. Edifiée à la mémoire du fondateur de la dynastie almohade, la mosquée mêle une sobriété typique de la région (murailles d’enceinte) et une décoration élégante et raffinée (stucs des plafonds, céramiques des coupoles, pavage du sol). Et regardez bien la disposition unique du minaret placé au-dessus du mihrab (niche indiquant La Mecque).

Les tombeaux et mausolées comptent parmi les autres splendeurs de l’Islam à ne pas manquer. A Marrakech, la Koubba el-Barudiyne est le seul grand vestige intact de la période almoravide. Bâtie en pierre et en brique, cette koubba impressionne par sa coupole nervurée et par son riche décor fait de rosaces, d’arcatures diverses, et à l’intérieur, de beaux marbres sculptés. Cette magnificence n’égale pas celle des incroyables tombeaux érigés par la dynastie saadienne. Délicatesse de la décoration, harmonie et pureté des lignes caractérisent ces chefs-d’œuvre de l’art funéraire, dont on peut admirer la salle aux 12 colonnes de marbre de Carrare supportant une coupole en cèdre doré. Alors qu’il cherchait à détruire toute trace des royaumes passés, Moulay Ismaïl fut si impressionné par ses tombeaux qu’il décida de les préserver… en prenant soin toutefois de les enfermer dans de hautes murailles ! Une richesse décorative que l’on retrouve dans le mausolée de Tamegroute. Pavé de mosaïques, recouvert de voûtes lambrissées d’or, il abrite la dépouille du savant Sidi Mohammed Ben Nacer. Une somptuosité du décor qui contraste avec la sobriété des marabouts, les modestes mausolées des grands saints qui se caractérisent le plus souvent par des volumes cubiques simples. La médersa ou école coranique est l’autre élément phare de l’architecture islamique. La médersa Ben Youssef de Marrakech est sans doute l’une des plus célèbres de tout le pays. Le joyau de l’école est sa cour centrale ornée d’un grand bassin de marbre blanc et bordée de piliers formant un élégant portique. Frises, consoles et tuiles vernissées vertes couronnent les façades, elles-mêmes percées de portes en bois de cèdre sculpté. Le haram, la salle d’enseignement et de prière, est couvert d’un dôme lui-même coiffé d’un toit pyramidal de tuiles vertes. A l’étage, les galeries sont fermées par de belles balustrades en bois rappelant des moucharabiehs et assurant l’intimité des élèves. De façon générale, les espaces et volumes ont été pensés avec précision afin de permettre aération et isolation, tout en maintenant une exposition équilibrée à la lumière. A cela s’ajoute un riche décor fait de céramiques polychromes, de marqueterie et de stucs et plâtres sculptés. Un enchantement !

Influences modernes et contemporaines

Après avoir inspiré les décors hispano-mauresques des architectures des siècles passés, les Espagnols apposèrent une touche très « néocoloniale » dans la région dans les années 1930, notamment à Sid Ifni et Laâyoune, où se découvrent de nombreux bâtiments chaulés de blanc ponctués d’arcades et bordant des rues désormais tracées au cordeau. Un urbanisme rigoureux et géométrique que l’on retrouve dans la ville nouvelle de Marrakech. Crée sous le Protectorat français, le quartier du Guéliz tire son nom du grès extrait des carrières situées dans les collines avoisinantes. Imaginée par Henri Prost, l’architecte du Général Lyautey, cette « ville nouvelle » reprend les codes de l’urbanisme à l’européenne avec un plan ordonné et quadrillé dessiné par d’imposantes artères. Les familles aisées s’y font construire d’élégantes villas oscillant entre les styles néo-néoclassique et néo-mauresque surtout, et la grande modernité du style Art déco, avec ses volumes simples et ses lignes épurées. Une pureté des volumes qui caractérise également la nouvelle Agadir. En 1960, la ville est ravagée par un séisme qui fait 15 000 morts, 20 000 sans-abri et qui détruit près de 3 650 immeubles. Face à ce désastre, le roi Mohammed V déclare : « Si le destin a décidé de la destruction d’Agadir, sa reconstruction dépend de notre foi et de notre volonté ». Voilà comment deux ans seulement après la catastrophe la ville se relève… mais cette fois-ci, on la reconstruit plus au Sud afin d’éviter tout risque de nouveaux séismes. L’avenue Mohammed V devient la nouvelle grande artère de la cité qui la coupe en deux : d’un côté le centre urbain moderne, de l’autre la zone touristique en bord de mer. Les nouveaux quartiers sont séparés par de nombreux espaces verts et reliés entre eux par de nouveaux accès routiers et piétons. Tirant profit de la topographie parfois accidentée du lieu, la nouvelle Agadir se déploie au gré d’étagements et dénivellations permettant partout de superbes panoramas. La reconstruction est aussi l’occasion pour la ville de se transformer en chantre du modernisme. Les plans de la nouvelle ville sont d’ailleurs dessinés par Mourad Ben Emabrek, figure emblématique du modernisme marocain ; tandis que le Tribunal Administratif est dessiné par Elie Azagury, membre du CIAM fondé par Le Corbusier, qui prône sobriété, robustesse et amélioration des conditions de vie des habitants. Mais c’est un français (né au Maroc !) qui marqua le plus la ville de son empreinte. Fervent défenseur du brutalisme et disciple de Wright et Niemeyer, Jean-François Zevaco imagine quelques-uns des bâtiments les plus emblématiques de la ville : la Poste Centrale dont la silhouette sculpturale de béton abrite d’élégants décors de cèdre ; la caserne de pompiers, couronne de béton flanqué d’un impressionnant campanile ; et surtout « les villas en bande » pour lesquelles il se vit attribuer le Prix Aga Khan d’architecture. Ces dernières répondaient à un besoin urgent de logements bon marché. Soucieux d’allier tradition et modernité, Zevaco imagine des maisons basses, à toits plats, flanquées de patios et baignées de lumière et de végétation… comme un écho à la simplicité des volumes cubiques des petites maisons des médinas. Une approche « régionaliste » que l’on retrouve dans le nouvel aéroport Al Massira d’Agadir imaginé par Michel Pinseau. Point de repère nimbé d’une aura quasi mystique, le luxuriant Jardin Majorelle de Marrakech, où se niche le grand atelier de Louis Majorelle avec ses pergolas et tonnelles recouvertes d’un bleu perçant, abrite, depuis 2017, le Musée Yves Saint-Laurent (le couturier avait racheté le jardin et la villa !) imaginé par le Studio KO. Admirez sa façade faite d’un assemblage de cubes habillés de briques qui sous l’effet de la lumière et d’étonnants jeux de textures donnent un effet « dentelle ». De nombreux autres musées et lieux culturels investissent les fondouks restaurés. Parmi les autres belles réalisations contemporaines, il faut bien sûr citer le nouvel aéroport de la ville avec ses volumes blancs aux motifs géométriques et alvéolés, sa grande coupole, ses passerelles et esplanades piétonnes qui ne sont pas sans rappeler l’urbanisme typique des villes arabes. Très prisés, les riads font l’objet de transformation et restauration, à l’image de la Villa Makassar, qui tire son nom d’un bois précieux, et qui a entièrement été repensée dans l’esprit Art déco. Les légendaires kasbahs font également l’objet de nombreuses restaurations, se transformant parfois en somptueux écrins de luxe… ou l’art de donner une seconde vie à ce patrimoine de légende !