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Les lettres flamandes de Belgique

Des pièces de théâtre écrites en néerlandais à la version du Roman de Renart, Van Den Vos Reynaerde, la littérature des Pays-Bas belges sera florissante jusqu’à la fin du XVIe siècle. Par la suite, une production mineure s’étiole pendant deux siècles pour disparaître durant la domination française. La renaissance de la littérature flamande est entamée par l’Anversois Hendrik Conscience (1812-1883), bientôt suivi d’une quantité d’écrivains d’inspiration le plus souvent rurale, nostalgiques de la Flandre d’autrefois. Cyriel Buysse (1859-1932) est le premier auteur à être reconnu en Hollande, grâce à une langue dégagée des scories du belgo-néerlandais truffé de gallicismes. Parmi les auteurs flamands modernes, le plus célèbre est certainement Hugo Claus (1929-2008), dont la réputation a largement dépassé les frontières de la Belgique.

Les lettres françaises de Belgique

Au Moyen Âge, les grandes œuvres de la littérature romane se confondent avec ce qui deviendra la production française. À l’époque de la langue d’oïl, les œuvres venues du Nord se distinguent des autres par quelques traits dialectaux spécifiques, au même titre que les compositions champenoises ou normandes. Mais il faut attendre le XIXe siècle pour voir apparaître une littérature belge de langue française. Après l’indépendance de la Belgique, en 1830, divers milieux et personnages souhaitent que le jeune royaume se dote sans tarder d’une littérature nationale. On demande que les œuvres prennent pour thème quelques aspects de la Belgique ou de son histoire, et une conscience nationale qui se cherche accueille avec une bienveillance souvent injustifiée les récits ou les vers d’allure patriotique. Les lettres françaises de Belgique sont, dans leurs premières années, empreintes d’emphase. C’est Charles de Coster (1827-1879) – en fait, un Flamand écrivant en français – qui marque la rupture avec la prose éthérée antérieure, ancrant ses héros et leurs péripéties dans la réalité régionale (La Légende d’Ulenspiegel, 1858) pour exprimer l’universalité des idées de liberté et de révolte.

Naturalisme et symbolisme

En 1881, Edmond Picard, avocat bruxellois, crée L’Art moderne, un journal hebdomadaire de critique artistique, musicale et littéraire. Militant socialiste, Picard souhaite une littérature « nationale » et engagée dans le combat politique et social. La même année, apparaît la revue La Jeune Belgique, créée par Albert Bauwens et Max Waller en 1881. Ces deux publications marquent l’entrée en scène d’une authentique génération d’écrivains, nourris du terroir et happés par la modernité à l’œuvre dans leur pays. Ils sont nés à Gand, à Anvers ou à Bruges, mais écrivent tous en français. La plupart sont d’origine aisée, mais ils refusent les valeurs prudemment traditionnelles de leur milieu culturel. Les figures de proue en sont Georges Rodenbach (Bruges la Morte, 1892), Émile Verhaeren (Campagnes hallucinées, 1893, Villages illusoires, 1894, Villes tentaculaires, 1895). Maurice Maeterlinck (1862-1949) réinvente la langue française dans une œuvre symboliste, couronnée par le prix Nobel de littérature en 1911. Il reste d’ailleurs, à ce jour, le seul Belge à avoir obtenu le prix dans cette catégorie.

Le début du XXe siècle

Au début du XXe siècle, les grands noms qui émergent reflètent le tournant industriel, sa rationalité et la nostalgie bien vivante des paysages régionalistes perdus. Il en est ainsi de Camille Lemonnier décrivant avec lyrisme la force au travail. En 1881, il publie Un mâle, histoire des amours libres entre le braconnier Cachaprès et une jeune fermière nommée Germaine. Le scandale qu’il déclenche secoue l’indolence coutumière du public belge en matière de littérature, tandis qu’à Paris le livre, paru en 1881, suscite l’intérêt d’Alphonse Daudet, de Joris-Karl Huysmans… À la même époque, on peut également citer Georges Eekhoud (1854-1927), le poète naturaliste de la Campine anversoise dont la prose brûle d’une chaleur picaresque.

L’avant-garde d’entre-deux-guerres

Tous ces écrivains contribuent à répandre le goût de l’art et des lettres en Belgique, ébranlent les conformismes et les habitudes, et attirent sur le pays l’attention de l’étranger. La terrible commotion de la Première Guerre mondiale affecte également le milieu des lettres qui a éclaté sous le choc. Les engagements politiques, l’appartenance aux mouvements d’avant-garde prennent le pas sur l’appartenance belge. En contrepoint officiel, l’Académie de langue et de littérature française de Belgique est créée en 1921. La guerre finie, se développe à Anvers une intense activité intellectuelle qui se concrétise en 1920 par la naissance des revues Lumière (Roger Avermaete) et surtout Ça ira (sous l’impulsion de Paul Neuhuys). Sous ce titre s’affaire une avant-garde quelque peu disparate, unie davantage par ce qu’elle rejette que par ce qu’elle poursuit. Certains auteurs transforment les aléas de leur vie en matière littéraire originale et singulière. André Baillon, vaincu à Paris par le chagrin, la folie et la maladie (Zonzon Pépette, 1923), Clément Pansaers, le révolutionnaire dadaïste réglant ses comptes avec le patriotisme belge (Bar Nicanor, 1921).

Le surréalisme

C’est dans le mouvement surréaliste que va, comme en France, se manifester de la manière la plus « organisée » le rejet de la culture et de l’esthétique traditionnelles. Le mouvement français lancé par André Breton fait tache d’huile et gagne la Belgique. Il apporte sur la scène artistique et littéraire une cohérence théorique, une « logique » que les autres tendances novatrices, plus anarchiques, ne possèdent pas ou ne souhaitent pas. Dans les années 1920, Paul Nougé, cofondateur du Parti communiste belge, était entré en contact avec Breton. Autour de Nougé allait se rassembler une série de créateurs subversifs : René Magritte, Camille Goemans, Marcel Lecomte, Louis Scutenaire, Paul Colinet, plus tard Marcel Mariën. Ce groupe, dit « de Bruxelles », se développa à travers des tracts et des revues. Notons également le courant de la littérature prolétarienne dans laquelle Constant Malva s’est fait le chantre de la mine (Le Jambot, 1952). À la même époque, plusieurs écrivains belges s’installent en France. Des auteurs aussi divers que Georges Simenon, Henri Michaux, Alexis Curvers, confisqués par le grand frère d’outre-Quiévrain, ont néanmoins laissé des traces de cette terre commune dans leurs œuvres.

En 1937, Charles Plisnier est le premier écrivain non français à obtenir le prix Goncourt (Faux Passeports). Il passe de la création surréaliste à l’engagement socialiste dont ses romans font la propagande épique.

Une littérature plus académique

Pendant l’occupation allemande, la censure veillant, la création littéraire est amenée à se réfugier dans des genres relativement détachés de la réalité contemporaine : le récit fantastique, le roman policier et la poésie non engagée. Ces genres poursuivent d’ailleurs leur essor après la Libération. Après la Seconde Guerre mondiale, les tendances révolutionnaires de l’entre-deux-guerres semblent complètement oubliées, l’américanophilie s’installe : l’heure n’est plus au pro-communisme ni même à une réflexion ou à une littérature engagées. Durant cette période, et sauf de rares exceptions, il n’y a pas d’avant-garde en Belgique, pas de contestation de l’ordre établi. Le plus célèbre auteur fantastique belge est certainement Jean Ray (Les Contes du Whisky, 1925 ; Malpertuis, 1943), dont les meilleurs récits paraissent en pleine guerre. Dans ce genre, on peut également citer Franz Hellens, Thomas Owen, Marcel Thiry (qui écrit également de la poésie)… Parallèlement, plusieurs auteurs se consacrent au roman policier. On retiendra Stanislas-André Steeman (L’assassin habite au 21, 1939) et, bien sûr, Georges Simenon, père du célèbre commissaire Maigret et écrivain belge le plus célèbre. Toutefois, quelques rares isolés se tiennent à l’écart de l’académisme officiel. Il s’agit souvent des survivants de l’aventure surréaliste ou de jeunes créateurs qui en ont été directement marqués. Henri Michaux publie, dans ces années, certains de ses plus beaux textes : L’Espace de dedans (1944), L’Infini turbulent (1957). Moins ésotériques sont les œuvres de Louis Scutenaire (Mes inscriptions, 1945-1963), de Christian Dotremont, d’Achille Chavée… Elles ont, entre autres, l’intérêt de préserver un « contre-pouvoir » dans la sage Belgique littéraire de l’époque.

L’ère du roman historique

Dans les années 1960-1970, quelques auteurs, sans revendiquer nécessairement un engagement précis, rendent compte des luttes qui secouent le monde depuis la guerre, en ancrant leurs romans dans la réalité historique. C’est le cas de René Kalisky, qui publie Jim le Téméraire en 1973. L’auteur y illustre la fascination ambiguë que le nazisme a exercée sur tant d’hommes, et même sur ses propres victimes. Pierre Mertens, quant à lui, publie Les Bons Offices (1974) et Terre d’asile (1978), romans qui font référence à des événements historiques (indépendance du Congo, génocide biafrais, conflit israélo-palestinien, dictature chilienne) qui interfèrent avec des existences individuelles. À cette époque, la nécessité d’un renouvellement de la création littéraire semble de plus en plus à l’ordre du jour. Loin de toute théorie, de tout système, divers écrivains belges se risquent dans des voies originales, avec des œuvres souvent réalistes et évoquant l’environnement contemporain, ou au contraire s’aventurant dans le domaine du rêve, de l’utopie...

Aujourd’hui

Si Paris semble un passage obligé pour les auteurs belges, une nouvelle génération d’écrivains a vu le jour en Belgique francophone. La plus connue de ces écrivains est sans aucun doute Amélie Nothomb, qui connaît un beau succès international. Depuis 1992, où elle fut révélée avec L’Hygiène de l’assassin, la romancière publie chaque année un nouvel ouvrage. Si son œuvre est moins surprenante qu’à ses débuts, ses romans restent efficaces et attendus. Plusieurs fois primé (notamment par le prix Médicis pour son roman Fuir, en 2005), Jean-Philippe Toussaint est une des valeurs sûres de la littérature belge contemporaine. On citera également Henry Bauchau (mort en 2012), qui fait partie des auteurs belges les plus emblématiques avec notamment un travail sur l’actualisation de mythes fondateurs de notre civilisation européenne à travers des œuvres comme Œdipe sur la route (1990) et Antigone (1997). Sans oublier François Weyergans, membre de l’Académie française depuis 2009, qui s’est vu récompenser par le prix Renaudot (La Démence du boxeur, 1992) et par le prix Goncourt (Trois Jours chez ma mère, 2005). Citons aussi Thomas Gunzig (Mort d’un parfait bilingue, 2001 ; Assortiment pour une vie meilleure, 2009), Nicolas Ancion (L'homme qui refusait de mourir, 2010 ; Courir jusqu’à New York, 2013)… Enfin, bien que nationalisé français, Didier Van Cauwelaert (Rencontre sous X, 2002 ; Double Identité, 2012) est également d’origine belge.

Littérature wallonne

La littérature wallonne, apparue au cours du XVIe siècle, s'est limitée d’abord à un jeu sérieux d’intellectuels avant de s'exprimer sous les formes les plus diverses : poèmes épiques et lyriques, quelquefois revendicatifs, théâtre, contes, cantiques, romans historiques et philosophiques. Une anthologie, parue en 1979, présente 296 textes de 104 auteurs. Le wallon est avant tout une précieuse langue, véhicule d’affection et de traditions orales, qui continue à vivre dans les chants et dictons, dans l’humour et les récits. À lire également, l’anthologie Poètes wallons d’aujourd’hui, rassemblée par Maurice Piron et parue aux éditions Gallimard en 1961. Tous les deux ans, la ville de Liège organise d'ailleurs un prix de la Littérature wallonne.