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Petite histoire du séga

Arrachés à leur terre, privés de liberté, les esclaves africains ont emporté sur les bateaux et véhiculé dans le monde une partie de leurs origines et de leur culture à travers les chants, la musique et la danse - formes de « résistance » puisant dans la souffrance des hommes une force et une vitalité incroyables. C’est au XVIIIe siècle, période de la colonisation française, que les esclaves africains apportent à Maurice leurs poésies chantées et leurs danses, qu’ils pratiquent de manière clandestine avec des instruments de fortune. Le terme « séga » n’apparaît cependant pas avant le début de la période anglaise et avec l’abolition de l’esclavage en 1835. Le linguiste Robert Chaudenson suppose une évolution du mot « tchiéga » vers « séga » avec l’hypothèse d’une étymologie mozambicaine. En swahili, le mot « sega » signifie « relever, retrousser ses habits » et pourrait se référer à la gestuelle de la danse du séga, en particulier celle des femmes. « Danse des nègres », beaucoup trop sexualisée pour les colons, le séga se joue et se danse à l’époque dans l’entre-soi de la communauté créole.

Dans son étude sur La danse des pouvoirs, Caroline Déodat analyse le séga comme étant une « danse ouverte qui ne fonctionne pas dans l’étreinte et qui occasionne rarement le toucher. Le contact établi entre les partenaires s’effectue, non pas dans le corps à corps, mais à travers un jeu d’attractions et de repoussés ». Dans cette danse, la femme tient le rôle pivot du couple : tout s’articule autour d’elle et de sa grande jupe multicolore. L'homme, chemise bouffante et pantalon large jusqu’au-dessous du genou, « coupe » successivement la danse d’un autre homme pour prendre sa place et entamer une nouvelle danse. Cette dernière commence debout et se termine « en bas » avec de jolis déhanchés.

Il faut attendre les années 1950 pour que le séga arrive sur la scène publique, mettant en avant le multiculturalisme mauricien. La première Nuit du séga a lieu en 1964, organisée par le ministère du Tourisme et du Commerce. Aujourd’hui, tous les hôtels proposent un spectacle de séga où les danseurs, à la fin, invitent généralement les touristes à venir se trémousser avec eux et apprendre les pas. Mais le séga n’est pas qu’un show folklorique pour voyageurs en soif d’exotisme. C’est avant tout l’étendard dansant d’une nation, véritable joie de vivre des Mauriciens qui s’étend à tous les visiteurs.

Séga tambour

Si le séga né au XVIIIe siècle avec l’esclavagisme s’est mêlé à d’autres cultures à l’île Maurice, le séga tambour joué à Rodrigues et aux Chagos est sans doute plus proche de ses racines malgaches et africaines. Comme son nom l’indique, ce séga est puissamment et rapidement rythmé par un tambour fabriqué avec de la peau de chèvre (cabri). Si l’instrument ressemble beaucoup à la ravanne (voir séga typik), il est souvent doté de petites clochettes sur les côtés qui lui confèrent une sonorité particulière. Autres instruments utilisés : le triangle, la bwat rape, le bobre ou encore le katchia katchia (un sachet de feuilles de vacoas cousues entre elles et contenant des graines d’acacia). D’autres instruments à base d’objets récupérés peuvent compléter l’orchestre. Si chacun peut interpréter et danser du séga tambour à sa manière, il ne reste plus qu’une vingtaine de groupes pour le jouer dans les bals. Au séga tambour de Rodrigues s’ajoute le séga kordeon, qui relève davantage de la tradition européenne et dont chacun devinera aisément quel en est l’instrument majeur.

Séga typik

Cette musique traditionnelle utilise principalement trois instruments : la ravanne (sorte de grand tambourin constitué d’un cerceau de bois sur lequel est tendue une peau de chèvre à chauffer sur le feu avant de jouer), la maravanne (instrument rectangulaire rempli de graines qui produit un son de maracas) et le triangle. Les paroles évoquent la vie quotidienne et sont improvisées. La danse, pendant laquelle on se frôle en roulant des hanches sans jamais se toucher, est une danse du désir. Ce séga traditionnel est parvenu jusqu’à nous grâce à Jean-Alphonse Ravaton, alias Ti’Frère, le roi du séga. Lorsqu’en 1989, Radio France lui propose d’enregistrer un CD, Ti’Frère a 89 ans. Il n’est reconnu à Maurice que depuis 1964, notamment grâce à ses chansons les plus célèbres : Roseda et Anita.

En s’éloignant des grandes zones touristiques de l’île, on peut avoir la chance, à la nuit tombée, d’apercevoir les habitants d’un village jouer ce séga traditionnel autour d’un grand feu de bois. Plus facilement, on peut aussi essayer de se joindre à une famille mauricienne le dimanche après-midi, sur la plage, ce qui permet, après une petite lampée de rhum, d’entendre les tubes du séga moderne interprétés avec les instruments traditionnels – la ravanne et quelques boîtes de conserve le plus souvent.

Séga moderne

Depuis les années 70, les groupes mauriciens utilisent les instruments de musique occidentaux : guitare électrique, basse, batterie, synthétiseur. Ce séga moderne a ses vedettes comme Denis Azor qui a fait franchir les frontières à sa chanson Alalila, Serge Librase, Roger Clency, le groupe Ravanes Sans Frontières dont la chanson Noire la Rivière Noire est un tube. Il s'exporte de plus en plus, comme en témoigne la chanson mauricienne, Ambalaba, reprise en français par Maxime Leforestier avec un franc succès. Les années 1980 ont aussi vu l’apparition d’une forme dérivée du séga, le seggae, qui procède d’une fusion musicale entre reggae et séga. Inventée par le groupe rasta Racine Tatane et emblématique des jeunes de la communauté noire, cette musique, qui prône la paix et l’entente entre les différentes ethnies mauriciennes, a rapidement connu un vrai succès. Nous recommandons particulièrement l’album Lapé Iniversel de Racine Tatane, ainsi que les albums du groupe Natty Rebels.

Discographie

Pour découvrir le séga, les plateformes de streaming ont des playlists Séga Mauricien. Quelques albums à rapporter chez soi :

L’incontournable Best Séga de l’année.

Les albums des groupes Cassiya et Zotsa.

Lespri Ravann et notamment l'album Langaz.

Otentik Street Brothers, pour des airs de rega : mélange de rap et séga.

Blakkayo : grand artiste Dancehall

Alain Ramanisum, séga au synthétiseur.