Orthodoxie

Dire que la religion orthodoxe est la religion dominante en Russie par le nombre des baptêmes est un euphémisme si l’on considère le rôle identitaire, patriotique et politique qu’elle a été appelée à jouer. Dès son officialisation en Russie au Xe siècle, elle entretient un rapport étroit avec la politique, lien d’ailleurs perpétué à présent par Vladimir Poutine qui a fait bénir son mandat. Le patriotisme est une valeur intrinsèque à l’orthodoxie, tout orthodoxe se doit de défendre sa patrie si elle est attaquée. Aussi Staline qui avait commencé par une politique répressive n’a pas hésité à utiliser la religion pour mobiliser la population contre l’ennemi durant la « Grande Guerre patriotique ». Enfin l’orthodoxie a toujours été le repli identitaire des Russes quand ils sentaient l’essence même de leur culture menacée : en recevant cette religion de Byzance, la Russie hérite par la même occasion de toute une tradition culturelle, littéraire et architecturale. La liturgie devient même le fondement de l’identité nationale russe. Aussi la religion a-t-elle été le signe de la résistance identitaire durant le joug mongol ; et elle a toujours été le point d’appui des slavophiles dans leur opposition aux occidentalistes. En 1988, Gorbatchev fait un acte hautement symbolique en fêtant avec faste le millénaire de la religion orthodoxe en Russie, alors que celle-ci vient de connaître 70 ans de répression. Puis en 1991, la Russie opère un retour en masse vers l’orthodoxie : réouverture d’églises, profusion de baptêmes, frénésie liturgique. Mais derrière ce retour à la foi, c’est surtout un retour aux racines profondes de la culture russe qui motive une grande partie de la population. La raison principale de cet engouement est souvent la recherche de nouvelles valeurs, aussi, lorsqu’on peut en trouver ailleurs, on se souciera peu de religion. Et d’ailleurs les pratiquants réguliers sont rares, on entre dans une église allumer une bougie pour quelqu’un, adresser une prière à un saint, ou chercher un moment de réconfort dans une période difficile, mais on n’assiste pas forcément à la liturgie. D’ailleurs les étudiants semblent souvent peupler les églises quelques jours avant les examens...

Qu’est-ce que l’orthodoxie ?

Pendant 1 000 ans il n’y a eu qu’une seule Église, à la foi catholique, c’est-à-dire universelle et orthodoxe, c’est-à-dire « à la foi juste ». Il y avait l’Église chrétienne d’Orient et celle d’Occident. Ainsi quand le grand prince Vladimir introduit le christianisme en Russie, il n’y a encore qu’une seule Église. La rupture n’avait pas eu lieu, mais la Russie avait déjà choisi son camp en se rattachant à l’Église chrétienne orientale de Byzance. Les raisons qui vont provoquer le schisme entre les deux Églises sont d’ordre politique avec des conflits d’influence et vont être masquées par des questions de dogme. Les différends ont commencé en 1054, avec échanges d’anathèmes entre les clergés russe et romain, mais la véritable rupture s’est produite au XIIIe siècle, quand les croisés ont saccagé Constantinople sur le chemin des croisades, déclarant ainsi la guerre à la chrétienté d’Orient. Les rivalités incessantes avec la Pologne, affiliée au catholicisme romain, ont consommé la rupture, tandis que la chute de Constantinople sous les coups des Turcs ottomans, en 1453, a suscité des ambitions nouvelles et messianiques dans le clergé russe, qui voulait faire de Moscou, héritière de Byzance, la « Troisième Rome ». L’Église orthodoxe de Russie est nationale et autocéphale, c’est-à-dire qu’elle a son propre chef spirituel, le patriarche. Le Patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Alexis II, est mort le 5 décembre 2008. Son successeur Cyrille Ier a été élu puis intronisé patriarche de l’Église orthodoxe russe le 1er février 2009.

Différences entre Église catholique et Église orthodoxe

Pour les catholiques, le Saint-Esprit procède de Dieu et du Christ, pour les orthodoxes, seulement de Dieu. L’Église est une. Le pouvoir du pape transmis sans rupture depuis Pierre est infaillible quand le pape proclame de façon définitive un point de doctrine touchant la foi ou les mœurs. Les églises orthodoxes sont autocéphales, elles se gouvernent par elles-mêmes. La foi orthodoxe est constituée par les définitions dogmatiques des 7 premiers conciles œcuméniques, qu’elle a en commun avec la foi catholique. Lors du baptême orthodoxe, le baptisé est toujours plongé entièrement dans l’eau et la confirmation chez les orthodoxes a lieu juste après la naissance de l’enfant. L’hostie se prépare sans levain chez les catholiques, avec chez les orthodoxes.

Islam

Loin de ces querelles internes à la famille chrétienne, l’islam, la deuxième religion de Russie, totalise quelque 15 millions de fidèles, répartis entre le Tatarstan, à 500 km à l’est de Moscou, le Caucase du Nord, et de nombreuses communautés dispersées à travers le pays. Disposant de lieux de culte, les musulmans de Russie, très généralement sunnites, connaissent un réveil religieux qui coïncide souvent avec des revendications nationales, comme au Tatarstan ou en Tchétchénie. Cet essor coïncide également avec la multiplication des antennes paraboliques qui captent les nouvelles émissions diffusées à partir de la Turquie. Il existe actuellement environ 7 000 mosquées en Russie et 3 080 associations musulmanes déclarées. Habituellement, les musulmans de Russie sont soufis : ils appartiennent à des confréries mystiques (tarîqa) et pratiquent le culte des saints. Le rite soufi se caractérise par le zikr (l’appel à Dieu) qui, pratiqué différemment selon les confréries (par le chuchotement, la danse…) permet d’atteindre un état proche de la transe, où l’on ressent la présence de Dieu. Depuis la radicalisation de certains chefs de guerre durant la 2e guerre de Tchétchénie, l’islam soufi russe généralement considéré comme très tolérant, est concurrencé par l’avancée du salafisme. Cette branche conservatrice de l’islam, importée du Moyen-Orient fait de plus en plus d’adeptes en Russie. On a tendance, à tort, à assimiler les salafistes aux djihadistes et ainsi sont-ils particulièrement persécutés, notamment au Nord-Caucase. Pour contrôler l’activité des musulmans de Russie, le pouvoir en place, par l’intermédiaire de figures semi-politiques, semi-religieuses comme le président tchétchène Ramzan Kadyrov, a facilité l’établissement d’un islam d’État, conservateur et pro-russe.

Judaïsme

Le judaïsme compte aujourd’hui entre 150 000 et 200 000 fidèles en Russie, en dépit de l’érosion d’une communauté juive qui émigre en masse vers Israël. Mais il faudra ici différencier entre la « nationalité » juive, héritée du système soviétique des nationalités, et les pratiquants de la religion juive : ainsi la Russie compte plus de 500 000 ressortissants qui sont d’origine juive. Et si les juifs peuvent désormais pratiquer librement leur religion et leur culture, les difficultés économiques les poussent toujours à quitter le pays en nombre important.

Bouddhisme

Le bouddhisme est la religion officielle de trois peuples de l’ex-URSS : les Touvas, les Kalmouks et les Bouriates. Le bouddhisme, venant de Mongolie, s’est implanté en Russie aux XVIIe et XIXe siècles, tandis que celle-ci colonisait la Sibérie méridionale. Dès le début du XVIIIe siècle, les conversions intensives au bouddhisme furent le fait de missionnaires mongols et tibétains. Au XVIIIe siècle, les lamas obtiennent le droit de prêcher le bouddhisme en Transbaïkalie s’ils ont prêté allégeance au trône de Russie. Cette politique qui devait renforcer les confins de la Russie profita surtout à l’essor de cette religion. La propagation du bouddhisme en Sibérie a porté un coup fatal au chamanisme à la base de nombreuses traditions populaires des peuples sibériens. Mais le bouddhisme a aussi joué un rôle dans la diffusion de la culture, enseignant la philosophie et les médecines orientales dans ces frontières reculées de Russie. La culture bouddhiste a ainsi permis l’essor d’une intelligentsia nationale qui, après la révolution de 1905, s’est intégrée aux mouvements politiques russes, allant jusqu’à proposer une fusion des principes du bouddhisme et du communisme en 1922. Pourtant le régime soviétique ne fit pas d’exception dans sa politique religieuse pour le bouddhisme : nombre de monastères furent détruits et les lamas furent réprimés. Mais, à la fin des années 1980, dans la mouvance du renouveau religieux général en Russie après 70 ans de communisme, le bouddhisme connut un nouvel essor. C’est ainsi que furent créés dans les trois régions concernées des temples, des monastères et des centres culturels à vocation religieuse. En 2008, on comptait à peu près 1 million de bouddhistes. Une trentaine de monastères ont été construits et le temple de Saint-Pétersbourg est à nouveau en activité. Deux événements phares ont marqué la vie du bouddhisme russe ces dernières années : la visite du Dalaï-lama en septembre 1992 à Moscou et en 2004 en Kalmoukie. Outre les régions précitées, le bouddhisme est aujourd’hui fortement implanté en Altaï, dans les régions d’Irkoutsk et de Tchita.

Le renouveau païen

Depuis quelques années, celles que l’on appelle les fois natives connaissent une véritable renaissance en Russie. Le plus souvent, elles sont associées à des revendications culturelles et identitaires, voire politiques. C’est le cas par exemple de la rodnovérié (littéralement, « foi native »), un néopaganisme slave de construction récente. Les rodnovers s’organisent en communautés et se rassemblent à l’occasion de festivals célébrant les cycles de la nature. La rodnovérié, qui fait de plus en plus d’adeptes, est à rapprocher du mouvement écologiste, mais aussi du nationalisme ethnique. Beaucoup de rodnovers sont par ailleurs liés à des mouvements d’extrême droite, panslaves ou suprémacistes blancs.

Chamanisme

En Sibérie, le chamanisme présent depuis la nuit des temps dans les pratiques indigènes a (non sans mal) résisté aux missionnaires chrétiens puis au matérialisme et à l’athéisme soviétiques. Depuis la fin de l’URSS, le chamanisme et l’animisme prospèrent parmi les populations sibériennes et les peuples indigènes du Nord. Car le chamanisme trouve ses origines en Sibérie : le mot « chamane » vient de l’evenk (toungouse) saman, qui signifie « celui qui danse, celui qui bondit ». C’est d’ailleurs au départ de la Sibérie que le chamanisme a traversé le détroit de Béring (à l’époque la Béringie, une terre émergée) avec ceux qui furent les premiers Amérindiens, entre 40 000 et 16 000 ans avant notre ère. Le chamane est celui qui exerce une médiation entre les hommes et les esprits (des éléments, des animaux, de la flore, des défunts…). Sa fonction est héréditaire et il existe ainsi des femmes chamanes. Longtemps, on s’est demandé s’il fallait assimiler le chamanisme à une religion. Les ethnographes et anthropologues soviétiques ont eu tendance à abonder dans ce sens, ce qui permettait d’arguer en faveur de son interdiction. En réalité, depuis son renouveau, le chamanisme et la religion au sens classique du terme sont pratiqués de manière complémentaire par des peuples autrement orthodoxes, musulmans ou bouddhistes.