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Cartographie de la diversité musicale colombienne

La Colombie tire sa réputation et sa richesse musicale de son histoire et de la diversité culturelle et géographique de son territoire. Chaque région dispose de quantité de genres musicaux. On n’en compterait pas moins de 157, pour 1 025 rythmes ! Voici une petite présentation par régions des musiques traditionnelles colombiennes.

La cumbia. Qui n’a pas écouté de cumbia en Colombie n’y a jamais été. Si ce dicton n’existe pas, il n’est pas moins vrai tant le genre est important dans le pays. Voire sur le continent. « Cumbia » viendrait de la langue bantú, un dérivé de cumbé, désignant rythmes et danses de Guinée équatoriale. Importée d’Afrique de l’Ouest par les premiers esclaves, la cumbia s’est « latinisée » avec le temps. Originellement, il s’agit de la musique des gaiteros, début XIXe siècle, une fusion d’influences indigènes et africaines. On jouait avec deux gaitas (longues flûtes typiquement colombiennes) à contretemps – le contretemps caractéristique de la cumbia – et une maraca (instruments indigènes), accompagnés de tambours africains (dont le llamador, un petit tambour) – les groupes aujourd’hui ont ajouté du saxophone, des claviers, des trompettes, guitares électriques... Au début des années 1940, c’est Lucho Bermúdez qui fit connaître ce style, jusqu’alors rural, aux classes moyennes des grandes villes. Dix ans plus tard, la cumbia s’écoutait partout, notamment grâce au label Discos Fuentes. Parmi les incontournables de la cumbia colombienne, José Barros a donné naissance à des morceaux mythiques comme El Alegre Pescador ou La Piragua. On peut aussi citer Andrés Landero, « le roi de la cumbia », La Sonora Dinamita, iconique depuis les années 1960 et resté proche de la cumbia traditionnelle ou Totó la Momposina, tout simplement une des personnalités les plus importantes de Colombie. Aujourd’hui, le genre est entre les bonnes mains de la jeune garde colombienne comme Bomba Estéreo ou Frente Cumbiero qui la rajeunissent avec des sons plus modernes. A l’international, le genre connaît également beaucoup de succès avec des groupes comme Chico Trujillo au Chili, Bareto au Pérou, Chicha Libre à Brooklyn ou encore La Yegros ou Hijo de la Cumbia ou le label ZZK de Buenos Aires.

Le vallenato est l’autre grand genre musical populaire sur la côte caribéenne et plus particulièrement dans la région de Valledupar, d’où il est originaire. « Vallenato » est d’ailleurs à l’origine une expression pour désigner ses habitants. Quand on demandait aux paysans de la vallée d’où ils venaient, ces derniers répondaient : « Soy del Valle nato » (« je suis natif de la vallée »). Fusion entre « des expressions culturelles de Colombie du Nord, des chansons des éleveurs de vaches de la Magdalena Grande, des chants des esclaves africains et les rythmes des danses traditionnelles des peuples autochtones de la Sierra Nevada de Santa Marta », tel que le décrit l’Unesco qui a inscrit le genre au patrimoine oral et immatériel de l’humanité en 2015, le vallenato possède un fort caractère narratif, mélancolique et joyeux, contant des histoires d’amour ou décrivant des personnages. On l’interprète à l’accordéon combiné avec des instruments d’origine indigène : la caja (une sorte de bongo en forme de caisse) et la guacharaca (calebasse évidée avec des rainures transversales sur la surface extérieure, que l’on gratte avec une baguette). Le vallenato est composé de quatre rythmes de base : le paseo, le son, le merengue et la puya. Rafael Escalona, Alejo Durán, Emiliano Zuleta, Enrique Díaz, ou Diomedez Díaz font partie des principaux compositeurs et interprètes. Carlos Vives a démocratisé ce genre en le fusionnant avec des sonorités plus pop. Parmi la nouvelle vague vallenata, plus commerciale que l’on entend beaucoup, on peut citer Silvestre Dangond, Jorge Celedón, ou Iván Villazón. Pour les amateurs du genre, le Festival de la Leyenda Vallenata a lieu tous les ans depuis 1968, en avril, à Valledupar. Pour une jolie mise en bouche avant de partir sur la Costa, essayez de voir le magnifique film Les Voyages du vent (Los viajes del viento) de 2009, de Ciro Guerra, où l’accordéon et le Vallenato sont les grands protagonistes de ce road-movie.

C’est également de la région caribéenne qu’est originaire la champeta. Très populaire dans toutes les Caraïbes, elle est née dans les quartiers populaires de Carthagène dans les années 1960. Les marins débarquaient au port avec des vinyles de soukous, highlife, mbquanga, juju en provenance d’Afrique, et d’autres, antillais, comme le zouk, la soca, le calypso ou le compas. Des musiques exotiques qui étaient diffusées à plein volume sur de gigantesques sound systems ambulants, les fameux picós, et qui se sont peu à peu « créolisées » (champeta criolla) à San Basilio de Palenque dans les années 1970-80 en fusionnant avec des rythmes afro-colombiens de la côte (bullerengue, mapalé, zambapalo y chalupa). Dans les années 1990-2000, la champeta s’est urbanisée en incorporant le reggaetón, le dancehall ou le rap.

De la même région, on trouve également le porro aux origines similaires à la cumbia, avec un rythme plus rapide et joyeux malgré une certaine monotonie, aujourd’hui joué par « las bandas papayeras », faisant appel aux instruments à vent.

Le bullerengue, née dans les communautés marrons (et toujours jouée par ses descendants), cette danse chantée et exclusivement exécutée par des femmes - et accompagnée de deux tambours et claquement de mains dont le rythme puise ses racines dans le continent africain - symbolise la fertilité féminine et rend hommage aux défunts. La grande interprète du bullerengue est Petrona Martinez (née en 1930), qui a grandement contribué à faire connaître le genre dans le monde grâce à son succès et ses tournées en Europe et aux Etats-Unis. Notons que chaque année en octobre se tient un festival dédié au genre à Necocli. Originaire de la côte Atlantique, n’oublions pas de mentionner cette petite bombe de joie qu’est le chandé, folklore festif, fusion de rythmes indigènes et musique africaine, interprété aux tambours, maracas et flûtes.

Dans la région du Pacifique, terre des esclaves africains durant la colonie, s’est développé l’art bien spécifique du currulao, danse la plus représentative de cette partie du pays, issue de la culture et des rythmes africains et dont le nom fait référence au cununao, tambour jouant un rôle important dans le folklore de la région. Tout en percussion, le currulao est une danse de parade nuptiale, naturellement exécutée en couple et exacerbant les sentiments amoureux. Interprété avec les mêmes instruments que le currulao, le bunde (ou bunde chocoano) diffère du premier dans sa chorégraphie. Bien que rite funéraire, sa danse se veut réjouissante. Autre danse de la région, la chirimia est une fanfare populaire et festive dont fait partie l’instrument du même nom (sorte de hautbois) arrivé avec les militaires espagnols du temps de la Conquista. La région est aussi célèbre pour son utilisation de la marimba. Célébration de la vie, forme de culte des saints ou adieu au défunt, « les musiques de marimba, les chants et les danses traditionnels, expressions musicales intégrantes du tissu de la communauté des afro-descendants dans la région du Pacifique Sud colombien » font partie depuis 2010 de la liste du patrimoine oral et immatériel de l'Humanité de l’Unesco. Le Festival de música del Pacífico Petronio Álvarez à Cali, tous les ans en août, regroupe les meilleurs artistes du genre, comme Grupo Gualajo, Grupo Bahía, Saboreo, Rumba Chonta, Socavón, Herencia de Tirimbiqui, ou Nidia Góngora, entre autres.

Dirigeons-nous désormais vers la région andine. Ici aussi, naturellement, fleurissent de nombreuses esthétiques traditionnelles. La musique d’ici est souvent d’origine paysanne et trempée de rythmes andins. On y danse notamment la guabina, très populaire dans le monde rural, exécutée en couple et qui varie selon les communautés (elle est parfois dansée les mains jointes ou avec une canne). Une version de la guabina jouée plus rapidement appelée torbellino est aussi très populaire dans la région. Signifiant « tourbillon », elle peut s’exécuter en groupe et contient de nombreux jeux chorégraphiques complexes. On danse ici aussi le pasillo, adaptation de la valse autrichienne pleine d’allégresse, plus rapide, voire parfois même vertigineuse. Très aimée, cette danse est célébrée chaque année à Aguadas au travers du Festival Nacional del Pasillo. A noter que le pasillo est la musique nationale du voisin équatorien, où le genre, plus qu’une danse, est devenu une variété très mélancolique et populaire. « Populaire » est un adjectif qui pourra également qualifier le bambuco, le genre le plus caractéristique de la région et une des musiques traditionnelles les plus connues et anciennes du pays. D’origine quechua et ayant intégré des apports européens, le bambuco est une danse très rythmée, où l’on fait généralement un pas devant l'autre, puis, sur la pointe du pied, on glisse en reculant d'un petit saut. Le genre s'interprète notamment au tiple, guitare à douze cordes largement considérée comme l’instrument national. Le genre est tellement important qu’il possède un événement dédié, le Festival folclórico y Reinado nacional del Bambuco à Neiva, avec défilés et démonstrations de bambuco.

Dans la région des Plaines et de l’Orénoque résonne le joropo, musique caractéristique des llaneros, les habitants des llanos (les grandes Plaines orientales). Très festif, le joropo descend du fandango espagnol – dont il est un héritier plus franc et brut – auquel il a intégré des éléments africains. Il est joué avec le cuatro, une harpe et les capachos de petites maracas. Il prend parfois la forme de duels chantés, les contrapunteos. Populaires ici aussi, la galerón et le paseo sont des variations du joropo que l’on écoute durant les travaux agricoles et que l’on danse durant les fêtes. Chaque année, pendant cinq jours fin juin, cette musique traditionnelle des Llanos est mise à l’honneur à Villavicencio au sein du Torneo Internacional del Joropo ainsi qu’à la Casa Del Joropo.

Dans l’Amazonie colombienne, on ressent des influences brésiliennes dans la présence de danses telles que le carimbo, très sensuelle, ou le forró. Cette dernière, très populaire et voyageuse est vraiment l’esthétique du Nordeste brésilien. Typiquement joué à l’accordéon et aux percussions, le forró se base sur des danses européennes africanisées et se décline en plusieurs genres, certains plus cadencés que d’autres.

Les musiques actuelles

La musique colombienne actuelle ne se limite pas à Shakira bien heureusement. Si la diva du pop-rock incarne le pays sur la scène internationale, aux côtés d’autres stars comme Carlos Vives ou Juanes, le pays est une ruche bourdonnante en termes de créations. Un des noms à surveiller est Kali Uchis, artiste aussi excentrique que passionnante de la pop contemporaine, pilotant un univers hyper acidulé. Et bien que le pays n’ait pas inventé le reggaetón – ce mélange bouillant de rap, dancehall et esthétiques latino-américaines né entre le Panamá et Porto Rico –, la Colombie a largement contribué à le populariser en lui offrant quelques-uns de ses cadors, comme J.Balvin, Maluma, ou plus récemment Karol G.

Côté rap, pendant un bon moment, le genre s’apparentait à une musique de niche en Colombie. Pas absent, le genre n’était pour autant pas une des dominantes culturelles. Puis, d’un seul coup, un mouvement puissant s’est constitué. Bien que toutes les esthétiques soient représentées, la scène colombienne semble cultiver un penchant pour le « boom-bap », le rap à l’ancienne, où rien ne compte plus que les rythmes séduisants, les punchlines incisives et les jeux de mots mémorables. Si elle n'a pas encore attiré l'attention du public et des médias internationaux, cette scène déborde de talents, dont La Etnnia, pionnier des années 1990, Alcolirykoz, duo de Medellín et plus récemment Doble Porcion, qui a contribué à façonner la nouvelle vague du rap colombien. Et dans cette dernière, les dernières vedettes sont incontestablement Trueno ou El Menor. Aussi, fait intéressant, le rap est en Colombie un porte-voix pour les communautés indigènes qui y trouvent un support idéal pour relater leur quotidien et leur expérience de victimes du déplacement forcé. Parmi eux Embera Warra, Linaje Originarios ou Wera Fono sont les entités les plus connues.

Rayon électronique, le pays est tout aussi dynamique. Les pionniers se nomment Sidestepper, et ont gagné un grand succès dans le pays en mêlant l’électronique aux sonorités colombiennes et ont ouvert la voie à de nombreux groupes comme Bomba Estéréo, Lido Pimienta et des labels tels que TraTraTrax ou Insurgentes. Electroniques encore, mais plus expérimentales, mentionnons également Ela Minus et Lucrecia Dalt. Deux entités locales à ne surtout pas oublier de mentionner. D’abord AAINJAA, groupe de batucada engagé, aussi connu pour la qualité de ses performances que pour la force de ses engagements. Puis, Bomby, grand défenseur de la culture afro-colombienne qu’il célèbre dans une musique traditionnelle colombienne – comme la chirimía – dans laquelle il invite du reggaetón, du dancehall, ou du rap.

Parmi les musiques détonantes assez inclassables, mêlant les folklores colombiens du Pacifique, des Caraïbes ou d’ailleurs, avec fanfare, électro, rap ou dub, voici quelques groupes incontournables que vous entendrez sans doute : ChocQuibTown, Cyntia Montaño, Systema Solar, Puerto Candelaria, Papaya Republick, Kartel Pacifico, Pernett, la Mojarra Electrica, la Mambanegra… ou encore le Ondatropica, un big band réunissant de grands noms du folklore colombien, emmené par Mario Galeano, AKA Frente Cumbiero, en collaboration avec le prolifique DJ et producteur anglais Quantic (Will Holland) qui a beaucoup travaillé en Colombie (collaborations avec Nidia Góngora, Esteban Copete, Pernett…). Pour finir dans ces musiques créatives qui s’exportent bien, n’hésitez pas à visionner l’excellent documentaire (en français) Que Pasa Colombia – www.quepasacolombia.fr – qui décrit bien l’univers contemporain de la scène colombienne alternative.

Enfin, parmi les styles importés et colombianisés, on ne peut bien évidemment pas oublier la salsa. Originaire de Cuba, Porto Rico et New York, elle s'est introduite dans la patrie de la cumbia dans les années 1960-70. Joe Arroyo sut démarquer la salsa locale de celle qui s’écoutait alors dans les Caraïbes en créant son style propre, le joesón. D’autres Colombiens sont inscrits au panthéon de la salsa : Fruko y sus Tesos, Grupo Niche, Los Latin Brothers, Orquesta Guayacán, et plus récemment Grupo Galé, Son de Cali, La Suprema Corte, Orquesta Yambao, Yuri Buenaventura, La 33... Depuis les années 1980, la salsa est un véritable phénomène populaire, en particulier à Cali, devenue la « capitale mondiale de la salsa » !

La musique classique

La Colombie possède quelques grands talents internationaux comme le jeune pianiste et chef d’orchestre Ricardo Araújo et des orchestres philharmoniques de renom, dont celui de Bogotá, le plus important du pays, qui se produit à l’Auditorio Léon de Greiff. Bogotá est par ailleurs l’une des rares villes au monde à disposer d’un orchestre philharmonique féminin, l’Orquesta Filarmónica de Mujeres. Les orchestres colombiens apportent également une certaine originalité au monde de la musique classique, en intégrant régulièrement des éléments du folklore national, pour produire des œuvres uniques.

L’événement le plus attendu est le Festival International de Musique Classique de Carthagène qui attire chaque année en janvier les mélomanes de tout le continent. De fabuleux concerts et des rencontres dans un cadre qui s’y prête à merveille, au milieu des vieilles pierres.

Quelques personnalités du classique à suivre : la basse Valeriano Lanchas, personnalité lyrique la plus importante du pays, les pianistes Blanca Uribe et Teresita Gómez, de loin les plus remarquables ainsi que les compositeurs Guillermo Uribe Holguín (1880-1971), qui a fondé l’orchestre national de Colombie, Blas Emilio Atehortúa (1943-2020), quelque part entre le Baroque et l’expérimentation (dodécaphonisme, atonalité, etc.), Jacqueline Nova (1935-1975), pionnière de la musique classique contemporaine en Colombie et Francisco Zumaque qui a mêlé électroacoustique et musique traditionnelle.

N’oublions pas de mentionner le chef d’orchestre Andrés Orozco-Estrada, grand nom de la direction, nommé directeur musical du prestigieux Orchestre symphonique de Vienne à partir de la saison 2021/22.