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La spiritualité des peuples premiers

Les premiers habitants du territoire basèrent leur cosmologie en lisant la carte du ciel, en se référant aux phénomènes naturels et en perpétuant le souvenir des Anciens. Les Yamanas croyaient en un être suprême, appelé Watauinewa (l’Ancien), créateur de toutes choses au monde ; bien d’autres divinités et quantité d’esprits peuplaient leur panthéon sacré. L’un des moments forts de leur vie trouvait son expression dans les rites d’initiation des jeunes hommes et des jeunes femmes : célébration obligatoire et concours de dextérité ; les jeunes acquéraient alors tous les droits de l’adulte (chasser, se marier, fonder une famille), ce qui assurait une certaine cohésion sociale. Plus tard seulement, les rites sacrés leur étaient inculqués, au cours d’une cérémonie appelée Kina. Les Mapuche, en particulier, qui sont encore présents en Patagonie chilienne et Argentine, continuent de s'entretenir intimement avec leur culture ancestrale. Chez les Mapuche, l'admapu est l'ensemble des symboles, pratiques et croyances traditionnelles. Selon eux, ils furent créés par Nguenechen, un dieu aux quatre composantes :  el Anciano (fucha), la Anciana (kude), el Joven et la Jovena. Ngunechen est le dieu créateur qui contrôle la vie sur Terre : il est à l'origine de toute chose. Selon leurs croyances, les Mapuche sont entourés par les esprits ancestraux (wangulen), les esprits de la nature (Ngen) et les mauvais esprits (wekufe). Pour comprendre la relation entre la culture mapuche et la nature, il est important de comprendre l'idée d’un être suprême bienfaisant, qui aide et protège l’être humain, luttant contre les forces du mal et de déterminer l’importance du concept de Ngen, l'esprit de la nature qui maintient l'équilibre cosmique et protège la faune et la flore. Créatures maléfiques, serpents puissants, oiseaux mythiques, et sorciers malveillants peuplent les légendes mapuches aux nombreuses consonances philosophiques. Figure importante de la culture mapuche aux côtés du lonko (chef), le chef religieux (chaman ou machi) est le porteur des légendes, des croyances ancestrales et des pratiques spirituelles. Il est toujours représenté par son rehue (un totem) et son kultrung (ou cultrún), un tambour, qu'il conçoit en fonction de la force spirituelle que lui confère le Ngunechen. Reconnaissable sur le drapeau mapuche, la forme circulaire du kultrung symbolise l'infini du monde. La croix sur sa surface indique les espaces dans lesquels le monde est divisé et la partie centrale contient le noyau et la force qui maintient l'équilibre entre les espaces verticaux formés par Wenu Mapu (la terre au-dessus), où vivent les divinités bénéfiques et les anciens ancêtres ; Nag Mapu (la terre en bas), où sont tous les vivants et Minche Mapu (la terre en dessous), où vivent les mauvais esprits. Le machi est un homme ou une femme (souvent la femme du lonko) avant tout estimé pour ses talents de guérisseur. Il est le grand connaisseur d'un rite complexe d'action thérapeutique appelé Machitún, une cérémonie destinée à guérir les patients du « mal » qui les frappe. Les machi éliminent les esprits maléfiques, les wekufe, au moyen de prières chamaniques, de percussions de tambour cultrún, de transes, de massages, d'infusions d'herbes médicinales et de danses. La communication rituelle établie entre le machi et son esprit bienfaiteur commence au crépuscule et se termine à l'aube. Cette cérémonie est encore vivace et continue de s'effectuer dans plusieurs communautés. Aujourd'hui les croyances mapuches sont construites sur le principe du syncrétisme, un concept introduit par l'évangélisation chrétienne (une sorte de fusion entre le christianisme et la cosmologie andine).

L'évangélisation

Les conditions de l'évangélisation de l’Argentine, et plus généralement de l'Amérique du Sud, expliquent le christianisme aujourd'hui présent dans toute la région. À la fin XVe siècle, Christophe Colomb se dirige vers l'Amérique au moment où les Rois Catholiques sont engagés dans une entreprise poussée d'évangélisation et de colonisation (avec l'Afrique et Grenade notamment).  Colomb signe avec les Rois Catholiques les capitulations de Santa Fe, autrement dit, il est institué d'un pouvoir politique qu'il est censé déployer dans les lieux qu'il va découvrir. Il est également rebaptisé Christophoros : « celui qui porte le Christ ». Un événement lourd de sens qui annonce la suprématie ibérique et la volonté de porter la religion catholique. Après une Conquête lente et douloureuse, les Espagnols et les Portugais vont se partager la quasi-totalité du continent sud-américain où ils ont réussi à s'implanter notamment grâce à l'Église qui soutint la colonisation. Les colons espagnols mettent en place le système de l’encomienda, pratique de servage consistant en un regroupement sur le territoire de centaines d’individus amérindiens dans le but de les faire travailler sans rétribution et de les évangéliser.

Les jésuites. Parallèlement, des missionnaires jésuites débarquent à la fin du XVIe siècle et appliquent au sein de leurs missions une méthode d'évangélisation plus progressiste en instruisant dans la foi les autochtones tout en les protégeant des chasseurs d’esclaves. Ils arrivèrent tout d'abord en 1593 à Santiago, au Chili, puis les missions se dispersèrent de Chiloé à Nahuel Huapi en passant par les archipels de la Terre de Feu. Plusieurs missions jésuites s’installèrent également dans la province de Misiones, dans le nord-est de l’Argentine, et dans la province de Córdoba au début du XVIIe siècle. Novateurs et particulièrement à cheval sur l’éducation et les arts, les jésuites établirent de véritables villages. Concurrent du système de l’encomienda, le modèle de la mission fait des envieux parmi les planteurs espagnols. De plus, l’ordre de la Compagnie de Jésus, qui choque par sa modernité et ses positions théologiques, tombe en disgrâce en Europe, jusqu’à être dissous par le roi d’Espagne. Les jésuites sont chassés d’Amérique en 1767 et leurs missions détruites. Le beau film Mission (1986) de Roland Joffé, retrace cet épisode dans la région de Misiones. La mission de San Ignacio Mini, à 60 km de Posadas figure parmi les missions jésuites les plus célèbres et est classée à l’UNESCO. On peut toujours contempler les quelques ruines en grès rouge du site qui comprenait autrefois une église, un baptistère, un cimetière, une école, un hôpital et des habitations réservées aux Guaranis. Plus au sud, à Córdoba les jésuites fondèrent six grandes estancias d’élevage et de culture. Classés également au Patrimoine mondial de l’UNESCO, les bâtiments parfaitement conservés peuvent aujourd’hui se visiter.

Les Salésiens – congrégation fondée à Turin par Saint Jean Bosco en 1859 – s'établissent à la fin du XIXe siècle aux abords du Rio Negro avant de s'enfoncer un peu plus en terre patagonne : ils réussissent à s'implanter au niveau du Rio Santa Cruz avant de définitivement lever une mission sur les bords du détroit de Magellan et les archipels de la Terre de Feu. Malgré le climat rigoureux, ils persévèrent, rassemblent plusieurs milliers d’habitants et baptisent les autochtones. Il s'ensuit alors des mariages, des scolarisations et la construction d'orphelinat et de chapelles. Parmi les Salésiens, on distingue notamment le missionnaire et explorateur Alberto Maria de Agostini. Sensible à l'agonie des peuples autochtones qui subissent alors la vague colonisatrice, il leur consacra une grande partie de sa vie, dirigea plusieurs expéditions et écrivit plusieurs ouvrages. À Rio Grande on peut visiter l’ancienne mission salésienne fondée en 1893. Si le rôle des Salésiens a pu être bénéfique pour le développement de la Terre de Feu, qu’ils ont protégé les populations autochtones – les Selknam notamment – des massacres perpétrés par les nouveaux propriétaires terriens et autres chercheurs d’or, cette protection et cette éducation au monde civilisé ont, semble-t-il, paradoxalement accéléré la disparition de ces peuples autochtones. La mission chilienne de l’Isla Dawson en est un des exemples les plus significatifs. Abandonnant leur mode de vie nomade et leur culture, privés de repères et victimes des maladies apportées par les Européens, les populations fuégiennes ont vu leur nombre décliner fortement.

L'influence de l'Église

Élu le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio est devenu le 226e pontife et le premier pape sud-américain. Le pape des pauvres comme le souligne le choix de son nom, François, en référence à Saint François d'Assise. Même si la liberté de culte est reconnue depuis 1853 en Argentine, vous serez vite rattrapés par la réalité du pays en discutant avec les habitants : on se rend vite compte que la société reste très imprégnée de cette culture chrétienne. Et c’est tout récemment qu’une certaine liberté a gagné les sphères politiques, car jusqu'en 1994, le président argentin devait être membre de l'Église. On appelle ce courant le destape (imaginer un bouchon de bouteille que l’on fait sauter !) : un courant plus libertaire circule un peu partout, surtout chez les jeunes. De ce fait, d’après une étude publiée par le Conseil national de recherches scientifiques et techniques du pays, le nombre de catholiques a chuté de 13 % entre 2008 et 2019. De plus, il est important de noter que le christianisme est ici le résultat et le mélange de différentes croyances locales avec la Bible. On retrouve ainsi pas mal de superpositions entre des saints et des figures andines. Souvent, le long des routes, on rencontre les fameux « Santos » porteurs de légendes et de croyances propres aux régions. On distingue notamment la Difunta Correa ou bien le Gauchito Gil, un Robin des Bois des temps modernes, son autel est rouge, recouverts de drapeaux et de foulards de la même couleur. Dans les provinces du nord, notamment du côté des provinces de Salta et Jujuy, vous pourrez entendre parler du « Coquena » qui, selon les croyances indigènes, est un nain protecteur qui veille sur les populations de vigognes et de guanacos. Discret et fugace, il court vite tout en sifflant à travers les montagnes : il est donc bien évidemment très difficile de le rencontrer !