La cuisine des terres

Aux contacts de ses voisins comme la Hongrie ou la Serbie, le centre et l’est de la Croatie présentent des caractéristiques typiques d’une cuisine l’Europe centrale. Le chou, les pommes de terre, les légumineuses et les viandes fumées mijotent longuement. Les soupes et les riches plats en sauce permettent ainsi de lutter contre les hivers froids alors que les produits laitiers sont utilisés abondamment sous forme de crème ou de fromage, aux côtés du blé, de l’orge et du maïs.

Les régions du Gorski Kotar et de la Lika forment une barrière naturelle montagneuse entre les côtes croates et l’est du pays. Dans ces hautes terres, la cuisine reflète les habitudes des montagnards vivant au milieu des pâturages et des forêts riches en gibier et en champignons. Les étés y sont courts, les hivers rigoureux. L'alimentation simple et nourrissante se fonde sur des plats aux cuissons longues comme le lovački gulaš, un ragoût de sanglier accompagné d’une sauce épicée au paprika.

Le nord-ouest de la Croatie s’articule autour de la capitale du pays, Zagreb. Cette région entourée de plaines et de collines offre une grande diversité de produits. Les plats roboratifs utilisent des légumes de saison souvent mélangés à du porc et de la volaille. En hiver, la choucroute accompagne les haricots et les pommes de terre, alors qu’en été on sert des salades de tomate et de concombre frais servis avec de la crème aigre à l'ail et des légumes sautés (courgettes, haricots verts et petits pois). C’est d’ailleurs en cette saison que l’on prépare des conserves pour l'hiver. On trouvera donc, à côté de l'indispensable choucroute, des bocaux de concombres, betteraves rouges et autres oignons au vinaigre. La dinde, l'oie et le canard de la région de Turopolje sont réputés. Parmi les plats célèbres on peut citer le štrukli sa sirom originaire de la ville de Zagorje, au nord de Zagreb. Ce riche plat de pâtes garnies de fromage frais est nappé de crème avant d’être gratiné au four. Le porc et notamment les saucisses constituent un élément central de la cuisine de cette région. On observe par exemple le krvavice, une sorte de boudin noir, alors que la češnjovka, qui pourrait se traduire par saucisse à l'ail, est souvent servie avec de la moutarde. Samobor, petite ville gastronomique près de Zagreb, est fière de ses restaurants. Tous affichent à la carte les fameuses samoborski kotleti, un plat de côtes de porc dans une riche sauce aux herbes, consommé avec des pommes de terre. La très copieuse samoborska kotlovina s’impose comme un plat de fête, où saucisses, bœuf, poulet ou encore gibier sont cuits très lentement, avec des légumes et des champignons, dans une sauce au vin et aux oignons. Le zagrebački odrezak, comme son nom le laisse entendre, est originaire de la capitale croate. Cette escalope de veau roulée est farcie de fromage et de jambon, puis panée et frite.

La Slavonie et la Baranja, principalement composées de plaines fertiles, forment le grenier de la Croatie. On y cuisine des plats complets, des pâtes aux œufs, des plats de volaille et de porc en sauce, des gratins de pommes de terre avec du fromage frais maison, de la crème fraîche, du fromage à pâte dure. Fumé et séché, le porc se décline en jambon, en lard et en saucisses. Les légumes en saumure (poivrons, tomates, concombre et oignons jeunes) appelés turšija sont très appréciés en apéritif. La truite et la carpe sont utilisées pour préparer le fišpaprikaš, une soupe épaisse et légèrement épicée. Le čobanac, dont le nom vient de čobani (fermier en croate), est un ragoût de viande (porc, veau ou gibier) agrémenté de quenelles de pomme de terre.

Enfin, le centre et surtout l’est de la Croatie ont souvent été sous l’influence, voire sous la tutelle de l’Empire ottoman. Ainsi les Turcs et les Bosniaques ont donné le goût des épices et des viandes grillées. Les cevapčići, communs dans tous les Balkans, tirent leur nom du mot turc kebap. Ces petites croquettes allongées de porc haché sont généreusement agrémentées d’oignon et de paprika. Le pljeskavica ressemble à un steak haché, généralement à base d’agneau. On le sert avec des frites et des piments en saumure. Les ražnjićii sont, quant à elles, de petites brochettes de porc ou de poulet épicées.

La cuisine de la côte

Déchiquetée en une myriade d’îles, de golfes, de péninsules et de caps, la côte croate s’étire sur quelque 5 800 km, 1 000 km de plus que la France, pourtant dix fois plus grande. Séparée du reste de la Croatie par les Alpes dinariques, la côte adriatique s’étend de la Slovénie au Monténégro et offre une gastronomie complètement différente de ce que l’on consomme dans le reste du pays. On se régale de cuisine méditerranéenne : légumes, poissons, fruits de mer et crustacés sont cuits à l’huile d’olive et assaisonnés d’ail, de thym, de sauge et de romarin. Les fromages de chèvre ou de brebis, les olives, figues et fruits à coques sont dégustés avec un verre de vin rouge de Dalmatie. La région a été sous domination de la République de Venise pendant une bonne partie de son histoire et les influences italiennes sont indéniables.

On retrouve par exemple en Istrie la maneštra (une soupe de légumes) ou la pašta-fažol (une soupe de pâtes et de haricots blancs) dont les noms ne sont pas sans rappeler le minestrone et les pasta e fagioli, venus d’Italie. Les fuži sont des pâtes en forme de tubes, généralement servies avec une sauce aux truffes et au jambon cru, ou encore avec un ragoût de bœuf. Plus copieux, le mlinci est un pain plat généralement coupé en lanières puis arrosé de sauce et gratiné au four.

En Dalmatie, région qui s’étend de Zadar jusqu’à Dubrovnik, impossible de rater la pašticada, l’un des plats dalmates les plus populaires. Ce ragoût est composé de bœuf, confit pendant plusieurs heures dans une riche sauce au vin doux, à la tomate et à la cannelle, le tout garni de pruneaux. Les anguilles du delta de la Neretva, près de Dubrovnik, simplement grillées, sont également très prisées. Spécialité de la ville de Sinj, les arambašići sont des boulettes de viande roulées dans des feuilles de chou vert. On pourrait croire que chaque île adriatique a sa spécialité mais on apprécie aussi un plat plus rustique, à base d'abats d'agneau grillés à Hvar, Korčula ou Brač. Sinon les nombreux poissons frais (loup de mer, dorade, mérou, maquereau), souvent grillés entiers, devraient combler les amoureux des produits de la mer. Près de la baie de Ston, les huîtres seraient d’ailleurs, selon les locaux, les meilleures du monde. Le crni rižot, le fameux risotto à l’encre de seiche, est également un classique. Les šurlice de l’île de Krk, de longues pâtes tubulaires, sont généralement servies avec une sauce aux fruits de mer. Plus rustique, le viška pogača est une tourte fourrée de poivrons confits et d’anchois ou de sardines, très populaire sur l’île de Vis.

La Dalmatie intérieure fait la part belle à la viande ovine (agneau, mouton), au porc et au gibier qui sont servis avec des pâtes de blé, de la semoule de maïs (polenta), des bouillies de céréales ou des légumes comme les asperges sauvages. Les blettes aident à concocter la fameuse blitva, un écrasé des feuilles vertes et de pommes de terre, que l'on servirait bien à tous les repas. Le soparnik est en-cas très populaire dans cette région qui se présente sous forme d’une fine tourte garnie également de blette et badigeonné d’huile d’olive aillée. La peka n’est pas en soit une recette mais une méthode de cuisson qui trouve son origine en Dalmatie. Ce grand plat creux en terre cuite est garni de viande – généralement porc ou agneau – et de légumes avant d’être fermé par une cloche et couvert de braise. La viande confit ainsi plusieurs heures à feu très doux.

Autre coutume dont la popularité dépasse les frontières de la Dalmatie, la marenda est une sorte de petit déjeuner tardif pris entre 10 et 11h et qui permettait à l’origine aux ouvriers agricoles levés de bonne heure de faire une pause en fin de matinée. On l’appelle gablec dans la région de Zagreb. La plupart du temps, il se résume à un sandwich de charcuterie, poisson ou fromage. Mais on déguste également des plats traditionnels plus copieux comme la soupe de haricots, au lard, au jambon cru ou aux saucisses, ainsi que les tripes (tripice) et le goulasch.

Pain d’épice et autres douceurs

Grâce à ses multiples influences, à la fois slave, italienne et austro-hongroise, la Croatie possède une étonnante palette de desserts. Sur les côtes, les pâtisseries se composent principalement de petits biscuits aux fruits secs et autres entremets délicats, alors que dans les terres les desserts se rapprochent de ce que l’on peut trouver en Autriche et dans le reste de l’Europe centrale avec des préparations raffinées mais copieuses fourrées de crème, et autres viennoiseries aux graines de pavot et aux noix.

S’il y a bien une pâtisserie croate qui mérite une attention toute particulière, c’est le licitar ou cœur de Zagreb. La fabrication de ce pain d’épice, produit dans le nord du pays, est si minutieuse qu’il fut inscrit en 2010 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Dans le nord de la Croatie, les moines qui commencèrent à faire du pain d’épice au Moyen Âge étaient également apiculteurs. Ainsi la recette se compose de farine, de sucre, d’eau, de bicarbonate de soude et bien sûr de miel. À noter que malgré son nom, il ne contient d’ailleurs pas d’épices traditionnellement. Bien qu’ils puissent rappeler Noël et qu’ils soient souvent vendus en hiver, ils sont destinés aux mariages, d’où la forme de cœur. On les décore avec le nom des nouveaux époux et la date de l'heureux événement. Le glaçage et les motifs réalisés à l’aide de colorants alimentaires font toute leur originalité. Ce savoir-faire requiert une certaine habileté et se transmet d’une génération à l’autre depuis des siècles. Ils sont couramment dégustés accompagnés de medica et de gvirc, des boissons à base de miel, proches de l’hydromel, vendues lors des fêtes et des processions religieuses.

Outre le licitar, le nord de la Croatie est riche en spécialités sucrées qui nous rappellent l’hiver comme les medenjaci, des biscuits à la cannelle en forme d'étoiles, de sapins ou de petits personnages, accrochés au sapin de Noël. Le zlevanka, un délicat flan de semoule, est originaire de Medimurje, à la frontière hongroise. Autre spécialité de la région, le très copieux međimurje gibanica, composé de couches de pâte filo, façon strudel, fourrées de pomme, de pavot, de fromage frais et de noix. Pour les grosses faims, donc. Dans le même genre, le bučnica est garni d’une purée de courge sucrée. On retrouve d’ailleurs dans le nord de la Croatie des pâtisseries qui ne sont pas sans rappeler ce qu’on peut déguster dans le reste de l’Europe centrale comme le makovnjača, un gâteau roulé aux graines de pavot, ou le orehnjača, similaire mais fourré d’une purée de noix. Le kremšnita ressemble à un mille-feuilles avec ses couches de pâte feuilletée croustillante fourrées de crème à la vanille. Le plus populaire vient de la ville de Samobor. Les beignets (buhli, krafne) sont souvent servis lors de fêtes religieuses et de carnavals. Enfin le bajadera est à mi-chemin entre le gâteau et la confiserie. Il se présente sous la forme de barres comprenant plusieurs couches de biscuits, de nougat, de crème de noix et de chocolat. C'est un dessert très apprécié dans toute l'ex-Yougoslavie.

En Dalmatie on retrouve la skradinska torta, un gâteau aux noix et à l’orange nappé d’une ganache au chocolat. La rožata est un délicat flan aux œufs originaire de la région de Dubrovnik, parfumé avec une liqueur de rose locale appelée rozalin. La rapska torta est une étonnante tarte en forme de spirale, propre à l’île de Rab, fourrée d’une crème à l’amande et au marasquin. On pense que ce dessert fut servi pour la première fois en 1177 au pape Alexandre III, à l’occasion de la bénédiction de la cathédrale de l’Assomption de Rab. Si vous êtes à Korčula, pourquoi ne pas rapporter des cukarini, ces délicieux anneaux vanillés aux amandes, parfumés d’un soupçon de rakija, une liqueur de raisin. Enfin les paprenjak, des sablés épicés dont la recette remonte à la Renaissance, sont souvent ornés de délicats motifs de plantes ou d’animaux.

Du vin et du kuren

S’il n’est pas possible de tout déguster sur place, rien ne vous empêche de rapporter dans vos valises des spécialités croates. Bien sûr les biscuits cités précédemment feront de délicieux présents, mais il est impossible d’évoquer les produits locaux sans parler des vins de Croatie. Jusqu'à la fin des années 1980, seules deux coopératives étaient autorisées à acheter du raisin pour produire du vin. Une inégalitaire réalité quand on sait que le vin est produit dans la région depuis plus de deux mille cinq cents ans. Depuis l'assouplissement de la législation, quelques régions se distinguent par la classification de leurs vins avec un label de qualité comparable au système de l'AOC. Attention toutefois car les vins croates sont parfois plus forts que leurs homologues français, tirant jusqu’à 15 degrés d'alcool. Les meilleurs crus proviennent de l'ouest de la Croatie. D'une manière générale, les vins de Slavonie sont plus souvent des blancs légers et secs proches de ce qu’on retrouve en Hongrie ou en Autriche, alors que les vins d’Istrie et de Dalmatie du Sud sont souvent des rouges plus capiteux. La côte croate est le terrain idéal pour la culture de la vigne grâce à l'aridité du sol, l'ensoleillement garanti et l'air iodé. Ces bonnes conditions phytosanitaires ont donné naissance à des vins tanniques originaux. Sur la presqu'île de Pelješac, la région viticole des Plavac Mali, Dingač et autres Poštup rivalise avec le Teran istrien. En Istrie, au climat plus tempéré, les vins sont plus légers et plus subtils. Parmi les plus réputés figurent le Poreški merlot, le Teran, le Malvasia Istarka, le cabernet sauvignon Poreški.

Parmi les vins cuits, impossible de ne pas citer le prošek que les Romains connaissaient déjà sous le nom de vinum sanctum. On le boit généralement en dessert. Malgré son nom il n’a rien à voir avec le prosecco italien, qui est un vin pétillant. Dans la région de Zadar, le marasquin (maraschino) est un alcool de cerise, qui se boit frais à l'apéritif. La Croatie et l’Italie se disputent d’ailleurs la paternité de cette liqueur. En guise de digestif, on ouvrira une bouteille de šljivovica, une eau-de-vie de prunes, à moins que l’on préfère la rakija, à base de raisin, très populaire dans le reste des Balkans.

Mais les alcools ne sont pas les seules productions de qualité que compte la Croatie. On retrouve aussi des huiles d’olive excellentes dont quatre bénéficient d’une dénomination d’origine protégée (DOP) : la šoltansko maslinovo ulje, la korčulansko maslinovo ulje, la krčko maslinovo ulje et la ekstra djevičansko maslinovo ulje. On peut même visiter certaines caves, comme celle du colisée de Pula, qui – chose rare – sont ouvertes au public. Les propriétaires du domaine Chiavalon, les deux frères Sandi et Tedi, quant à eux, ont planté des milliers d’oliviers et restauré la ferme familiale avec un design contemporain. On retrouve également du miel de montagne (planinski med) corsé, gorgé des arômes de sauge, de mélisse et de romarin. Pour ceux qui préfèrent le salé, la Croatie possède une vaste gamme de charcuterie et de fromages très savoureux : le dalmatinski pršut (jambon fumé de Dalmatie), l’istarski pršut (jambon fumé d’Istrie), le šunka (jambon de Slavonie) ou encore le kulen (saucisson sec légèrement pimenté). La samoborska muštarda est une moutarde légèrement adoucie d’une pointe de marc de raisin, produite à Samobor. Enfin il ne faudrait pas oublier le paški sir, un fromage de brebis fabriqué sur l’île de Pag, ainsi que les truffes blanches d’Istrie que vous pourrez rapporter conditionnées en bocaux (bijeli tartuf), sous la forme de condiments ou d'huiles parfumées.