Chanteurs traditionnels de Dalmatie sous le dôme de la cathédrale de Split. © Cpifbg13 - shutterstock.com.jpg
Musiciens croates en costume traditionnel. © Ivan Smuk - shutterstock.com.jpg
Le groupe Foals en concert au 14e festival INmusic au bord du lac Jarun à Zagreb, 2019. © Goran Jakus- shutterstock.com.jpg

La klapa, musiques et danses traditionnelles

La Klapa est la musique traditionnelle des régions méridionales de Dalmatie. Les hommes se tiennent par les épaules en demi-cercle et chantent l’amour du pays et de la mer, a capella ou accompagnés d’une mandoline ou d’un harmonium,  s’exprimant tour à tour à mi-voix, le plus souvent dans une tessiture élevée. Un autre trait distinctif de la klapa est son penchant à chanter sans notation écrite. Les amateurs héritent de la tradition de leurs prédécesseurs. Les communautés locales y voient un pur héritage dalmate, un peu comme les polyphonies corses ou les chants basques, que les Klapa Ikson ou Klapa Cakulone (sept femmes) perpétuent. Dans les versions actuelles, les chants s'accompagnent d'une orchestration omniprésente et de lourds arrangements. Ainsi chantent Tomislav Bralić & Klapa Intrade ou encore Klapa S Mora, le groupe qui a représenté la Croatie à l’Eurovision 2013. Les chanteurs de rue écument souvent les terrasses des cafés-restaurants les meilleurs ensembles se produisent au festival Dalmatian Klapa (Omiš), qui accueille des groupes nationaux et de la diaspora. Ce festival prestigieux a lieu chaque année, depuis 1966,  en été, tout le mois de juillet, en plein air et la meilleure formation reçoit un prix. Fin avril, à Dubrovnik, le festival Aklapela de chants dalmatiens célèbre également cette musique avec des concerts au Lazareti.

En plus de la klapa, deux autres musiques traditionnelles croates, d'origine rurale, sont inscrites sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco avec le chant ojkanje. La première, la musique d’Istrie, se caractérise par une gamme fondée sur une échelle de six notes, unique au monde. Chanteurs et instruments à vent se répondent sur des pièces à deux voix. Souvent improvisés, ces chants ont réussi à se pérenniser grâce à une communauté de musiciens, qui se les transmettent oralement. La seconde tient sa spécificité à une technique particulière d’interprétation qui vient du fond de la gorge. Le chanteur produit un tremolo pendant que ses compagnons l’accompagnent, jusqu’à ce que l’interprète principal n’ait plus la force de continuer. Très peu de villages de Dalmatie pratiquent encore cet art si exigeant ; cette musique aux harmonies discordantes a de moins en moins d'adeptes.

Les festivals authentiques de musique folklorique croate sont souvent liés à une fête religieuse ou locale. Rares sont les villes ou villages qui n’ont leur troupe prête à animer les églises, salles de concert et places publiques. Ainsi au village de Čilipi, près de Dubrovnik, tous les dimanches matin, un groupe municipal se produit (musique, danse, costumes). Les festivités autour de Noël et Pâques invitent souvent un spectacle folklorique, mais également les fêtes patronales comme la Saint-Blaise à Dubrovnik en février. Les festivals d’été (Summer Festival) organisés dans les villes le long de la côte et des îles croates incluent également du folklore au programme.

Les danses traditionnelles croates restent un patrimoine culturel vivant que l’on transmet aux enfants et aux jeunes gens. Si dans les montagnes et l’arrière-pays dalmate (sphère culturelle dinarique), la ronde muette (nijemo kolo) ou ronde dite de Vrlika, Lika ou Sinj est une danse typique avec pas, sautillements, sans musique, qui apparaît un peu austère. Dans le nord-ouest et le centre de la Croatie, le drmeš s’exécute en couple ou en petites rondes, accompagné d’un petit orchestre d’instruments à cordeaux (guci). La danse populaire caractéristique de la Slavonie et de la Baranja se danse aussi en ronde (kolo) pour les mouvements de groupe sur les accords de la cornemuse (gajde) puis de la tamboura, une sorte de luth. En Istrie et dans la région du Primorje, on sort les bombardes pour donner le tempo aux chants et danses de groupe, que l’on nomme balun et tanac des sopele (roženice). À la mi-juillet, vous trouverez les meilleures troupes de folklore du pays et du monde entier. Le Festival folklorique de Zagreb est devenu la plus grande scène croate pour la musique traditionnelle. Chaque année, en été, les représentations ont lieu sur des scènes en plein air ou dans des salles de spectacle. Le festival d’été de Dubrovnik propose lieu une variété de styles musicaux, avec toujours des spectacles de folklore croate.

L’évolution de la musique classique

La musique classique croate a d’abord été dominée par les figures vocales puis, la période classique a vu naître les premières grandes compositions instrumentales. À partir du XIXe siècle, le cœur de la vie musicale s’est ensuite déplacé plus au nord. Le plus vieil établissement musical du pays, le Musikverein (devenu le Hrvatski glazbeni zavod – HGZ), a été créé à Zagreb en 1827. Cette société a offert à la ville sa première salle de concert en 1876.

L’Orchestre philharmonique de Zagreb (Zagrebačka filharmonija), créé en 1871, a joué dans quasiment tous les pays d’Europe, en Russie, aux États-Unis, au Mexique et au Japon. Il participe régulièrement au Dubrovnik Summer Festival et à la Biennale musicale de Zagreb, le prestigieux festival de la capitale.

Le compositeur Blagoje Bersa a marqué de son empreinte la musique moderne croate. Très influencé par Mahler et Strauss, il a offert au public des œuvres pour piano puissamment conçues et d’une riche diversité. Par la suite le courant « néo-national » a trouvé ses chefs de file avec les compositeurs Josip Štolcer Slavenski, Krešimir Baranović (aussi chef d’orchestre de l’Opéra de Zagreb) et Jakov Gotovac, auteur du plus populaire des opéras croates (Ero de l’autre monde). En été, Zagreb propose de nombreux concerts en plein air, surtout dans la ville haute. Plusieurs villes ont leurs festivals d'été, Dubrovnik bien sûr, mais aussi Split, Zadar, dans la basilique Saint-Donat, à l’acoustique parfaite, le festival de Musique de chambre de Dubrovnik, les Soirées musicales de Saint-Donat à ou Varaždin et ses Soirées baroques dans la cathédrale.

En lyrique, le jeune Max Emanuel Cenčić, qui s’est produit en public pour la première fois à l’âge de 6 ans, est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs contre-ténors. Les Solistes de Zagreb ont commencé leur carrière en 1953 comme ensemble de la radiotélévision, sous la direction artistique du violoncelliste et chef d’orchestre italien Antonio Janigro. Cet orchestre de chambre est l’un des plus remarquables sur la scène internationale. En 2011, le violoncelliste français Marc Coppey fut nommé directeur artistique. Avec plus de soixante-dix albums studios à leur actif, les Solistes de Zagreb conservent un large répertoire classique tout en s’intéressant au contemporain. Au printemps 2022, le BBC Symphony Orchestra, avec l’interprétation vive et expressive de Sakari Oramo, nous a fait découvrir une pianiste compositrice croate, Dora Pejačević (1885-1923), injustement tombée dans l’oubli.

Des villes de théâtre et de danse

Dans la capitale croate, tous les styles artistiques sont représentés : comédies musicales, drame, opéras, ballets classiques ou même spectacle de marionnette. Le Théâtre national croate (CNT) et sa façade néobaroque jaune vif est la référence de la ville. Fondé en 1860 par Dimitrije Demeter, le théâtre a accueilli les plus grands artistes croates et a initié des réformes qui ont permis au théâtre croate de trouver un nouveau souffle. De nombreuses soirées musicales y sont régulièrement programmées. Le théâtre Komedija propose lui des opéras-comédies et des comédies musicales, comme Mamma Mia ou Jesus Christ Superstar. Des œuvres dramatiques, plutôt contemporaines et classiques, se jouent au théatre de Gavella alors que le théâtre de la Jeunesse de Zagreb assure des formations artistiques pour les plus jeunes, avec une volonté marquée de s'emparer ou créer des œuvres originales, engagées et parfois controversées. Au théâtre de Marionnettes de Zagreb, l'offre alternative s'adresse aux enfants, mais pas seulement. Les adultes y trouvent aussi une expression poétique qui attire toute la famille. À cela s'ajoutent les Jeux d’été de Dubrovnik, créés en 1950 et le festival d’Été de Split, initié en 1954, qui apportent par leur rayonnement une dimension internationale au théâtre croate.

Depuis 1949, Zagreb possède une École de danse classique. Elle a essaimé pour offrir aujourd’hui plusieurs compagnies prestigieuses : la Compagnie de danse de Zagreb, le Studio de danse contemporaine et l’Ensemble de chambre de danse libre. Tous les ans la semaine de la danse contemporaine de Zagreb, un festival international créé en 1984, participe au dynamisme de la scène croate du ballet. Une scène particulièrement vivante, puisqu’en plus de Zagreb, les villes de Split, de Rijeka et d’Osijek possèdent également des troupes de ballet permanentes.

La musique populaire et le rock

Le rock yougoslave était une industrie florissante et structurée avant l’explosion de la Fédération de Yougoslavie, qui en a provoqué la chute. L’histoire de la pop et du rock croate est fortement liée à celle du label Jugoton. Créé en 1947, celui-ci était la plus grande maison de disques de l’ex-Yougoslavie. Basé à Zagreb, le label a édité quantité d’artistes pop rock. Véritable entreprise d’État, il possédait ses studios, sa radio, sa propre usine de pressage, son réseau de magasins. L’une des particularités de Jugoton est d’avoir su signer, à côté de la musique mainstream, de nombreux groupes punks et new wave, peut-être pas les plus radicaux, mais qui interpellaient parfois le pouvoir en place. À l’approche de la guerre, le label est privatisé et devient propriété de l’État croate après l’éclatement de la Yougoslavie. La société est débaptisée pour devenir tout simplement Croatia Records, un nom simple qui marque l’enracinement de l’ex-Jugoton à la jeune nation croate.

Lorsque les crises politiques surviennent, toute prise de position affecte la société tout entière et influence bien souvent les œuvres artistiques. Lorsque la crise est survenue dans les Balkans, les artistes ont dû faire des choix : s’opposer au régime nationaliste ou lui servir d’étendard.

Des artistes émigrent à l’Ouest comme Branimir Stulić, auteur-compositeur du groupe Azra, originaire de Zagreb, ou encore Dušan Kojić Koja, bassiste et chanteur du groupe alternatif de Belgrade Disciplina Kicme. À l’inverse, d’autres musiciens, comme ceux de Prljavo Kazaliste, vont revendiquer fièrement leur soutien aux nationalistes. Les musiciens croates contemporains, en dehors de leurs frontières, ont eu du mal à faire entendre leur différence, à l’image de ladno Pivo (bière froide), l’un des groupes de hard rock les plus connus. Quant à Marko Perković, sa dérive vers le rock d’extrême droite lui vaudra d’être qualifié de fasciste... mais il est tout de même resté très populaire. Engagé dans la guerre en 1991, armé d’un fusil Thompson, il s’est fait connaître avec sa chanson « Bojna Čavoglave », qui redonnait le moral aux soldats. Symbole de la lutte croate pour l’indépendance, ce fervent catholique chante l’amour pour Dieu, la famille et la patrie avec outrance.

Pendant l’ère Milošević, le rock s’est fait souterrain. La paix revenue, il a repris mais sans rencontrer le même succès. La pop et la dance ont pris le relais. En 1989, le groupe Riva remporte la victoire au concours Eurovision de la chanson avec la chanson « Rock Me ». Oliver – Oliver Dragojević – est l’un des chanteurs croates les plus populaires depuis les années 1970. Ses hits les plus célèbres sont « Cesarica », « Luce mala » (Petite Lucie) et « Moje prvo pijanstvo » (Ma première ivresse). Décédé en juillet 2018, il demeure pour tous l’un des fondateurs de la chanson dalmate. Severina est le sex-symbol de Croatie, autant connue pour sa musique que pour son physique. Gibonni avait commencé dans un groupe de heavy metal, puis a fait évoluer son style vers une pop rock rappelant parfois Peter Gabriel et Genesis. Qu’il compose pour lui ou pour les autres, ses chansons sont particulièrement appréciées en Croatie. INmusic, qui se tient en juin sur le lac Jarun à Zagreb, est le plus grand festival de rock indé de Croatie, avec toujours des têtes d’affiche internationales, sans oublier de faire jouer des groupes locaux en première partie. Cependant, on constate que le formatage des musiques actuelles internationales est venu remplacer les groupes rock yougoslave alors que la variété ou la chanson croate romantique est toujours sur les ondes.

Rap et hip-hop

Quelques artistes rap et hip-hop ont aussi acquis une certaine reconnaissance : The Beat Fleet a débuté à Split en 1992 en enregistrant trois titres dans leur garage, les radios locales ont suivi. En 1997, ils sortent leur premier album et sont depuis une référence dans le milieu hip-hop croate. Au nord, c’est le collectif Zagreb Elemental, composé de sept membres, qui joue un rôle important. Les Zaprešić Boys, eux, se sont imposés comme un groupe de rock-rap supporter du Dinamo de Zagreb. Ils sont le symbole d’un patriotisme ultratransposé dans le football. En revanche, Edo Maajka, le rappeur de la capitale, est lui ouvertement antifasciste.

Clubbing et turbo-folk

Alors que le rap trouvait son public, le phénomène clubbing a pris en Croatie dans les années 1990, avec de plus en plus de beach bars et de clubs organisateurs de soirées, et des festivals tout l’été sur des plages entièrement dédiées à la culture dance. Ultra Europe est l’édition européenne du célèbre festival dance, qui a lieu chaque année en Croatie, où il investit le stade Poljud de Split pour y recevoir les plus grands noms de l’EDM, de la house et de la techno. De nombreuses autres soirées sont aussi organisées, dont l’Ultra Beach Party (île de Hvar), la Regatta Beach Party sur l’île de Brač. Le turbo-folk a aussi pris racine au cours de ces années-là, en même temps que disparaissait l’unité yougoslave, au profit des nationalismes serbes, croates et bosniaques. Ce style musical est controversé en Croatie, principalement dû au fait qu’il s’identifie principalement à la partie orientale de l’ex-Yougoslavie. Pourtant, malgré toutes les controverses et une qualité très inégale, il est très populaire dans le pays. Il existe un embargo sur les médias, ce qui signifie que le genre est banni de la plupart des chaînes de télévision et de radio, mais les clubs qui jouent du turbo-folk ne désemplissent pas. Indissociable de son contexte d’émergence, le turbo-folk rime invariablement avec la montée des nationalismes. Beaucoup plus cool : la scène reggae croate, avec ses formations emblématiques comme So ! Mazgoon, un petit groupe écolo qui met en avant les riddims et percussions tropicales, l’amour de la nature. Zinedin Zidan – c’est leur vrai nom – célèbre le roots made in Split alors que les Zagrébois Brain Holidays ont eu la chance d'enregistrer en 2020 leur cinquième album au Tuff Gong Kingston, le légendaire studio jamaïcain de Bob Marley.