Site de Salona ©  ansharphoto - Shutterstock.com .jpg
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Trésors antiques

Sur l'île de Hvar, le port de Stari Grad, ancienne Pharos, fut une puissante colonie grecque, où des techniques urbanistiques et agricoles hellénistiques se sont implantées dès le IVe siècle av. J.-C.  dans la plaine agricole environnante. Classé au patrimoine mondial depuis 2008, le système de muret en pierres sèches suit toujours le tracé du cadastre antique. La Croatie doit son urbanisation au savoir-faire romain. De l’Illyricum, riche province qui incluait l'Istrie, on peut encore admirer de superbes bâtiments historiques. Pula regorge de monuments parfaitement conservés, l'arc de triomphe, la porte des Serge, qui inspira des maîtres italiens, Michel-Ange et Palladio, le temple d’Auguste, l'amphithéâtre, l'un des plus vastes du monde. Des agglomérations croates comme Poreč ou Zadar se sont établies sur le plan du damier romain et leur decumanus est souvent resté l'artère principale que l'on foule aujourd'hui. Routes, ponts, grandes exploitations agricoles, aqueducs et thermes forment un complexe antique que l’on peut admirer en Dalmatie centrale sur le site archéologique de Salona (Solin), où naquit Dioclétien autour du 22 décembre 244. À Split, l'empereur romain s'est fait construire un palais (38 000 m2), le plus vaste ensemble antique du pays, admirablement restauré, qui vit toujours comme le cœur névralgique de la cité. Une véritable cité close, avec diiferents parties à visiter, des appartements privés, des bâtiments militaires, des édifices religieux, dont l’ancien mausolée de Dioclétien, qui servira de base à la cathédrale Saint-Domnius, des commerces, une citerne, un péristyle.

Malgré les persécutions, le culte chrétien se répand à partir du IVe siècle sur le littoral et dans la plupart des grandes villes romaines. À cette époque, l’Empire romain d’Occident est supplanté par celui d’Orient dont l’influence marque profondément l’architecture religieuse du pays. Au carrefour des grandes puissances, la Croatie est convoitée par les deux grands empires carolingien et byzantin. Les Francs et leurs églises monumentales à triple abside se sont surtout implantés en Istrie et à l’intérieur des terres, comme en témoignent les vestiges de l’église du Saint-Sauveur à la source de la rivière Cétina. Les Byzantins sont davantage présents sur le littoral et dans les îles. Leurs édifices religieux sont couvertes de rotondes comme à Split (Eglise de la Sainte-Trinité. Parfois ces deux influences se rejoignent comme dans l’église Saint-Donat de Zadar. Son déambulatoire et ses trois absides sont de style carolingien tandis que sa rotonde, donnant accès à des annexes latérales, est d’inspiration byzantine.

En Istrie, le chef-d’œuvre byzantin est sans conteste le vaste complexe épiscopal de Poreč. Il se compose d'une basilique euphrasienne, une sacristie, un baptistère, un campanile et le palais épiscopal. Dans l'église, les murs de l'abside sont ornés  de magnifiques mosaïques où apparaissent, parmi les figures hiératiques, l'évêque Euphrasius, aux côtés de Saint Maur de Parentium. Ce sanctuaire du VIe siècle est aussi distingué par l'Unesco depuis 1997.

Du haut Moyen Âge à l’époque romane

À partir du VIe siècle, les premiers ordres monastiques se développent également en Croatie et dotent le pays de nombreux monastères et oratoires. La transition vers l’art roman se fait par le réemploi de matériaux et techniques antiques sur lesquels s'appliquent les savoir-faire locaux sur les décors de pierre ciselée ou les mosaïques tout en entrelacs et volutes. À l’époque romane, on reconstruit les basiliques paléochrétiennes en les parant d'éléments d'inspiration italienne. L’église Saint-Chrysogone de Zadar, avec sa superbe crypte et sa nef rythmée de colonnes et piliers à faisceaux, porte la marque toscane, tandis que le campanile de Sainte-Marie, avec ses chapiteaux supportant des voûtes d’ogives, lui, est lombard. La cathédrale Saint-Laurent de Trogir, l'un des chefs-d’œuvre de l’art roman croate, est doté d'un portail ouvragé par le grand sculpteur Radovan.

Avec  sa position géographique stratégique, entre Orient et Occident, la côte adriatique est très convoitée, surtout par la puissante Venise qui va apposer sa marque dans de nombreuses villes qui connaissent un réel essor. Souvent, le lion de Saint-Marc trône en façades des édifices municipaux et autres loggias édifiées autour de places publiques.

Du style gothique à la renaissance

Le premier gothique apparaît dès le XIIIe siècle et trouve sa plus belle réalisation en la cathédrale de Zagreb, qui fut reconstruite sur un plan rappelant celui de la cathédrale de Troyes. Les ordres monastiques – cistercien et franciscain notamment – participent à l’essor de ce style, particulièrement représenté sur le portail de la cathédrale de Zadar et sur l’autel de la cathédrale Saint-Domnius de Split. À Poreč, c’est une architecture gothique civile qui se développe. Notons la Goticka Kuca, une maison aux fenêtres à colonnes, celle des Deux Saints et surtout sur la place de la Nation, l'hôtel de ville dressé sur une élégante loggia.

La Renaissance est marquée par l’avènement d’une école dalmate qui prône l’intégrité du matériau (pas de couleurs, un type de pierre unique pour l'extérieur et l’intérieur), l’unité entre architecture et décor. Celui-ci doit être sculpté sur les éléments mêmes de la construction sans mortier avec une méthode d’assemblage innovante. Les grands travaux de la cathédrale de Šibenik, démarrés à la période gothique, se poursuivent eux sur la base des principes du bâtisseur-sculpteur en chef, Georges le Dalmate, maître d'œuvre d'une frise murale de soixante-douze têtes en haut relief très expressive. L'édifice sera achevé par Nicolas le Florentin, déjà à l’origine du portail aux Lions de style gothique aux motifs floraux et de l'ensemble sculptural qui décore la chapelle du Bienheureux-Jean-de-Trogir. Ce mélange gothico-renaissance est visible au palais Sponza de Dubrovnik, dans la vieille ville avec ses arcades, son fronton Renaissance et son premier étage gothique flamboyant. Dans l'ancienne Raguse, les principaux de l'architecture de la renaissance vont surtout s'afficher dans les élégantes villas et les résidences balnéaires que se construisent nobles et marchands. Loin du tumulte de la ville, on s’y retire pour communier avec la nature très présente. Se développe alors un véritable art des jardins. Clos par des murs, ils abritent des essences variées et constituent de véritables oasis de paisible verdure. Mais cette période est aussi marquée par la pression constante de l’Empire ottoman qui convoite les terres croates. On construit alors de nombreuses forteresses selon des codes bien définis : plan carré avec tours cylindriques, murs plus épais et plus bas pour résister à l’artillerie, présence de plateformes pour supporter les canons. Ston se dote d’une des plus longues fortifications d’Europe (quarante tours, cinq forteresses) mais l’une des plus remarquables architectures défensives est à voir dans la région de Zagorje, au château de Veliki-Tabor, qui présente cinq tours semi-circulaires monumentales et trois étages d’arcades toscanes, ouverts sur une cour ovale.

La Croatie baroque

Art total, le baroque intervient autant sur l’architecture, la sculpture que sur l’urbanisme. La cité fortifiée d’Osijek est ainsi entièrement dessinée, à l’image des grandes places fortes de l’Empire austro-hongrois sous l’influence duquel se trouve désormais la Croatie. Dubrovnik porte également la marque de ce style opulent. Touchée par un séisme en 1667, ses palais gothiques et renaissance sont remplacés par des créations baroques, comme sur le Stradun (« grand-rue » en vénitien) dont on peut admirer l’unité architecturale avec ses façades de calcaire blanc. Le baroque va être très largement diffusé par les Jésuites, alors en pleine bataille idéologique de la contre-Réforme. Pour construire leurs édifices, les religieux font appel à des artistes italiens ou autrichiens qui ajoutent leur patte dans les cathédrales Sainte-Catherine de Zagreb ou celle de Varaždin, une ville de Slavonie considérée comme la capitale du baroque. Stucs, sculptures dorées et colonnes torses y sont utilisés en abondance. À Dubrovnik, l’Italien Andrea Pozzo érige l’église Saint-Ignace, l’un des plus beaux complexes flamboyants de la côte. Les églises de pèlerinage se développent également, comme l’église Sainte-Marie-de-Jérusalem à Trški Vrh (Krapina). Son clocher, avec ses nombreux décrochements et son bulbe tout en mouvement,  sa nef monumentale ainsi que ses coupoles en font un chef-d’œuvre du baroque occidental. Les savants jeux de lignes convexes et concaves sont l’une des grandes caractéristiques de ce style.

Du néoclassicisme au modernisme

Le XIXe siècle marque un renouveau urbanistique en Croatie. De nombreuses fortifications sont démantelées et remplacées par des promenades et jardins, tandis que les cœurs de ville se dotent de nouveaux édifices municipaux et culturels. A Zagreb, la ville basse classique va s’organiser autour du « fer à cheval » de Milan Lenuci, soit une suite d’espaces verts en forme de U, jalonnée d’édifices publics imposants tels le Théâtre national et l’Académie croate des arts et des sciences. Parallèlement, un puissant courant historiciste se traduit par l’apparition des styles « néo ». Le néoclassique est porté par l’architecte Bartol Felbinger, à qui l’on doit de nombreux hôtels particuliers et le palais du baron Vrkljan à Janusevec, près de Zagreb, dont on admire la façade décorée d’atlantes et la vaste loggia sur colonnes. L'Autrichien Herman Bollé, lui, va développer un style éclectique, dont le somptueux cimetière de Mirogoj à Zagreb. Fruit de l’urbanisme moderne et d’un style néo-renaissance, il impressionne par les dimensions monumentales de son entrée, son mur d'enceinte pensé tel un rempart et son intérieur où des arcs cintrés et des colonnes se déploient à l’infini.

Le début du XXe siècle sera marqué par la Sécession viennoise. Cette version autrichienne de l’Art nouveau utilise de manière plus systématique les formes géométriques. Parmi les grandes réalisations de style en Croatie, les immeubles de l’avenue de l’Europe à Osijek, dont le cinéma Urania et surtout le bâtiment des Archives nationales à Zagreb, fonctionnel mais richement décoré, conçu par Rudolf Lubynski. Viktor Kovačić, disciple du Viennois Otto Wagner, célèbre pour son usage des lignes épurées et des volumes géométriques, va progressivement glisser vers le modernisme. Rompant avec l’historicisme du siècle précédent, il s’intéresse aux nouveaux matériaux de construction comme le béton armé, ce dont témoignent les formes pures de la Bourse de Zagreb. Les villas Pferferrmann et Krauss sont construites dans les années 1930. La première avec ses surfaces lisses et son toit rectiligne est caractéristique du fonctionnalisme radical. La seconde, largement influencée par l’œuvre de Le Corbusier, placée sur ses étroits piliers, semble comme en lévitation.

Depuis 1945, des architectes ambitieux

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les architectes de l’école de Zagreb tentent de faire la synthèse entre les courants fonctionnalistes et organiques. Mais il est difficile de sortir des lourds codes collectivistes du socialisme soviétique. Le musée d’Art contemporain de Zagreb, du cabinet de l’architecte Igor Franić (né en 1954), fut l’un des rares grands projets publics réalisés durant cette période. Dans les années 1960, Novi Zagreb sort de terre. La création de cette ville nouvelle a été largement influencée par les principes novateurs de Le Corbusier. Pour l'habitat collectif, l'ère moderne, en milieu urbain, fera massivement usage du béton armé.

Aujourd’hui, tout en gardant un profond attachement au passé, la nouvelle scène architecturale cherche à briser les carcans formalistes et produit des œuvres souvent très minimalistes. L'architecte le plus célèbre de Croatie, Nikola Bašić, est originaire de Zadar. Son œuvre est liée à la mémoire de la nation, au respect du patrimoine, à la célébration de la nature. Il utilise souvent la pierre blanche de Brač ou les matériaux locaux. De 1993 à 1998, sur l'île d'Okit, au large de Vodice, il élève la chapelle Notre-Dame du Carmel, dont le minimalisme fait référence aux églises paléochrétiennes. On lui doit également le Champ de croix sur l’île de Kornat (2010), puissant mémorial aux soldats du feu qui ont péri lors de la « tragédie de Kornati » en 2007. Ces croix, de 25 m de long et 15 m de large, ont été construites à main d’homme, selon les techniques traditionnelles des murs en pierres sèches. En 2005-2008, le réaménagement du port de Zadar lui donne l'opportunité de concevoir deux installations urbaines très originales. D’un côté, les Orgues maritimes, qui fonctionnent grâce à des tubes immergés dans la mer, sont logés sous les marches monumentales du quai. Elles produisent une musique sérielle, qui se renouvelle au gré des vagues plus ou moins fortes. De l’autre, le Salut au soleil utilise l’énergie solaire pour animer un cercle au sol, de 22 m de diamètre. La nuit tombée, le cercle renvoie un jeu de faisceaux lumineux aux multiples couleurs. En 2020, son bureau d'architecture livre un hôtel de luxe sur l'île dalmate de Dugi Otok. En parfaite harmonie avec son environnement naturel, la Villa nai 3.3 est creusée dans une colline sous une oliveraie centenaire. Elle semble littéralement sortir de terre.

L’agence d’architecture 3HLD, basée à Zagreb, est également très prolifique. On lui doit le Memorial Bridge de Rijeka, promenade piétonne symbolisant le chemin de la nation vers l’indépendance, mais aussi la V2 House, superbe villa conçue pour maximiser les ouvertures sur l’océan, l’aquarium d’eau douce de Karlovac quasiment enfoui dans l’herbe ou l’aménagement élégant du bord de mer à Rovinj. Autre résidence étonnante, la villa Gumno à Krk. Géométrique et minimaliste, elle impressionne par son étonnante terrasse tout en angle surplombant l’entrée de la maison. On peut citer par ailleurs, sur l’île de Vis, la villa Issa Megaron de l’agence PROARH pour son originalité. Incrusté dans les anciens murs de pierres, cet hôtel de luxe construit en béton et en verre semble se fondre dans la colline. Ses toits et terrasses ont été recouverts de pierres et de plantes pour parfaire l'inclusion dans la nature. Une maison qui n’est pas sans rappeler certains habitats des peuples premiers.

Dans une autre perspective, le pont de Pelješac, le plus long de Croatie (2,4 km de long pour 55 m de haut) fut ouvert aux usagers de la route en juillet 2022. Financé à 80 % sur des fonds européens, le projet croato-chinois aboutit à cette œuvre majeure de la politique territoriale. Le pont réunifie la péninsule au reste de la côte adriatique, entre la plage de Komarna et les rochers de Brijesta, ce qui évite de passer par le pays frontalier, qui n'est pas dans l'espace Schengen. De fait, si côté Croatie, on se félicite de la prouesse technique de ce pont majestueux, côté Bosnie-Herzégovine, les habitants de Neum notamment, on craint qu'il entraîne localement une baisse de la fréquentation touristique.