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Zadar et son église Saint Donat © DarioZg - Shutterstock.com.jpg
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La Croatie hellénistique et romaine

Dans L’Odyssée, Homère choisit l’île de Mljet (Dalmatie du Sud) pour le repos d’Ulysse. Le héros navigateur y séjourne avec Calypso pour oublier Ithaque. Du mythe à la réalité, alors que les Illyriens peuplent l’intérieur de la terre insulaire, le port de Polače, blotti au fond d’une baie abritée, sert de mouillage aux marins romains, qui y fondent un village au Ier siècle, avec un palais. Des pans de murs en bel opus reticulatum tiennent encore debout.

L’île de Vis (Dalmatie centrale), connue des Grecs sous le nom d’Isa, avec son port du même nom, était déjà un point stratégique au IVe siècle av. J.-C. Une tête en bronze d’Artémis, conservée au musée archéologique, est un exemple de cet art hellénistique raffiné. Mais lors de la première guerre d’Illyrie, en l’an 229 av. J.-C., Démétrios de Pharos livre l’île aux Romains qui y instaurent leur premier protectorat. L’aventurier des mers est né dans sur une île voisine, l’actuelle Hvar. Ces primo-habitants, forts bien organisés, ont laissé sur place une influence durable dans l’écriture, la frappe des monnaies, le commerce, la viticulture, l’oléiculture. Entre Stari Grad et Vrboska, la campagne paisible n’a jamais cessé de donner ses fruits. Depuis sa première colonisation grecque, la plaine a gardé la même occupation des sols. Les parcelles géométriques délimitées par des murs de pierres sèches, les petites constructions, abris de jardin, que les paysans ont retapés avec soin : rien n’a changé. Le système de récupération des eaux de pluie avec citernes et petites rigoles fonctionne toujours. Le site nommé Ager fertile est déclaré réserve naturelle et classé par l’Unesco depuis 2008.

Un savoir-faire agricole qui perdure, une organisation administrative en marche

En Dalmatie comme en Istrie, les Grecs puis les Romains ont introduit l’œnologie et l’ostréiculture sur ces terres ensoleillées. Aujourd’hui, des paysans entreprenants reprennent les méthodes antiques pour produire des vins doux, des huiles aromatisées. Par exemple, le vin de Pharos, que l’on produit à Bastijana (Jelsa/Hvar) ou ce cépage rouge croate, à base de plavac, qui repose une à deux années dans un chai sous-marin, de 18 à 25 m de profondeur. En température constante, les bénéfices de l’immersion du vin en cours de fermentation étaient déjà connus à l’époque antique. Au domaine viticole Edivo Wine situé à Drače (Pelješac), on organise des sorties en mer pour approcher les amphores, entreposées dans l’épave d’un bateau ancien.

Sur l’île de Korčula (baie de Lumbarda), on a découvert un texte grec sur un fragment de pierre gravée, qui remonterait au IVe ou au IIe siècle av. J.-C.
Ce décret de loi (psephisma), l’un des plus anciens jamais trouvés en Croatie, régissait le régime de propriété des colons. Il est conservé au Musée archéologique national de Zagreb. Proche de la capitale, la Pannonie, au nord de la Croatie, vit naître des villes thermales, comme Aquae Iasae aujourd’hui inclus dans le complexe de bien-être Varaždinske Toplice, et d’autres agglomérations dont ne subsistent que quelques vestiges (Siscia/Sisak, Marsonia/Slavonski Brod, Mursa/Osijek, Cibalae/Vinkovci), la nécropole de Certissia à Štrbinci près de Ðakovo.

Trouver un bronze antique aux fonds des mers, le rêve de tout plongeur

Mais le plus incroyable fut la découverte fortuite de René Wouters. Ce touriste belge, plongeur amateur, se trouvait, le 21 juillet 1996, au large de l’îlot Vele Orjule (Mali Losinj) sous 40 m de profondeur. Désirant se stabiliser pour prendre une photo, il réalise que le rocher sur lequel il s’appuie… est un homme, une sculpture recouverte de mollusques et coraux, couchée sur le flanc, en partie enfouie sous le sable. Trois ans plus tard, on ramènera enfin la statue sur la terre ferme. Il s’agissait bien de l’Apoxyomène, non pas une réplique romaine, comme celle du musée du Vatican, mais un original grec datant du VIe ou IVe siècle av. J.-C. Après restauration, on remarque qu’il ressemble à l’Apoxyomenos d’Éphèse. Presque complet, il lui manque juste l’auriculaire de la main gauche et dans un état de conservation exceptionnel, il est représenté de pied sur sa plinthe antique. L’historien d’art italien Paolo Moreno l’attribue à Dédale de Sicyone. Un musée, inauguré en 2017, lui est entièrement dédié à Mali Losinj. Il faut voir ce colosse de 1,94 m, pesant 184 kg, magnifique athlète nu à sa toilette. Il portait un strigile, sorte de racloir avec lequel les sportifs enlevaient le sable et la sueur de leur peau. On ne sait pour l’heure comment il a échoué là. La statue était-elle sur un bateau qui a fait naufrage ? On a trouvé près d’elle des jas d’ancre dont étaient équipés les navires romains. En tout cas, cette découverte impressionnante nous permet aujourd’hui d’admirer l’un des rares grands bronzes antiques si bien conservés.

À partir du IIe siècle, la Rome impériale se stabilise sur le pourtour méditerranéen

Peu à peu, les autorités consulaires découpent les provinces (Histria, Dalmatia, Pannonia). Les villes s’organisent selon un plan urbanistique formel, avec une architecture/sculpture typiques de la civilisation hellénistique, confortant leur impérialisme avec les progrès de l’agriculture (irrigation notamment), la frappe de la monnaie, le respect des cultes, le développement culturel. En Istrie, première région romanisée, on a trouvé de nombreux exemples du style gréco-romain. Par exemple, sur l’île de Veli Brijuni (baie de Verige), la villa rurale en bordure de mer avec petit port et dépendances ou, près de l’actuelle localité de Tar-Vabriga, sur un promontoire côtier, la villa Loron, implantée dès le début du Ier siècle sur le territoire de la colonie de Parentium (Poreč). Sur un site archéologique près d’Omišalj (île de Krk), c’est toute une cité (Fulfinum) qui s’augmentera plus tard du complexe paléochrétien extra-muros (Mirime).

Les monuments romains de Pula, Zadar ou Split sont au cœur des festivités estivales

D’une toute autre ampleur, Pula, la Colonia Iulia Pollentia Herculanea, s’impose déjà comme la capitale, le centre urbain suractif. Au milieu du Ier siècle, on commence les grands travaux dans le chef-lieu de l’Istrie. Portes monumentales, véritables arcs de triomphe à la gloire de l’empereur Auguste, place forte, forum, temple, théâtre, autant de bâtiments historiques monumentaux qui ont traversé deux millénaires. Mais le monument le plus célèbre, c’est bien sûr l’amphithéâtre. Classé sixième plus grand de l’Empire romain, il pouvait contenir jusqu’à 24 000 spectateurs. Aujourd’hui, il joue toujours son rôle d’accueil du public. Monument historique très visité, salle de spectacle, à la fois arènes populaires et haut lieu culturel. Rendez-vous préférés des locaux, en mai, les sons et lumières du salon multimédia Visualia, début juin, les Journées de l’Antiquité, en été, le festival de films européens, les concerts de stars internationales, etc.

D’autres sites antiques plus modestes émaillent le littoral et la région dalmate, ainsi l’augusteum de Narona (Vid, près de Metković), le camp militaire récemment restauré à Burnum/Ivoševci, près de Kistanje, et les ruines de l’aqueduc dans le parc national de Krka.

Le passé de l’ancienne Zadar, nommée Iader, apparaît d’abord sur le forum, formidable agora et point central, où l’on se donne toujours rendez-vous aujourd’hui. Puis on entre dans l’église Saint-Donat, à la formidable acoustique. Elle fut construite au IXe siècle avec des fûts, des colonnes et des chapiteaux romains trouvés sur place. Le Musée archéologique de Zadar, à voir absolument, bénéficie d’une nouvelle scénographie. Les cinq grandes statues impériales y sont admirablement mises en valeur. Moins imposant, tout aussi précieux, le musée du Verre antique, unique en son genre, fut inauguré en 2009 à Zadar. On peut observer le travail des artisans, qui restituent devant nos yeux tout l’art des verriers de l’Antiquité.

Le palais de Dioclétien, unique en son genre

En l’an 303 de notre ère, l’empereur romain Caïus Aurelius Valerius Diocletianus (Dioclétien) se retire en Dalmatie centrale, sa province d’origine. Il se sent affaibli par la maladie. Il juge plus sage de quitter les affaires de l’Empire décadent. C’est sur sa terre natale qu’il veut retourner. Il veut revoir Solina, la ville où il est né. Là, le convalescent retrouve une santé et vit encore neuf années. Pour sa retraite, il se fera construire cette cité rurale mais c’est surtout pour son palais à Split, face à l’Adriatique, qu’on le retient. À ceux qui l’implorent de reprendre les commandes de la maison qui brûle à Rome, l’homme transformé assure trouver plus de plaisir à cultiver son propre jardin qu’à « gouverner toute la terre ». Ces propos sont rapportés par Lactance, célèbre rhéteur et chroniqueur de l’époque. C’est ainsi que le despote Dioclétien, l’impérialiste impitoyable, finit en philosophe accompli au crépuscule de sa vie. Ce renoncement au pouvoir reste dans l’histoire comme la première abdication de tous les temps, celle que l’on cite en exemple aux dirigeants de ce monde.

La construction du palais de Dioclétien intra-muros, au plan quadrilatère, tient une place à part parmi les monuments de cette époque. À la fois camp militaire et résidence impériale dotée de dépendances et de puissants soubassements, ce complexe monumental, l’un des mieux conservés de l’Empire romain, est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. De nos jours, ce centre historique est très vivant, les Splitois viennent à la criée aux poissons et faire leur shopping dans les boutiques-ateliers. Les rues piétonnes fourmillent des visiteurs avides de spectacles sous le péristyle, de galeries d’art, d’artisans et de bars-restaurants-terrasses. Toujours présents, de fiers gladiateurs sont prêts pour la photo souvenir, une troupe de théâtre chaque jour y fait revivre le quotidien de la grande Spalatum.

Pendant l’Antiquité tardive, la magnificence de Byzance brille dans l’Adriatique

Avec l’édit de Milan, signé par Constantin en 313, la persécution des premiers chrétiens prend fin, ce qui favorise la naissance d’une nouvelle forme d’art religieux. La période paléochrétienne se nourrit de la culture hellénistique tout en élevant de nouveaux canons esthétiques plus hiératiques. La Croatie est riche de plusieurs exemples architecturaux, à Salone (près de Split), deux basiliques parallèles érigées à la charnière du IVe et du Ve siècle, à Nin (près de Zadar), une église double rurale, dotée d’un baptistère, et plus tard en Istrie. Au VIe siècle, Byzance contrôle toute l’Adriatique, grâce à un système de fortification massif sur la rive orientale de la côte, afin de sécuriser le trafic maritime. Ainsi le stratégique castrum de Veli Brijun, dans l’archipel au large de Pula. Mais la grande fierté de la Croatie, le complexe de la basilique Euphrasienne, se trouve à Poreč. Avec son abside centrale, le baptistère octogonal, l’atrium rectangulaire, de somptueuses mosaïques, c’est le seul ensemble épiscopal paléochrétien aussi bien conservé, classé lui aussi au patrimoine mondial de l’Unesco (1997). Mais à la fin du VIe siècle, le déclin de l’Empire romain d’Orient touche tous ses territoires. L’actuelle Croatie se retrouve désormais incluse dans le royaume ostrogoth.