Forteresse São Felipe à Ribeira Grande © Salvador Aznar - Shutterstock.Com .jpg
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Héritage colonial

La Cidade Velha, le cœur historique de la bouillonnante Ribeira Grande, est sans doute le site le plus célèbre du Cap-Vert, et l’on comprend aisément pourquoi : il s’agit de la première ville coloniale européenne construite à cette latitude. De ses origines remontant au XVIe siècle, elle conserve une partie du schéma urbain fait de rues pavées parfaitement tracées. La vieille ville était sécurisée par la Forteresse São Felipe, tout en appareillage de pierre, dont on peut encore voir les plateformes de tir faisant face à la mer. Mais les vestiges les plus étonnants sont ceux de la Cathédrale, qui fut le premier édifice religieux construit en Afrique Subsaharienne. Des recherches récentes ont mis à jour l’ancienne chapelle du Saint-Esprit, l’autel de l’église, le tombeau d’un évêque et de nombreux objets décoratifs, des faïences notamment, témoignant de l’importance de l’édifice.

L’église est l’un des bâtiments phares de la colonisation et c’est autour d’elle que s’organisent les villes nouvelles. C’est notamment le cas à São Filipe, célèbre pour d’autres superbes témoins de la présence portugaise : les sobrados, véritables palais urbains bordant les nombreuses places de la ville. On les reconnaît à leurs balcons et vérandas en bois finement ouvragé, à leurs toits à quatre pans couverts de tuiles en terre cuite ou en bois, et à leur organisation centrée autour d’une cour intérieure ombragée appelée quintal et souvent décorée d’azulejos. Cette cour pavée peut aussi s’accompagner d’une seconde cour plus petite et en terre battue. L’accès aux étages se fait par un escalier en bois qui, lorsqu’il est extérieur, se trouve relié au balcon. Chaque sobrado possède sa singularité, notamment en matière de couleurs aux teintes pastel, mais tous témoignent d’une architecture coloniale adaptée aux conditions climatiques : les balcons sont ajourés pour permettre ombre et aération, les pièces sont hautes et spacieuses pour faciliter l’évacuation de l’air chaud et les cours sont souvent agrémentées de bassins rafraîchissants. Cette adaptation au climat est l’une des clés de l’architecture de Vila Nova Sintra. Si la ville possède toutes les caractéristiques de la ville coloniale – tracé urbain géométrique centré autour d’une grande place regroupant les édifies clés de la cité (mairie, poste, tribunal) dont beaucoup se parent des lignes sobres et épurées du néoclassique ; tours fortifiées protectrices face à la mer –, elle a également développé une architecture unique basée sur une symbiose parfaite entre patrimoine bâti et naturel. Laissez-vous donc charmer par l’ornementation végétale des façades des maisons et par leurs cours avec jardins, qui sont autant d’échos aux parcs et jardins publics. La présence de la nature est telle, que certains vont jusqu’à qualifier cet habitat de semi-rural ! Autre joyau colonial : Mindelo avec ses maisons aux teintes ocrées et aux volets et portes peints de verts et de bleus puissants. On y retrouve le tracé urbain colonial typique avec de larges avenues menant à des places spacieuses ornées de kiosques, mais aussi les sobrados avec leurs patios, le fort protecteur, ainsi que deux étonnantes structures témoignant d’un éclectisme certain. La ville possède en effet une réplique de la célèbre Tour de Belém qui marque l’entrée dans le port de Lisbonne et dont elle reproduit les motifs gothico-mauresques typiques de la Renaissance manuéline (cordes torsadées sculptées dans la pierre, sphère armillaire, symboles astronomiques…). Mindelo abrite également le Palais du Gouverneur mêlant architecture coloniale (galeries à colonnades, balustrades, frontons décorés) et influences indiennes (teintes rosées, multiplication des fenêtres à encorbellement…) Etonnant ! Comme l’est l’urbanisme du cœur historique de Praia qui témoigne d’une planification précise fortement inspirée des idéaux européens en vogue au XIXe siècle. Les marais environnants ont été asséchés pour plus de salubrité, parcs et jardins ont été aménagés, le système métrique a été adopté et le nouveau tracé de la ville s’est fait selon un quadrillage géométrique précis auquel répondent les élégantes lignes des bâtiments néoclassiques. Mais ces joyaux de l’architecture coloniale ne parviennent pas à cacher les réalités de cette société profondément inégalitaire, fondée sur l’esclavage. Le cœur de la Cidade Velha est ainsi marqué par la place du pilori… aussi beau soit-il avec sa silhouette toute de marbre blanc et agrémentée de motifs de la Renaissance manuéline, il n’en reste pas moins le témoin des tortures et humiliations subies par les esclaves. De même, la structure des sobrados ne doit rien au hasard. Si aujourd’hui les rez-de-chaussée abritent des espaces de stockage, ils étaient autrefois destinés aux esclaves, tandis que les étages nobles étaient destinés aux maîtres... une ségrégation spatiale basée sur une ségrégation raciale. Beaucoup plus récent, le pénitencier de Chão Bom est un triste témoin des horreurs commises sous la dictature de Salazar. Cette forteresse de plan rectangulaire et protégée par une enceinte de béton a été construite par le travail forcé. On peut encore y visiter les cellules de torture sans fenêtre et les infrastructures de ce « camp de la mort » (centrale électrique, entrepôts, réfectoire…) Enfin, si la Saline de Pedra de Lume témoigne de véritables prouesses d’ingénierie (chemin de fer, tunnel, téléphérique, ateliers mécaniques…), elle témoigne aussi des très mauvaises conditions de vie des travailleurs qui étaient logés dans des baraques préfabriquées et hangars, ou dans des maisons ne comprenant qu’une seule fenêtre, tandis qu’ingénieurs et chefs logeaient dans des villas…

Etonnant habitat autochtone

Le Parc naturel de Cova, Paul et Ribeira da Torre abrite de véritables trésors d’architecture autochtone. L’habitat originel était fait d’une maçonnerie de pierre de basalte et d’argile et comprenait une porte et deux fenêtres. Le toit de paille de canne à sucre était posé sur une structure faite de cannes de jonc attachées avec une corde de sisal (agave exploité pour ses feuilles dont on tire des fibres textiles). Le parc possède également de superbes cultures en terrasses dont les murets ont été construits en pierre de basalte selon des formes géométriques uniques dictées par la topographie accidentée du lieu. La pierre de basalte a aussi été utilisée pour créer le réseau de routes et chemins sillonnant le site. A cela s’ajoutent d’ingénieux systèmes d’irrigation et de drainage témoignant d’un savoir-faire unique qui a permis de transformer un terrain hostile en terres cultivables. Autres trésors autochtones : les funcos des îles Fogo, surtout ceux de Chã das Caldeiras, et des îles Santiago et Maio. Ces habitations traditionnelles se reconnaissent à leur plan circulaire, à leur silhouette en pierres volcaniques superposées et à leur toit de chaume de forme conique. Plutôt sommaires et rudimentaires – elles ne disposent que d’une seule pièce –, ces habitations sont malgré tout la preuve que l’Homme peut s’adapter aux terrains les plus hostiles. A travers l’archipel, vous pourrez également observer des maisons rurales d’inspiration européenne avec leur plan rectangulaire et leur charpente de bois supportant une structure de pierre sèche (le plus souvent du basalte) et un toit en paille (de canne à sucre généralement). Les maisons des villages de pêcheurs sont, elles, très imprégnées de la culture portugaise. La blancheur de leurs façades ponctuées des couleurs vives de leurs portes et fenêtres, la simplicité de leurs volumes (souvent cubiques) sont autant d’emprunts à la tradition des villages lusitaniens. Autant de spécificités architecturales qui font l’identité du Cap-Vert !

Défis contemporains

L’accession à l’Indépendance de 1975 s’accompagne d’un important exode rural et d’un accroissement sans précédent des centres urbains majeurs, et ce, sans aucune planification urbaine. Les villes voient ainsi naître à leur périphérie des bidonvilles où se multiplient auto-constructions informelles et habitats temporaires. C’est particulièrement visible à Praia dont les bidonvilles contrastent fortement avec l’urbanisation raisonnée des quartiers officiels héritée de la colonisation. Le Cap-Vert rencontre également un problème de taille en ce qui concerne les matériaux de construction, dont la plupart sont importés. A la question du prix important, s’ajoute également celle de l’inadaptabilité de ces matériaux aux contraintes climatiques : béton armé et ciment résistent mal à la chaleur et sont très gourmands en eau alors que le pays en manque. Face à cette situation, des voix se font entendre pour promouvoir davantage les matériaux locaux, en particulier les roches volcaniques (basalte, pouzzolane) dont l’archipel possède de nombreuses carrières d’exploitation et de transformation. Des défis pour l’avenir que certains relèvent dès aujourd’hui, notamment en matière d’infrastructures hôtelières et résidentielles qui mêlent avec élégance innovations et respect des traditions et de l’environnement. L’architecte José Adriao signe un étonnant complexe à Praia do Estoril, non loin de Sal Rei sur Boa Vista, composé de 18 résidences à la blancheur éclatante, aux volumes minimalistes organisés autour de cours intérieures, porches et jardins, et baignées de lumière grâce à de belles baies vitrées. Autre joyau contemporain : le Barefoot Luxury sur São Vicente. Ces villas de pierres locales aux teintes ocre-brun-rouge sont entièrement réalisées en trompe-l’œil afin de se fondre totalement dans le paysage. Organisées autour d’un patio, elles possèdent également des panneaux de bois kotibé pivotants protégeant du vent et du soleil. Sur Boa Vista, le Spinguera Ecolodge en pierre et bois fait partie du projet de réhabilitation d’Espingueira, ancien village de pêcheur abandonné dans les années 60 et entièrement reconstruit en matériaux locaux. Sur Santo Antão, c’est le Pedracin Village qui se fait le symbole de cet écotourisme avec ses maisonnettes en pierre et torchis et aux toits recouverts de feuilles de bananier, fibre de coco et paille. Enfin, ne manquez pas l’insolite Mansa Music Hub dans la baie de Porto Grande. Cette étonnante réalisation consiste en trois huttes de bois flottantes ancrées au bout d’un ponton et réunies autour d’une place publique. Il abrite une salle de concert, un studio et un bar. Réalisé par le Nigérian Kunlé Adeyemi, baptisé du nom de Mansa Musa, l’un des plus grands empereurs du Mali, ce nouveau lieu culturel se fait l’écho de l’excellence créatrice africaine et témoigne de la volonté du Cap-Vert de se faire le trait d’union entre l’Europe et l’Afrique.