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Détail du plafond peint du palais de Klungkung © Katia Titova - Shutterstock.com .jpg

Origine des arts balinais

Les premiers arts balinais remontent à la période pré-hindoue. Après avoir pratiqué l’animisme et le culte des ancêtres, les îles adoptent les croyances indiennes comme toute l’Asie du Sud-Est. Le bouddhisme et l’hindouisme dominent la culture locale pendant des siècles. Cela est encore plus vraie à Sumatra et Java. Mais lorsque l’islam prend le contrôle de Java au XVIe siècle, les princes hindous prennent la fuite avec leurs fidèles et leurs artisans et s’établissent à Bali.

Peintures, sculptures, masques avaient alors non seulement un usage religieux, mais leurs dessins suivaient des règles symboliques et attribuaient les places reflétant leurs fonctions religieuses. Par exemple, les statues pratima, les effigies des dieux visiteurs, devaient être fabriquées dans des matériaux appropriés avec des iconographies spécifiques et laissées dans les autels des sanctuaires. En revanche, les bas-reliefs racontant la descente de l’homme en enfer restaient dans la partie basse du temple et sa partie la plus impure. Même les joyaux restaient imprégnés de signification religieuse. Les kriss, comme symboles de la descendance, étaient forgés par les pandéqui, devaient traverser des rites spéciaux pour exercer leurs talents. De même, les sangging en peinture comme les undagi en architecture. Et la facture de tous ces objets devait être réglée par un calendrier d’interdits et de rites. Quelques jours et quelques heures étaient propices, d’autres non, et il y avait un jeu complexe de cérémonies propres à des lontars « apporté à la vie » (uripanga), ou des masques et des armes dotés de pouvoirs magiques (kepasupati). En raison de ce contexte, la peinture était le reflet de la responsabilité de chacun devant la communauté. L’artiste était le convoyeur des symboles traditionnels, des enseignements et des contes. Les lontars illustrés, les prasi, existent encore aujourd’hui, et on peut encore les voir à Singaraja à Sukawati et à Karangasem.Les peintures, faites sur un coton local, devaient contenir des scènes narratives et être assignées à des endroits précis pour cette fonction. Les panneaux « parba » dans les temples devaient être décorés avec des figures de dieux pendant que la peinture des vêtements devait contenir des illustrations qu’on ne découvrait que dans certaines circonstances, les mariages par exemple. Les peintures classiques devaient être proches du wayang kulit. Les Balinais aiment encore regarder le wayang jusqu’aux premières heures du matin. Et les peintres étaient ceux qui découpaient les figures dans le cuir en racontant les mêmes histoires et utilisant la même iconographie. Dans leur fonction de porteurs des valeurs traditionnelles, les artistes balinais furent pendant des siècles protégés par les cours des royaumes. Le résultat est tangible dans les gria, les maisons de brahmanes, les temples et les palais. Les plus connues sont celles peintes au plafond du Kertagosa à Klungkung, qui était la cour de justice du royaume. Les artisans étaient ceux du village de Kamasan. Et leur inspiration était tirée du wayang et des épopées du Ramayana et du Mahabharata. Ils étaient connus également pour les fameux calendriers balinais.

Ubud et Klungklung

Au XVIe siècle, alors que l’Islam exerce sa domination, Bali devient la terre d’exil de princes hindous et d’artisans indonésiens. La production artistique à l’ère hindoue dépend essentiellement des princes et de leur entourage. Les palais et les pavillons étaient ornés de panneaux de bois, de peintures et d’objets tout aussi finement travaillés. La décoration, la musique et les danses participent aux rituels religieux. C’est ce lien entre beauté et rites qui explique pourquoi les arts balinais sont toujours restés vigoureux. Chacun mettait son talent au service des grands événements : sculpteurs, danseurs, musiciens alliaient leurs compétences.

Dans les premières années du XXe siècle, les Hollandais exercent leur domination sur l’île, notamment à travers le système éducatif. La colonie est contrainte de s’ouvrir au tourisme, changement qui se reflète dans les arts balinais. Les artisans commencent à envisager leurs réalisations comme de l’art. Ils expérimentent des techniques, des genres et des thèmes. L’influence occidentale secoue les conventions en vigueur depuis des siècles. Les représentations des épopées hindoues cèdent la place aux scènes de la vie quotidienne et au paysage. Cette progression est retracée au musée de Bali à Denpasar qui expose les différents arts balinais de la préhistoire au XXe siècle. Toujours à Denpasar, le centre d’arts Werdi Budaya associe expositions et ventes de créations locales.

Le centre culturel s’est néanmoins établi à Ubud. Walter Spies (1895-1942), musicien et peintre, arrive à Ubud en 1927 à l’invitation du roi d’Ubud, Cokorda Raka Sukawati, qui sent le rôle que pouvait jouer la culture et l’art. Grâce à Walter Spies, les peintres de la région d’Ubud et des environs adoptent de nouvelles techniques et cherchent l’inspiration dans des thèmes différents. La révolution artistique est lancée. Un autre Européen, le peintre hollandais Rudolf Bonnet (1895-1978) s’installe à Ubud en 1929, renforçant l’influence artistique européenne. Ces artistes expatriés capturent sur la toile les paysages balinais, la vie quotidienne, les mille détails de la vie religieuse. Ils travaillent aussi d’après modèle vivant et incitent les Balinais à faire de même. Pour cela, ils distribuent le papier, la toile, les pinceaux et les couleurs aux Balinais habitués à peindre sur des découpes de toile de Nusa Penida, à l’aide de pigments naturels. Le concept de l’espace diffère dans l’art balinais. Tout l’espace de la toile est rempli, sans recourir à la perspective. Spies et Bonnet introduisent une nouvelle approche de l’espace et de sa représentation et guident leurs confrères locaux dans l’élaboration d’une conscience individuelle. Ces derniers commencent à signer leurs œuvres et à devenir, au sens européen du terme, des « artistes ». Ce mouvement s’étend au-delà du petit village d’Ubud. Bientôt, des peintres viennent de partout demander conseil. Inspirés par cet enthousiasme, Bonnet, Spies et le roi d’Ubud fondent l’association « Pitamaha » en 1936. La tradition s’est perpétuée jusqu’à ce jour, Ubud restant le cœur de la création balinaise, là où les artistes partagent volontiers leur savoir.

La peinture traditionnelle a son centre à l’est de Bali, à Klungkung, également appelé Emarapura. Siège du dernier royaume à résister à la colonisation, la cité a connu l’âge d’or des temps anciens. Non loin, le Gunarsa Museum of Classical & Modern Art (Museum Seni Lukis Klasik Baliest) a été dirigé par Nyoman Gunarsa, (1944-2017) maître incontesté de l’art moderne balinais. Après une formation académique, le peintre se tourne vers un style expressionniste marqué par les mouvements et les tonalités des danses indonésiennes.  Il fonde le groupe Sanggar Dewata Indonesia en 1970, puis organise des expositions dans le monde entier, sans pour autant quitter son île natale. Maintes fois primé, il ouvre deux musées sur l’île, à Yogyakarta et à Klungklung.

Nouvelles tendances picturales

Après une période de crise durant la Seconde Guerre mondiale et la période de l’après-indépendance, Bali connaît une nouvelle flambée de création dans les années 1960 et 1970. Arie Smit (1916), arrivé en 1956 et installé à Penestanan, distribue des couleurs à la jeunesse et déclenche l’apparition d’un nouveau style fait de surlignages épais et de sujets extravagants. Un travail sur la couleur se ressent également. Pendant ce temps, les artistes de Batuan s’adonnent aux joies du détail en développant une véritable école de miniatures, d’une beauté époustouflante fondée sur le principe du lavis d’encre de Chine. Peu à peu, Bali attire les peintres nationaux, javanais et d’autres parties de l’Indonésie, comme Affandi, Srihadi et bien d’autres. Leur production, longtemps prisonnière de l’académisme européen domine à présent le marché. Maintenant une nouvelle génération de peintres, venant des académies de Java et de Denpasar, se sont attaqués avec succès à la peinture abstraite. Tusan utilise les offrandes balinaises pour créer un cubisme « à la balinaise », Gunarsa transforme la danse balinaise et le théâtre pour faire de l’action-painting. Mais un seul semble dominer la scène : Made Wianta a su établir son propre style dans une recherche subtile des couleurs, créant des volumes abstraits mis en valeur par une utilisation systématique et productive du détail.

Hier et demain

A Keliki, à 15 minutes d’Ubud, la peinture traditionnelle perdure au cœur d’une communauté de peintres. De la formation à la vente, les techniques sont transmises par les aînés. Concrètement, le « style Keliki » est une variante de la miniature traditionnelle peinte selon la technique de la tempera. Le dessin est tracé au crayon sur un papier épais, résistant à l’eau. En partant du noir profond, l’encre de Chine est délavée afin d’obtenir une gamme de dégradés de gris. L’artiste peut ensuite colorer ses aplats. La technique exige un geste sûr qui fait la spécificité du miniaturiste balinais.

Sur une note contemporaine, une multitude de fresques et graffitis recouvrent les murs du sud de Bali, à partir de Canggu. Pour trouver le centre de la culture urbaine locale, il faut longer la route Raya Canggu en direction de Tanah Lot. Matériel, vêtements, galerie d’art spécialisée, tout est réuni pour faire des heureux. A l’origine d’Allcaps, l’envie de Julien Thorax de proposer un lieu d’échange, où il soit possible de peindre sur la plage ou près des rizières. La localité était avant son installation un village de pêcheurs qui attiraient une faune branchée. Allcaps propose des circuits street art pour découvrir Bali à travers la culture urbaine, en plus du festival TROPICA. Cette manifestation fait en prime de l’Artivisme. Environnement et égalité des sexes sont défendus à cette occasion, entre décors peints et cadre naturel.