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Les origines

La coïncidence est trop belle pour ne pas la souligner. Si 1783 marque l’indépendance de New York, libérée par les Britanniques après la signature du traité de Paix à Paris, la ville voit également naître, cette même année, Washington Irving, certainement le premier romancier de cette jeune République américaine. Avocat de formation, puis journaliste, son Histoire de New York racontée par Dietrich Knickerbocker paraît en 1809 sous pseudonyme. D’un humour irrésistible, cette satire rencontre un succès important, à tel point que le patronyme du héros reste aujourd’hui le surnom donné aux descendants des premiers colons hollandais et, par extension, aux plus vieilles familles new-yorkaises. Sous le nom de Geoffrey Crayon, il publiera ensuite un recueil de nouvelles, Le Livre des croquis, fortement influencées par les contes allemands, dont The legend of Sleepy Hollow éveillera quelques souvenirs chez les plus cinéphiles.

Outre la littérature fécondée par les vagues de colonisation qui se sont succédé aux États-Unis, le XIXe siècle rime avec l’apparition du Transcendantalisme. Ce mouvement littéraire, entériné par l’essai Nature (1836) de Ralph Waldo Emerson, a comme figure de proue Henry David Thoreau et prône la relation à la nature définie comme entité divine. Il influencera, plus ou moins directement, bien des écrivains, dont Herman Melville, né en 1819 au sud-est de Manhattan. L’auteur se souvient de ses années aventureuses dans le Pacifique pour écrire ses premiers livres à son retour sur le sol américain. Taïpi est achevé en 1845, mais n’est publié à Londres que l’année suivante, puis paraissent Omoo, Mardi, Redburn, et surtout le magistral Moby-Dick qui ne rencontre pas à sa sortie, en 1851, le succès escompté. Si le capitaine Achab fait désormais partie de nos références, il coûte à Melville une telle désillusion qu’il finira par s’enfermer, après une dernière tentative, elle aussi mal comprise (Pierre ou les Ambiguïtés, 1852), dans un profond silence. Peu de succès également pour son contemporain Walt Whitman qui auto-publie en 1855 Leaves of Grass. Il fallut attendre 1881 et la sixième version de ce célèbre recueil, Feuilles d’herbe dans sa traduction française, pour que les droits lui permettent de s’acheter une maison. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des pères de la poésie américaine.

D’autres courants littéraires animent la fin du XIXe siècle, notamment le Naturalisme qui s’illustre sous les traits de Maggie, fille des rues, premier roman de Stephen Crane (1871-1900) et fresque peu gaie prenant le quartier de la Bowery comme décor. Réalisme aussi du côté d’Henry James qui naît à New York en 1843. Fils d’intellectuel, petit-fils d’immigré irlandais, l’homme trouve très vite matière à sa vocation d’homme de lettres dans ses lectures et ses multiples voyages qui l’amèneront à parcourir l’Europe. Son premier succès international, Daisy Miller, est d’ailleurs tout d’abord publié à Londres, à partir de juin 1878, sous forme de feuilleton dans la revue Cornhill Magazine. Prolixe, l’écrivain reste célèbre pour ses nouvelles, parfois fantastiques comme Le Tour d’écrou, et pour ses multiples romans, tels que Portrait de femme (1881), Ce que savait Maisie (1897) ou La Coupe d’or (1904). Sa façon toute particulière d’adopter le point de vue d’un personnage, quitte à laisser place à des non-dits, augure le courant de perception et de conscience qui caractérisera tant le Modernisme qui peu à peu remplacera le Réalisme au début du XXe siècle.

De la Génération perdue à la Beat Generation

C’est à Paris pendant l’entre-deux-guerres que se retrouvent certains de ces auteurs modernistes. Regroupés sous le nom de Génération perdue, selon la formule de Gertrude Stein, ils ont pour chef de file Ernest Hemingway à qui Francis Scott Fitzgerald fait lire le manuscrit de Gatsby le Magnifique sur la terrasse de la Closerie des Lilas. Ce roman (1925) prend place dans le New York des années folles, il raconte l’amour éperdu et vain d’un millionnaire charismatique et mystérieux. Manhattan Transfer, de leur ami John Dos Passos, paraît la même année. Cette œuvre polyphonique s’essaye à l’écriture expérimentale que l’auteur développera ensuite dans sa trilogie U.S.A. Peu de temps après arrive dans la capitale française le new-yorkais Henry Miller. Au 18 Villa Seurat, il écrit en 1931 son Tropique du Cancer qui lui vaudra, comme la plupart de ses récits semi-autobiographiques, procès sur procès pour obscénité aux États-Unis. Il faudra attendre 1964 pour que la Cour Suprême mette fin à la censure.

Période féconde, l’entre-deux-guerres l’est aussi de l’autre côté de l’océan Atlantique. Le mouvement Harlem Renaissance est en pleine effervescence et marque un tournant dans la littérature noire américaine qui s’offre à d’autres publics. Porté par l’article Harlem : Mecca of New Negro qu’Alain Locke publie dans Survey Graphic, ce courant voit converger vers son berceau new-yorkais bon nombre d’auteurs. Zora Neale Hurston, l’auteure du remarquable Mais leurs yeux dardaient sur Dieu retraduit en français avec brio par Sika Fakambi (éditions Zulma, 2018), prend part à la rédaction du magazine Fire ! avec Wallace Thurman, Aaron Douglas ou encore Countee Cullen. La réception est mitigée et un seul numéro sort, mais les vannes littéraires sont ouvertes. Jean Toomer publie Cane en 1923, Langston Hugues son premier recueil de poèmes en 1926 (The Weary Blues) et Dorothy West fondera en 1934 Challenge qui accueillera entre ses pages de nombreux auteurs afro-américains.

Harlem attire aussi les musiciens qui peu à peu la préfèrent à Chicago. L’amour du jazz réunit une bande de copains, la Beat Generation va voir le jour. C’est à New York dans les années 40 que se rencontrent ses trois membres fondateurs, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs. En 1947, débarque le flamboyant Neal Cassady et sa jeune épouse LuAnne Henderson. Charismatique, épris de liberté, jouisseur invétéré, l’homme exerce un magnétisme certain sur tous ceux qu’ils fréquentent, notamment sur Kerouac qu’il entraînera parcourir les États-Unis. Une folle épopée qui inspirera à ce dernier le mythique Sur la route, écrit d’une traite du 2 au 22 avril 1951 sur un rouleau de 36,50 m de long. Cette année-là paraît l’histoire d’une autre fugue, celle d’Holden Caulfield. Si L’Attrape-cœurs du New-Yorkais J. D. Salinger trouve peu à peu son public, avant de devenir le classique qu’il est aujourd’hui, Kerouac de son côté rencontre bien des difficultés à se faire publier. Les refus sont nombreux. Il lui faut attendre 1957 pour qu’un éditeur l’accepte, au prix de nombreuses compromissions. L’année précédente, son ami Allen Ginsberg avait fait paraître Howl, un long poème qui lui valut quelques soucis avec la justice, mais qui reste un autre incontournable de la Beat Generation. Quant à Burroughs, c’est à Paris qu’est publié son Naked Lunch (Le Festin nu) en 1959. Écrit sous l’influence de drogues, cette œuvre est composée de fragments assemblés selon la technique du cut-up. La littérature s’affirme toujours dans sa volonté à décrire la réalité, mais elle n’hésite plus à en démontrer le chaos, c’est l’ère du Postmodernisme.

Le Postmodernisme

Nombreux sont les auteurs qui appartiennent à ce courant et dont les noms nous sont familiers, et rares sont les spectateurs qui n’ont pas été marqués par Requiem for a dream, adaptation cinématographique du quatrième roman d’Hubert Selby Jr. (1928-2004). Que dire aussi de son premier livre, Last Exit to Brooklyn, qui a littéralement eu l’effet d’une bombe à sa parution en 1964, selon la prédiction d’Allen Ginsberg. Selby possède un rythme bien à lui, se passe de ponctuation et surtout décrit son quartier natal dans toute sa violence. Une brutalité que l’on retrouve chez Kurt Vonnegut, décédé à New York en 2007, dans son chef-d’œuvre Abattoir 5 où il est question de la guerre sous couvert de science-fiction.

Les écrivains s’épanouissent dans tous les styles et E.L. Doctorow n’hésite pas à ajouter une pointe d’humour à sa tragi-comédie nostalgique Ragtime (1975) qui fut adaptée quelques années plus tard au cinéma par Miloš Forman. Philip Roth (1933-2018), quant à lui, s’essaye à la satire, se prend de passion pour Kafka puis revient à une écriture plus intime avec son cycle consacré à son double littéraire, Nathan Zuckerman. Pastorale américaine sera couronné par le Prix Pulitzer en 1998. Un autre écrivain marquant de cette seconde partie du XXe siècle, et pourtant quasiment invisible dans les médias qu’il a fuis durant plusieurs décennies est Thomas Pynchon. Si le mystère plane au-dessus de l’homme, ses romans n’en finissent pas non plus d’interroger, mêlant intrigues diffuses, thèmes éminemment politiques et surprenantes associations dans les références culturelles (Vente à la criée du lot 49, 1966 ; L’Arc-en-ciel de la gravité, 1974 ; Vineland, 1990). Son contemporain, Don DeLillo, né dans le Bronx en 1936, se fait connaître en 1971 avec Americana. Il continuera de porter un regard acéré et distancié sur son monde dans Bruit de fond (1985), Outremonde (1997) ou encore Cosmopolis (2003). Autre figure majeure, Paul Auster dont la Trilogie new-yorkaise demeure un incontournable. Né en 1947 dans le New Jersey, amoureux de la France où il vivra à plusieurs reprises, l’homme débute sa carrière par la traduction d’auteurs français. Essayant en vain de se faire publier, quitte à prendre un pseudonyme, il lui faudra attendre ses 40 ans pour que le premier livre portant son nom paraisse : In the country of last things (Le Voyage d’Anna Blum, Actes Sud, 1989). Puis se succèdent Moon Palace, La Musique du hasard, Léviathan, Mr. Vertigo… autant de titres que de succès qui apportent à Paul Auster la reconnaissance tant méritée. Pur représentant de la Génération X, Bret Easton Ellis est lui repéré dès son premier roman, Moins que Zéro (1985), mais c’est surtout avec American Psycho, commande qui lui aurait été faite par son éditeur pour plusieurs centaines de milliers de dollars, qu’il accède au sommet de la gloire. Son personnage, Patrick Bateman, a tout pour plaire, conseiller en gestion à Wall Street, il est beau, jeune, riche. Un joli vernis qui cache de moins en moins bien sa vraie nature, celle d’un véritable serial killer. Un ouvrage subversif qui n’en finit pas de faire parler, et qui donne une bien autre image de New York.

Les journaux, lieu de créativité

Une autre facette du postmodernisme se révèle dans le Nouveau journalisme, selon l’expression de Tom Wolfe. Littéraire dans Le Bûcher des vanités (1987), terrible plongée dans une ville rongée par le racisme, il ne l’est pas moins dans Acid Test (1968) ou dans son reportage sur l’aéronautique, sous fond de Guerre froide, L’Étoffe des héros (1979). À son égal, Truman Capote (De sang-froid) et Norman Mailer (Les Nus et les Morts ; Le Chant du bourreau) passent des romans à la non-fiction au gré de leurs écrits, et toujours avec le même talent.

Outre les articles avisés des écrivains journalistes, le plus célèbre des magazines de The Big Apple, le New Yorker, s’étoffe de dessins humoristiques dès sa création en 1925. En France, les éditions Les Arènes ont d’ailleurs publié une anthologie de ces savoureux croquis. Néanmoins, le coup de crayon new-yorkais est surtout associé aux comics, car la ville a vu naître bon nombre de super-héros et héberge toujours et depuis les années 1930 les bureaux des géants DC Comics et Marvel. L’histoire de la bande dessinée américaine débute dans les journaux puis se décline au début du XXe siècle sous forme de pulps, des publications de faible coût, mais de piètre qualité, qui deviennent rapidement très populaires. Au milieu des années 30 apparaissent les premiers comics books. Ces fascicules sont d’abord des recueils des comics strips parus dans les périodiques avant que ne soient lancées des séries inédites. En 1938, le mythique Superman, imaginé par Jerry Siegel et Joe Shuster, fait sa première apparition, l’histoire ne demandait qu’à s’écrire, et c’est ce qu’elle va faire, malgré la tentative de diabolisation lancée par le psychiatre Frederic Wertham en 1954. Au fil des décennies, les comics perdent de leur naïveté et n’hésitent pas à se montrer plus tragiques ou, simplement, réalistes. Stan Lee, disparu en 2018 à l'âge de 95 ans, était un pionnier du genre et l'un de ses représentants les plus notables. Avec son acolyte Jack Kirby, rencontré dans les bureaux de Timely Comics (l'ancêtre de Marvel) à New York, il révolutionna l'univers des comics. Ensemble, Lee et Kirby donnèrent vie à plusieurs centaines de personnages, des héros complexes et faillibles devenus de véritables icônes de l’univers Marvel, à grand renfort de dialogues irrévérencieux et remplis d’humour qui s’éloignent des clichés du genre. Spider-Man, Hulk, Iron-Man, Black Panther, Thor, mais aussi les X-Men, sont leurs créations. Autant de personnages qui ont depuis été repris sur le grand écran, et qui continuent à nourrir les imaginaires.