L’art du zakouski

Un repas en bonne et due forme en Russie commencera traditionnellement avec des zakouski/закуски. Ces hors-d’œuvre très variés comprennent entre autres viande froide, charcuterie, œufs mimosa, poisson salé ou fumé (du hareng, du saumon, de l’esturgeon, etc.), œufs de poisson (caviar ou œufs de saumon), des crustacés ainsi que différents types de salades à base de tomates, de concombres, de pommes de terre cuites ou encore de carottes. Les légumes et les champignons marinés sont très populaires comme les cornichons malossol/малосольные parfumés à l’aneth ou les tomates en saumure/солёные помидоры. Le tout est souvent servi sur des canapés de pain de mie ou des blinis/блины.

Souvent associé aux blinis, le caviar/Икра est l’archétype même de la gastronomie russe. Selon la législation, seuls les œufs d’esturgeon peuvent prétendre à cette appellation. Spécialité de l’Empire russe – mais également produit en Iran et dans une moindre mesure en Ukraine et en Roumanie –, il est historiquement issu de poissons pêchés en mer Caspienne et en mer Noire, même si aujourd’hui 90 % des esturgeons viennent d’élevages. Extraits avec délicatesse, les œufs sont ensuite lavés et salés, ce qui permet de les conserver bien sûr, mais va aussi relever leur goût. La Révolution russe a d’ailleurs forcé les producteurs de ce mets de luxe à émigrer en Europe de l’Ouest. Ce qui explique pourquoi les maisons Petrossian et Kaspia furent fondées à Paris respectivement en 1920 et 1927.

S’il est tentant de vouloir rapporter du caviar russe dans ses bagages, abandonnez toutefois l’espoir de trouver un excellent produit à bas prix. Bien qu’il soit un peu moins cher qu’en France, le caviar reste – même en Russie – un mets de luxe. Un produit trop bon marché risquerait soit de ne pas être confectionné à base d’œufs d’esturgeon (souvent remplacé par du saumon), soit d’être mal travaillé et donc peu goûteux. Les termes béluga/белуга, ossetrina/осётрина ou sevruga/севрюга désignent simplement différentes espèces d’esturgeon. Le béluga est un poisson qui peut atteindre 7 m de long pour plus d’une tonne. Il met jusqu’à 15 ans pour pouvoir se reproduire d’où sa rareté exceptionnelle et son coût mirobolant, environ 10 000 €/kg.         

Parmi les entrées communes en Russie on ne peut pas passer à côté de la salade Olivier/салат Оливье. Son nom lui vient de Lucien Olivier, chef belge du célèbre restaurant moscovite L’Ermitage, qui créa dans les années 1860 cette salade à base de pommes de terre, de carottes, de cornichons et de petits pois agrémentés de mayonnaise. Attention en Russie si vous commandez de la vinegret/винегре́т, il ne s’agit pas d’un assaisonnement, mais bien d’une salade, à base de betteraves, pommes de terre et carottes. Le très coloré « hareng en fourrure » ou seledka pod chouboy/cельдь под шубой est une entrée populaire composée de harengs que recouvrent de nombreuses couches de légumes (pommes de terre, betteraves rouges, etc.), la betterave colorant en violet la mayonnaise qui nappe ce plat délicieux. Autre recette à base de poisson, le très simple hareng au miel ou seledka s modom/cеледка с мёдом où le poisson marine quelques heures avec des oignons, du sel, du citron et un soupçon de miel. Réservé à des amateurs aguerris le kholodets/холодец est une préparation plus connue en France sous le nom d’aspic. Il est réalisé à base de viande cuite (porc ou volaille généralement) figée avec des petits légumes dans une quantité plutôt conséquente de gelée. Souvent les entrées sont accompagnées de pain. Deux sortes sont généralement proposées : le pain blanc au froment (belyy khleb/белый хлеб) classique et le pain noir de seigle (tchiorny khleb/чёрный хлеб) souvent un peu aigre et légèrement sucré à la fois.

Les basiques de la cuisine russe

Comme dans les autres pays d’Europe de l’Est les soupes tiennent une place très importante. Fumantes en hiver et rafraîchissantes en été, elles sont une composante indispensable du repas et souvent le plat unique pour la majorité des Russes. La soupe au riz et aux pommes de terre ou les simples bouillons de poulet ou de bœuf, parfumés de légumes et d’herbes, sont servis avec des pirojki. La plus connue de toutes les soupes russes et sans doute le bortsch (Борщ). À l’Ouest on connaît principalement le bortsch rouge ou krasnyy bortsch/красный борщ à base de bouillon de bœuf, chou rouge, betteraves et parfumé d’une foule d’herbes aromatiques. Mais il existe d’autres variétés comme le bortsch vert (shchavel/щавель), à base d’oseille, sans betterave. Une cuillère de crème aigre ou smetana (cметана) avant la dégustation adoucit le bortsch et le rend plus onctueux. Parmi les autres soupes on peut citer le chtchi (Щи) aigre, à base de choucroute, de légumes et de viande ou encore l’oukha (Уха), à base de poisson, de pommes de terre et parfumée au laurier. Très proche, la solianka (Солянка) est une soupe épicée à la choucroute, contenant également de la tomate, des câpres et des olives. En été, essayez l’okrochka (Окрошка), une soupe froide à base de kéfir, de légumes précuits, de jambon ou de viande cuite, le tout généreusement assaisonné d’aneth.

Les plats de viande et de poissons sont accompagnés de riz, de pommes de terre à l’eau ou frites, parfois de sarrasin. Pour ne citer que quelques recettes, on pourrait commencer par le fameux bœuf Stroganov (бефстроганов) un ragoût de bœuf agrémenté de champignons dans une sauce à la crème aigre, à la moutarde et au paprika, faisant honneur à la prestigieuse famille Stroganov. Autre plat de viande, aux influences sensiblement orientales, le chachlik (Шашлык) est originaire du Caucase et d’Asie centrale, mais il est devenu incontournable dans toute la Russie. Ces brochettes, traditionnellement d’agneau, mais également de porc, de bœuf ou de volaille sont délicatement épicées. Enfin le très nourrissant poulet à la Kiev ou kotlety po kievski (Котлеты по-киевски) est une recette de blanc de poulet fourré de beurre aux herbes, puis pané et frit.

Côté légumes et féculents, on ne peut pas rater les fameux pelmeni (Пельмени) des sortes de gros raviolis cuits traditionnellement à la vapeur farcis de mouton, porc, bœuf, champignons ou pomme de terre. Ils sont toujours couronnés d’une noix de crème aigre juste avant d'être servis. Les pirojki (Пирожки) sont des beignets de pâte brisée, farcis généralement de viande. Le galoubtsy (Голубцы) n’est pas sans rappeler le dolma grec même si en Russie les feuilles de chou remplacent les traditionnelles feuilles de vigne, que l’on farcit d’un mélange de viande de bœuf hachée crue, d’oignons et de riz. Les petits paquets ainsi obtenus sont cuits à la vapeur ou au bain-marie, et se dégustent avec de la crème fraîche.

Les desserts

Bien que la Russie ne possède pas une infinie variété de desserts, on retrouve quelques douceurs très savoureuses. On s’accommode souvent bien de quelques biscuits comme les prianiki (Пряники), de petits pains d’épices ronds fourrés à la confiture et recouverts d’un nappage en sucre. Sinon les Russes raffolent de crêpes et autres syrniki (сырники), des petits pancakes très épais au fromage blanc que l’on sert souvent avec de la crème aigre, de la confiture ou de la compote de pomme. On les nappe parfois de kissel (кисель) un jus de fruits rouges légèrement épaissi avec de la fécule de maïs.

Il existe des gâteaux plus complexes comme le Napoleon (Наполеон) une sorte de mille-feuille ou le très léger ptichye moloko (птичье молоко) que l’on pourrait traduire par « lait d’oiseau », qui se compose d’une génoise recouverte d’une crème au lait meringuée, le tout nappé de chocolat noir. Le medovik (mедовик) est un gâteau multicouche créé pour l’impératrice Élizabeth Alexeïevna au XIXe siècle, composé de couches de biscuit au miel et de crème fouettée. Enfin, le muraveinik (mуравейник) ou « gâteau fourmilière » est un dessert composé de brisures de biscuits agglomérées avec une crème au caramel et moulé en forme de cône. Gâteau des classes modestes, on le retrouve maintenant en pâtisserie. 

Pâques est une période très importante pour les 60 millions de Russes orthodoxes. On y consomme deux desserts très populaires. La paskha (пасха) est connue pour sa forme ressemblant généralement à une pyramide tronquée. C’est un entremets composé principalement de fromage fermier (tvorog), crème épaisse, beurre, parfumé à la vanille et généreusement garni de fruits confits et de raisins secs. Enfin, le koulitch (кули́ч) est une sorte de haute brioche cuite dans un moule cylindrique. On la parfume de rhum et de safran, avant d’y ajouter des fruits confits et des amandes. Une fois cuite, elle est couronnée d’un glaçage blanc.

L’importance du thé

Et pour déguster tous ces desserts, il y a une boisson chaude envers laquelle les Russes vouent un véritable culte. Le thé (Чай) a une place majeure dans la société russe et le pays est l’un des plus gros consommateurs au monde. Dès le XVIe siècle des diplomates russes, envoyés à la cour de l’empereur de Chine, découvre la consommation du thé. Très apprécié de l’aristocratie, ce produit que l’on achemine à travers l’Asie centrale à dos de chameau coûte une fortune. Il faudra attendre le chemin de fer au XIXe siècle pour réduire la durée du trajet, rendant le thé plus accessible. Au début du XXe siècle, l’entreprise Wissotzky, fondée à Moscou, était le plus grand fabricant de thé au monde.

Le thé en Russie est traditionnellement préparé dans un samovar, une sorte de double bouilloire où le thé est longuement infusé dans une théière posée au-dessus d’une cuve chauffée où l’eau reste toujours à bonne température. Le thé étant très fort, on remplit sa tasse avec parcimonie et puis on y ajoute de l’eau chaude. Élément central d’un foyer russe, le samovar peut être très simple, mais certains sont de véritables chefs-d’œuvre d’artisanat, ornés de métaux précieux, de porcelaine, de nacre ou même de cristal. Le thé noir est communément consommé dans le pays, mais attention au terme « thé russe », car il a un double sens. En France, il désigne un thé noir parfumé à la bergamote, mais l’appellation a aussi une réalité géographique. En effet dès le XIXe des botanistes russes essayent de cultiver des théiers dans l’Empire russe et notamment au bord de la mer Noire où le climat doux et humide convient bien à la plante. Et si aujourd’hui 90 % du thé consommé en Russie vient d’Inde ou du Sri Lanka, on peut acheter encore du véritable thé russe venant de cette région, dans des boutiques spécialisées, ou même le déguster dans quelques-uns des plus beaux salons de thé de la ville. Impossible de passer à côté du Literaturnoye Kafe ou Café littéraire (Литературное кафе) situé sur la perspective Nevski, qui a vu passer les plus grands écrivains russes comme Alexandre Pouchkine, Fiodor Dostoïevski et bien d’autres, dès son ouverture en 1834. Le Café Singer (Зингеръ кафе) est logé dans le superbe immeuble Art nouveau construit en 1904, au 28 perspective Nevski, pour l’entreprise américaine du même nom. Il fait face à l’imposante cathédrale Notre-Dame-de-Kazan. On peut aussi citer les superbes salons de thé des hôtels Astoria et Four Seasons, tous deux situés dans des bâtiments historiques classés.

Au royaume de la vodka

S’il y a un alcool que tout le monde associe à la Russie en un battement de cils, c’est bien la vodka (Водка). Les Russes en usent et en abusent, au point que l’un des premiers actes politiques de Gorbatchev, en 1985, pour remettre le pays au travail, avait été de promulguer des lois limitant la vente de la vodka et autres alcools. Mais il n’y gagna qu’impopularité et dut très vite en venir à l’évidence que prohibition et Russie ne font pas bon ménage, bien que la consommation d’alcool ait diminué chez les jeunes générations. La vodka, faite à partir de blé ou de pomme de terre, est traditionnellement un alcool peu coûteux. Les plus raisonnables se contentent d’un ou deux verres par repas (des petites doses de 5 cl environ), mais quand la fête bat son plein, les toasts et les dégustations ne se comptent plus. Ce n’est pas un digestif ou un apéritif, mais elle est généralement bue tout au long du repas. La vodka fournit également l’un des cocktails favoris des Russes : on y met des fruits à macérer (cassis, citron, etc.) qui donnent un goût parfumé au breuvage. La vodka de Vladimir, fabriquée sous la marque Prince d’Argent, est délicatement parfumée et très agréable. La Stolitchnaïa et la Moskovskaïa sont en principe les plus pures, encore qu’il faille être bien sûr de leur provenance. Le must reste la Beluga, produite dans la ville de Mariinsk, au cœur de la Sibérie.

Bière et autres boissons

La bière (Пиво), si elle ne détrône pas la vodka, notamment à table, est très répandue et la Russie est le quatrième plus gros consommateur de bière au monde. Les plus grosses brasseries du pays sont Tinkoff et Baltika et les Russes préfèrent souvent les bières blondes même s’il existe quelques brunes ou blanches de bonne qualité. Le vin (Вино) est de plus en plus consommé en Russie, surtout dans les lieux branchés. Bien que l’immense majorité du gigantesque territoire russe ne convienne pas à la culture de la vigne, le sud-ouest du pays aux abords de la mer Noire et de la Caspienne offre un climat convenable à la viticulture. Ainsi les vins de Géorgie (Khvanchkara [хваншкара] et Kinzmaraouli [кинзмараули], les préférés de Joseph Staline) sont les plus populaires en Russie. Toutes proportions gardées, le vin reste assez cher en Russie et des vins trop bon marché, possiblement frelatés, risquent de vous laisser un mauvais souvenir au réveil. Bien que durant l’ère soviétique les vins de mauvaise qualité directement fournis aux coopératives par camion-citerne, étaient légion, il y a eu depuis quelques améliorations significatives avec les vignobles d’Abrau-Dourso et du Château Tamagne, au bord de la mer Noire. Enfin pour les grandes occasions, la Russie a son champagne « soviétique » (Sovetskoïe champanskoïe/Советское Шампанское), une sorte de mousseux dont le prix peu élevé explique en partie sa popularité. Servi pour les grandes occasions (anniversaires, fêtes, etc.) il est tout à fait acceptable et sa version douce accompagne très bien les pâtisseries.

Parmi les boissons peu ou non alcoolisées, on peut citer le kvas (квас) issu de la fermentation du pain de seigle donnant une boisson fraîche très légère à moins de 2 % d’alcool que l’on parfume souvent avec des fruits et de la menthe en été. Le mors (морс), est une préparation à base jus de canneberges agrémenté de jus de citron. Malgré son nom le kompot (компот) est le nom donné à l’eau de cuisson de fruits (pommes, fraises, pêches, etc.) que l’on sert bien fraîche, même s’il désigne aussi les fruits simplement cuits. Le medovukha (медовуха) est issu de la fermentation du miel. Bien que généralement titrant à environ 5 %, il peut monter jusqu’à 15 %. Enfin, le ryazhenka (ряженка) et le varenets (варенец) sont deux boissons à base de lait fermenté, très populaires en Russie.