Le stade Stamford Bridge avec les supporters de Chelsea. (c) Silvi Photo-shutterstock.com.jpg

Au nord, le derby le plus médiatique

Les quartiers du nord de Londres accueillent le derby le plus médiatique, le North London Derby. Médiatique et historique car Arsenal et Tottenham se disputent le leadership depuis… 1913. C’est la date à laquelle Arsenal a emménagé dans le Nord et dans son mythique stade d’Highbury, finalement détruit en 2006 à l’occasion du déménagement de l’équipe à l’Emirates Stadium. Un stade que l’on peut visiter, après avoir salué la statue de Thierry Henry sur le parvis, et qui accueille aussi le musée du club. Highbury étant situé à 6 km de White Hart Lane, le stade de Tottenham, c’est cette proximité géographique qui a créé l’antagonisme entre les deux. Aujourd’hui, White Hart Lane a lui aussi été détruit, mais reconstruit au même endroit, pour devenir le Tottenham Hotspur Stadium, inauguré en avril 2019. C’est l’une des enceintes les plus modernes du monde et elle propose aussi visites guidées, musées et même une passerelle de verre vertigineuse au niveau du toit. Une vrai « fan experience » !

Côté foot, la rivalité s’est renforcée après la Première Guerre mondiale. En 1919, Arsenal a récupéré une place en première division grâce à un vote visant à attribuer les places vacantes, tandis que Tottenham, qui aurait pu aussi y prétendre, est relégué. Si le président d’Arsenal Henry Norris fut alors soupçonné d’avoir versé des dessous de table, la malversation supposée n’a jamais été prouvée… Las, Tottenham est remonté dès l’année suivante et la rivalité avec les Gunners a repris de plus belle. Les Gunners (les « Cannoniers ») sont surnommés ainsi, car le club d’Arsenal a été fondé par des ouvriers qui travaillaient au Royal Arsenal, une manufacture d’armement et d’explosifs. Le canon est ensuite venu orner le logo du club. Du côté de Tottenham, le surnom de Spurs est un dérivé de « hotspurs » (« les éperons »), qui complète son nom complet Tottenham Hotspurs. L’origine de cette dénomination se trouve dans les œuvres de… Shakespeare. Dans Henry IV, Part 1, le personnage de Henry Percy, appelé aussi Henry Hotspur, incarne les valeurs de noblesse londonienne et de combat que les fondateurs voulaient donner à leur club. Le logo, un coq de combat portant des éperons, a ensuite orné les maillots. Le club est aussi souvent considéré comme un « club juif », en raison des communautés juives qui se sont installées aux abords de White Hart Lane pour fuir les persécutions en Russie et en Europe.  Souvent victimes d’insultes antisémites de la part de leurs rivaux londoniens (notamment Chelsea, West Ham et Millwall), de nombreux supporters (juifs et non juifs) se sont autoproclamés la « Yid Army » pour tourner en dérision l’insulte raciste « Yid » qu’ils entendaient dans les stades.

À l’heure du bilan (à la fin de la saison 2022-2023), 193 rencontres ont opposé les deux institutions et c’est Arsenal qui domine avec 86 victoires, pour 67 défaites et 54 matchs nuls. Le derby le plus marquant a sans doute été celui de 2004, l’année des « Invincibles » d’Arsenal où, sous la houlette d’Arsène Wenger, Thierry Henry, Patrick Vieira et Robert Pirès, ont été champions de Premier League sans perdre un match. Pour couronner le tout, ils ont été sacrés, comme en 1971, sur la pelouse de White Hart Lane !

Naturellement, cette riche rivalité a été épicée par quelques transferts entre les deux clubs. Ils sont 18 à avoir osé franchir le rubicond. Une offense mal vécue par les fans qui n’ont pas hésité à surnommer « Judas » le défenseur Sol Campbell (à Tottenham de 1992 à 2001, passé chez Arsenal de 2001 à 2006 et en 2010).

A l’ouest, rien de nouveau

A l’ouest de la ville aussi, on se dispute la domination des quartiers depuis près d’un siècle et demi. Ici, c’est Chelsea, Fulham, Queens Park Rangers (QPR) et Brentford qui bataillent. La rivalité la plus marquante entre clubs du coin est certainement celle opposant Fulham et QPR. Deux clubs aux résultats moyens (qui alternent entre première et deuxième division) et dont les stades, respectivement Craven Cottage et Loftus Road, sont distants d’à peine 4 km. S’ils avaient sûrement trouvé un intérêt sportif à s’entendre en vue d’une fusion qui aurait permis de mutualiser les ressources, l’option est impossible à envisager pour les fans. QPR a un public de Londoniens issus notamment de Portobello Market et Notting Hill, brefs des « Cockneys » (les habitants issus de la classe ouvrière), alors que Fulham (qui a aussi une base de Londoniens) accueille dans les travées de Loftus Road, des immigrés fortunés qui se sont installés dans le quartier pour ses belles maisons victoriennes. Un antagonisme social s’est donc superposé à la rivalité géographique.

Une rivalité géographique qui concerne aussi Chelsea, dont le stade Stamford Bridge, qui propose aussi des tours classiques et un musée, est situé à Fulham, et donc à seulement 2 petits kilomètres de Craven Cottage. Même si, sportivement, les supporters de Chelsea ont accordé plus d’importance aux duels avec Arsenal et Tottenham.

À l’est, foot d’en bas et hooligans

Si dans le sud de la capitale anglaise, Crystal Palace est en concurrence avec Charlton et Wimbledon, c’est à l’est que le derby le plus chaud de la ville entre Millwall et West Ham a trouvé racine sur le même tissu social. L’histoire remonte à la fin du XIXe siècle chez les dockers. Millwall est fondé en 1885 par des dockers du chantier naval de l’Isle of Dogs et, dix ans plus tard, un contremaître de ferronnerie crée une nouvelle équipe de l’autre côté de la Tamise. Deux équipes donc pour la suprématie de l’East-End ; en ce début d’été 1895, la température du derby promet de s’envoler. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a tenu ses promesses sur l’échelle de la détestation. Dans ces quartiers pauvres et éternellement gris, où le chômage et l’insécurité règnent, le match du week-end est une bouffée d’oxygène pour les matelots et les ouvriers. Si Millwall déménage dans le Sud en 1910, le derby désormais de l’Est contre le Sud a gardé toute sa saveur. Et la température monte encore d’un cran, un siècle plus tard, lorsque les bateaux de migrants débarquent par dizaines. Le racisme prend alors place dans les tribunes des lions de Millwall dont le stade est baptisé The Den (la tanière) et l’équipe devient vite le symbole du hooliganisme britannique. Cris de singes dans les tribunes, fights (bagarres) organisées (ou non) avant et après les matchs, Millwall est certainement le club le plus détesté et craint de la ville, voire du pays. L’avertissement des dirigeants du club en 1949 résume à lui seul l’ambiance. « Prière de ne pas jeter vos cendres, pierres, briques, bouteilles, tasses, feux d'artifice ou autres types d'explosifs […] et de ne pas molester, en aucune façon, les joueurs de l'équipe adverse ». Voilà pour le décor.

Une chose est sûre, à Londres, le foot est un peu plus qu’une histoire de ballon rond. Welcome to London !