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Héritage byzantin et roman

C’est à Torcello que se trouve le plus ancien édifice de la lagune : la cathédrale Santa-Maria-Assunta, fondée en 639, dont on admire le dôme, les pavements de marbre et les mosaïques, autant de caractéristiques de l’art de Byzance, sous l’autorité de laquelle se trouve Venise. Cette dernière va cependant rapidement créer son propre style, appelé vénéto-byzantin. La plus belle représentante de ce style est la basilique Saint-Marc avec ses somptueuses mosaïques, ses cinq coupoles et ses décors de marbre et de porphyre. Face à la basilique, la place Saint-Marc se développe, devenant le forum de Venise. Il s’agit de l’unique piazza de la ville. En revanche, Venise compte de nombreux campi, places publiques possédant leur église et bordées d’un canal et de riches palais, où convergent les rues principales du quartier. Les campi sont à distinguer des campielli et corti (placettes et cours intérieures) sur lesquelles on retrouve un autre élément clé de Venise : le puits, ingénieuse citerne de récupération d’eau de pluie, dont les margelles sont travaillées comme des sculptures. Sillonnée par des calli (rues) et rii (canaux) - surplombés alors de ponts de bois à arche unique en plein cintre pour permettre le franchissement des bateaux -, Venise déploie un urbanisme unique. Si le style vénéto-byzantin domine jusqu’au XIIIe siècle, le roman fait quelques incursions. Le cloître de Sant’Appolonia en est l’unique témoin encore sur pied, même si des touches romanes sont à observer dans les bandes lombardes – pilastres reliés par une arcature en plein-cintre - du campanile de Santa-Maria-Assunta par exemple. A cette époque, la ville se dote également de ses premiers palais, les casa fondaci faisant office d’entrepôt, de commerce et de résidence. Ces palais possèdent une entrée côté terre donnant sur la cour intérieure et le grand escalier de la maison, ainsi qu’une entrée sur l’eau donnant accès aux entrepôts via un portique. L’entresol est occupé, lui, par les bureaux et commerces, tandis que l’étage supérieur, ou piano nobile, est composé de différentes pièces organisées autour du portego, pièce centrale courant sur toute la façade et parfois précédé de superbes loggias ouvragées. Ornée de marbre, frises et médaillons, la façade sur l’eau délaisse ses atours défensifs, traduisant la sécurité politique et sociale de la Venise d’alors. Le Fondaco dei Turchi en est l’un des plus beaux exemples.

Effervescence gothique

Le gothique se déploie au XVIIe siècle sous l’impulsion des ordres mendiants. Les franciscains font ériger Santa Maria Gloriosa dei Frari dont on admire l’étonnante élévation obtenue grâce à un ingénieux système de voûtes en plâtre sur armature de bois. Les dominicains, eux, font ériger Santi Giovanni e Paolo, surnommée le Panthéon de Venise du fait de sa monumentale austérité. En parallèle, les palais privés de la ville se font toujours plus somptueux, se dotant souvent d’un second piano nobile, et dévoilant une superbe ornementation. Le plus célèbre palais de l’époque est la Ca’d’Oro (Ca est le diminutif de Casa !) avec sa façade d’or et de marbre dont on admire les arcades ajourées, les balcons et loggias treillissés sur lesquels on retrouve les grands motifs du gothique : rosaces, arcs trilobés, remplages en quatre feuilles (armature de pierre divisant une fenêtre et formant un réseau ornemental) et formes géométriques. Le gothique vénitien a la finesse de la dentelle et l’éclat des ors et marbres empruntés à l’art byzantin. Venise s’amuse de cette hybridation des styles que l’on retrouve dans le chef-d’œuvre de l’époque : le Palais des Doges. Mais Venise est déjà consciente des défis auxquels elle doit faire face. Commencent donc des travaux de curetage des canaux et de lutte contre l’ensablement. La circulation des piétons devient également un enjeu de taille. Se multiplient alors ponts et fondamenta (quais), tandis que les berges du Grand Canal connaissent un important développement.

Triomphe de la Renaissance

La Renaissance vénitienne marque l’apogée culturelle de la Sérénissime. Cette période peut se diviser en deux grandes phases : la première Renaissance (XIVe-XVe siècles) et la Renaissance classique (XVIe siècle). Les deux grands architectes de la première Renaissance sont Pietro Lombardo et Mauro Codussi. Codussi prône une architecture de la rigueur et de la sobriété que l’on retrouve dans la blancheur immaculée des façades en pierre d’Istrie des églises San Michele in Isola et Santa Maria Formosa, cette dernière étant, par son plan en croix grecque inscrit dans un carré, un symbole d’équilibre et d’harmonie. Lombardo tend à plus d’ostentation ornementale, comme en témoigne son chef-d’œuvre Santa Maria dei Miracoli. Sa façade incrustée de marbres rares et ses voûtes formées de caissons dorés sont des emprunts assumés à la basilique Saint-Marc. Après l’incendie de 1483, le Palais des Doges est reconstruit par Antonio Rizzo et Pietro Lombardo, tous deux privilégiant un retour à l’antique. La place Saint-Marc aussi se transforme, Codussi la dotant d’une tour de l’horloge dont on admire la polychromie d’or et de bleu. En parallèle, les Scuole – corporations religieuses ou professionnelles et confréries de bienfaisance - se livrent une stimulante compétition entraînant l’édification de somptueuses maisons, à l’image de la Scuola di San Giovanni Evangelista. Codussi y réalisa un superbe escalier dit a tribunale car évoquant la tribune sur laquelle l’empereur byzantin prenait place pour assister aux cérémonies. Espace de mise en scène du pouvoir, l’escalier se retrouve également dans les palais privés comme dans le Palais Corner Spinalli réalisé par Codussi.

Les deux grandes figures de la Renaissance classique sont Jacopo Sansovino et Andrea Palladio. Sansovino introduit un nouveau langage architectural fondé sur celui de la Rome antique. On lui doit notamment la Libreria Vecchia, dont les arcades rappellent les arcades du Colisée. Pour ses églises, il nuance son vocabulaire à l’antique par des recours au style byzantin comme en témoignent le plan en croix grecque de San Martino et la riche ornementation de San Zulian. Palladio, qui succède à Sansovino comme proto (l’architecte en chef de Venise), mêle idées humanistes et modèles antiques. A Venise-même, il réalise principalement des édifices religieux. C’est à lui que l’on doit la façade de l’église San Francesco della Vigna dont les deux frontons donnent l’étonnante impression que deux façades s’emboîtent l’une dans l’autre. A San Giorgio Maggiore, il laisse libre cours à la monumentalité avec d’imposantes colonnes montées sur piédestal et de grandes baies thermales rappelant les bains impériaux romains. Mais son chef-d’œuvre reste Il Redentore. Cette Renaissance classique est aussi marquée par la reconstruction de la zone du Rialto. Sansovino y imagine les Fabbriche Nuove, mêlant fonctionnalisme et monumentalité à l’antique, tandis qu’Antonio Da Ponte y construit le célèbre Pont du Rialto avec son arche unique haute de 7,50 m. Les chantiers publics se poursuivent sur la place Saint-Marc avec les Procuratie Nuove de Vincento Scamozzi qu’il aligne sur la Libreria Vecchia, créant une spectaculaire harmonie.

Du baroque au néoclassicisme

Le grand architecte du baroque est Baldassare Longhena, qui réalise la basilique Santa Maria della Salute dont la monumentalité et la richesse ornementale sont inspirées du modèle palladien. Le baroque vénitien est une célébration du riche passé de la cité autant que du pouvoir de ses mécènes qui se font ériger de fastueux palais. On doit d’ailleurs à Longhena deux des plus beaux palais de la période : la Ca’Pesaro et la Ca’Rezzonico, largement inspirées des palais de Sansovino auxquels s’ajoutent des escaliers monumentaux, élément essentiel de l’effet de théâtralisation baroque. Ces effets de mise en scène sont portés à leur apogée dans l’église dite des Gesuiti dont les murs sont recouverts de draperies… en réalité taillés dans le marbre. Etonnant effet d’optique accentué par la multiplication des colonnes torses et volutes.

Le XVIIIe siècle, lui, rejette l’exubérance baroque et prône un retour à la rigueur antique dans un culte assumé de l’œuvre de Palladio. Parmi les plus beaux exemples de ce néoclassicisme vénitien, notons l’église San Simeon Piccolo placée sur un podium tels les temples antiques, le Palais Priuli Manfrin et son absence quasi-totale de décor, ou bien encore le Palais Grassi dont le cortile (cour intérieure à arcades) dégage un espace monumental. Ce néoclassicisme ou néopalladianisme trouve son apogée dans les œuvres de Tommaso Temanza et Giannantonio Selva. Au premier, on doit l’église Santa Maria Maddalena au parfait plan centré ; au second, on doit le Théâtre de La Fenice à la façade précédée d’un étonnant portique corinthien. Tandis que les extérieurs expriment rigueur et sobriété, les intérieurs rivalisent de luxe, multipliant riches décors et salles d’apparat. Ce recours au néoclassicisme se poursuit pendant l’occupation napoléonienne. Selva réalise notamment la très sobre église San Maurizio. Mais malgré sa volonté de s’inscrire dans la continuité architecturale de la ville tout en imaginant un urbanisme nouveau (les Giardini et la perspective de la Via Garibaldi en sont d’intéressants exemples), l’occupation française s’accompagne de nombreuses destructions… Le paradoxe napoléonien !

Eclectisme et modernité

L’occupation autrichienne a offert à Venise une intéressante dualité. D’un côté, elle a apporté une réelle vitalité urbanistique avec en particulier la multiplication de ponts pour faciliter la traversée du Grand Canal disposant jusque-là uniquement du Pont du Rialto. En 1854, l’ingénieur anglais Alfred Neville réalise une prouesse technique avec son pont métallique à arche unique non loin de l’Academia. Le pont fut détruit dans les années 1930 et remplacé par un pont… de bois ! Mais le pont le plus marquant de la période est bien sûr le pont ferroviaire mettant définitivement fin à l’insularité de Venise. En parallèle, les Autrichiens sont très attachés à la préservation du patrimoine et transforment de nombreux couvents et palais en services publics. A côté du style néoclassique se développe une série de pastiches ou revival liée à l’intérêt croissant pour les recherches historiques. La nouvelle façade du Fondaco dei Turchi ouvre ainsi la voie à la mode néo-byzantine. Ces revivals trouvent leur apogée lors de la réintégration de Venise au royaume d’Italie. Le néogothique est très en vogue à l’époque. On le retrouve dans les palais (Palais Franchetti), mais aussi dans l’architecture industrielle des rives du Canal de la Giudecca comme dans l’usine de filature de coton abritant aujourd’hui l’Institut d’Architecture de Venise, et surtout la grande minoterie Mulino Stucky tout en brique et en crénelures.

A la fin du XIXe siècle, les Giardini de Selva accueillent l’Exposition Internationale des Beaux-Arts avec son grand pavillon néoclassique. Très vite l’exposition s’étend et accueille de nouveaux pavillons nationaux, témoins des recherches architecturales du tournant du siècle. En parallèle, le « Groupe Vénitien », composé de riches industriels, encourage le développement du Lido qui devient alors le chantre de l’éclectisme à la vénitienne. L’Hôtel des Bains, entre néogothique et style hispano-mauresque, en est le plus célèbre exemple. Le long des grandes avenues du Lido, les villas se parent aux formes et aux couleurs de l’Art nouveau (appelé Liberty en Italie). La Villa Monplaisir, avec ses décors polychromes ciselés, est la plus célèbre. Le style revival continue également d’être employé dans des palais pseudo-médiévaux et néo-Renaissance.

Epoque contemporaine

Dans les années 1930, le fascisme appose sur Venise sa brutale monumentalité, comme en témoigne la Piazzale Roma imaginée pour accueillir le trafic automobile démultiplié par la création du pont routier. Vingt ans plus tard, Venise se dote d’une nouvelle gare, long bloc horizontal fermé, dont seule la blanche pierre d’Istrie rappelle que l’on est bien à Venise. Une cohabitation complexe avec le bâti existant qui pose cette question : l’architecture contemporaine a-t-elle sa place à Venise ? Les Jardins de la Biennale répondent par l’affirmative en se transformant en terrain d’expérimentation architecturale où les plus grands noms ont imposé leur marque aux différents pavillons nationaux : Alvar Alto pour la Finlande, Gerrit Rietveld pour la Hollande ou bien encore Josef Hoffmann pour l’Autriche. Ces jardins portent aussi la marque de Carlo Scarpa, qui réalise le cortile des sculptures du grand pavillon avec son toit ondulant. A Venise, Scarpa travaille principalement à l’aménagement de bâtiments existants, prenant soin de maintenir le lien entre passé et présent, via l’emploi de matériaux chers à Venise (marbre, pierre d’Istrie…). Parmi ses plus belles réalisations, notons la Fondation Querini Stampalia et le magasin Olivetti.

Dans les années 1980, l’Institut d’Architecture collabore avec la ville sur des projets de réhabilitation et des projets novateurs d’habitations populaires mêlant modernité et tradition vénitienne. Dans les années 2000, Venise accueille les starchitects. Santiago Calatrava imagine le Pont de la Constitution, Tadao Ando restaure le Palais Grassi et la Punta della Dogama pour la Fondation Pinault, Mario Botta crée de nouveaux espaces à la Fondation Quérini Stampalia, Renzo Piano redessine les anciens magasins de sel pour la Fondation Vedova, tandis que Rem Koolhaas et Philippe Starck participent à la transformation du Fondaco dei Tedeschi en temple du luxe et du design. Par petites touches, Venise continue de se réinventer !

Escapades vénitiennes

Par-delà la lagune, la Vénétie offre un voyage à travers l’histoire de l’architecture. A Vérone, vous découvrirez l’une des plus riches collections de vestiges romains au nord de l’Italie. Pragmatisme et monumentalité antiques se lisent notamment dans les impressionnantes arènes. Vous pourrez également admirer la pureté des lignes romanes dans la cathédrale Santa Maria Matricolore, l’imposant gothique de la basilique Sant’Anastasia et les chefs-d’œuvre de Sanmicheli, l’un des grands maîtres de la Renaissance vénitienne (Palazzo Bevilacqua, Tempietto), sans oublier bien sûr le Castelvecchio, forteresse médiévale transformée en musée par Carlo Scarpa. A Vicente, vous entrez dans le royaume de Palladio qui y réalisa la basilique, le superbe Théâtre Olympique, et surtout de somptueuses villas devenues les étendards de sa vision de l’architecture, entre humanisme et rigueur antique. Dômes, colonnes, portiques, sculptures et escaliers majestueux sont autant de motifs empruntés à l’Antiquité, transformant ces villas en nouveaux temples de la Renaissance. La plus célèbre des villas de Vicente est la Villa Rotonda. Et ces villas palladiennes sont à admirer dans toute la région, notamment le long de la Brenta, la Riviera vénitienne ! A Padoue, ne manquez surtout pas l’incroyable Palazzo della Ragione et son Salone, immense voûte sans colonne de soutien et plus grande salle suspendue au monde (81 m de long, 27 m de large et 27 m de haut !). Et n’oubliez pas de profiter du cadre exceptionnel du Prato della Valle, la plus grande place d’Italie, imaginé au XVIIIe siècle par Andrea Memmo sous la forme d’une île elliptique entouré d’un canal. Etonnant ! Enfin, perdez-vous dans les ruelles de la médiévale Trévise, ancien bastion de la Sérénissime dont les lions partout veillent. La Vénétie n’a pas fini de vous surprendre !