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Les origines

Aux dires de certains, la date officielle de la fondation de Bruxelles, l’an 979 qui a assisté à la construction de la forteresse décidée par le Duc de Brabant, a été retenue de façon arbitraire. Il paraîtrait sans doute tout aussi discutable d’entamer cette histoire de la littérature bruxelloise en 1830, année de l’indépendance de la Belgique, sans tout au moins citer certains écrivains qui ont habité la ville au cours des siècles précédents. Il nous plaira ainsi d’évoquer Katherina Boudewyns et Gysbrecht Mercx, tous deux poètes de langue néerlandaise du XVIe. La première avait pour devise Patientie is zo goeden kruid (La patience est une si bonne herbe), le second Spellet wel (Jouez bien), deux maximes qu’il est toujours doux de faire résonner aujourd’hui. Au siècle suivant naît à Bruxelles un futur libraire, Joan de Grieck, qui a marqué les âmes par ses « comédies malhonnêtes » mettant en scène des allégories plus ou moins diaboliques. Enfin, un autre dramaturge, Jan Frans Cammaert (1699-1780), a longuement usé de sa plume pour traduire, adapter – notamment Molière –, et inventer, rimes et intrigues scéniques. Son ton baroque n’a peut-être plus l’heur de séduire de nos jours, mais il reste remarquable par l’importance de son œuvre soigneusement conservée à la Bibliothèque royale de Belgique. La culture a donc toute sa place en ces siècles passés, pour preuve la création en 1772 de l’Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, titre que remet à une société littéraire créée trois ans auparavant par l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, d’où son surnom de « Thérésienne ».

En 1830, le pays déclare son autonomie et s’affranchit de la Hollande à laquelle elle avait été unie suite à la bataille de Waterloo. La Belgique tranche et met fin à l’une des causes de la mésentente, le français est désigné comme unique langue nationale, alors que celui-ci n’est utilisé que par une minorité de Belges (et à peine 15 % des Bruxellois). La question linguistique ne cessera dès lors de se poser. L’heure est à la définition de « l’âme belge » et toute une génération d’auteurs, à l’instar de Charles Potvin, auteur de poèmes patriotiques et d’un drame en quatre actes, Les Gueux, s’attelle à donner naissance à une littérature nationale. Mais l’influence romantique ne leur sied pas vraiment, ce dont se moquent de joyeux jeunes gens issus pour la plupart de l’Université libre de Bruxelles qui ont, en 1856, créé l’impertinent Uylenspiegel, journal des ébats artistiques et littéraires. À défaut d’âme unificatrice, un certain esprit belge est en train de se créer, à l’image des caricatures si décriées de l’un des membres fondateurs, Félicien Rops. Ces nouvelles voix prônent le réalisme et se reconnaissent certainement plus dans Balzac ou Flaubert que dans Victor Hugo, ainsi Alexandre Scaron (1835-1923), directeur de la revue, publie sous le pseudonyme de Paul Reider un roman de mœurs mettant en scène Mademoiselle Vallantin, jeune bourgeoise qui rompt avec sa famille pour mieux succomber aux charmes de son amant… à ses risques et périls. Son acolyte, Charles de Coster, fait quant à lui paraître La légende d’Ulenspiegel, succès considérable en-dehors des frontières, mais auxquels les conformistes belges réservent un accueil glacial. Usant du français, le jeune homme brosse pourtant un portrait sensitif de la Flandre, il n’hésite ni à inventer une langue, ni à mêler grandes histoires et mythes fondateurs, en cela il est peut-être l’auteur du premier grand roman national que tout le monde attendait.

Sous l’impulsion de Léopold II, qui succède sur le trône à son père en 1865 et y restera jusqu’à sa mort en 1909, la Belgique devient l’une des premières puissances économiques du monde. Mais derrière l’apparat se cache une misère retentissante ce qui favorise l’émergence du naturalisme, à titre d’exemple Camille Lemonnier, né à Ixelles en 1844, fait paraître en feuilletons Un Mâle. L’auteur n’appréciait guère la comparaison avec Zola, préférant insister sur sa propre recherche stylistique, toujours est-il que son roman aux accents rustiques fit scandale auprès des critiques traditionalistes. La revue La Jeune Belgique, en digne héritière de l’Uylenspiegel, lui apporta néanmoins tout son soutien. Lemonnier s’attachera ensuite à suivre les pas des Décadents, se rapprochant par ses obsessions d’une certaine esthétique chère à Huysmans. Avec le siècle qui se termine naît un nouveau courant littéraire, le symbolisme, sous l’influence de Verlaine qui fera bien plus qu’essayer d’ôter la vie à son amant le 10 juillet 1973 Rue des Brasseurs. Les rimes se font libres, l’atmosphère prend le pas sur la description, le tout entre en résonance avec les débats d’idées favorisés par l’apparition de plusieurs journaux littéraires. C’est un certain âge d’or pour les Lettres, et Bruxelles voit défiler nombre de symbolistes dont Charles Van Leberghe (1861-1907), à qui l’on doit La Chanson d’Ève, Grégoire Le Roy (1862-1941), auteur – entre autres – de la pièce L’Annonciatrice malheureusement disparue, ou encore Albert Mockel, poète wallon mort à Ixelles en 1945, du bien beau monde, mais rarement leur figure de proue, Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de Littérature 1911, qui y publie sans s’y installer.

Le XXe siècle et après

À nouveau, la question linguistique se pose, et bien que le flamand accède à un rang officiel par la fameuse Loi d’égalité de 1898, dans les faits les tensions sont palpables. En 1912, le politique Jules Destrée écrit sa fameuse lettre ouverte au roi Albert Ier, « Sire, vous régnez sur deux peuples… », en 1920 il obtient la création de l’Académie royale de langue et de littérature de Belgique, la « Destréenne ». Mais la guerre est passée par là, le récit régionaliste qui avait la cote au tout début du millénaire, porté par le souffle du Bruxellois Thomas Braun, ami de Francis Jammes et grand amoureux de la nature (Fumée d’Ardenne, 1912), ne trouve plus écho dans un monde qui reproche aux valeurs d’antan la tragédie. En réaction se dessinent deux nouveaux champs d’exploration : la littérature engagée et le modernisme. La première s’incarne parfaitement sous les traits de Charles Plisnier, né à Ghlin en 1896, qui s’engage dans des études de droit à l’Université libre de Bruxelles en 1919 et adhère à la même époque au Parti communiste, un parcours complexe fait de perpétuelles remises en question, mais c’est aussi pour ses livres que l’homme est reconnu. Ainsi, Faux Passeports, sous-titré Mémoires d’un agitateur, fait de lui le premier Belge à recevoir le Prix Goncourt en 1951. Du côté de l’avant-garde, le frémissement originel a lieu bien loin de Bruxelles, plus exactement à La Hulpe, où Clément Pansaers (1885-1922) fonde en 1917 la revue Résurrection qui offre ses colonnes à des auteurs et artistes de tous horizons, des États-Unis à l’Allemagne. Six numéros, seulement, qui lui valent perquisition et surveillance par la police secrète. Deux ans plus tard, il découvre le mouvement Dada avec lequel il se sent immédiatement en connivence, tant et si bien qu’il imagine fonder une maison d’édition et surtout organiser, l’année suivante, une grande manifestation dadaïste dans la capitale belge. Deux projets qui n’aboutiront pas pour cause de dissensions internes, comme une prémonition des sévères divergences à venir. Pourtant, l’étincelle est là, et elle allume d’autres flammes. Franz Hellens, l’auteur de Mélusine (Éditions Gallimard), lance Signaux de France et de Belgique, qui deviendra par la suite Le Disque vert, revue dans laquelle Henri Michaux, qui est né Belge, fera paraître ses premiers écrits tout en s’investissant dans le comité de rédaction. Paul Nougé, quant à lui, créé sous forme de tracts la revue Correspondance, se lie avec les surréalistes français et bien plus encore avec René Magritte, tandis qu’Odilon-Jean Périer publie en 1926 un roman à l’inspiration dadaïste, Le passage des anges. L’entre-deux-guerres est donc une période féconde, c’est aussi vrai dans le monde du théâtre avec l’arrivée de l’étrange, et quelque peu inquiétant, Michel de Ghelderode. La Seconde Guerre mondiale n’interrompt pas l’élan intellectuel même si elle balaye les idées révolutionnaires et, du même coup, le surréalisme. Pendant l’occupation, la littérature s’engouffre dans les marges, fuyant ainsi la réalité, la poésie n’a plus rien de politique et il naît de nouveaux intérêts, qui perdureront bien au-delà de ces années sombres : le roman policier et le récit fantastique. Thomas Owen, ami de l’incontournable Jean Ray, s’essaye aux deux avec un certain succès et beaucoup d’humour, tandis que Stanislas-André Steeman s’inspire de sa propre adresse, Square du Val de la Cambre à Ixelles, pour écrire son premier véritable succès, L’assassin habite au 21.

Mais la guerre laisse le pays exsangue de ses maisons d’édition, et bon nombre d’auteurs s’exilent vers Paris comme le fera Dominique Rolin qui abandonne Bruxelles en 1946 pour s’installer dans la capitale française. Elle y trouvera l’amour, et un éditeur, Denoël qui publie deux ans plus tard son premier roman, Moi qui ne suis qu’amour. En 1952, Le Souffle est couronné par le prix Fémina et sa longue carrière d’écrivain est lancée. Des deux côtés de la frontière existe une vraie volonté de réinventer l’art romanesque, et bien que l’on puisse difficilement dire que le Nouveau roman trouve écho en Belgique, il n’en est pas moins vrai que certaines œuvres, à l’image de celles de Pierre Mertens, s’autorisent à s’affranchir des contraintes narratives. Une recherche qui va se décliner jusqu’à nos jours, sous différentes formes, avec peut-être un goût commun pour l’insolite dans le quotidien, voire une légère étrangeté, en tout cas un certain rapport au monde que l’on retrouve aussi bien dans les poèmes de Fernand Verhesen, dans les pièces de Paul Edmond ou dans les romans de Jean-Philippe Toussaint qui se fait remarquer dès sa première publication, La Salle de bain, prix de la Vocation 1986. Une nouvelle génération est aujourd’hui à l’œuvre, elle use d’un humour parfois caustique, telle Amélie Nothomb qui publie fidèlement son roman par an depuis Hygiène de l'assassin (1992, Albin Michel) Thomas Gunzig et son remarqué Manuel de survie à l’usage des incapables (Au Diable Vauvert, 2013), et d’un œil affûté, à l’instar du féroce La Vraie Vie d’Adeline Dieudonné publié en 2018 aux éditions L’Iconoclaste. Le polar Toute la violence des hommes de Paul Colize (Hc Eds, 2020), est quant a été inspiré des fresques de street art érotiques ou violentes qui ont fleuri à Bruxelles en 2016 et faites de la main du même artiste.