Tonneaux de whisky, Islayt©twstipp.jpg

Le whisky : un art de vivre que chacun conjugue à sa manière

Nombreux sont les experts à disserter sur l’authenticité des goûts et des coutumes, la juste manière de porter le whisky à ses lèvres, les hérésies à ne pas commettre et l’art de la dégustation. Cela peut intimider, surtout lorsque l’on est novice en la matière. Cependant, sur place, la réalité des visites de distilleries et des pubs est tout autre. Elle est tout, sauf décevante… tout, sauf intimidante, puisque l’on vous explique volontiers, avec sympathie et simplicité, qu’ici, on n’est pas snob et que vous êtes parfaitement libre de boire votre whisky comme vous le voulez. C’est à chacun son goût, sa sensibilité et son envie. Bien sûr on vous racontera l’histoire de ce breuvage et de cette distillerie avec passion, bien sûr on argumentera de ses notes subtiles et uniques, mais on vous laissera aussi libre de l’apprécier, à votre mesure, que vous soyez néophyte ou passé maître en la matière. Distilleries et pubs vous accueillent comme vous êtes, avec le simple désir de vous faire partager l’amour de ce breuvage multiséculaire.

Voyage dans la nuit des temps…

Les premières traces écrites attestant de la fabrication de whisky en Écosse remontent à 1494. Est en effet citée, dans un document officiel, la formule « eight balls of malt to Friar John Cor wherewith to make aquavitae », soit la quantité nécessaire à la production de quelque 1 500 bouteilles. La requête provient d’un moine de la région du Fife (au sud de Dundee). On imagine volontiers que les premières productions étaient bien antérieures : certains historiens parlent d’une invention au Xe siècle par les alchimistes arabes, tandis que d’autres attribuent la distillation de l’orge aux Égyptiens, en 3000 avant J.-C. Dans tous les cas, c’est à compter du XIIe siècle que la pratique de la distillation de spiritueux s’étend. Elle est l’affaire des moines, qui parlent d’« aqua vitae ». La première aqua vitae obtenue sur une base d’orge fermentée est attribuée aux moines irlandais, qui auraient fait voyager, et implanté, leur trouvaille sur les terres écossaises. Attention à vous si vous évoquez ce sujet… La question des origines irlandaises ou écossaises du whisky est un terrain glissant !

Aqua vitae en latin ou uisge beatha en gaélique, uisge devenant uisghi : le mot « whisky » est apparu par glissements phonétiques successifs, de même que les habitudes liées au whisky ont aussi évolué. Au XVIe siècle, il était fait avec le reliquat d’orge et bu à même le tonneau, sans qu’il y ait eu vieillissement. Parmi ses nombreux bienfaits, il pouvait empêcher le bégaiement, les gargouillis d’intestins, aider la digestion, chasser la mélancolie, vivifier les esprits et même empêcher les testicules de tomber (source : The Whiskies of Scotland, R.J.S. MacDowall). Longtemps utilisé comme médicament, il était bu à tout âge, « du berceau à la mort ». Et presque après la mort… Car les Highlanders avaient l’habitude de prévoir, avant de passer un trépas, une quantité suffisante du breuvage miraculeux à distribuer à leurs proches éplorés pour leur permettre de noyer leur chagrin. Il est ainsi une époque où les enterrements se transformaient en grandes beuveries… Enfin, le whisky est tellement consommé par les Écossais que Mark Twain aurait écrit : « Le whisky pour un Écossais est aussi inoffensif que le lait pour le reste de l’humanité. »

« Liberté et whisky vont de pair » (Robert Burns)

Le XVIIIe siècle fut une période rude pour les fabricants et nombreux consommateurs de whisky. Après l’Acte d’Union qui unifia l’Écosse et l’Angleterre, le gouvernement s’appliqua à contrôler sa production : lourdes et multiples taxes, restrictions… Les Écossais ont continué à distiller, mais dans la clandestinité. Fraude et contrebande vécurent leurs heures de gloire. De nombreuses histoires d’excisemen (agents de recouvrement) trompés et piégés émaillent la culture écossaise. Ces grandes heures de rébellion ont fait passer le whisky du statut de boisson à celui de mythe.

Il fallut attendre 1824 pour que le gouvernement change sa politique de taxation pour un système plus adapté à la situation. En effet, celle-ci était devenue ubuesque : 8 distilleries officielles pour 400 clandestines dans la seule ville d’Édimbourg… Dans les mois et années qui suivirent naquirent des distilleries que nous connaissons encore aujourd’hui : Glenlivet en 1824 ou Talisker en 1830. Le whisky a aussi bénéficié d’une conjoncture propice pour se développer : des progrès techniques avec l’introduction de l’alambic à colonnes en 1831 – cette invention d’Aeneas Coffey est connue aussi sous le nom de Coffey still – et un coup de pouce de dame Nature qui a, en 1880, détruit les productions françaises de cognac et de vin, réduisant quasiment à néant les réserves des caves des aristocrates du monde entier. La production et l’engouement pour le whisky écossais étaient lancés…

Comment fabrique-t-on le whisky ?

Le mieux, pour en avoir une idée concrète, sera d’aller faire la visite d’une distillerie. Celles-ci proposent des tours guidés avec dégustation finale, mais aussi des expositions ou des films de découverte. Certaines disposent de textes en français reprenant les explications du guide ou traduisant les panneaux. Chaque distillerie a ses secrets, qu’elle dévoile en partie, et ses particularités, mais, en somme, le whisky se fabrique comme suit.

Maltage de l’orge : l’orge est imprégnée d’eau, déposée sur un plateau jusqu’à germination, séchée puis broyée.

Mélange orge et eau : la mouture (orge moulue) est mêlée à de l’eau chaude, ce qui donne le moût, ou la base de l’alcool.

Fermentation : le moût séjourne dans de grandes cuves de fermentation, puis est complété de levure. À cette étape, les sucres du moût se muent en alcool. On a obtenu le « wash ».

Distillation : le wash passe par deux alambics, le wash still pour la première distillation et le spirit still pour la deuxième.

Ensuite, le « cœur de malt » est collecté, transvasé dans des fûts de chêne, et mis à maturation. Le reste est redistillé.

Découvrez l’Écosse à travers ses whiskies

Lowland : C’est la zone la plus au sud du pays. On n’y trouve plus que quelques établissements, mais de nouveaux sont en train de naître. Leurs whiskies sont assez doux, légers, secs et fruités (ex. : Ailsa Bay, Glenkinchie, Bladnoch, Auchentoshan).

Highland : C’est la région la plus vaste et certainement la plus diverse. Les single malts varient beaucoup entre les saveurs riches et charpentées du nord ; fumées, puissantes et maritimes de l’ouest ; et plus légères et fruitées de l’est et du sud (ex : Old Pulteney, Oban, Glenmorangie, Ben Nevis, Aberfeldy...).

Speyside : La vallée de la Spey est de très loin le poumon de l’industrie, avec la moitié des distilleries. Elles produisent des whiskies assez doux, ronds et élégants, mais très complexes avec une grande palette d’arômes (ex. : Glenfiddich, Cardhu, Aberlour, Glenlivet...).

Campbeltown : Autrefois le siège de plus de 30 producteurs, la prohibition américaine a eu raison de leur prospérité et ils ne sont aujourd’hui plus que trois. Leurs goûts sont saumurés, légèrement fumés, secs et caramélisés (ex. : Glengyle, Glen Scotia, Springbank).

Islay : la petite île d’Islay jouit d’une appellation à elle seule pour ses caractéristiques si particulières et ses distilleries. La « water of life » y est empreinte de la force des éléments, très puissante et tourbeuse, marquée par la terre, la mer et le vent (ex. : Laphroaig, Bowmore, Coal Ila, Ardbeg, Lagavulin, Bruichladdich...).

Island : Souvent considérée comme faisant partie de l’appellation Highland, les whiskies des îles sont à mi-chemin entre ceux de la côte et leurs voisins d’Islay. Assez fumés, influencés par les embruns et leur terroir rude, avec des notes de miel, de citron et de bruyère (ex. : Highland Park, Scapa, Tobermory, Talisker, Jura...).

Aberdeenshire : Ces malts sont plus confidentiels et gagnent à être connus. En dehors des circuits touristiques traditionnels, des distilleries du XVIIIe et du XIXe siècle se sont réunies autour du projet « The Secret Malts of Aberdeenshire ». Les visites sont plus confidentielles. (Ex. : Ardmore, Fettercairn, GlenDronach, Knockdhu, Glenglassaugh, Royal Lochnagar…)

Parlez whisky comme il se doit

Voici un petit lexique pour vous guider :

Scotch Whisky : il ne peut être fait qu’à base d’eau, d’orge et de levure pour obtenir l’appellation. Il doit ensuite vieillir au moins trois ans en Écosse et titrer au minimum à 40°.

Single malt : est dit d’un whisky qui n’est le produit que d’une seule et unique distillerie.

Blended : désigne, au contraire, le fruit du mariage entre plusieurs whiskies, venus de plusieurs distilleries. S’il n’est pas « blended malt », il contient d’autres céréales que l’orge, d’où son prix souvent bas. Les blended représentent 90 % du marché (ex. : Johnnie Walker, J & B, Famous Grouse...).

Whisky de grain : orge maltée, orge non maltée et diverses céréales sont mélangés ensemble, puis à de l’eau et dans un troisième temps à de la levure. La distillation se fait dans un alambic à colonnes.

Peaty : est l’adjectif employé pour dire d’un whisky qu’il est fumé. Le peat est la tourbe qui sert à donner au malt ce goût si spécial, notamment sur l’île d’Islay.

Dram : est l’unité classique pour servir un whisky. On demande a dram of whisky, rarement a glass et encore moins a pint... Le dram correspond à 2,5 cl. Vous voulez le double ? Demandez un « gentleman ».

Ne confondez pas whisky, whiskey et Bourbon…

Il ne s’agit nullement de variantes orthographiques ou linguistiques, mais bien au contraire, de spiritueux différents. Le whisky est écossais ; le whiskey est irlandais et le bourbon est américain. Au moment d’exporter leurs produits, vers 1970, les Irlandais ont voulu marquer clairement leur différence : c’est ainsi qu’ils ont ajouté ce « e ». Le whiskey fait donc référence à ce qui est produit et bu en Irlande, et le whisky à ce qui est produit ou inspiré par l’Écosse. On parlera ainsi de whisky japonais, parce qu’il est fabriqué selon la tradition écossaise, et souvent avec du malt écossais, mais cela est un autre sujet. Il est aussi question de différence dans la fabrication : trois distillations pour le whiskey (irlandais), deux pour le whisky (écossais) et une pour le bourbon (américain). Enfin, pour être sûr qu’on parle de whisky écossais, on précise « scotch whisky ». Cette mention sera, en même temps, un gage de qualité !

Conseils futés pour amateurs avisés

Friends of the classic malts : Vous le verrez dans ce guide, plusieurs distilleries offrent des visites gratuites pour les adhérents friends of the classic malts. Il y en a 12 en tout et il se trouve que l’adhésion est entièrement gratuite. C’est une occasion en or pour faire des économies tout en découvrant cette industrie si précieuse au terroir écossais. Vous pouvez vous renseigner en ligne (www.discovering-distilleries.com ou www.malts.com) ou directement dans les distilleries partenaires.

Pour acheter votre whisky : faites le plutôt en France qu’en Écosse, où les prix sont bien plus élevés et où le taux de change n’aide pas. Sauf si vous souhaitez une bouteille introuvable, faites uniquement vos gammes là-bas, et constituez votre stock dans votre supermarché.

Faites-vous conduire pour votre whisky tour : même si elles sont proches géographiquement et même sans faire d’abus, profiter pleinement d’un tour des distilleries impose de s’organiser. Sachez que les offices de tourisme organisent des « whisky tours » en car et que des organismes privés proposent des excursions privées avec chauffeur.

Assistez à un festival du whisky : le Fife Whisky Festival début mars, le Whisky Colour festival à Dufftown mi-octobre, le Dornoch Whisky Festival fin octobre, le National Whisky Festival à Aberdeen mi-septembre, le Drambusters Whisky Festival à Dumfries fin novembre…