Costume traditionnel lors d_une procession religieuse (c) D.serra1 - Shutterstock.com.jpg
DOSSIER SOCIETE (2).jpg
shutterstock_1775732816.jpg

La famille, fondement de la vie sociale

Traditionnellement, plusieurs générations cohabitent sous le même toit. Les plus âgés ne connaissent pas l’isolement et tissent des relations étroites avec les plus jeunes. Si c’est encore vrai dans les montagnes et les villages reculés, les familles sont plus éclatées dans les villes. Nombreux sont ceux à être descendus de la montagne pour occuper des emplois sur la côte. Certains jeunes quittent l’île pour poursuivre des études sur le continent et ne reviennent jamais, si ce n’est à l’occasion des fêtes. Si la famille demeure le pilier social inébranlable, il est tout de même étonnant de constater que la Sardaigne est la région italienne affichant le plus bas taux de natalité. La vie sociale est rythmée par le calendrier religieux, les fêtes patronales nombreuses, les mariages, les naissances et les décès. Au quotidien, les locaux se donnent rendez-vous sur les places publiques, les bancs ombragés ou à la terrasse des cafés. A l’heure de la sieste, les rues sont désertées, avant de s’animer à nouveau pour la passeggiata, la promenade apéritive du soir. Il suffit de déambuler dans les rues des villes ou des villages pour embrasser en un rien de temps la sociabilité sarde. Tout le monde semble se connaître, s’arrête pour discuter avec un ami ou un voisin, les générations s’entremêlent dans un sentiment de bonne humeur.

Les 3 M

Les Sardes disent volontiers que les « 3M » se fondent dans un creuset pour former le socle de leur vie. Mais que représentent ces mystérieux M ? La Madone tout d’abord. La religion occupe une place d’importance en Sardaigne. Chaque village accueille une église, quand ce n’est pas plusieurs, des chapelles ont été érigées dans les campagnes sur les lieux de culte païens, des calvaires se dressent à la croisée de chemins. En tant que mère du Christ, messager de Dieu, la Vierge jouit d’un statut spécial en Sardaigne. Elle est de facto, la mère de tous les chrétiens. C’est vers elle que se tournent les Sardes pour implorer un miracle, demander une grâce, quémander un bout de bienveillance. A l’occasion du 15 août, le ferragosto en italien, de nombreuses villes et villages tirent des feux d’artifice, donnent des concerts, organisent des évènements pour marquer le coup. La plus belle fête est donnée à Sassari au soir du 14 août. Les habitants se rassemblent en procession pour la Descente des Chandeliers sur la Piazza Castello. Des cierges en bois enluminés, surmontés de fanions et d’ex-voto sont portés jusqu’à l’église Santa Maria di Betlem pour renouveler le vœu fait à la Vierge qui sauva la ville de la peste. Comme toujours, les Sardes mêlent religiosité et magie, religion et légende. Le deuxième M rend hommage à la mamma. La mère tient le premier rôle au sein de la famille. Si le père détient l’autorité sur le cercle familial, la mère est chargée de l’éducation des enfants, de leur prodiguer amour et bienveillance. Elle détient le rôle nourricier. Si saint Pierre est assis à la droite de Dieu pour bénéficier du bonheur éternel, la mamma est assise à la droite de la Madonna dans l’imaginaire collectif. Tout comme la Vierge veille avec bonté sur les croyants, la mamma veille sur ses petits avec tendresse. Le troisième M renvoie à la nourriture, le manger, mangiare. Les repas cimentent les membres d’une même famille. Le contenu de l’assiette est tout aussi important que l’acte de partager le repas. Toute la famille se rassemble autour de la table pour partager la cuisine – toujours délicieuse - de la mère. On y raconte sa journée, les petits et grands évènements de la communauté.

Le mariage

L’union d’un homme et d’une femme passe encore pour l’acte le plus sacré d’une vie. Le rite a perdu beaucoup de ses spécificités traditionnelles, mais le mariage constitue toujours une fin en soi : fonder un foyer, perpétuer la lignée. De nombreuses coutumes et superstitions sont liées à l’évènement. Les jeunes femmes célibataires avaient pour habitude de placer trois fèves sous leur oreiller à la veille de la Saint Jean (24 juin). La première était pleine, la deuxième à moitié écossée et la troisième complètement écossée. Au réveil, la jeune femme tirait une fève au hasard. Le résultat lui indiquait le statut de fortune de son futur mari. La demande en mariage et les noces suivaient un rituel très précis, long et codifié. Lorsqu’un jeune homme désirait se marier, il devait d’abord obtenir le consentement de son père. Après l’avoir donné, ce dernier se rendait chez les parents de la promise pour faire la demande. S’ensuivait un dialogue abstrait entre les deux pères, où le nom de la jeune fille n’était pas prononcé, mais où il était question d’emmener une génisse à la beauté parfaite brouter dans de nouveaux pâturages fertiles. Si le père de la jeune fille donnait son accord, le montant de la transaction (segnali) était alors fixé, ainsi que la date de sa remise. Le jour venu, le père du fiancé se rendait alors chez la jeune fille, accompagné de parents et d’amis choisis, ainsi que des cadeaux convenus. La famille de la fiancée se tenait barricadée dans la maison et devait attendre que la famille du futur époux ait rameuté les habitants du village avant d’ouvrir leur porte. Les cadeaux pouvaient être remis à la famille de la fiancée et un repas se tenait où les deux familles s’asseyaient à la même table. Cette cérémonie permettait de rendre publique la future alliance entre les deux familles. Le mariage ne pouvait se tenir qu’après constitution complète et transport du trousseau. Le futur époux se présentait monté sur un cheval et suivi du nombre de chariots suffisant chez sa promise. Chaque élément est scrupuleusement étudié, montré et placé dans les chariots : meubles, ustensiles de cuisine, draps, blé. La meule occupait toujours le dernier chariot, tandis que la cruche dont la future mariée se servirait pour puiser l’eau était placée sur un coussin porté par la plus belle jeune fille du village. Les familles des futurs mariés se rendaient alors en procession bruyante et colorée chez l’époux. Les chariots étaient vidés, les meubles mis en place dans la maison. La cérémonie de mariage pouvait alors se tenir. Elle se déroulait dans le village de la mariée. L’époux se présentait accompagné du prêtre de son village. Après forces pleurs et lamentations, la jeune femme obtenait la bénédiction de sa mère et était remise au prêtre de l’époux, tandis que celui-ci était confié au prêtre de l’épouse. Les deux familles se rendaient séparément à l’église, précédées par une fanfare. A l’issue de la cérémonie, les convives se rendaient chez la femme pour le repas de noces. Les mariés étaient assis pour la première fois côte à côte et partageaient une soupe servie dans une assiette unique et avec une seule cuillère. A un signal donné, l’épouse était assise sur un cheval caparaçonné conduit par le témoin du marié. Les deux familles suivaient la mariée jusqu’à sa nouvelle maison, en procession, deux par deux. Arrivée à bon port, la belle-mère distribuait la grazia (la grâce) en répandant quelques gouttes d’eau dans la cour de la maison et en jetant des poignées d’un mélange de blé, de sel et de dragées. La mariée baisait alors la main des parents de son époux, en signe de respect, avant d’être conduite dans la chambre nuptiale. Un nouveau festin se tenait en soirée, où les mariés mangeaient à nouveau dans la même assiette et avec les mêmes couverts. S’ensuivaient un bal avec musique et chants traditionnels. Aujourd’hui, la cérémonie matrimoniale est grandement simplifiée et suit les rites occidentaux. Pour autant, chaque année, le village de Selargius célèbre une union suivant les rites traditionnels en septembre.

La place de la femme

La Sardaigne n’est pas la Sicile ! La responsabilité du soutien financier de la famille est autant portée par l’homme que par la femme. Il en est de même pour les décisions importantes concernant la famille. On dit aussi que ce sont les femmes qui s’occupent du « business » et qui gèrent les affaires et les comptes. Contrairement au reste de l’Italie, la répartition des responsabilités et des tâches est plus équilibrée entre les époux. Beaucoup de femmes travaillent et participent aux revenus de la maisonnée. Elles sont même légèrement plus nombreuses à occuper un emploi que les hommes en Sardaigne. Cette vie nouvelle, plus tournée vers l’extérieur, est-elle de nature à expliquer le faible taux de natalité en Sardaigne ? Ce sont les femmes étrangères qui participent le plus au taux de renouvellement de la population, avec un taux de natalité deux fois supérieur à celui des femmes sardes.

La Sardaigne a connu quelques personnalités féminines emblématiques. La première d’entre elles vécut au temps des Judicats. Eleonora d’Arborea a marqué son expérience du pouvoir en promulguant le premier Code civil de l’île. Il fallut attendre 1827 pour que le Code de Savoie remplace la Carta de Logu mise en place en 1392. Le seul prix Nobel remporté par un Sarde le fut par une femme, Grazia Deledda. Née en 1871 dans une famille de classe moyenne de Nuoro, elle n’achève même pas ses études de primaire, chose fréquente pour les filles à l’époque. Néanmoins, elle se met à écrire à un très jeune âge et publie ses premiers textes à 17 ans. A la surprise générale, elle est récompensée par un prix Nobel de littérature en 1927, pour son œuvre teintée d’amour, de douleur et de mort qui se heurtent au péché et à la fatalité. Maria Carta a révélé la musique sarde sur la scène internationale. Chanteuse folk des années 1970, elle entremêle les sonorités traditionnelles de son île natale à des compositions personnelles contemporaines qui la mèneront du Festival d’Avignon à New York, en passant par San Francisco. Elle aura également une courte carrière d’actrice. Francis Ford Coppola la repère et la retient pour le rôle de la mère de Vito Corleone dans le Parrain II.