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Les premiers Sardes

Des galets clactoniens ainsi que des squelettes incomplets font remonter les premières traces humaines au Paléolithique supérieur (-45 000 à –11 700 ans), ce qui fait de la Sardaigne l’une des dernières régions d’Europe à se peupler. Son éloignement des côtes et la nécessité de posséder un navire solide pourrait expliquer ce peuplement tardif. Les premiers colonisateurs arrivaient vraisemblablement de zones géographiques proches, comme les péninsules italienne et ibérique. Les premiers cercles funéraires et structures mégalithiques distinctifs de la culture d’Arzachena (-4 200 à -3 800 ans) viendraient de peuples de la France méridionale. Les statuettes féminines en os propres à la culture d’Ozieri (-3 300 à -2 500 ans) font écho à des pratiques crétoises et des Cyclades. Les bocaux en terre cuite de culture campaniforme et les nouvelles méthodes de travail du métal de l’âge du cuivre (-2 500 à -1 800 ans) proviendraient de peuples franco-ibériques et d’Europe centrale. Ce ne sont que quelques tribus qui débarquent à chaque fois, amenant avec elles des savoir-faire nouveaux qui donnent lieu à des développements sociaux : villages, routes, développement militaire, culte des morts… La civilisation nuragique (-1 800 à -238 ans), véritable âge d’or de la Sardaigne, voit arriver des tribus en plus grand nombre. L’île s’organise autour d’ethnies clairement identifiées, mais aux origines parfois controversées. Les Corsi traversent les Bouches de Bonifacio pour s’installer à la pointe nord de l’île. Les Balari, venus de la péninsule Ibérique et du Midi de la France, occupent un territoire qui s’étend jusqu’à Bosa et Orosei. Les Ilienses, aussi appelés Ioleïs, posent leurs armes et leurs outils dans la grande moitié sud de la Sardaigne. Entre mythes, légendes et recherche scientifique, les sources se télescopent, mais s’accordent pour faire venir cette ethnie de Grèce. En revanche, s’agit-il de Troyens fuyant le conflit, de Béotiens suivant leur héros Iolaos, de peuplades venues d’Aegean il y a bien longtemps ? Le mystère demeure… Durant cette période constitutive de la culture sarde, l’île se développe. Les échanges provoqués par les incursions phéniciennes et carthaginoises vont laisser des traces culturelles et cultuelles, et le goût de la guerre. Des inscriptions puniques font leur apparition sur des stèles. Et les habitants des côtes se replient vers l’intérieur des terres pour fuir les velléités carthaginoises. En -238, les Romains s’emparent de l’île. Adieu les Africains, bonjour les Européens. Rome envoie des habitants par milliers, quelques esclaves et des exilés pour coloniser l’île. S’ensuivent l’invasion arabe, l’influence pisane et génoise sur les Judicats, la domination espagnole, le retour dans le giron de Piémont-Savoie, l’exploitation minière qui amène son lot d’immigrés, la misère que fuient les Siciliens... Difficile de déterminer l’origine du Sarde dans cet incessant va-et-vient de l’Histoire, qui ne semble jamais laisser la Sardaigne en paix.

L’apport de la génétique

Le boom de la génétique dans les années 1990 et la fin du séquençage du génome humain en 2003 permettent de grandes avancées dans la compréhension des origines des Sardes. Des recherches sont entreprises pour déterminer le patrimoine génétique des premiers Sardes aussi bien que des Sardes contemporains. L’étude la plus récente menée par l’Université de Chicago et parue dans la revue Nature Communications en 2020 montre que les Sardes du Néolithique moyen partagent un patrimoine génétique similaire à ceux des Européens de la même période. L’étude de l’ADN prélevé sur 70 squelettes de l’Antiquité montre également que l’évolution génétique est demeurée stable jusqu’à la fin de la période nuragique. Ceci signifie que les apports de population sur l’île sont restés très modérés, car à la même période le patrimoine génétique des continentaux s’est diversifié du fait d’échanges importants à travers l’Europe et au-delà. A partir de 500 av. J.-C., les chercheurs notent une contribution des Phéniciens et des Carthaginois dans la carte génétique sarde. Il en résulte aujourd’hui un pool génétique commun avec celui des Européens, mais présentant des variants isolés. La génétique nous apprend aussi que Basques et Sardes sont les peuples possédant un ADN le plus semblable, sans que cela puisse s’expliquer par l’apport espagnol au Moyen Âge. Enfin, les généticiens se penchent avec un intérêt prononcé sur le peuple sarde afin de percer le mystère de certaines maladies auto-immunes, mais surtout le secret de longévité des hommes.

La zone bleue du Nuoro

A la fin des années 1990, Gianni Pes, docteur en recherche clinique et en médecine expérimentale, repère une région de Sardaigne où les hommes semblent vivre aussi vieux que les arbres. Quelque part dans les montagnes du Nuoro, nombreux sont les hommes et les femmes à dépasser les 100 ans et dans de bonnes conditions physiques. Il fait part de sa découverte lors d’un colloque spécialisé, auquel assiste le géographe belge Michel Poulain. Tous deux décident alors de mener l’enquête sur le terrain. Ils se munissent d’une carte et partent compter les centenaires comme d’autres comptent les moutons à l’heure de s’endormir. Ils entourent en bleu les localités où la densité de centenaires est particulièrement élevée et isolent la région de Punta la Marmora. On y dénombre près de 31 centenaires pour 100 000 habitants, un record ! A l’échelle mondiale, les chiffres, bien qu’incertains, projettent plutôt 7,13 centenaires pour 100 000 habitants. Dan Buettner, explorateur membre de la National Geographic Society, prend connaissance des résultats de la « zone bleue » du Nuoro. Il propose aux deux chercheurs de partir à la conquête du monde et de voir s’il existe d’autres zones bleues. Depuis 2002, 4 régions comptant un nombre anormalement élevé de centenaires ont été répertoriées : Okinawa au Japon, l’île d’Ikaria en Grèce, la péninsule de Nicoya au Costa Rica et une communauté adventiste en Californie. La comparaison de ces 5 sociétés a permis de faire ressortir un régime essentiellement végétarien, une faible consommation d’alcool, une vie saine et en plein air comme points communs. Ce mode de vie était sans aucun doute celui de la famille Melis. En 2012, des journalistes italiens rassemblent sur une même photo 9 frères et sœurs qui à eux tous totalisent 818 ans. Avec des âges compris entre 78 et 104 ans, la « plus vieille famille du monde » fait son entrée dans le Guinness Book des Records.

Démographie

Si l’on meurt vieux en Sardaigne, à 83 ans en moyenne, on y naît peu. C’est la région qui compte le plus bas taux de fertilité en Italie, avec seulement 1,07 enfant par femme. Avec 45 % de célibataires dans un pays très catholique où le mariage demeure la norme, la repopulation de la Sardaigne ne semble pas à l’ordre du jour. La pyramide des âges en forme de plume de stylo montre un net déficit de population entre 0 et 29 ans. La moyenne d’âge est de 47 ans et 16,66 % de la population a entre 45 et 54 ans. L’île présente une balance démographique négative, perdant 10 800 habitants par an. Lors du dernier recensement de 2011, la Sardaigne comptait 1 639 362 habitants. Un quart de la population réside dans la zone métropolitaine de Cagliari, capitale et plus grande zone industrielle de Sardaigne. A l’échelle de l’île, la densité de population s’élève à 68 habitants par km², contre 200,27 habitants par km² en Italie. Cette densité tombe à 37 habitants par km² dans la province du Nuoro, la plus montagneuse. Dans les années 1930, la majorité de la population vivait entre 500 et 600 mètres d’altitude, pour des raisons historiques aussi bien qu’environnementales. Les plaines marécageuses étaient infestées par le paludisme et il faut attendre 1951 pour que l’île soit enfin débarrassée de ce fléau. Quelques années plus tard, l’essor touristique de la Sardaigne va achever l’exode des régions du centre vers les côtes. L’exploitation minière jusque dans les années 1940 puis le boom touristique vont entraîner un léger flux migratoire. Aujourd’hui, les résidents étrangers représentent 3,43 % de la population, soit 5 points de moins que la moyenne nationale. Le premier contingent vient de Roumanie et il n’y a que 800 Français à vivre en Sardaigne à l’année. L’immigration n’a que peu d’impact sur la cohésion sarde, notamment la langue. En revanche côté tourisme, presque 20 % des voyageurs étrangers sur l'île sont français.

Limba Sarda Comuna

L’italien n’est importé que tardivement sur l’île, en 1760, quand la Sardaigne tombe entre les mains de la principauté de Savoie. La langue est cependant imposée et c’est celle que l’on enseigne dans les écoles. Il faut attendre 1997 pour que le sarde soit reconnu comme une langue à part entière et que son usage soit transmis en milieu scolaire. Son enseignement pose problème, car il n’existe pas une langue sarde commune, mais des parlers régionaux. Les deux principales branches sont le campidanesu (campidanien), parlé dans le sud, et le logudoresu (logodurien) usité dans le centre et l’ouest de l’île. Le sarde est une langue néo-latine de tradition orale qui puise dans la langue romaine antique. Elle est parlée par 62 % des Sardes et comprise par 97 % d’entre eux. Malgré ces bons chiffres, la langue est considérée comme en danger de disparition par l’Unesco. En 2006, la Sardaigne adopte la Limba Sarda Comuna (LSC) pour la rédaction de ses documents officiels. Il s’agit de la forme scripturale du sarde chargée de créer un standard unique compris par tous. Depuis, la LSC est de plus en plus communément employée dans les articles de presse ou sur les réseaux sociaux. Des cours sont donnés gratuitement dans certaines villes ou sur le site Internet de la Région Autonome de Sardaigne. Des livres sont traduits en sarde et mis à disposition en ligne. La création d’une langue écrite doit permettre d’unifier l’usage de la langue et d’en assurer son avenir. Mais il existe aussi des dialectes sardes fortement menacés. Le tattaressu parlé dans la région de Sassari est un mélange de pisan et de corse ; le nugoresu aux accents corses proches de la ville de Sartène est employé en Gallurie, dans le nord-est de l’île. Le mille-feuille linguistique comprend également quelques dialectes importés de l’étranger. Une variante du catalan oriental est encore usitée par les anciens à Alghero. Le tabarchino, descendant du génois, résume à lui seul la complexité des mouvements de population en Méditerranée. Au XVIe siècle, la famille génoise des Lomellini obtient la concession de l’exploitation du corail sur l’île de Tabarka en Tunisie. Elle y envoie 50 personnes. Deux siècles plus tard, 156 familles émigrent pour l’île de San Pedro au sud-ouest de la Sardaigne, amenant avec eux leur dialecte. Celui-ci ne se pratique plus désormais qu’à San Pedro et Sant’Antioco. Enfin, le vénitien est parlé par quelques familles venues d’Italie sous le fascisme qui se sont installées à Fertilia et Arborea.