shutterstock_707982367.jpg
shutterstock_301970252.jpg

Le mystère du peuple nuragique

Malgré les nombreuses traces laissées en héritage, on ne sait presque rien de la culture nuragique. Elle s’épanouit durant l’âge de bronze et l’âge de fer, soit de 1 800 av. J.-C. jusqu’à 300 av. J.-C., cédant peu à peu la place aux Carthaginois. Les spécialistes conviennent que le peuple des nuraghes qui occupait l’île descend de civilisations antérieures. On sait toutefois qu’il ne s’agit pas d’un peuple venu par la mer avec ses us et coutumes puisqu’aucune autre trace équivalente n’a été découverte dans le bassin méditerranéen. En l’absence de traces écrites - l’écriture ne fera son apparition sur l’île qu’avec les Phéniciens -, aucun témoignage ne vient documenter la façon de vivre de ce peuple. Par conséquent, on ignore comment lui-même s’appelait et s’il avait seulement conscience de former une culture propre. Les différentes civilisations qui se sont succédé au Néolithique ont laissé de nombreux vestiges archéologiques qui permettent de suivre l’évolution de celles-ci : sédentarisation, apparition de la céramique, culte des morts, statuettes en pierre, développement de l’agriculture, élevage, armes et éléments défensifs… Alors que la civilisation nuragique démarre, les hommes ont quitté leurs grottes depuis longtemps et sont rassemblés dans de petits villages. Les différentes tribus communiquent entre elles et échangent. Mais c’est aussi la période où le besoin de se protéger se fait sentir. Les premières structures défensives apparaissent durant les civilisations prénuragiques de Monte Claro et d’Abealzu-Filigosa. Les habitats sont installés dans des zones escarpées, défendues par d’épaisses murailles. Le métal, argent et cuivre, est travaillé depuis au moins 1 500 ans. Alors, pourquoi la civilisation nuragique a-t-elle tant marqué l’histoire antique de la Sardaigne ?

Les caractéristiques de la civilisation nuragique

L’élément caractéristique de la civilisation nuragique est le nuraghe, aussi appelé nuraxi en sarde. Il s’agit d’une tour en pierres sèches dont la forme va évoluer au fil du temps. Le spécialiste de la culture nuragique, Giovanni Lilliu, distingue trois grandes périodes. Le Nuragique I, entre 1 800 et 1 500 av. J-C., voit apparaître les premiers proto-nuraghes. Il s’agit de constructions mégalithiques appelées « nuraghes en couloir » dont la forme épouse le terrain. De faible hauteur, semi-enterré, l’intérieur est traversé d’un ou plusieurs couloirs, et on y trouve parfois une petite chambre. Il ne reste que peu de vestiges de cette époque. Il est possible que les pierres aient été récupérées pour l’édification de nuraghes aux périodes suivantes. Le Nuragique II s’étend entre 1 500 et 900 av. J.-C. Les tours prennent de la hauteur et épousent une forme conique. L’intérieur abrite une ou plusieurs chambres en étage couvertes par une fausse voûte. On parle alors de « nuraghes en tholos », renvoyant aux édifices de plan circulaire de la Grèce antique. La période du Nuragique III, de 900 à 300 av. J.-C., présente des constructions plus complexes et plus imposantes. Des tours sont adjointes au nuraghe principal et sont reliées entre elles par des murs d’enceinte. Les plus vastes de ces complexes comprennent une cour intérieure et un puits ainsi que plusieurs murs de défense. Ils ressemblent aux ancêtres de nos châteaux forts. Les innombrables vestiges de nuraghes qui veillent sur la Sardaigne témoignent d’une unification civilisationnelle. Alors qu’il existait des disparités entre le nord et le sud, désormais l’île sarde possède un mode de vie unique, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il existe un sentiment d’unité entre les différents villages ou un sentiment d’appartenance à une nation. La Sardaigne est alors organisée en petites communautés soumises à l’autorité d’un chef. Celui-ci est souvent représenté en pasteur, vêtu d’un manteau et doté d’un bâton noueux. Son pouvoir de domination s’étend à son village, au chemin emprunté par les troupeaux et parfois à un port, quand le village est proche de la mer. Il est chargé d’assurer la pérennité de sa communauté, ce qui implique la sécurité. Les nuraghes sont des éléments militaires aussi bien destinés à impressionner les voisins qu’à se défendre en cas d’attaque. Leur évolution de plus en plus imposante et sophistiquée laisse à penser à une persistance de conflits et à une nécessité de protection accrue. Le nuraghe permet la surveillance et le contrôle des points stratégiques : voie d’accès, ruisseaux, terres arables et de pâturage… Les archéologues conviennent que le nuraghe remplit désormais une fonction à la fois civile et militaire et possiblement religieuse. Il sert de résidence fortifiée au chef de la communauté et il permet aux habitants vivant hors les murs de se protéger en cas de nécessité. La période du Nuragique III correspond notamment aux invasions phéniciennes et carthaginoises et il convient de faire face aussi aux dangers venus de la mer. La civilisation nuragique se caractérise également par son architecture funéraire. On retrouve dans toute la Sardaigne des tombes de géants, de longs couloirs couverts destinés à accueillir les morts et gardés par des dolmens imposants. Autres constructions intéressantes, les temples-puits qui étaient aussi des observatoires astronomiques à l'instar de Stonehenge. Le peuple nuragique vouait un culte à l’eau. On a retrouvé des vases brisés au fond des puits sacrés ainsi que des statuettes votives en bronze à proximité de sources et de puits. A partir de la fin du paléolithique, les cultes de l'eau et de la fertilité sont souvent attribués respectivement à la Déesse Mère et au taureau. En se penchant de plus près sur la forme des tombes de géants et des puits sacrés, on remarque une double symbolique: tête de taureau et sexe féminin. La civilisation nuragique aurait-elle réalisé l'alliance entre ces deux divinités? Les symboles religieux du Taureau et de la Déesse Mère se retrouvent dans d'autres civilisations contemporaines de l'époque nuragique souvent en opposition ou concurrence? On peut penser que dans l'antique Sardaigne, le féminin et le masculin auraient été réunis dans le Sacré. Le degré d'abstraction symbolique et la complexité du phénomène religieux seraient beaucoup plus aboutis que ce que l'on pensait et que ce que l'on connait des autres civilisations d'Europe occidentale à la même époque. Dans une Italie parfois trop occupée à porter au pinacle la civilisation romaine et la considérer comme fondatrice, au fil des fouilles et de la reconnaissance internationale des historiens et archéologues, les pierres sortent peu à peu de leur mutisme...

La route des nuraghes

Il reste aujourd’hui près de 7 000 vestiges de nuraghes en Sardaigne, et on pense qu’il y en a eu au moins le double. L’île a entrepris de gros efforts pour sauvegarder et valoriser l’héritage d’une civilisation considérée comme fondatrice de la culture sarde. Un itinéraire officieux, reliant Cagliari à Torralba à travers un parcours de 300 km, permet de se familiariser avec cette civilisation méconnue.

Cagliari. Si la région de Cagliari était habitée à la période nuragique, il n’en reste aucun vestige visible. En revanche, la capitale sarde abrite un formidable Musée archéologique national qui rassemble des pièces uniques de cette civilisation. Il s’agit de la plus grande collection nuragique au monde.

Nuraghe de Barumini. Classé au patrimoine mondial de l’Unesco, le nuraghe de Barumini figure parmi les monuments mégalithiques les mieux conservés d’Europe. Véritable emblème de la Sardaigne antique, la photo du site est reprise sur de nombreuses brochures touristiques. Le site est occupé à partir du XIIIe siècle av. J.-C. et l’édification de la tour centrale date de la fin du Nuragique II. Haute de 15 mètres, elle comprend deux étages encore intacts. Sa cour intérieure en forme d’hémicycle abrite un puits. Les 4 tours latérales et le mur d’enceinte qui les relie ont été ajoutés ultérieurement, probablement vers 700 av. J.-C. Les amas de pierres de forme circulaire situés à l’extérieur de l’enceinte sont les restes des maisons.

Sanctuaire nuragique de Santa Vittoria. A l’ouest du village de Seri. Ce temple nuragique tire son nom de la petite église construite à proximité. Il comprend un temple-puits avec un atrium et une fosse à sacrifice, une enceinte de fêtes où les pèlerins se rassemblaient et la cabane du prêtre.

Is Paras. A la sortie du village d’Isili. Le nuraghe d’Is Paras est l’un des plus beaux exemples de nuraghes en tholos. Sa haute voûte de 12 mètres est particulièrement harmonieuse. Le site archéologique comprend également un domus de janas ou « cercle de fées » remontant au Néolithique.

Tombe des géants d’Aiodda. Au sud de Nurallao. Il ne reste pas grand-chose de cette tombe nuragique. Les stèles du plafond et de l’entrée se sont effondrées. En revanche, le couloir oblong est bien conservé.

Menhirs et dolmens de Laconi. A 20 minutes au nord de Nurallao, il faut pousser un peu plus loin vers le nord, en pleine campagne, pour admirer les menhirs de Pedra Iddocca et le dolmen de Corte Nora. Laconi, surnommé « le village des menhirs » abrite un Musée de la statuaire préhistorique en Sardaigne très intéressant.

Fordongianus. Une longue traversée du désert s’impose avant de rallier de nouveaux sites nuragiques d’importance. Sur la route de Laconi à Fordongianus, via Ruinas, vous pouvez vous arrêter au domus de janas Genna Salixi. A Fordongianus, autre époque, autre style, de très beaux thermes romains vous attendent.

Site archéologique de Santa Cristina. Au sud de Paulilatino. C’est ici que se trouve le plus bel exemple de temple-puits de Sardaigne. L’archéologue sarde Giovanni Lilliu l’a décrit avec emphase, lui trouvant des proportions si équilibrées et une composition géométrique inégalée pour un ouvrage remontant au Ier millénaire av. J.-C. Le site comprend également une « cabane de réunions » qui s’accompagne d’une dizaine de salles qui servaient probablement de logement. A 200 mètres de là, un second site héberge le nuraghe Santa Cristina remontant au Nuragique II.

Nuraghe Losa. Au sud d’Abbasanta, à 10 km au nord de Santa Cristina. Ce nuraghe du début du Nuragique II est l’un des mieux conservés. Outre la base de la tour bien présente, on distingue clairement le bastion et le rempart qui ceint le village. Le tout est construit en roche basaltique.

Nécropole de Filigosa. Au nord de Macomer. La nécropole de cette civilisation qui a précédé celle des nuraghes figure parmi les sites archéologiques d’importance en Sardaigne. Il comprend également le nuraghe de Ruggiu.

Fontaine de Lumarzu. Aux abords du petit village de Rebeccu, à l’est de Bonorva. Cette fontaine de la période nuragique se rapporte au culte de l’eau alors en vigueur. Il s’agit en réalité d’une construction en pierre adossée à la source. L’eau filtre à travers les pierres et vient remplir un bassin surmonté d’une petite chambre en coupole. La fontaine est précédée d’une esplanade qui était probablement couverte et encadrée de bancs. A quelques centaines de mètres de cette fontaine se trouve l’important domus de janas Sant’Andrea Priu.

Nuraghe Santu Antine. Au sud de Torrabla, sur la SP21. Des nombreux nuraghes de la région, celui de Santu Antine est le plus emblématique. Très bien conservé, sa tour centrale en pierre de trachyte de 17,50 mètres de haut impressionne. Il est possible de visiter le dédale d’escaliers et de coursives à l’intérieur de la tour et d’admirer les deux étages à coupole en tholos. Le troisième étage s’est lui effondré. La tour est encadrée par trois autres tours de moindre importance. Les cabanes du village ont conservé leurs fondations circulaires. Les bâtiments de forme rectangulaire datent eux de l’époque romaine. Il semble que le site de Santu Antine ait été habité jusqu’au Moyen Âge.

Torralba. A 5 min au nord du nuraghe Santu Antine. Le petit village de Torralba marque l’entrée de la vallée des nuraghes. Nombre d’entre eux sont en mauvais état de conservation, voire en ruine complète. Le village abrite le Musée de la vallée des nuraghes qui conserve notamment le résultat des fouilles effectuées à Santu Antine.