Petit fils vietnamien aidant ses grands-parents © vinhdav - iStockphoto.com.jpg

La famille traditionnelle

Traditionnellement, la famille vietnamienne se structure comme un clan avec la figure patriarcale au centre. Tous les descendants d’un ancêtre commun appartiennent à la même famille clanique, le ho ou le tôc. Tous les membres du clan portent le même nom de famille. Si le ho continue d’être la structure familiale à laquelle on se réfère pour identifier les ancêtres, c’est désormais au niveau des gia (ou nha), c’est-à-dire des familles nucléaires, que s’exerce la puissance paternelle. L’autorité du chef du clan (ho) est désormais de plus en plus symbolique même si celui-ci conserve son rôle en tant que gardien du culte des ancêtres et responsable de l’entretien des tombeaux. Le devoir de piété et les principes de respect, de soumission et de hiérarchie entre générations tirent leur origine de la tradition confucéenne. La langue vietnamienne porte l’empreinte de ces conceptions, et une personne ne dira jamais « je », mais devra toujours se positionner et s’adresser aux autres de façon différente en fonction de sa position sociale et familiale et selon son âge : elle se désignera comme « enfant » vis-à-vis de ses parents et grands-parents, comme « petite sœur » ou « petit frère » face à ses aînés, comme « grande sœur » ou « grand frère » face à ses cadets. Ces termes de parenté sont utilisés dans toutes les relations sociales, même en dehors de la famille et le jeu des pronoms personnels permet de souligner le respect, l’indifférence, voire le mépris que l’on réserve à son interlocuteur.

Un repère qui chavire ?

Les réformes du Doi moi, l’ouverture économique et les nouveaux modes de vie induits par l’urbanisation rapide du pays et des échanges toujours plus nombreux avec l’étranger remettent en question les structures traditionnelles. Le modèle familial occidental, avec ses valeurs de liberté et de bonheur individuel, fait évoluer les mœurs et les mentalités. Les liens entre générations se distendent en raison d’expériences de vie par trop différentes. L’harmonie conjugale et familiale est mise à mal par les horaires de travail et les exigences de la modernité. Et pourtant, malgré les bouleversements économiques et sociaux, la famille demeure au Viêt Nam un pôle de stabilité. En cas d’hospitalisation, par exemple, les membres de la famille se relaient dans l’enceinte de l’hôpital où ils assurent au malade une prise en charge (soins paramédicaux, alimentation…) qui en France relève de la mission du personnel médical. Officiellement, début 2024, plus de 93,35 % des Vietnamiens étaient couverts par l’assurance-maladie. Ces chiffres ne doivent pas faire illusion. Si le Viêt Nam a connu une réduction très importante de la pauvreté, la sécurité sociale, les retraites et la protection contre les aléas de la vie restent des défis à relever. Les solidarités familiales et l’économie informelle demeurent trop souvent les seuls filets de protection sociale et laissent les plus pauvres en situation de grande vulnérabilité.

Les noms vietnamiens

Dans le passé, les Vietnamiens pouvaient, selon leur rang, porter jusqu’à cinq noms. Actuellement, ils en portent officiellement trois. Le premier est le nom patronymique ou nom de clan (tên ho) le plus souvent emprunté aux dynasties impériales ou aux familles les plus célèbres. Il existe aujourd’hui environ 300 noms patronymiques. 55 % des familles se nomment Nguyên. Le deuxième est le nom intercalaire ou ajouté (chu dêm). Il sépare le nom de clan du troisième nom. Le mot Thi figurait autrefois dans la quasi-totalité des noms féminins et évoquait le souhait d’une descendance nombreuse. Les noms masculins se choisissent dans une gamme plus large : Ngoc, Xuan ou Van. Et enfin, le troisième est le prénom (tên tuc). Les femmes portent le plus souvent des noms d’arbres, de fleurs, d’oiseaux ou de pierres précieuses : Ngoc (jade), Loan (phénix), Yên (hirondelle). Les noms des hommes sont plus abstraits : Duc (vertu), Thu (automne). Le prénom peut être aussi composé de deux noms. Porter le même prénom que le souverain ou les grands lettrés était interdit sous peine d’échouer aux concours. L’attribution du nom de l’enfant, souvent choisi conjointement par les parents et les grands-parents, donne lieu à une fête. Le mot « madame » ou « monsieur » est suivi du prénom. Ainsi, pour une femme appelée Do Hoang Quynh (nom de famille + mot intercalaire + prénom), on dira Madame Quynh.

La place de la femme

Le système de valeurs issu du confucianisme impose aux femmes les « Trois dépendances » : enfant, la fille est soumise à l’autorité du père ; épouse, à celle de son mari ; veuve, à celle de son fils aîné. Mais les historiens convergent pour établir que les femmes vietnamiennes sont les plus libérées de toutes celles ayant reçu l’influence confucéenne en Asie. Le langage courant a gardé la trace de ce fonds proprement vietnamien et le mari sait qu’il doit filer doux devant « le général de l’intérieur » (noi tuong). Les Vietnamiennes portent souvent le pantalon et pas seulement au sens propre. Les Vietnamiennes ont participé aux luttes pour la survie quand les hommes sont partis à la guerre. Sur la piste Hô Chi Minh, elles ont travaillé dans une multitude de domaines qui, auparavant, étaient l’apanage des hommes. Le Viêt Nam a adhéré à la convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En politique, les femmes ont aujourd’hui accès à des postes de plus en plus importants. Madame Nguyen Thi Kim Ngan avait été élue, en avril 2016, présidente de l’Assemblée nationale lors de la 12e législature, pour cinq ans jusqu'en mars 2021, où Vuong Dinh Huê a repris le poste. Dans le monde des affaires, certaines des plus grosses sociétés du pays sont dirigées par des femmes telles Vinamilk (Mai Kieu Lien) ou VietJet Air (Nguyen Thi Phuong Thao). Cette dernière est également la première femme milliardaire (en US$) vietnamienne.

Pour autant, certaines inégalités persistent. Le mariage demeure la norme et les femmes célibataires âgées de plus de 30 ans, souvent diplômées, sont paradoxalement celles qui ont de plus en plus de mal à trouver un mari. On les appelle les ê, « celles qui sont restées sur l’étagère ». Elles ressentent souvent douloureusement la situation, marginalisées par la pression sociale qui les culpabilise de ne pas encore être mariées et mères de famille. Diplômées et bénéficiaires d’un salaire avantageux, leurs prétendants potentiels seraient intimidés par un tel étalage d’intelligence. Dans le processus décisionnel, les femmes sont moins bien représentées, en particulier à l’échelon local. L’inégalité des sexes existe aussi au sein du foyer familial où s’affirme la préférence pour les fils. Tous les experts soulignent l’ignorance des jeunes Vietnamiens en matière d’éducation sexuelle, ignorance qui se traduit par nombre de drames (avortements, enfants non reconnus…). Outre le danger omniprésent représenté par le sida, les relations sexuelles prénuptiales non protégées ont pour conséquence des taux d’avortement très élevés. Lorsque leur grossesse se déclare, les jeunes filles sont très souvent abandonnées à elles-mêmes et doivent affronter seules l’opprobre d’une société foncièrement conservatrice.

Homosexualité : encore un tabou ?

Du 29 septembre au 1er octobre 2023, Hanoi et Hô Chi Minh-Ville célébraient la 11e édition de la VietPride, organisée pour la première fois à Hanoi en 2012. L’événement est désormais banalisé, mais la question homosexuelle a longtemps été éludée dans une société qui porte l’héritage des valeurs familiales du confucianisme. Dans cette perspective, l’homosexualité n’est pas acceptable pour un fils dont on attend qu’il prenne une épouse pour donner des petits-fils à son père. L’influence du stalinisme qui avait érigé l’homosexualité en délit a également joué son rôle dans la perpétuation du tabou. Le régime communiste, inflexible avec la dissidence, apparaît désormais comme l’un des plus progressistes d’Asie sur la question homosexuelle, une évolution d’autant plus remarquable qu’il y a seulement une quinzaine d’années, la presse classait l’homosexualité parmi « les fléaux sociaux », au même titre que la drogue et la prostitution. S’agit-il pour les autorités de se donner un vernis libéral dans un contexte où la rigidité du pouvoir est de plus en plus critiquée ? En tout cas, la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) salue des progrès bien réels. En 2012, à l’Assemblée nationale, les députés ont envisagé la légalisation du mariage entre personnes de même sexe – une avancée qui aurait fait du Viêt Nam un précurseur des droits homosexuels dans la région – mais ils ont renoncé. Désormais, les personnes qui ont changé de sexe ont le droit de demander le changement de leurs statuts d’état civil et l’Assemblée a abrogé la définition du mariage en tant qu’union entre un homme et une femme. Le 30 juin 2016, à Genève, le Viêt Nam votait en faveur d’une résolution instituant la création d’un poste d’expert, par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, contre les discriminations à l’encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres. Dans la société, les mentalités évoluent également et malgré la persistance de certaines discriminations, les préjugés tendent à s’effriter. La présence à la télévision de présentateurs, chanteurs et chanteuses gays ou transgenres se banalise. Cinéastes et écrivains jouent également leur rôle dans la transformation des représentations. Bo ba di thoa (« Mes meilleurs amis gay »), une sitcom artisanale diffusée depuis 2012 sur YouTube, attire une très large audience. Elle a été créée par Huynh Nguyen Dang Khoa, étudiant en cinéma et ouvertement gay, qui dirige, produit, écrit et joue lui-même dans la série qui raconte le quotidien de trois jeunes gays en colocation dans un appartement de Hô Chi Minh-Ville. Chaque épisode dure environ 20 minutes et est réalisé avec des bouts de ficelle (un budget de 1 000 000 VND, soit 50 US$). Cette quasi-absence de budget n’empêche pas la série de faire un tabac puisqu’on recense plus de deux millions de visionnages pour certains épisodes. Réalisé par Phan Dang Di, le film Mekong Stories (2015), présenté au Festival international du film de Berlin, narre le quotidien de Vu, un étudiant en photographie amoureux de son colocataire dans le Saigon des années 1990. En 2014, la réalisatrice Nguyên Thi Tham présentait lors du Festival du Cinéma du Réel à Paris Le dernier voyage de Madame Phung, un documentaire consacré à une troupe de forains majoritairement travestis. Finding Phong (2015), présenté dans de très nombreux festivals à travers le monde, est un documentaire réalisé par Trân Phuong Thao et Swann Dubus, consacré au parcours de Phong, jeune Vietnamienne prisonnière de son corps de garçon et qui décide de suivre un processus de changement de sexe en Thaïlande. Les collines d’eucalyptus (Éditions Sabine Wespieser, 2014) est un roman de Duong Thu Huong, romancière et dissidente vietnamienne, réfugiée en France. Dans le Viêt Nam de la fin des années 1980, le destin du héros, Thanh, bascule lorsqu’il découvre son homosexualité.

Éducation

Le Viêt Nam a considérablement amélioré les performances de son système éducatif en un laps de temps relativement court. Les taux d’alphabétisation et de scolarisation vietnamiens sont supérieurs à ceux d’autres pays de la région se situant dans la même catégorie de revenus. Le Viêt Nam obtient régulièrement d’excellents résultats aux classements PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) qui mesurent les performances des systèmes éducatifs de chaque pays. Lors de l'édition de 2022, le Viêt Nam occupait la 34e position (la France était classée 26e derrière les Pays-Bas et l'Allemagne). Mais le pays est toujours confronté aux défis de l’égalité d’accès pour tous les groupes de population et de l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage. Les familles les plus riches envoient leurs enfants dans les universités occidentales, un privilège inaccessible à la majorité qui doit se débrouiller avec un système éducatif aux ressources insuffisantes et qui tarde à se réformer.

Tensions sociales

En 2024, le salaire minimum mensuel au Viêt Nam s’établissait entre 170 € et 280 € selon les régions. De l’aveu même des autorités, ce minimum légal ne permet de couvrir que 80 % des besoins de première nécessité. Les disparités de plus en plus importantes accompagnent la croissance, les inégalités les plus criantes séparant la campagne et la ville. L’afflux de capitaux a fait émerger une classe de nouveaux riches, mais il ne faut pas se laisser abuser par la cohorte des voitures de grand luxe, des motos hors de prix et par les sonneries des téléphones portables dernier cri, qui sont l’apanage d’une petite partie de la population urbaine. Si, après plus de 30 ans de Doi Moi, le Viêt Nam semble bel et bien avoir laissé derrière lui les sombres années de disette qui avaient succédé à la fin de la guerre, il reste un long chemin à parcourir pour confirmer les promesses du nouveau dragon et asseoir une prospérité solide et partagée par l’ensemble de la population.

Le rôle des Viêt kiêu

Nom donné aux Vietnamiens résidant à l’étranger, bien souvent du fait des vicissitudes de l’histoire : guerre d’Indochine, guerre américaine, boat people et plus récemment émigration pour raisons économiques. Ils sont près de trois millions dans le monde, principalement aux États-Unis, en France, en Australie et au Canada. En 1997, le vice-Premier ministre les a définis « comme une partie intégrante de la nation », même si un grand nombre d’entre eux sont viscéralement anticommunistes. Les Viêt kiêu ont désormais de plus en plus de facilités pour revenir dans leur pays d’origine, notamment en matière de visa. Les Viêt kiêu représentent une importante source de transferts financiers vers le Viêt Nam. En 2023, le montant de ces transferts a atteint 16 milliards de dollars US, soit une augmentation annuelle de plus de 30%.

Droits de l’homme

Le Viêt Nam se classe au 178e rang sur 180 pays dans le classement mondial 2023 de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières (RSF). Dans cet État à parti unique, les maisons d’édition privées et les organisations des droits de l’homme indépendantes sont illégales. La presse écrite et les médias audiovisuels sont étroitement contrôlés. Pour les écrivains, journalistes, blogueurs indépendants, dissidents politiques, défenseurs des droits humains et de l’environnement, membres des Églises ou des religions non reconnues, les arrestations et les détentions sans jugement sont monnaie courante. Les rapports produits par Amnesty International, RSF ou Human Rights Watch sont sans équivoque quant à l’intensification et à la dureté de la répression. Régulièrement, des femmes et des hommes sont condamnés à de lourdes peines allant jusqu’à 20 ans de prison, à l’issue de procès non équitables.

Certains articles du Code pénal, systématiquement invoqués (trouble à l’ordre public ; propagande contre la République Socialiste du Viêt Nam…), permettent des détentions préventives sans limites et des incarcérations arbitraires. Les autorités font pression sur certains prisonniers dont la situation intéresse l’opinion internationale afin qu’ils ou elles acceptent de vivre en exil forcé à l’étranger, sans espoir de retour, alors que leur peine ne sera que suspendue et non annulée.

Peine de mort

Le fait est peu connu, mais le Viêt Nam est un des pays du monde où les exécutions sont les plus nombreuses. Depuis 2004, les statistiques concernant la peine de mort sont classées « secrets d’État », mais selon les autorités, en 2018, il y aurait eu au moins 85 exécutions enregistrées et plus de 122 condamnations à mort, une forte augmentation par rapport à l’année précédente. La plupart de ces condamnations ont été prononcées pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Selon Amnesty International, en 2018, « la Chine demeurait le pays ayant le plus massivement procédé à des exécutions, et elle était suivie par l’Iran, l’Arabie saoudite, le Viêt Nam et l’Irak ». Depuis une loi votée par l’Assemblée nationale en 2010, entrée en vigueur en juillet 2011, les condamnés à mort sont exécutés par injection et non plus par balles. Les exécutions, provisoirement suspendues en raison de l’absence de produits nécessaires à la composition de l’injection létale, ont repris en août 2013, après un amendement de la législation autorisant l’usage de produits locaux. Adopté en novembre 2015, le Code pénal vietnamien amendé a réduit le nombre de crimes passibles de la peine capitale à 18, mais n’a pas aboli la peine de mort pour les crimes concernant la « sécurité nationale », une qualification vague et régulièrement invoquée pour justifier l’emprisonnement des dissidents politiques et religieux. Aujourd’hui, l’usage de la peine de mort ne suscite pas de débat dans la société vietnamienne.