Pagode Tay Phuong © Tuan Anh Vu - shutterstock.com.jpg
Tien Mu, Pagode de la dame céleste © efired - iStockphoto.com.jpg
Po Nagar Cham © tbradford - iStockphoto.com.jpg
Eglise du Sacré-Cœur de Tan Dinh © saiko3p - iStockphoto.com.jpg
Gare de Dalat © leekhoailang - iStockphoto.com.jpg

Empreinte chinoise

C’est toute une philosophie de la construction que les Chinois ont développée et que les Vietnamiens ont reprise. Science autant qu’art divinatoire, la géomancie préside à l’édification de toute chose. Elle respecte les lois d’harmonie du Yin et du Yang en suivant les courants de la terre (tigre blanc), des eaux (dragon bleu) et des vents (dragon vert) et se base sur une observation rigoureuse des astres et de leur position dans le ciel afin de déterminer le jour favorable au commencement d’un chantier. Le Feng Shui, visant à une complète harmonie avec l’univers, permet de déterminer l’emplacement adéquat et l’orientation idéale des édifices. L’architecture est donc porteuse d’une profonde spiritualité. Cela se retrouve évidemment dans les édifices cultuels que sont les pagodes et les temples. La pagode (chua) est un édifice religieux issu du stupa indien (monument reliquaire ou commémoratif caractéristique du bouddhisme) et consacré au culte de Bouddha. Elle est souvent surmontée d’une tour de plusieurs étages de forme circulaire, pyramidale, orthogonale ou carrée, ou bien d’un toit à plusieurs niveaux à bords relevés. Elle est construite en pierre ou en brique et est richement décorée. Elle se découpe généralement en trois espaces symbolisant les trois degrés du temps : passé, présent et futur. Le temple (den) n’est pas consacré à une divinité, mais aux génies, des personnages dont on honore le dévouement au service d’un village, d’une corporation de métier, d’une famille… La pagode Tay Phuong, ou « pagode du maître » à Sai Son, fondée sous le règne de Ly Nan Tong, est un bel exemple d’inspiration chinoise. Notez le petit pavillon sur pilotis juché sur le lac face à la pagode auquel on accède par deux ponts recouverts de toits de tuiles, matériau fréquemment utilisé par les Chinois. On retrouve ces mêmes toits richement décorés de céramiques dans la pagode Thien Mu ou « pagode de la dame céleste » à Hué, cette dernière se distinguant également par son stupa de 7 étages, représentant les 7 réincarnations de Bouddha. À Hanoi, Van Miêu ou « Temple de la Littérature » est sans doute le plus bel exemple de temple de style chinois. Jadis dédié à Confucius, il devint au XIIIe siècle la première université du pays. On admire notamment la série de jardins à l’ancienne pourvus de bassins dans lesquels se mirent les murs protecteurs du temple et son monumental portique d’entrée. Les Chinois ont également inspiré les premières cités impériales vietnamiennes, comme celle de Hué. En 1805, l’empereur Gia Lang la choisit comme capitale et y entame d’importants travaux. Très largement inspirée de la Cité interdite de Pékin, elle s’organise en 3 enceintes concentriques : la Ville impériale, la Cité impériale et la Cité pourpre interdite. Aujourd’hui, seule une vingtaine de bâtiments subsiste sur la centaine existant à l’origine, tous ont été classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO. L’influence chinoise se lit également dans l’architecture civile. À Hoi An, vous pourrez admirer de superbes demeures anciennes et autres maisons communautaires anciennement occupées par les congrégations chinoises. À Hanoi, dans le plus vieux quartier de la ville, baptisé « le quartier des 36 corporations », ou à Cholon, le quartier chinois de Hô Chi Minh-Ville, vous pourrez voir les traditionnels shophouses, ces maisons-boutiques aux façades richement décorées, ainsi que des maisons-tubes, ainsi dénommées du fait de leur hauteur peu élevée, de l’étroitesse de leur façade et de leur incroyable longueur, pouvant aller jusqu’à 100 m, aménagées autour de cours intérieures reliées par de longs couloirs.

Architecture Cham et Khmère

Établi au centre du Viêt Nam à partir du IIe siècle, le Royaume du Champa a laissé quelques superbes vestiges de sa culture et de son art, hérité de l’art hindou. Les sanctuaires Cham sont le plus souvent en brique rouge, de plan carré et surmonté de tours symbolisant le mont Meru, montagne mythique considérée comme l’axe du monde dans la mythologie hindoue. Les tours Cham de Po Nagar sont d’exceptionnels témoins de cette culture. Entre les VIIe et XIIe siècles, 8 tours furent construites sur ce promontoire naturel. Seules 4 ont subsisté, dont la tour A à la forme pyramidale et haute de 23 m. Il est intéressant de voir comment ces temples Cham originellement hindous sont devenus aujourd’hui des sanctuaires bouddhiques. Une belle forme de syncrétisme opéré par l’architecture. Autres beaux vestiges à ne pas manquer : les tours de Po Klong Garai et les tours près de Qui Nhon.

Les Khmers, qui se considèrent comme les descendants des premiers occupants du sud du Viêt Nam, ont également laissé de précieux témoins architecturaux, à commencer par de superbes pagodes bouddhistes. Souvent en pierre grise, leurs édifices monumentaux font la part belle à une décoration très travaillée et colorée. Dans la province de Soc Trang, on compte des dizaines de pagodes khmères. Construite en 1815, la pagode Sàlôn à Dai Tâm éblouit par ses murs décorés de milliers de morceaux de céramiques aux couleurs vives. Ses toits sont également richement ornés d’éléments décoratifs symboles de paix. La pagode Kh’leang se pare de superbes couleurs, ainsi que de trois toits évasés décorés de motifs évoquant la nature et symbolisant l’harmonie entre Bouddha, la terre et les hommes. On remarquera également son sanctuaire principal avec ses 16 colonnes de bois doré. Ces chatoyantes dorures se retrouvent sur le toit à deux niveaux de l’emblématique pagode Chua Doi, baptisée « la pagode des chauves-souris ».

Héritage colonial

Hanoi et Hô Chi Minh-Ville portent aujourd’hui encore l’empreinte de leur passé colonial : toutes deux ont été réaménagées par les Français. Avant de devenir « la perle de l’Extrême-Orient », Saigon n’était qu’un petit village peuplé de cabanes de bambou. À leur arrivée, les colons français ont voulu en faire une image forte du protectorat. Ils ont donc entrepris de très vastes travaux d’aménagement et d’urbanisation : assèchement des marais, creusement de canaux, percement de rues et avenues... Dans cette nouvelle ville où rues et boulevards se croisent à angle droit, les masures vietnamiennes s’effacent au profit de somptueuses villas. L’architecture de cette période peut se diviser en deux grandes phases. La première correspond à l’arrivée des Français. L’objectif de Paul Bert, alors gouverneur général, est clair : il faut inscrire la puissance coloniale dans la pierre. Les Français vont alors doter les deux villes d’édifices monumentaux dans le plus pur style néoclassique. À Hanoi, ce sera l’Opéra, qui n’est pas sans rappeler l’Opéra Garnier ; à Saigon, ce sera l’Hôtel de Ville, le Théâtre municipal qui rappelle, lui, le Petit Palais ou bien encore la poste centrale dont la charpente de fer fut réalisée par Gustave Eiffel. En matière religieuse, la France impose le catholicisme et n’hésite pas à raser un grand nombre de pagodes pour ériger églises et cathédrales. C’est le cas à Hanoi où l’on détruisit l’une des plus vénérables pagodes de la ville pour ériger la cathédrale néogothique Saint-Joseph, ou à Saigon avec la cathédrale néo-romane Notre-Dame, qui, comme l’église du Sacré-Cœur Tan Dinh, est revêtue d’un habit de pierres roses venues de Toulouse. Cet usage de matériaux importés de France se retrouve dans les maisons du vieil Hanoi dont la construction débuta dès 1887 et dont les toits sont en tuiles… bordelaises. Une briqueterie vietnamienne se lancera par la suite dans la fabrication locale de ce matériau. La deuxième période s’amorce dans les années 20 sous l’impulsion d’Ernest Hébrard, alors en charge du service d’architecture et d’urbanisme. C’est la naissance du style « indochinois », fusion de l’Orient et de l’Occident. Ernest Hébrard prône la rénovation et l’adaptation du bâti à l’environnement plutôt que l’édification de bâtiments purement français sans lien avec la culture locale. Larges vérandas, toits à débordement pour se protéger des moussons, murs plus épais pour rafraîchir ou conserver la chaleur… tout est repensé pour mieux vivre le climat tropical. L’ancien musée Louis Finot ou l’École française d’Extrême-Orient (aujourd’hui Musée national d’histoire vietnamienne) sont de très beaux exemples de cette fusion des styles.

Dans les années 30, l’Art déco fait son apparition. On le retrouve dans l’ancien cercle sportif de Saigon, ou bien encore à l’hôtel Majestic dont l’élégante façade jouant sur les lignes courbes et droites rappelle celles des grands hôtels de la Côte d’Azur. Autre bâtiment Art déco emblématique : la gare de Dalat, la plus ancienne du Viêt Nam et, pour certains, réplique exacte de la gare de Deauville. Imaginée par Paul Doumer et Alexandre Yersin, Dalat est une étonnante ville-paysage, sorte de station climatique d’altitude où chaque maison reflète un style français. On y trouve le style basque (toits asymétriques, pignons à colombages), le style savoyard (chalet en bois avec balcons), le style normand (colombages et pans de bois) et le style breton (usage de grosses pierres et ardoises). Le Palais d’été de S.M. Bao Dai (Dinh III), construit entre 1933 et 1938, fait, quant à lui, la part belle aux lignes plus sobres d’un modernisme fonctionnel.

Hôtels Continental et Majestic à Hô Chi Minh-Ville, Hôtel Sofitel Métropole à Hanoi… vous pouvez aujourd’hui passer la nuit dans un de ces grands témoins de l’époque coloniale.

La maison vietnamienne

L’architecture vernaculaire puise sa diversité dans la richesse des matériaux offerts par la nature vietnamienne : bois, bambou, palme, rotin… Qu’elles soient sur pilotis ou de plain-pied, en bois ou en terre, pourvues d’un toit de chaume ou de tuiles, les maisons vietnamiennes suivent à la lettre les principes de la géomancie pour s’intégrer avec harmonie et équilibre à la nature environnante. Chaque groupe ethnique possède ses rites et ses coutumes, en particulier en matière d’architecture. Mais on peut opérer une première distinction entre Nord et Sud. Au Nord, les maisons sont de plain-pied, construites à même le sol, généralement en latérite (roche rouge ou brune), et leurs toits, souvent de tuiles, sont recourbés. Dans le Sud, les maisons sur pilotis sont les plus répandues et sont souvent réalisées à base de cocotiers, très présents dans la zone. Outre le fait de permettre une protection et une aération du logement, l’édification sur pilotis revêt une signification symbolique. Selon certaines croyances, la maison sur pilotis représente la tortue, puissant symbole de longévité : les échasses en bois sont ses pattes, le sol son ventre et le toit sa carapace protectrice. En règle générale, quelle que soit la région, les toits sont souvent à forte pente pour permettre une meilleure évacuation des eaux de pluie et les fenêtres sont plus larges que hautes et généralement protégées par des panneaux de bambou afin de préserver l’habitat du soleil et du vent.

Dans les villages vietnamiens, une maison surpasse les autres dans le rôle qu’elle joue au sein de la communauté : il s’agit de la maison communale ou dinh. Aussi bien lieu de culte des génies du village que centre communautaire où l’on discute des affaires locales, ces maisons sont une des grandes composantes de la tradition vietnamienne. Qu’elles soient construites sur pilotis ou de plain-pied, elles sont le plus souvent en bois et s’étendent en longueur, offrant de grands espaces pour les célébrations et rassemblements. Dans les hauts plateaux du centre, ces maisons communales ont une silhouette bien particulière. Ces rong se détachent par leurs incroyables toits aussi hauts et longs que raides. Aujourd’hui, l’écotourisme se développe et de nombreux villages ouvrent les portes de ces maisons communales. Construite en 2012, la maison communautaire de Suôi Rè est un superbe exemple de perpétuation de la tradition. De roche et de bambou, elle s’intègre parfaitement à son environnement.

Les villas urbaines ont, elles aussi, leurs traditions. L’une de leurs caractéristiques les plus visibles est l’omniprésence du jardin où sont disséminés arbres, fleurs et bassins, transformant l’habitation en oasis de fraîcheur et de sérénité. Autre point important, le portail d’entrée n’est pas aligné avec la porte d’entrée principale, ou s’il l’est, un petit muret est ajouté au bout de l’allée afin d’éviter les vues directes sur l’intérieur et d’empêcher le vent de s’engouffrer dans la maison. En règle générale, le chemin jusqu’à l’habitation principale se fait rarement en ligne droite et des haies le jalonnent souvent, là encore, pour éviter au vent, chargé d’une symbolique négative, de souffler sur la maison. La maison se compose généralement de 3 à 5 pièces alignées horizontalement, auxquelles s’ajoutent 2 appentis. La structure de l’ensemble est en bois sculpté. Si aujourd’hui les villas individuelles font la part belle aux styles occidentaux, certains éléments rappellent un attachement certain à la tradition : véranda rappelant l’appentis des maisons traditionnelles, autel dédié aux ancêtres du foyer, présence de plantes comme symboles des jardins d’antan…

Architecture contemporaine

Dans les années 60, le Viêt Nam n’échappe pas à la soviétisation de l’architecture. Monumentale et destinée à asseoir la puissance communiste, on la retrouve surtout dans des palais et mausolées. À Hanoi, l’austère et imposante Assemblée nationale en est un bon exemple, tout comme le Palais de la Réunification, à Hô Chi Minh-Ville, qui s’étend sur près de 20 000 m². Mais c’est bien sûr le Mausolée d’Hô Chi Minh à Hanoi qui représente le mieux cette tendance. Massif, en granit gris et pierre polie, il emprunte aux codes de l’Antiquité classique et prend des allures de temple moderne. Les Soviétiques ont également développé les logements collectifs sous forme de grandes barres d’immeubles.

Aujourd’hui, les deux grandes villes du pays n’échappent pas à la course à la verticalité pour tenter de gérer la pression démographique. Chacune possède désormais sa tour emblématique : à Hanoi, la tour Keangnam, haute de 336 m, et à Hô Chi Minh-Ville, la tour Bitexco, haute de 300 m et dont les formes sont censées évoquer celles d’une fleur de lotus. À côté des complexes de luxe qui fleurissent un peu partout, certains architectes font le choix d’une architecture tout en sobriété et en minimalisme, en adéquation parfaite avec l’environnement, comme en témoigne le très beau Lycée français d’Hô Chi Minh-Ville avec ses bâtiments organisés en patios et jardins. Figure de proue de ce mouvement et architecte internationalement reconnu, Vo Trong Nghia développe des structures en bambou d’une très grande élégance et surtout durables. Le Wind et Water Bar à Binh Duong, en forme d’arche, ou la salle de spectacle Bamboo Wings à Vinh Phuc, dont la forme rappelle l’envol d’un oiseau, sont deux exemples de cette architecture contemporaine faisant appel à des savoir-faire traditionnels dans une recherche constante de durabilité et d’harmonie. Une recherche que l’on espère retrouver dans l’aménagement du quartier Thu Thiem à Hô Chi Minh-Ville. Remporté par l’agence française DeSo, le projet fait la part belle à la nature et à des dispositifs bioclimatiques, et devrait s'imposer comme le plus important centre d'affaires du pays dans les années à venir.