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Origines

Les plus anciens vestiges de la Jamaïque sont légués par un peuple amérindien, qui apparaît au Néolithique. Les Arawaks (ou Taïnos) étaient d’habiles potiers. La céramique antérieure à 500 avant J.-C. atteste d’un grand raffinement esthétique. Ces pièces richement décorées montrent des motifs repris dans les gravures sur pierre de la même époque. Des peintures blanches, noires et ocre ornent les objets du quotidien. Au fil des siècles, la céramique se fait plus grossière. De nombreux artefacts sont conservés au Hanover Museum à Lucea, une bourgade peu touristique située entre Montego Bay et Negril. Plus fourni, le Musée national de la Jamaïque (National Museum of Jamaica) s’est établi dans un somptueux bâtiment du centre-ville de Kingston. Les 19 000 pièces de sa collection couvrent la culture arawak jamaïcaine, la période coloniale espagnole puis britannique, les deux guerres mondiales, l’indépendance et le mouvement rastafari.  Toute l’histoire de la Jamaïque retracée dans cette institution est expliquée lors de visites guidées.

Héritages européens

C’est dans l’ancienne capitale de la Jamaïque, à Spanish Town, que se trouve l’un des rares témoignages de la période espagnole. Les frises de l’église de Sevilla la Nueva auraient été exécutées par les Taïnos pour en faire don aux colons espagnols. Restons à Spanish Town pour apprécier son principal centre d’intérêt, la place municipale. L’imposante sculpture signée John Bacon (1740-1799) montre l’amiral britannique George Rodney. Bacon était alors le sculpteur le plus acclamé de Grande-Bretagne.

Sous le joug colonial, toute référence à la culture africaine est bannie. La production passe exclusivement aux mains des Européens. Ces derniers séjournent sur les îles et découvrent les plantations qui seront un motif récurrent, représenté à la sauce européenne.  D’autres pratiquent l’art du portrait, toujours selon les codes occidentaux.  L’un des rares artistes à questionner l’esclavagisme au XVIIIe siècle est le philanthrope William Hogarth (1697-1764). Pour autant, ils réalisent tous des aquarelles ou des huiles qui popularisent la beauté exotique de la Jamaïque. Certains prolongent leur séjour, et ouvrent des studios à Kingston. Le déclin de l'industrie sucrière marque une baisse d’intérêt de la part de ces peintres, qui ne viennent plus qu'épisodiquement en Jamaïque pour réaliser des marines classiques. Joseph Batholomew Kidd (1808-1889) s’installe notamment en 1820 et produit la série Fifty Spectacular Views of Jamaïca.

Isaac Mendes Belisario, le pionnier

La production locale reste longtemps balbutiante. Les peintres du dimanche adaptent les enseignements apportés d’Europe sans véritablement innover.

Le premier artiste moderne né en Jamaïque semble avoir été Isaac Mendes Belisario (1795-1849). D’origine juive, il vit à Kingston. Ses œuvres documentent le quotidien à l’heure de l’indépendance. Formé auprès de l’aquarelliste Robert Hills, il peint des paysages tels que Cacao Walk Estate, exposé au Musée National de la Jamaïque. Belisario répondait à toutes les commandes :  portraits et scènes de genre, peinture à l’huile et gravure, rien ne lui faisait peur. Parti en Europe, il collabore avec des lithographes anglo-saxons, puis avec Adolphe Duperly, et décède à Londres après avoir achevé sa célèbre série de 12 lithographies, Sketches of character

Belisario reste un cas isolé. En effet, la création jamaïcaine ne s’émancipe qu’au tournant des années 1920. Entre-temps, John Dunkley poursuit une carrière honorable. Né en 1881 et mort en 1947, ce coiffeur barbier officie dans sa boutique du centre-ville de Kingston. Il recouvre les murs de son local et ses ustensiles d'étonnants symboles. Peintre aventurier, il parcourt l'Amérique latine avec le projet de faire fortune. Il se tourne ensuite vers la peinture sur toile ; ses images symboliques déroutantes, parfois morbides, ont fait de Dunkley le peintre le plus coté du pays.

L’art intuitif de Kapo

Un courant assimilé à l’art naïf, joyeux, coloré et folklorique prend son essor au XXe siècle. A sa tête, le sculpteur et peintre Kapo (Mallica Reynolds, 1911-1989), par ailleurs chef religieux. Autodidacte, il se met à la peinture aux alentours de 1940 et accède à une reconnaissance internationale dès les années 1960. Il est considéré comme le grand représentant du mouvement artistique « intuitif », théorisé par la National Gallery en vue de regrouper les autodidactes qualifiés jusqu’alors de « primitifs jamaïcains ». Kapo nourrit son œuvre de ses croyances religieuses, sa création étant selon lui guidée par la volonté de Dieu. Ancien leader revivaliste, il développe des thèmes mystiques, paysages et visions, et sculpte le bois. Pour la petite anecdote, l’une de ses peintures intitulée Shining the Spring a été sélectionnée par le gouvernement jamaïcain pour être offerte en cadeau de mariage à Lady Diana et au Prince Charles.

Edna Manley

Sur la scène culturelle insulaire, l'artiste la plus marquante de sa génération est sans doute Edna Manley, dont la popularité naît en même temps que la prise de conscience nationaliste et anticolonialiste. Ce qui est qualifié d’Art Movement date de 1922, année où Edna Manley (1900-1987) s’installe en Jamaïque, forte de son éducation anglaise néoclassique. Elle exécute aussitôt sa première sculpture inspirée de la culture locale. La fondation de la Jamaican School of Art en 1950, où elle enseigne, marque un tournant dans l'histoire de l'art du pays. On peut admirer sa sculpture Negro Aroused sur la promenade de Kingston Waterfront et d’autres œuvres à la National Gallery. Également peintre et dessinatrice, elle n’a eu de cesse d’œuvrer pour faire comprendre que l’art n’est pas un simple hobby. Elle est par ailleurs la mère de l’ancien Premier ministre Michael Manley.

Tendances contemporaines

Plus que des écoles, des personnalités participent à l’émergence d’une scène jamaïcaine. Parmi ceux-ci, le peintre rasta Allan Zion (né en 1930) s'inspire de la vie traditionnelle des campagnes. 

Osmond Watson, né à Kingston en 1934 et mort en 2005, auteur de toiles comme The Laud is my Sheper ou Freedom Fighter, a su mêler cubisme et art africain pour façonner un style purement jamaïcain. A travers ses portraits, c'est l'âme de son peuple qui est honorée, par le biais d’une palette vive, puissante et contrastée. 

Albert Artwell, né en 1942, est le grand représentant de la peinture populaire jamaïcaine. Dans un style naïf, à base de couleurs gaies et de personnages symétriques, Artwell a conquis un large public dans le monde entier. La Jamaïque chantante, couronnée d'azur, sa nature exubérante et ses cabanes de bois peintes en rouge, vert et or, dominent sa création. Une autre partie de son œuvre puise son inspiration dans les textes sacrés et la tradition rasta.

Barrington Watson est né à Hanover en 1931. Le peintre se forme à Londres puis à Paris, avant de retourner sur son île en 1961. Bien vite, il s'impose comme la figure de proue du courant post-indépendant. Il peint aussi bien des scènes de vie, des portraits que des nus. Il donne naissance à la Contemporary Jamaican Artists' Association (1964-1974) en collaboration avec Eugene Hyde et Karl Parboosingh. Parmi ses œuvres remarquables : les fresques Our Heritage (1974) à l'Olympia Gallery et The Garden Party (1975), l'installation en collaboration avec Cecil Baugh Trust (1975) à la Bank of Jamaica ; plusieurs portraits officiels dont Martin Luther King (1970) au Spelman College à Atlanta. Certaines de ses œuvres sont exposées à la National Gallery de Kingston dont Mother and Child (1959), Washer Women (1966), et Athlete's Nightmare (1966). Barrington Watson, qui a signé pas moins de 234 œuvres d'art, a été honoré de la Gold Musgrave Medal de l'Institut de Jamaïque en 2000. Le peintre s’est éteint en janvier 2016. Sa contribution au développement du paysage artistique et culturel du pays est inestimable.

Pour se mettre dans le bain, explorez la galerie virtuelle Art Jamaica (www.art-jamaica.org). A l’initiative de cette vaste exposition, la collectionneuse et mécène Theresa Roberts souhaite diffuser la richesse de l’art jamaïcain dans le monde entier. Autour d’Edna Manley, « la Mère de la Nation », de nombreux plasticiens caribéens sont rendus accessibles au plus grand nombre. Chapeau bas !

Yard Art

On préfère ici parler de Yard Art que de street art. La particularité de ces manifestations artistiques populaires en plein air est de s’imprégner de la culture rasta. Ses sujets font également écho aux luttes sociales. Pour cette raison, les messages politiques de Bob Marley et Peter Tosh occupent une place prépondérante sur les murs des villes. Parmi les peintres des rues, on retrouve des artistes intuitifs formés sur le tas dans les ghettos de Trench Town ou de Tivoli Gardens. Leurs grandes fresques murales au style naïf reprennent des instants du quotidien aussi bien que des slogans politiques. Elles décorent les façades des maisons dans les quartiers populaires de la capitale, les devantures des cafés et les boutiques un peu partout sur l'île. Plus étonnant, elles se perchent sur les parois rocheuses des montagnes, les falaises, dans les grottes selon l’habileté des artistes pèlerins.

Retour en ville, et plus précisément à Kingston. La ville bénéficie d’une forte concentration en art urbain. L’adresse à retenir : Fleet Street, au numéro 41. Ce nouvel épicentre de l’art à ciel ouvert était autrefois délaissé et même, avouons-le, peu recommandable. Mais l’initiative Paint Jamaica a changé la donne. Le projet porté par Marianna Farag a progressivement impliqué toute la communauté. Grâce aux artistes locaux et internationaux, le quartier est désormais attrayant, autant pour ses habitants que pour les visiteurs !  Paint Jamaica compte poursuivre ses actions d’embellissement sur toute l’île avec le soutien de la population. Sur une terre où les commerçants commandent leurs enseignes aux graffeurs, on peut affirmer que l’art est magnifiquement entré dans les mœurs.