Un kayamb, instrument fait de tiges de canne à sucre. shutterstock - Julien AZAM.jpg

Le maloya

Si vous cherchez le genre musical le plus réunionnais possible, n’allez pas plus loin. Classé au patrimoine immatériel de l’humanité depuis octobre 2009, le maloya est à la fois une musique et une danse, emblématique de l’île. Véritable chant d’espoir, de résistance et de douleur, cette complainte a permis aux esclaves d’exprimer leur mélancolie, leur souffrance mais aussi, parfois, leur joie de vivre. Une histoire comparable à celle du blues aux États-Unis, bien que les deux genres diffèrent énormément esthétiquement. Fondé sur un rythme ternaire, le maloya utilise les instruments classiques de la musique réunionnaise : rouleur (gros tambour frappé à deux mains), kayamb (idiophone iconique de la Réunion), bobre (arc à corde frappée), et se décline en différents styles dont le maloya piké, populaire avec des chants créoles, ou le maloya kabaré, joué lors de rites religieux et nourri de chants malgaches et d’onomatopées. Ces fêtes ont donné naissance au kabar, terme qui, par extension, a fini par designer les fêtes où l’on joue et où l’on danse le maloya.

S’il est aujourd’hui une icône de l’île, le maloya fut autrefois la cible des colons, l’administration française l’interdisant même dès la fin des années 1950, et ce jusqu’en 1982. Les autorités craignaient à l’époque qu’après la départementalisation de l’île (en 1946), le maloya devienne un terrain d’expression fertile au développement d’idées indépendantistes. C’est finalement en 1976 que le maloya sort de l’underground pour revenir sur le devant de la scène avec la parution du premier vinyle de Firmin Viry (premier album de maloya jamais édité), le « Compay Segundo réunionnais ». À partir d’ici, le genre sort peu à peu de la clandestinité et une série de stars émerge comme Gramoun Lélé, un des plus grands ambassadeurs du maloya, Danyel Waro, le chef de file de la contestation musicale et le grand défenseur du maloya traditionnel, Ziskakan, l’enfant terrible du maloya réunionnais qui a mélangé ce dernier aux sonorités du monde entier, tout comme Davy Sicard, autre très grand nom du genre, ou encore Alain Peters, grand poète réunionnais qui vers la fin des années 1970 fabrique un maloya funk-rock inspiré par les Beatles ou Jimi Hendrix. Enfin, n’oublions pas des artistes comme Nathalie Natiembé et Christine Salem (Salem Tradition), grâce à qui le maloya n’est pas près de s’éteindre.

Aujourd’hui, le maloya est plus vivant que jamais, tonifié par le métissage avec les sonorités actuelles comme l’électro. Une excellente compilation, Digital Kabar, parue en 2019 chez InFiné présente très bien cette nouvelle scène électro-maloya et met en lumière ses ressortissants les plus intéressants comme Labelle ou Jako Maron.

Outre les fameux kabars, ces fêtes réunionnaises par excellence qui s’improvisent un peu n’importe où, le maloya se joue dans les bars ou à l’hôtel Le Zinzin de Grand-Bois. Ce dernier étant la propriété de Gilbert Pounia, leader du fameux groupe Ziskakan, il accueille bon nombre de concerts de maloya (et de groupes locaux dans l’ensemble). Bien entendu, le maloya est également régulièrement mis à l’honneur dans des salles de concert plus traditionnelles comme l’Espace Leconte de Lisle à Saint-Paul qui se démarque par sa programmation alléchante ou Le Kerveguen et sa copieuse jauge de 800 places. Une autre excellente occasion d’entendre du maloya en concert est lors de la fête Kaf, célébrée chaque 20 décembre pour commémorer l’abolition de l’esclavage.

Le sega

Bien entendu, à l’instar de ses voisines de l’archipel de l’océan Indien, la Réunion est également une terre de séga. Genre cousin de la biguine des Antilles, il tire ses origines de danses traditionnelles d’Europe comme le quadrille, la polka ou la valse. Autrefois invariablement rythmé par de généreux déhanchés, il s’est policé au fil du temps, réapproprié́ par l’industrie du tourisme qui le déforme à tout-va. Cela dit, le temps et les usages n’ont pas abîmé sa lascivité ni sa sensualité.

Si le maloya survit en se transformant au gré des nouvelles influences, le séga, lui, aurait plutôt tendance à s’essouffler depuis le début du XXIe siècle, souffrant d’une image désuète, voire « folklorique ». Cela dit, le genre fait toujours partie intégrante des trésors de l’île et les grands noms du maloya en ont tous joué à un moment ou un autre de leur carrière, comme Ousanousava, réputé pour ses textes engagés, ou Baster, groupe incontournable de maloya, séga et reggae. Parmi les grands noms du sega à connaître (et écouter), citons le groupe Apolonia, Michel Admette, « le prince du séga », ou encore Maxime Laope, grand ségatier, chevalier de la Légion d'honneur.

Le reggae

Existe-t-il un seul endroit au monde qui n’ait été touché par le reggae ? Grande terre d’accueil du genre, l’île de la Réunion l’a même marié au séga et au maloya créant ainsi le maloggae et le seggae. Sans surprise, les rastas sont donc très présents sur l’île, accompagnés de leur traditionnel drapeau rouge-vert-jaune et des grands noms comme Thierry Gauliris – membre du fameux groupe Baster – se sont essayés au reggae. En 2002, ce dernier faisait paraître son album Kaf Gong Reggae, enregistré dans les studios de Bob Marley en Jamaïque. La scène reggae réunionnaise se renouvelle sans cesse, la jeune garde étant aujourd’hui incarnée par des groupes tels que Mighty Lion, Positive Vibes Sound et Maylan Manaza.

Si l’on peut entendre du reggae à peu près partout sur l’île, la Ravine Saint-Leu (à l’entrée de Saint-Leu) est l’assurance d’en écouter du bon. Dans cette salle de concert à ciel ouvert (un amphithéâtre naturel), l’acoustique est fantastique et l’ambiance très chaleureuse et familiale.

Musiques actuelles

Île de danse bien décidée à vivre (et créer) au présent, la Réunion couve une jeune garde électro, résultat de cinq décennies d’expérimentations. À l’instar de Labelle ou Jako Maron précédemment mentionnés, l’électro-maloya est ici façonné par des mains particulièrement entreprenantes et aventureuses comme en témoignent les albums de Ti’Fock, vétéran de la scène, déjà actif dans les années 1980, Maya Kamaty, tête chercheuse du renouveau maloya, ou encore Boogzbrown, signé sur le gros label américain Mad Decent. Pour obtenir un panorama plus large sur la jeune scène réunionnaise, les compilations World & Pluriel éditées par le Pôle régional des musiques actuelles de la Réunion permettent d’entendre le meilleur de la production musicale de l’île de ces dernières années.

Outre ses artistes, la grande force de la Réunion est la qualité de ses événements. Entre le Sakifo Musik Festival, devenu LE festival incontournable de l’océan Indien avec sa programmation digne des grands rendez-vous internationaux, et le très branché festival Électropicales à Saint-Denis, l’île est désormais une destination prisée des meilleurs artistes actuels. À l’année, on peut retrouver cette même qualité en live dans des lieux comme Mahé La Bourdonnais à Saint-Denis, un des plus dynamiques en ville, ou Le Honey, lui aussi incontournable des soirées dionysiennes avec une très bonne programmation. À Saint Leu, le Zinc propose souvent des lives pop, rock ou électro intéressants.