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L’invention du rhum agricole

Impossible de parler de la Martinique sans évoquer son rhum, considéré comme l’un des meilleurs au monde. Que l’on soit simple amateur de ti-punch, symbole même des vacances, ou grand connaisseur capable d’en apprécier les plus fines bouteilles, ici le rhum et sa dégustation font partie de la culture locale. Si le rhum traditionnel fabriqué dans le monde entier est obtenu par la distillation du résidu de la fabrication du sucre, la mélasse, le rhum agricole martiniquais, lui, est issu du produit de la fermentation du pur jus frais de la canne. Il bénéficie d’une appellation AOC, qui garantit la qualité et la provenance de la canne ainsi que le respect des principales étapes de fabrication.

L’invention du rhum serait liée au Père Labat. En 1694, le moine dominicain est victime d’une terrible fièvre dont il aurait été sauvé par une décoction à base d’un alcool encore méconnu à l’époque, le tafia, l’ancêtre de ce qu’on appelle aujourd’hui le rhum. Il met alors au point un procédé ingénieux de fabrication avec un alambic des Charentes, permettant d’obtenir un liquide clair très aromatique, issu de la fermentation de différents déchets sucrés provenant de la fabrication du sucre.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, l’arrivée de la machine à vapeur va révolutionner le rhum et donner naissance au rhum agricole. Face à la crise que traverse la canne à sucre, après la découverte de la betterave, les sucreries se regroupent en usines centrales. La canne à sucre, elle, est acheminée des champs jusqu’à l’usine via le réseau ferroviaire.

Difficulté majeure, la topologie particulière de l'île ne permet pas de relier les habitations les plus enclavées qui sont, de fait, marginalisées du circuit sucrier. En conséquence, certaines d’entre elles décident de distiller directement le jus de la canne (vesou) et donnent naissance au rhum agricole qui s’appelle alors à l’époque « rhum z’habitants ». A la fin du XIXe siècle, la chute des cours mondiaux du sucre incite les petits planteurs à se reconvertir vers la fabrication de ce rhum nouveau.

Le seul rhum AOC au monde

En Martinique, l’Appellation d’Origine Contrôlée assure de l’utilisation exclusive du jus de canne issu d’un territoire délimité, de tradition régionale, présentant une certaine qualité.

Mais c'est surtout son goût qui va faire la différence, un rhum agricole présentant des arômes plus fruités et un bouquet plus riche qu’un rhum industriel. Du point de vue technique, toutes les étapes de la fabrication du produit suivent un processus parfaitement encadré, de la sélection rigoureuse des variétés de canne autorisées à l'art délicat du vieillissement.

Elaboration du rhum agricole. Concrètement, la canne est lavée, récoltée puis broyée par une batterie de moulins. Elle produit du jus, le vesou (ainsi que de la bagasse, qui servira de combustible), qui est mis à fermenter avant d’être distillé rapidement pour conserver tout son potentiel aromatique. Le vesou, soigneusement filtré, est placé dans des cuves à fermentation pendant 36 à 48 heures. Démarre alors le travail de fermentation, étape cruciale qui conditionne les saveurs finales du rhum : sous l’action des différentes levures, le sucre est transformé en alcool. A l’issue de la fermentation, on obtient un vin de canne titrant à 5-6° d’alcool. Vient ensuite l’étape de la distillation. Introduit dans le haut de la colonne, le vin descend de plateau en plateau, en chauffant au contact de la vapeur introduite par le bas de la colonne, ce qui permet de séparer l’eau de l’alcool et des composants aromatiques qu’il contient. A la sortie de la colonne à distiller, les vapeurs donnent, une fois refroidies, un rhum blanc qui titre autour de 70° ! Celui-ci est ensuite brassé, aéré, mis au repos pendant trois mois, puis coupé à l’eau distillée ou de source pour revenir autour de 50 à 55°. Idéal pour les ti-punchs, le rhum blanc garde intacts les arômes de la canne fraîchement coupée.

Rhum ambré. L’autre partie du vesou distillé passe par une phase de vieillissement sous-bois (généralement en fût de chêne) pour élaborer des rhums ambrés et vieux. Le rhum paille ou ambré séjourne en fût de chêne pendant 12 à 18 mois, pendant lesquels il prend une légère coloration, marquée par quelques arômes rappelant le rhum vieux.

Le rhum vieux, quant à lui, ne devient vieux qu’au bout de 3 ans, mais on peut obtenir un vieillissement plus poussé en le conservant plus longtemps encore : il s’appelle alors « hors d’âge ». « Very Old » (VO) pour les rhums élevés sous-bois pendant 3 ans, « Very Special Old Pale » (VSOP) pour ceux qui ont vieilli pendant 4 ans minimum, « Extra Old » (XO) pour 6 ans et plus de vieillissement. S’ajoutent à cela les rhums millésimés, issus d’une récolte unique, qui témoignent d’une année exceptionnelle. Ces rhums vieux extraordinaires rivalisent avec les plus grands spiritueux et s’apprécient à la manière des vieux cognacs ou armagnacs.

L’AOC. En termes de reconnaissance internationale, l'Appellation d'Origine Contrôlée assure aux rhums martiniquais une notoriété et une originalité qui leur permettent de conquérir de nouveaux marchés à l'instar du Japon, de l'Europe ou des Etats-Unis. D’autant que les rhums martiniquais remportent tous les ans de nombreuses médailles dans les concours internationaux de spiritueux.

Le spiritourisme

Face à l’engouement que suscite aujourd’hui le rhum martiniquais à travers le monde, la Martinique s’ouvre de plus en plus au spiritourisme. A l’instar de l’Ecosse pour son whisky et de la France pour son vin, ce type de tourisme thématique autour des spiritueux permet d’inclure la découverte des procédés de production aux traditionnels séjours touristiques. C’est une nouvelle façon d’aborder la découverte d’une destination sous le prisme des secrets de production de son alcool local et de s’imprégner ainsi de la culture martiniquaise.

L’île compte aujourd’hui, du nord au sud, douze distilleries dont sept distilleries fumantes, c’est-à-dire en activité et qui produisent du rhum. Les non-fumantes ne distillent plus : elles ont confié la distillation de leur rhum à une autre usine active.

Parmi les distilleries fumantes figurent Neisson au Carbet, Maison La Mauny (qui distille également les rhums Trois-Rivières), l’Habitation du Simon (où sont produits les rhums A1710, Clément et HSE), Saint-James (qui distille également les rhums Hardy), Depaz, la distillerie JM et La Favorite. L'ancienne production de sucre se limite, elle, à la seule usine du Galion à La Trinité, dernière sucrerie de l’île encore en activité.

Les distilleries en activité se visitent toute l’année. La plupart proposent des visites payantes avec un guide. On y aborde le rhum martiniquais d’une manière assez généraliste, avec des explications techniques mais à visée pédagogique, qui séduiront les connaisseurs et ne décourageront pas les néophytes !

Les visites peuvent souvent se faire en famille, surtout dans les sites où ont été aménagés des petits trains. Elles sont l’occasion de passer une agréable journée, permettant de combiner visites d’un jardin attenant à la distillerie, des chais, dégustation, visite des boutiques, déjeuner sur place, et escale à la plage.

La force de ces visites spiritouristiques ? Elles s’adaptent à vos attentes et peuvent se faire plus pointues pour un public averti. Visites sur-mesure en petits groupes, dégustations de cuvées exceptionnelles comme des rhums extra vieux, ateliers d’accords mets-rhums, rencontre avec des maîtres de chai, des artisans ou des chefs. En clair, autour du rhum viennent se décliner différents aspects du patrimoine martiniquais. Et pourquoi pas aussi loger sur place et se laisser happer, le temps d’une nuit, par la douceur des plantations de cannes environnantes ? N’hésitez pas à faire votre demande directement auprès des distilleries citées. Cette tournée des distilleries permet de découvrir la Martinique autrement, en abordant à la fois l’histoire de l’île et son savoir-faire en matière de rhums. Car, d’une distillerie à une autre, l’histoire, le terroir et les pratiques sont différentes. On vous invite donc à vous rendre dans chacune d’elles : vous y trouverez des spécificités intéressantes.

Les distilleries de la Martinique

Distillerie Saint-James. La visite de la distillerie Saint-James et de son musée, situés au bord de la rivière Sainte-Marie depuis 1860, est une excellente introduction pour découvrir l'histoire et les techniques de fabrication de ce fameux rhum. A la suite d’un édit, signé par Louis XIV, interdisant la vente du rhum en métropole, le père Lefebvre, fondateur de la distillerie, décida de donner à son rhum un nom facile à prononcer par les Anglais, afin de faciliter la vente de sa production aux colons de la Nouvelle-Angleterre. Et c’est ainsi que naquirent les rhums Saint-James. C’est la seule distillerie qui produit encore quelques milliers de litres de cœur de chauffe provenant de la distillation par alambic charentais. La gamme est très large et comprend le rhum impérial des plantations à 50°, le rhum paille à 50°, le royal ambré à 45°, vieilli au moins 12 mois en foudre de chêne. Mais aussi plusieurs catégories de rhum vieux : rhum vieux à 42° (âgé d’au moins 4 ans), le hors-d’âge à 43° (minimum 7 ans) et une gamme de millésimés, produits les années de récoltes exceptionnelles. Sur le site se trouve un musée qui retrace l’histoire du rhum agricole martiniquais. La visite se fait en parfaite autonomie et elle est gratuite. Aménagé dans l’ancienne habitation créole des précédents propriétaires, datant de 1874, le musée expose, à l’aide de gravures anciennes, vieilles bouteilles, affiches publicitaires et matériel agricole, les méthodes de culture de la canne, l’évolution des procédés de fabrication du rhum, l’amélioration des techniques industrielles et du matériel employé depuis l’apparition de la canne à la Martinique en 1654 puis par Saint-James depuis 1765. A l’extérieur du musée, après le jardin où prospèrent les anciens moulins, les chaudières, les machines à vapeur, se trouve la maison de la distillation qui retrace l’histoire et l’art distillatoires à travers les différents appareils utilisés selon les époques. La collection d’alambics et de colonnes à distiller y est impressionnante ! Le site propose également une balade (en supplément) de 3 km dans l’ancien train des plantations qui servait autrefois à acheminer la canne à l’usine à travers les champs de canne à sucre et les bananeraies. Entre février et juin, on passe tout près de l’usine en pleine effervescence.

Distillerie J.M. A Macouba, à l’extrême nord de la Martinique, au cœur de la forêt tropicale, la distillerie J.M occupe depuis le XIXe siècle le fond de la vallée de la Rivière-Roche. D'une simple roue hydraulique entraînant un moulin (dans un champ de canne à sucre) est née l'un des rhums les plus célèbres au monde. La canne distillée provient uniquement de l'Habitation Bellevue située sur un plateau au-dessus de la distillerie entre montagne Pelée et océan Atlantique, elle est entièrement utilisée pour la production du rhum agricole. Le rhum ainsi produit est de grande qualité, méritant un long vieillissement en fûts de chêne. Fait rare, la distillerie abrite l'unique tonnellerie de la Martinique (de septembre à décembre). La visite, à la scénographie très élégante et séduisante, est particulièrement intéressante. On y découvre toute l'histoire de cette distillerie. Tout a commencé en 1790 avec Antoine Leroux-Préville. Six cuves, placées par ordre croissant de taille, recueillent le jus de canne. Après cristallisation, on récolte le sirop (la mélasse) dont on tire le rhum ou tafia. Puis, de simple sucrerie, la maison devient distillerie en 1845 avec Jean-Marie Martin (d'où les initiales JM). Gustave Crassous de Médeuil, déjà propriétaire de l'habitation Bellevue, l'acquiert en 1914 des mains de son frère Ernest. En 1971, la société civile agricole Héritiers Crassous de Médeuil est constituée. La visite de la distillerie se poursuit par celle des jardins du rhum, une promenade bucolique qui démarre par le jardin des cannes, où l’on découvre les trois variétés de cannes hybrides sélectionnées par la maison parmi les cannes autorisées par l’AOC pour leur qualité et leur meilleure résistance à la coupe mécanique : la canne paille, la canne bleue et la canne rouge. Le jardin reprend la disposition typique en carrés séparés qui prévalait autrefois pour la culture de la canne dans les plantations. La promenade longe une végétation riche, née d’une terre exceptionnellement fertile et d’un métissage d’espèces : fleurs, plantes ornementales, arbustes, lianes ou grands arbres, le jardin des épices (basilic, citronnelle, gingembre, poivre, piment, muscadier, giroflier, bois d’Inde, cannelier, vanille…), avant de se terminer par la boutique pour goûter aux divins nectars produits sur place. Là vous serez amené à découvrir la saveur olfactive exceptionnelle de ces « grands crus » et nectars de caractère servis dans un cadre somptueux. Le meilleur pour la fin avec une halte à la boutique qui abrite quelques pépites comme du hors-d’âge de 15 ans, des single casks singuliers et d’exceptionnels rhums vieux qui ont fait et font toujours la réputation de J.M.

Habitation Clément. Située au sud du François, l’Habitation Clément est célèbre pour ses rhums AOC, sa Fondation d’art contemporain mais aussi pour son splendide parc botanique labellisé Jardin remarquable. L’Habitation Clément comprend l’ancienne distillerie aménagée en Centre d’interprétation des Rhums Clément, des chais de vieillissement où reposent paisiblement les célèbres rhums vieux Clément, une maison créole classée au titre des monuments historiques de France et un parc botanique au cœur d’une propriété agricole où l'on cultive la canne à sucre. Située dans la commune du François, cette habitation rachetée par Bernard et Yves Hayot en 1986 est un élément majeur du patrimoine architectural et industriel de la Martinique. La visite est payante, mais libre. On se balade dans un grand parc arboré. On visite la maison créole du XVIIIe siècle avec ses meubles d'époque et ses photos anciennes. Dans l’espace dégustation, on peut apprécier et acheter le fameux nectar. Pour accompagner sa politique axée sur la promotion des artistes caribéens, et plus particulièrement martiniquais, l’Habitation Clément s’est également dotée d’une Fondation qui organise des expositions d’artistes martiniquais et caribéens. Très créative, Clément a été la première distillerie à proposer des rhums blancs monovariétaux, c’est-à-dire issus d’une seule variété de canne, en l’occurrence la canne bleue.

Habitation Saint-Etienne. C’est l’une des rhumeries les plus avant-gardistes de la Martinique. Depuis 1994, Florette et José Hayot redonnent à ce domaine situé au Gros-Morne un nouvel élan, tant à l’image de la marque HSE qu’aux rénovations et embellissement des lieux. Ils perpétuent le savoir-faire ancestral des rhums AOC Martinique au sein de leur production, grâce à leurs techniques toutes particulières de réduction lente des rhums blancs et de sélection minutieuse de fûts pour les rhums vieux. La visite de l’habitation a un double intérêt : d’une part le parc botanique de 5 hectares, avec une flore exubérante et admirable de plus de 200 espèces végétales. D’autre part, l’ancienne distillerie classée ISMH, qui abrite des vestiges industriels comme une machine à vapeur de 1925, des chaudières, une turbine hydraulique… Les rhums HSE sont produits à la distillerie du Simon au François, puis vieillissent dans les 9 chais de l’Habitation Saint-Etienne au Gros-Morne. On y produit une large gamme de rhums vieux et bien connue des amateurs, ce qui lui doit d’être régulièrement primée. La mise en bouteille se fait également sur place et est visible avant 15h en semaine. La gamme HSE se décline en trois grandes familles : les produits traditionnels tels que le blanc et l’élevé sous-bois, le VSOP, le XO, les Expert Casks et la gamme innovante des Finitions du monde. Agrémentée d’expositions temporaires honorant des plasticiens locaux ou internationaux, la boutique de l’Habitation propose à ses visiteurs un large choix de produits ainsi que des dégustations gratuites.

Distillerie Dillon. Aux portes de Fort-de-France, la distillerie Dillon produit plusieurs variétés de rhums vieux et blancs. L’aventure de la distillerie démarre avec Arthur Dillon, arrivé en Martinique dans les années 1770, qui s’éprend de l’héritière d’une famille de planteurs. La visite rappelle que la marque a traversé les époques. Aujourd’hui, la distillerie est non-fumante : les cannes se trouvent dans le nord de la Martinique, le rhum est distillé quelque part dans l’île. Attenants à la boutique, les chais accueillent les rhums vieux en pleine maturation ainsi que l’embouteillage réalisé sur place. Au cours de la visite qui illustre les différentes phases de fabrication, une ancienne machine à vapeur de 1922 ne manquera pas de vous surprendre : elle fonctionne encore pour activer le système de broyage de la canne.

Distillerie La Favorite. Fondée en 1842, la distillerie La Favorite est l'une des deux dernières distilleries familiales de l'île. Elle est aussi la dernière unité de production de rhum en Martinique qui fonctionne entièrement à la vapeur. Au milieu de 60 hectares de cannes à sucre, elle produit chaque année entre février et juin environ 500 000 litres de rhum issus du pur jus de canne de façon traditionnelle et artisanale grâce à sa machine à vapeur de 1905. Régulièrement primés aux concours de dégustation nationaux et internationaux, les rhums blancs, vieux et hors-d'âge La Favorite ravissent le palais des amateurs du monde entier. La visite de la distillerie est libre, on peut y flâner à son aise, découvrir étape par étape la production du rhum agricole jusqu’à l’embouteillage, ainsi que l'histoire des lieux, rencontrer les ouvriers agricoles travaillant sur place, avant de finir par la boutique flambant neuve, où Emmanuelle et Célina se chargent de la partie dégustation. Jamais à court d’idées, la distillerie La Favorite propose des visites et dégustations guidées en petits comités… de nuit ! On évolue à travers la distillerie équipé d’une lampe frontale avant de terminer par une traditionnelle dégustation. Une originalité qui se paye (comptez 15 € environ par personne) et surtout qui se réserve !

Distillerie Hardy. C’est au cœur de la presqu’île de la Caravelle, haut lieu de la piraterie dans les Caraïbes, que se trouvent les terres du rhum Hardy, entre la baie du Trésor, les ruines du château Dubuc, et la baie du Galion. Juste avant la plage de la Brèche, sur la droite, se trouvent la distillerie Hardy et sa boutique attenante. Depuis 1994, la distillerie Hardy a cessé de fumer mais la production de ce rhum mythique, elle, n’a pas été interrompue et se poursuit au sein d’une autre distillerie, pas très éloignée (Saint-James !). Pour autant, pas question de renoncer à la typicité de ce rhum emblématique de la Martinique. D’autant que ce sont toujours les descendants de la famille Hardy qui sont aux commandes et qui ont su conserver cette distillerie au sein de leur patrimoine. Dans les années 1970, Gaston Hardy, ingénieur, modernise l’outil de production (mécanisme du moulin, cheminée en béton, colonne à distiller). Aujourd’hui, c’est son petit-fils, Jean-Pascal Hardy, qui a décidé de redonner vie à cette distillerie en ruine en lançant une gamme de rhums d’exception et en réfléchissant à un projet de réhabilitation. Cela passerait par la restauration et la mise en valeur des machines, la création d’un musée, d’un chai de vieillissement, etc.

Distillerie Depaz. Elle est la seule distillerie survivante de Saint-Pierre. Avant l’éruption de la montagne Pelée de 1902, plus de vingt distilleries étaient implantées dans la région. La plantation, détruite en 1902, fut reconstruite sept ans plus tard par Victor Depaz, unique rescapé de la famille, qui était à Bordeaux au moment de la catastrophe. La plantation se tient à l’écart de la ville, surveillée par l’impressionnante montagne Pelée. Le climat et l’environnement apportent au rhum une qualité estimée, renforcée par un travail de haute qualité dont le secret se transmet de génération en génération. Aujourd’hui, le jus de canne fermente dans 12 cuves de 30 000 litres de capacité chacune. Un circuit libre à travers ce lieu chargé d’histoire, ponctué de panneaux explicatifs, permet de comprendre la fabrication du rhum agricole. La visite (gratuite) de l'habitation principale transformée en musée complète agréablement le parcours, qui s’achève par la dégustation à la boutique. Au-delà de toutes ses machines, le château Depaz, reconstruit à l'identique, surplombe un magnifique parc de 5 hectares avec ses arbres majestueux et centenaires et le visiteur aura désormais la joie de découvrir les différentes pièces de l’habitation : son hall d’entrée, sa salle à manger, son fumoir, sa salle de jeux, sa salle d’archives ainsi que le bureau de monsieur Depaz.

Distillerie Neisson. Créée en 1932, la distillerie Neisson au Carbet est l’une des dernières distilleries familiales en Martinique à cultiver sa propre canne à sucre. Les amateurs de rhum blanc prétendent que le « zepol karé », célèbre bouteille rectangulaire, avec un arôme particulier, plus intense et plus fruité que les autres rhums, serait le meilleur de l’île. Cette saveur particulière serait liée au fait qu’à Neisson, les cannes à sucre, qui s’étendent tout autour de la distillerie, poussent sur des terres volcaniques très fertiles. Depuis peu, la distillerie Neisson produit un rhum agricole A.O.C. bio, unique au monde, sans oublier l'étonnant Esprit à 70°. La visite de la distillerie est libre, ponctuée de panneaux explicatifs qui permettent au visiteur de suivre les différentes étapes de fabrication et de découvrir l’outil de production, sans omettre la case dégustation à la boutique qui abrite les breuvages premium de la distillerie. En 2018, Neisson a obtenu le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », une première pour une distillerie de rhum en Martinique.

Maison La Mauny. C’est l’un des domaines les plus emblématiques de la Martinique. L’effigie de la tête marée, coiffe traditionnelle qui symbolise l’élégance martiniquaise, n’y est pas étrangère. Visiter la Maison La Mauny à Rivière-Pilote, c'est entrer au cœur de la production du rhum AOC en Martinique. Il faut dire qu’elle est l’une des plus importantes productrices de rhum de l'île, déversant près de trois millions de litres de rhum par an ! C’est en 1749 que Ferdinand Poulain, un Breton fraîchement débarqué en Martinique, acquiert cette exploitation après avoir épousé la fille d’un planteur local. Il lui donne le nom de sa femme : La Mauny. D’abord dédiée à la production de sucre, l’exploitation, nichée dans une vallée verdoyante du sud de la Martinique, entourée de champs de canne à sucre, se lance dans le rhum en 1820. Passé entre de nouvelles mains dans les années 1930, le domaine connaît une forte expansion après la Seconde Guerre mondiale. Détenue aujourd’hui par BBS, créée par la famille Bellonnie, associée à la famille Bourdillon, qui a grandement contribué à la promotion du rhum agricole de Martinique, la Maison La Mauny fait partie du même groupe que Trois-Rivières (Campari). La visite du site est bien rodée. A bord d’un petit train, un guide commente les différentes étapes de l'élaboration des rhums agricoles, de la récolte de la canne à sucre (de février à fin mai) à la distillation en passant par son broyage et la fermentation du jus obtenu, puis l’assemblage et le vieillissement. La visite mène justement jusque dans les chais, qui permettent de mieux cerner l'art de l'assemblage et du vieillissement des rhums vieux. A bord du train, on découvre également l’ancienne maison de maître, les vergers, les champs de canne, avant l’étape ultime : la dégustation au sein de la Cabane à Rhum. On y découvre les dernières créations du domaine, les rhums gourmands et généreux, signatures de la maison La Mauny, ceux vieillis en fût d’acacia (une nouveauté !), la gamme monovariétale La Wouj (à base de canne rouge), et bien sûr les liqueurs, l’un des produits phares du domaine. Le domaine organise également des visites thématiques sur mesure, pour tous les publics (plus ou moins connaisseurs, croisiéristes, séminaires…). Certaines vous permettront même de rencontrer Daniel Baudin, maître de chai de la maison, sacré « Meilleur Maître de Chai du monde » par l’International Rhum Conférence en 2019. Les familles peuvent y passer une journée agréable, et prendre le temps de visiter, d’apprendre, de déguster, et même de se restaurer sur place, chez Kay Mimi, le restaurant sur site, situé au pied de la distillerie. A noter que la visite est vivement recommandée lorsque l’usine est en activité, de février à fin mai. Au milieu des camions qui acheminent la canne (coupée à la main exclusivement ici), on est alors au plus près de la fabrication de rhum. Très axée sur le spiritourisme, la Maison la Mauny propose également des ateliers sur le thème « Food pairing » (accords mets-rhums) animés par la cheffe et blogueuse culinaire Prisca Morjon, sous réserve d'inscription à l'avance. Et pourquoi pas finir la journée avec un bain sur la jolie plage de l'Anse Figuier ? A l'IWSC (l’International Wine and Spirit Competition) de Londres en novembre 2020, considéré comme l’un des concours les plus reconnus de l’univers des spiritueux, la distillerie Trois-Rivières et la Maison La Mauny ont remporté les distinctions suivantes : « Meilleur producteur de rhum 2020 » et « Meilleur producteur de spiritueux 2020 ».

Les Trois-Rivières. En allant plus au sud, on parvient à la distillerie des Trois-Rivières avec son magnifique moulin d'inspiration Père Labat. Avec en fond une vue à couper le souffle sur le rocher du Diamant, la distillerie semble sortir tout entière d'un décor de film. Elle produit l'un des rhums blancs les plus plébiscités de Martinique et l’un des rhums vieux les plus primés ! Ici, on dit que les cannes poussent la tête au soleil (d’où la puissance du rhum liée au fort ensoleillement) et les pieds dans l’eau, de par leur proximité avec la mer, une salinité et une minéralité que l’on retrouve en bouche. Fondée vers 1660 par Nicolas Fouquet, surintendant des finances du roi Louis XIV, la Plantation Trois-Rivières compte parmi les premières distilleries de la Martinique. On peut y apprécier les vestiges de l'ancienne usine (qui n’est plus en activité) mais qui se visite toujours. Les guides rappellent les méthodes ancestrales d’élaboration des rhums agricoles Trois-Rivières, de la coupe de la canne au vieillissement. Un moment d’échange privilégié. En repartant, faites une halte au pied du majestueux fromager habité par des milliers de « Touloulous » (petits crabes rouges de Martinique), qui grouillent de partout ! Depuis la terrasse dominant la plantation, on peut ensuite déguster les prestigieux millésimes et cuvées de Trois-Rivières qui se distinguent à l’échelle mondiale de par leur puissance, leur extraordinaire richesse aromatique. Le talent de l’audacieux maître de chai, Daniel Baudin, n’y est pas non plus étranger.

Habitation du Simon. Cette ancienne sucrerie transformée en purgerie a été reprise en 2010 par Yves Assier de Pompignan. L’homme d’affaires, passionné de rhum, se lance alors dans un pari fou : celui de créer une nouvelle rhumerie portant en elle l’histoire et la richesse de ce terroir unique. Et c’est ainsi qu’est lancée la marque A1710 : A pour artisanal (car ici tout est fait manuellement), 1710 qui correspond à l’arrivée de Jean Assier en Martinique. Dès le départ, le positionnement est clair : produire des rhums d’excellence. Souhaitant élaborer des rhums avec différentes variétés de cannes, avec des fermentations plus longues pour conserver tout le potentiel aromatique de la canne fraîche (le fer de lance de la marque), une distillation est réalisée dans un alambic charentais entièrement en cuivre, complété d’une colonne à sept plateaux. En 2023 un second alambic a été mis en fonctionnement. Très orienté vers le spiritourisme, A1710 propose des visites thématiques particulièrement intéressantes et a même réaménagé l’ancienne maison principale en maison d’amis, pour y accueillir des séjours rhumiers. Les hôtes viennent participer à toutes les étapes de fabrication du rhum, depuis la coupe des cannes en passant par le broyage, la fermentation, l’habillage des bouteilles (toutes logotées du fameux trigonocéphale, serpent responsable de la mort de milliers de coupeurs de canne dans les plantations). Et six mois plus tard, les apprentis techniciens reçoivent la caisse du rhum qu’ils ont fabriqué eux-mêmes ! Un séjour initiatique particulièrement enrichissant, au cœur même de la fabrication du rhum, qui permet de montrer toute l’étendue du savoir-faire lié à ce divin breuvage, dont la qualité ne cesse de s’améliorer.

Rhumerie La Baie des Trésors. Cette rhumerie porte le nom d’une baie située sur la magnifique presqu’île de la Caravelle. La légende raconte qu’un trésor aurait été perdu par un vaisseau espagnol dans les profondeurs de cette baie. Ce trésor réapparaît aujourd’hui sous la forme d’une nouvelle rhumerie située sur l’exploitation agricole du Galion. Depuis 1849, date à laquelle l’usine est acquise par un certain Eugène Eustache, elle fournit en canne à sucre l’usine du Galion, l’unique usine sucrière encore en activité sur l’île. Avec ses 750 hectares plantés, elle est le premier producteur de canne de la Martinique.

L’idée de créer un rhum agricole a donc émergé naturellement. Son terroir s’étend sur toute la presqu’île de la Caravelle. Et c’est bien là la spécificité de cette nouvelle rhumerie : la Baie des Trésors produit des rhums de terroir 100 % parcellaires, élaborés avec les seules cannes de l’exploitation du Galion. Chaque parcelle de canne est clairement identifiée. Les cuvées sont élaborées à partir de cannes ayant grandi sur les mêmes parcelles, qui ont ainsi bénéficié de la même exposition au soleil, aux vents et à l’humidité. Les rhums de la Baie des Trésors se définissent comme la plus pure expression du terroir martiniquais : ni sucre, ni caramel, ni aucun autre intrant ne sont ajoutés pour laisser le terroir s’exprimer pleinement. Seulement 45 000 bouteilles ont été produites cette année, une petite production donc, particulièrement prometteuse. De véritables trésors !

 

Rhumerie Braud & Quennesson. C’est le dernier-né dans la famille des rhums agricoles martiniquais. L’arrivée de cette nouvelle rhumerie, la plus au sud de la Martinique, marque la renaissance d’un site emblématique : l’ancienne usine du Marin fondée en 1866 par les aïeux Braud & Quennesson, ancrée dans la mémoire martiniquaise, et fermée depuis les années 1970. Planté de cannes enclavées entre les mornes, ce site exceptionnel qu’est l’habitation Grands Fonds bénéficie d’un terroir unique et d’un microclimat particulièrement chaud et humide, qui confère au rhum des qualités exceptionnelles : arômes, fraîcheur et douceur. Les cannes affichent en effet une des teneurs en sucre les plus élevées de l’île, selon la maître de chai Stéphanie Dufour. Cette année, seuls 100 000 litres de ce rhum blanc élixir ont été produits et déclinés en 3 séries limitées, rondes et gourmandes : 59, 55 et 50 degrés. Dans trois ans, la gamme viendra s’agrandir de rhums vieux. En attendant, ce site chargé d’histoire promet de devenir un haut lieu du spiritourisme, doté d’une belle boutique et d’un jardin botanique complanté de caféiers, calebassiers, fromagers, manguiers… dans lequel il fait bon flâner. Les ruines de l’ancienne usine sucrière sont encore bien visibles. Les cannes sont actuellement distillées à l'habitation du Simon, mais la famille De Gentile, à la tête du projet, espère lancer dans quelques années sa propre distillerie. Une nouveauté futée prometteuse !

 

Distillerie HBS. Relancée en 2020, cette distillerie, la plus septentrionale de l’île, date du XVIIe siècle. Elle produit un rhum agricole artisanal, en petites quantités, distillé en alambic en cuivre, qui sublime les arômes du rhum HBS, dont les cannes bénéficient du sol volcanique très riche, de par leur proximité avec la montagne Pelée. Le travail se fait à la main : les cannes sont coupées et récoltées à la main pour préserver leur qualité, et ce, tout au long de l’année, ce qui se traduit par la commercialisation de petites cuvées confidentielles (500 à 1 500 bouteilles par cuvée) plusieurs fois par an en blanc et en vieux (avec ou sans finition dans des anciens fûts de cognac, whisky…).