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Musique et danse traditionnelles

Outre les kveða et syngja, deux grands styles de musique vocale et de poésie chantée, la tradition musicale islandaise est particulièrement marquée par les rímur. Ces poèmes épiques chantés – généralement a cappella –, rythmés par des vers allitératifs, sont considérés comme un des piliers de la poésie islandaise. Puisant ses racines dans les formes poétiques scaldiques (VIIe ou VIIIe siècle) et eddaiques (XIIIe siècle), le rímur se caractérise par ses métaphores complexes et son style narratif, inspiré d’éléments de la littérature et du folklore islandais. Si Skáld-Helga, Skíðaríma, Bjarkarímur et Lokrur – tous du XVe siècle – sont quelques-uns des anciens rímur les plus fameux, on en trouve de nombreux célèbres écrits entre le XVIIIe et le début du XXe siècle, notamment par des poètes comme Sigurður Breiðfjörð (1798-1846), spécialiste du genre. De nos jours, il est courant que les musiciens contemporains fassent appel aux rímur dans leurs œuvres. C’est notamment le cas de Steindór Andersen dont on se rappelle particulièrement la collaboration avec Sigur Rós sur un EP très justement intitulé… Rímur (en 2001). Citons aussi l’avant-gardiste Hilmar Örn Hilmarsson qui, dans certaines de ses expériences musicales, a convoqué les rímur. Aussi, le rímur continue aujourd’hui à habiter la langue islandaise, et il arrive parfois que des plaisanteries soient déclamées en prenant leur forme.

La tradition musicale islandaise comporte aussi quelques grandes chansons. Un bon exemple est Sprengisandi, éternel classique écrit par Grímur Thomsen (1820-1896) connu par tous les Islandais depuis leur tendre enfance. Particulièrement apprécié des cavaliers, il conte l’histoire des fermiers qui rassemblent les moutons dans les hauts pâturages des montagnes du pays, avec pour crainte, l’obscurité et les hors-la-loi. Côté danses, impossible de ne pas mentionner le vikivaki, sans doute une des plus importantes du pays. Exécutée en cercle, elle voit les participants se tenir par la main ou l’épaule et faire deux pas à gauche et un pas à droite. Le terme « vikivaki » peut également être utilisé pour décrire les chansons chantées pendant la danse ainsi que l’évènement durant lequel elle est pratiquée.

On trouve en Islande peu d’instruments folkloriques hormis le langspil, une sorte de cithare possédant une corde mélodique et deux cordes de bourdon et le fiðla, cousin du premier mais en forme de longue boîte. L’isolement de l’Islande a fait que, jusqu’au XVe siècle, les influences étrangères étaient minimes. C’est ce qui a permis de conserver aussi longtemps quelques spécificités comme le hákveða, une rythmique très particulière mettant l’accent sur certains mots d’une chanson – souvent le dernier de chaque phrase ou couplet. Un isolement rompu au court du XVe siècle, époque où des danses européennes comme la polka, la valse, le reel et le schottische commencent à s’introduire via le Danemark, provoquant un lent déclin des traditions de danse et de chant autochtones. Pour éviter leur disparition, un grand mouvement de collecte et d’inventaire a été mené entre les deux guerres mondiales, notamment par Bjarni Þorsteinsson (1861-1938), compositeur, qui s’intéressa à la musique folklorique islandaise dès la fin du XIXe siècle.

À Siglufjörður, un centre de musique folklorique porte d’ailleurs son nom, installé dans la maison où il vécut entre 1888 et 1898. L’endroit  a pour vocation de faire découvrir la musique folklorique locale. On y découvre des vidéos d’Islandais en train de chanter des poèmes épiques, des chants à cinq et des comptines ou jouant des instruments traditionnels. À Reykjavik, la Nordic House, institution créée pour renforcer les liens culturels entre les pays scandinaves par le truchement d’expositions, concerts, performances et conférences, programme de temps à autre de la musique traditionnelle islandaise ou des groupes en offrant une relecture.

La musique classique

L’histoire de la musique classique islandaise est à l’image du pays : petite mais truffée de trésors. À commencer par Sveinbjörn Sveinbjörnsson (1847-1927), grand compositeur romantique et auteur de l’hymne national Lofsöngur. Mis à part Sveinbjörnsson, la plupart des grands noms de la composition islandaise, sont à chercher au XXe siècle. On y trouvera notamment Jón Leifs (1899-1968), peut-être le compositeur le plus important de la musique savante islandaise, initiateur d’une musique nationaliste intégrant des éléments du folklore islandais dans des œuvres orchestrales (Saga Symphonie) et chorales (Edda Oratorio, Requiem). En tant que chef d’orchestre, c’est lui dirigea le premier concert symphonique en 1926. Couvrant la même époque, citons également Pall Isolfsson (1893-1974), un organiste virtuose qui composa quelques pièces d'inspiration germanique dont la Cantate de l'Althing. Côté arts lyriques, c’est Jon Asgeirsson qui composa le premier opéra islandais Thrymskvida, en 1974. Chez les contemporains, la composition islandaise se porte bien entre les mains de Daníel Bjarnason, qui emmène le classique vers de nouveaux territoires et dont les œuvres ont été jouées notamment par le Los Angeles Philharmonic, Páll Ragnar Pálsson, enfant des avant-gardes du siècle passé ou Anna Þorvaldsdóttir qui, comme ses deux pairs, cherche également à repousser les limites du genre.

Cette dernière a vu quelques-unes de ses créations être jouées par l’Orchestre symphonique d'Islande, l’ensemble majeur du pays, fondé en 1950 et composé d’environ 90 musiciens. Il est dirigé depuis 2020 par Eva Ollikainen, cheffe finlandaise, et première femme à la tête de l’orchestre, prenant la suite du Français Yan-Pascal Tortelier. S’il souffre d’un léger déficit d’image, l’orchestre mérite qu’on se penche sur lui, ne serait-ce que pour apprécier ses choix audacieux – à l’image des compositeurs du pays. L’ensemble est en résidence au fameux Harpa, incroyable salle de spectacles en verre signée de l’architecte dano-islandais Olafur Eliasson. Situé dans le vieux port, le bâtiment se distingue comme un point de repère unique en interaction permanente avec son environnement. Outre l’Orchestre symphonique d’Islande, l’endroit accueille l’Opéra islandais, au sein de quatre salles, la plus grande pouvant contenir jusqu’à 1 800 spectateurs assis. Autre scène offrant une grande place au classique, le Salurinn Concert Hall à Kópavogur peut réserver quelques bonnes surprises.

Les musiques actuelles

Bien sûr, il y a Björk. Fée géniale qui a réussi l’incroyable pari d’obtenir un succès critique et public – et devenir une célébrité internationale – avec de l’électronique expérimentale, c’est elle qui a montré au monde que l’Islande, cette petite île moins peuplée que la ville de Toulouse, possède une scène géante, audacieuse et dynamique. Et c’est aussi elle qui a ouvert la voie a plusieurs générations d’artistes locaux, leur affirmant qu’eux aussi pouvaient oser être géants, audacieux et dynamiques. L’autre pilier de la scène islandaise, c’est évidemment Sigur Rós. Hyper célèbre aux États-Unis et en Europe où il remplit les plus grandes salles, Sigur Rós est un des groupes les plus importants du post-rock, rock planant et minimaliste, dans lequel le groupe insuffle une âme féerique et particulièrement islandaise.

Björk et Sigur Rós, sont deux monuments islandais qui ont ouvert la voie à de très nombreux artistes et groupes tels que Hildur Ingveldardóttir Guðnadóttir, fabuleuse violoncelliste aujourd’hui reconnue pour ses BO du Joker ou de la mini-série Chernobyl ; FM Belfast, electropop qui – comme son nom ne l’indique pas – est islandais ; Mugison, vedette du pays au rock inclassable ; GusGus à l’électronique expérimentale dingue ; Kristín Anna Valtýsdóttir, un des visages de Múm écrivant des chansons poignantes en solo ou encore Bjarki, un nom adoré de la techno. Une liste interminable de jeunes talents qui comprend aussi (cela vaut la peine de les mentionner) Ásgeir Trausti, Rökkurró, Hjaltalin, Kaleo, Berndsen ou encore Of Monsters and Men, Mammut ou Agent Fresco.

Chose intéressante, le label berlinois Morr Music a été un tremplin pour beaucoup de groupes islandais. On y croise même quelques pontes de l’ère post-Björk comme Múm, féerie folk expérimentale et faussement naïve, Pascal Pinon, folktronica la larme à l’œil, Seabear, groupe de folk rêveur dont a fait partie Sóley, aujourd’hui en solo et dont l’electrofolk ravit le public du monde entier ou encore Sin Fang, lui aussi ancien de Seabear aujourd’hui en solo et proposant une pop chagrinée.

Autre aspect notable en Islande : sa frontière particulièrement poreuse entre classique contemporaine, minimalisme/sérialisme, ambient et musique électronique. L’exemple le plus connu est bien sûr Ólafur Arnalds, capable aussi bien de travailler sur un projet techno que de sortir un album hommage à Chopin avec Alice Sara Ott. Moins célèbre mais pas moins important, on trouve aussi Valgeir Sigurðsson qui a composé pour la télévision, le cinéma et le théâtre, dont certaines œuvres ont été jouées par des ensembles symphoniques. Il est également le fondateur du label Bedroom Community, consacré à ces artistes avant-gardistes, à cheval entre musique contemporaine et électronique.

Avec une scène aussi fournie et active, on devine que le pays possède quelques beaux rendez-vous. Le plus connu (et couru) est le festival Iceland Airwaves qui se déroule chaque automne à Reykjavík. On y vient du monde entier – Europe, Amérique du Nord et même Japon – pour y voir le meilleur des groupes étrangers ou locaux dans divers lieux du centre-ville (dont de nombreux bars). Tous les styles sont les bienvenus : hip hop, rock, électro, hard rock, pop, expérimental, blues..., faisant de l’évènement un panorama assez fidèle sur l’incroyable énergie créatrice locale. On pourra également admirer cette dernière au Festival Sónar de Reykjavik – cousin du festival barcelonais du même nom –, lui aussi consacré aux arts numériques, à la musique électronique et aux avant-gardes musicales. Moins connu, mais tout aussi bon, il faut surveiller de près le Lunga Art Festival se tenant à Seyðisfjörður, consacrée à la jeune garde des arts, du design et de la musique. Côté adresses, les amateurs de bonne musique se rendront au Dillon, institution locale réputée pour ses concerts du week-end qui font la part belle au rock, au très branché Kex Hostel, installé le long du front de mer dans une ancienne usine à biscuits, et proposant de nombreux concerts ou encore au Prikið pour le rap et au R6013 pour toucher au cœur de l’underground de Reykjavík.