Histoire et fabrication du rhum en Guadeloupe

Deux sortes de rhums cohabitent dans le commerce : les rhums agricoles, produits aux Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe, Marie-Galante) et obtenus par la distillation du produit de la fermentation du jus frais de la canne, et les rhums industriels ou de sucrerie, obtenus par la distillation du résidu de la fabrication du sucre, la mélasse, et fabriqués dans le monde entier. Les connaisseurs de rhum sont aussi pointus que leurs homologues du cognac ou de l’armagnac.

Les rhums martiniquais, contrairement aux rhums guadeloupéens, possèdent l’appellation AOC. Cependant, ces derniers rivalisent brillamment et sont souvent récompensés pour des cuvées d’exception notamment lors du salon de l’agriculture.

Lorsqu’on remonte aux origines du rhum, le premier nom qui apparaît est celui du fameux père Labat. En débarquant sur l’île, au début de l’année 1694, le révérend est terrassé par une terrible fièvre. Selon des sources historiques, il est sauvé par une décoction composée d’un alcool, ancêtre de ce que l’on appelle aujourd’hui le rhum. En 1722, Jean-Baptiste Labat mentionne dans ses mémoires intitulés Nouveau voyage aux îsles d’Amérique : « L’eau-de-vie que l’on tire des cannes est appelée guildive. Les sauvages et les nègres l’appellent tafia, elle est très forte, a une odeur désagréable, et de l’âcreté à peu près comme de l’eau-de-vie de grain. Le lieu où on la fait se nomme la vinaigrerie… ». Ce breuvage, issu de la fermentation de différents déchets sucrés provenant de la fabrication du sucre, passait ensuite dans un alambic qui rendait un liquide clair appelé tafia. À l’époque, cet appareil à distiller était très rudimentaire, ce qui explique la mauvaise qualité de cette boisson aux vertus cependant avérées.

Au XVIIIe siècle, la Guadeloupe vend des mélasses (déchets de l’industrie sucrière) aux colonies nord-américaines qui produisent déjà du rhum industriel. Cette technologie, mise au point par les Anglais, ne sera utilisée en Martinique et en Guadeloupe qu’à la fin du XIXe siècle. Les usines guadeloupéennes disposent en effet de grandes quantités de mélasse et commencent à produire du rhum pour améliorer leurs revenus. Une production qui permet de trouver un autre débouché à la canne à sucre.

Le rhum agricole

Étroitement liés à l’arrivée de la machine à vapeur appliquée au moulin à canne, les débuts du rhum agricole en Guadeloupe suivent cette révolution technologique qui va engendrer une nouvelle manière de produire avec la concentration des petites habitations regroupées, la création d'usines centrales équipées de machines à vapeur, autour desquelles gravitent les petites exploitations. Un réseau ferroviaire en forme d’étoile permet d’acheminer la canne à sucre des champs jusqu’à l’usine. Un certain nombre de petites habitations ne peuvent pas accéder à ce réseau en raison de leur situation géographique isolée : elles se retrouvent donc complètement écartées des usines centrales et du circuit sucrier. Certaines habitations commencent à distiller directement le jus de la canne (vesou) et donnent naissance au rhum agricole, appelé à l’époque rhum z’habitants. Par la suite, les différentes crises sucrières transforment peu à peu les usines centrales en distilleries agricoles.

On commence par écraser la canne en la passant dans une presse. La bagasse, masse compacte ainsi obtenue, est introduite dans un broyeur équipé de trois cylindres qui assurent un broyage de plus en plus fin pour extraire un maximum de jus (vesou). La dernière bagasse, très fibreuse, est utilisée comme combustible et fournit à l’usine l’énergie nécessaire à son fonctionnement. Le broyage doit être réalisé au plus tard 36 heures après la coupe des cannes. Le rhum agricole provient de la distillation directe du vesou et de la transformation de son sucre en alcool. Ce procédé nécessite une colonne à distiller en continu. Le vesou, soigneusement filtré, est placé dans des cuves à fermentation pendant 36 à 48 heures jusqu'à la vinification, appelée « grappe », titrant 5 à 6°. La suite du processus relève du travail classique du maître de chais. Une tonne de canne à sucre donne en moyenne 100 litres de rhum agricole à 55°.

Différents rhums agricoles sont produits dans les distilleries guadeloupéennes. Le rhum blanc, base de préparation du ti-punch, garde intacts les arômes de la canne fraîchement coupée. Après une réduction du taux d’alcool, effectuée à l’eau distillée ou à l’eau de source, il est commercialisé à 50° et 55° en Guadeloupe, et à 59° à Marie-Galante.

Conseil d’un Marie-Galantais : mettez le rhum 59° au congélateur, et servez-le comme on le fait avec la vodka ; frappé ! Si vous avez l'occasion de goûter les différents rhums de Guadeloupe, vous constaterez qu'ils ont un une saveur et une odeur bien différentes.

Pour la fabrication du rhum vieux, une partie du rhum blanc produit en distillerie est placée en fûts de chêne. Il ne devient vieux qu’au bout de trois ans. On peut obtenir un vieillissement plus poussé en conservant certains rhums plus longtemps encore : ainsi naissent les « 3 ans d’âge », avec un degré d’alcool de 45° environ. Les « 5 à 40 ans d’âge » rivalisent avec les plus grands spiritueux et s’apprécient à la manière des vieux cognacs.

Le rhum ambré, lui, est obtenu après être resté en foudre de chêne pendant une période d'environ 12 à 18 mois, ce rhum a pris une coloration dorée et titre généralement à 50°. C’est un rhum fort et parfumé destiné à la pâtisserie, aux crêpes et aux cocktails.

Le rhum industriel

Aussi appelé rhum de sucrerie, le rhum industriel est élaboré à partir de la mélasse, issue du raffinage du sucre. Dans les distilleries directement rattachées aux sucreries de canne, les mélasses sont mises à fermenter avec des levures. Cette fermentation rapide donne un jus alcoolisé qui titre de 5° à 6°. Ensuite, la distillation s’effectue dans des colonnes identiques à celles qui sont utilisées pour le rhum agricole. L’alcool en sortie titre de 65° à 75°. La législation n’admet pas plus de 65° pour la commercialisation. On y remédie en y ajoutant de l’eau distillée.

Le rhum jeune traditionnel est un rhum de consommation courante qui contient 40 % d’alcool en volume. Son arôme est assez fort. Il est utilisé pour la confiserie, la pâtisserie et la cuisine.

Le rhum grand arôme, lui, est très aromatisé du fait de la longue fermentation (8 à 10 jours) d’un mélange de mélasse et de vinasse dans les cuves de bois, ce rhum se consomme en cocktails, et s'emploie en cuisine et en pâtisserie. Il est méconnu localement, car toute la production est exportée. Il est produit essentiellement à la Jamaïque et en Martinique (usine du Galion).

Quel rhum choisir ?

Connaître les différentes spécificités de fabrication figurant sur l'étiquette aide à se repérer ! Les rhums industriels sont colorés par l’ajout de caramel tandis que le rhum agricole n’obtient cette teinte dorée qu’après avoir vieilli en fûts de chêne.

À chaque rhum, son utilisation ; le rhum blanc et le rhum ambré sont très appréciés en ti-punch, planteur ou autres cocktails, car leurs parfums s’accordent parfaitement aux jus de fruits ; les rhums arrangés associent au rhum blanc des épices, des plantes ou des fruits, qui après macération, permettent d’apprécier des saveurs et des arômes sur mesure, le tout toujours avec modération ; la famille des rhums vieux se déguste traditionnellement en digestif. Les amateurs avertis préfèrent les rhums vieux d'au moins 12 ans d'âge, plus doux et parfumés.

Distilleries et routes du rhum

En 1939, on compte 55 distilleries en Guadeloupe. En 1954, il en reste 37 et, aujourd'hui, on en compte 10. Comparée à la Martinique, la Guadeloupe n’a pas d’appellation d’origine contrôlée, mais a conservé une activité sucrière importante et produit aussi bien des rhums agricoles que des rhums industriels. La distillerie dite fumante, qui fait fonctionner chaque année sa propre colonne de distillation, produit ainsi du rhum pour plusieurs autres producteurs locaux. La marque est produite par une distillerie fumante. Parfois, une partie de la fabrique encore active continue à embouteiller sur place ou à faire vieillir ses rhums. Les anciennes distilleries dites non fumantes ne fonctionnent plus.

En Guadeloupe, les rhums sont plus suaves, plus bruts, plus nerveux que leurs homologues martiniquais. Dernière étape célèbre pour la fabrication de rhum agricole, l'île de Marie-Galante, où subsistent trois distilleries pour une fabrication artisanale de rhums au titre final plus élevé (59°). La Guadeloupe est régulièrement récompensée au Concours général agricole lors du Salon de l'agriculture chaque année.

Les distilleries guadeloupéennes se visitent toute l’année. Toutes sont pourvues de comptoirs de dégustation et de boutiques (rhum agricole, rhum vieux, punch-fruit, planteur, confitures, etc.). Si les distilleries se visitent toute l'année, les usines de fabrication ne sont en fonction que pendant la période de récolte (de février à juin).

Chaque distillerie possède ses spécificités et utilise son savoir-faire ancestral afin de produire des rhums de qualité avec des arômes et des saveurs uniques. Pour exemple il n'y a qu'à Marie-Galante que l'on produit le rhum blanc « réduit » à 59°.

Afin de toucher un public large, d'amateurs et de passionnés, les gammes conçues par les différentes distilleries s'élargissent : 40° pour les cocktails, 55° (à faire sourire plus d'un puriste marie-galantais), 60°/62° et même... 73,5° pour les plus téméraires qui oseraient s'y frotter.

On trouve aussi des produits encore plus raffinés. Avec la complicité des maîtres de chai, certains rhums atteignent la catégorie des spiritueux. 12 ans, 15 ans, 19 ans et même parfois fois 25 ans d'âge, raviront les collectionneurs, les amateurs ou même les curieux souhaitant se procurer ces précieux breuvages.

Une forte concentration de distilleries se trouve en Basse-Terre, avec la possibilité de les visiter : Reimonenq (Sainte-Rose), Bologne (Rivières-des-Pères), Montebello (Petit-Bourg), Marquisat à Sainte-Marie, Longueteau/Karukéra (Capesterre-Belle-Eau), Usine de Bonne Mère (seul rhum industriel). En Grande-Terre, la distillerie Damoiseau située au Moule est la véritable usine au centre du bassin cannier. D’autres distilleries sont également implantées à Marie-Galante ! Il s’agit de la Distillerie Bielle, la Distillerie Poisson et la Distillerie Bellevue.

Le rhum, une tradition locale

Le rhum est le produit phare de la Guadeloupe. Et il occupe une place bien particulière dans le quotidien des Guadeloupéens ! En fonction du moment de la journée où il est consommé, plusieurs appellations et manières de le déguster existent. On peut notamment citer le traditionnel « décollage » du matin, aussi appelé « mise à feu ». C’est un « sec », c’est-à-dire un rhum blanc consommé sans aucun mélange : la pratique traditionnelle veut qu’il soit bu « cul-sec », d’où cet autre surnom.