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Aux origines…

Tout commence sur le site de Skorba où l’on peut observer des traces d’habitat domestique remontant à 5400 av. J.-C. Il s’agissait alors de huttes en briques crues de marne bleue, une roche mêlant argile et calcite. Se développent également les murs de pierres sèches, dont deux de 8 et 11 m de long subsistent encore, témoignant déjà de la nécessité de se protéger. Mais les plus beaux témoins préhistoriques de Malte sont sans conteste ses temples mégalithiques datant des IVe et IIIe millénaires avant notre ère. Il s’agit-là de véritables prouesses architecturales. En effet, construites à la seule aide d’outils pour le moins rudimentaires, ces constructions comptent parmi les premières structures autoportantes au monde. Classés au patrimoine mondial de l’Unesco, les temples de GGantija, Hagar Qim, Mnajjdra, Skorba, Tarxien et Ta Hagrat possèdent tous une identité propre, cependant il est possible d’en esquisser des caractéristiques communes. Une avant-cour elliptique précède la façade concave des bâtiments par laquelle on entre via un passage monumental menant à une ou des cours pavées. A l’intérieur, les murs sont constitués de dalles verticales surmontées de blocs horizontaux, formant ce que l’on appelle des trilithes. Les chercheurs ont pu déduire des éléments de maçonnerie subsistants que ces temples avaient des toits en saillie dits à encorbellement. A l’intérieur, les temples sont organisés en chambres semi-circulaires appelées absides et disposées symétriquement de part et d’autre de l’axe principal. Panneaux décorés de trous percés, panneaux avec des bas-reliefs représentant motifs en spirale, arbres, plantes et animaux parent les murs de ces immenses constructions que l’on croyait bâties par des géants. Ces temples sont construits en pierres locales : le calcaire à globigérine – de couleur ocre et constitué de petites loges sphériques le rendant facile à travailler et donc idéal pour les éléments décoratifs -, et le calcaire corallien – plus dur et résistant, idéal pour renforcer les murs extérieurs. A côté de ces temples, Malte possède parmi les seuls exemples d’hypogées au monde. Véritables labyrinthes, ces nécropoles souterraines témoignent là encore d’un savoir-faire extraordinaire. Ces structures, datées du IIIe millénaire avant notre ère, sont constituées sur plusieurs niveaux superposés de chambres taillées dans le calcaire et dont l’architecture semble reprendre les caractéristiques des temples en surface : fausses baies inspirées des trilithes, anneau en pierre taillé surplombant le plafond et créant un effet d’encorbellement, décorations à base de motifs en spirales... Rendez-vous aux hypogées de Zebbug, Xaghra et surtout Hal Saflieni pour découvrir ces splendeurs.

De l’Antiquité à la période féodale

Dès l’Antiquité, Malte est convoitée par les plus grandes puissances de la Méditerranée. Phéniciens, Grecs et Carthaginois, tous brillants navigateurs, y créent ports et avant-postes commerciaux. Parmi les grands sites de cette époque, notons le temple de Tas-Silg qui témoigne de ce qui fera l’identité de Malte à travers les siècles, à savoir un étonnant syncrétisme où chaque civilisation s’appuie sur les précédentes pour construire son style propre. Ce temple est en effet bâti sur une structure mégalithique à laquelle les Phéniciens ont ajouté pilastres et corniches. De nombreuses nécropoles puniques jalonnent également l’archipel comme à Ghajn Klieb où vous pourrez observer des dizaines de tombes composées d’un puits d’accès et d’une chambre funéraire aux formes variées. Mais ce sont les Romains qui ont plus durablement marqué l’île de leur architecture, mêlant prouesse d’ingénierie et sophistication décorative. Entre Mdina et Rabat, la Domus Romana est un superbe exemple d’habitation urbaine unifamiliale. Les pièces de cette impressionnante demeure s’organisent autour d’un péristyle aux colonnes de calcaire recouvertes de stuc polychrome, tandis que les sols sont magnifiés par la finesse des mosaïques. Dans la baie de Ramla, vous pourrez également découvrir une étonnante villa romaine. Une vingtaine de pièces y ont été mises au jour dont treize formant un complexe thermal. Peinture imitant le marbre, bandes de pierre créant des motifs…: là encore l’aspect décoratif est primordial. Quelques sites paléochrétiens subsistent (catacombes recouvertes de fresques à Rabat), mais il faut attendre la domination byzantine à partir du VIe siècle pour voir apparaître de véritables églises à plan basilical (une nef centrale et deux nefs latérales) comme à Tas-Silg où subsiste encore un superbe baptistère. C’est également aux Byzantins que l’on doit les premières villes-forteresses comme L-Imdina, ville qui sera finalement prise par les Arabes. La présence arabe peut se lire dans l’urbanisme des plus anciennes cités de Malte avec leurs ruelles tortueuses et les maisons aux façades préservant l’intimité, les ouvertures ne donnant que sur la cour intérieure. La communauté musulmane était extrêmement importante à Malte, c’est sans doute pour cette raison que les Normands, à l’époque féodale, ont choisi de vivre en bonne entente avec cette dernière, autorisant l’édification de grands sites, à l’image de la vaste nécropole musulmane du site de la Domus Romana. En parallèle, les Normands ont importé leur style venu d’Europe. A côté du style roman aux proportions massives et aux lignes épurées, les Normands ont également laissé des témoins du style dit « Chiaromonte », du nom d’une grande famille normande basée en Sicile. Ce style, opérant une transition entre roman et gothique, se caractérise par des moulures en zigzag suivant un motif dit à « bâtons brisés » et des fenêtres à meneaux en arcs pointus. Cette présence normande est encore perceptible dans les forteresses et maisons de Mdina et Il-Birgu.

Les Chevaliers bâtisseurs

En accordant, en 1529, Malte comme fief perpétuel à l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, Charles Quint marque le début d’une profonde transformation de l’archipel. A leur arrivée, les Chevaliers s’installent au Castrum Maris (Fort Saint-Ange) qu’ils vont progressivement renforcer et moderniser à l’aide de fossés et bastions défensifs. Puis c'est toute l’île qui va être fortifiée par un puissant mur d’enceinte. Le Fort Saint-Michel est construit et au sein de ses fortifications se développe la ville de Senglea (aujourd’hui L-Isla). S’appuyant sur les canons de l’urbanisme Renaissance, les Chevaliers imaginent une trame orthogonale sur ce cap rocheux, et ce, sans travail de nivellement, d’où les nombreuses rues en escalier. Un plan que l’on retrouve à La Valette. Grâce à la victoire de l’ordre lors du Siège de Malte, les fonds affluent de toute l’Europe et permettent aux Chevaliers de renforcer les défenses existantes et de construire de nouvelles structures. Birgu est renommée Vittoriosa (la Victorieuse) et Senglea est renommée Invitta (l’Invaincue). Mais le grand maître Jean de Valette voit plus loin. Il veut une ville nouvelle symbolisant la puissance de la chrétienté. Ce sera l’Humilissima Civitas Valettae… : La Valette. Imaginée par Francisco Laparelli, architecte et ingénieur italien, la ville suit, là encore, un plan orthogonal quadrillé d’îlots, qui fait la part belle aux grandes rues et aux places, dont la célèbre Saint-John Square imaginée pour mettre en perspective la cathédrale. Autre grande nouveauté, La Valette possède un Officio delle Case qui réglemente les proportions des édifices, de même que leur traitement décoratif… : tout doit être harmonisé. Car La Valette se veut plus qu’une simple ville militaire, elle veut être une ville d’art. Plutôt que de s’enfermer dans des édifices fortifiés, les Chevaliers vont disperser les témoins de leur puissance : cathédrale, palais et résidences, auberges des langues et infirmerie jalonnent ainsi la ville. L’évolution stylistique de l’ordre de Saint-Jean est liée à l’évolution de sa propre puissance. A la rigueur et à l’épure Renaissance va succéder le maniérisme qui s’amuse à jouer avec les codes en superposant les ordres et en multipliant les motifs ornementaux comme dans le Palais des Grands Maîtres, la co-cathédrale Saint-Jean et l’Auberge d’Aragon que l’on doit à l’architecte maltais Girolamo Cassar. Leur succèdera ensuite le foisonnant et exubérant baroque. La rue devient un théâtre où les demeures donnent à voir l’intérieur richement décoré de leur étage noble via de grandes fenêtres, l’intimité étant toutefois préservée grâce aux superbes balcons qui deviendront l’un des symboles de Malte. On remarquera d’ailleurs que les Chevaliers laissent s’exprimer différents savoir-faire locaux : les balcons, moulures et fenêtres en baie ne sont pas sans rappeler les traditions architecturales arabes. Les édifices civils et religieux, eux, se parent de splendeurs décoratives à l’image de la co-cathédrale qui s’anime grâce aux décors directement taillés dans la pierre de Mattia Preti. Ce travail mêlant architecture et sculpture se retrouve dans les œuvres de Lorenzo Gafa à qui l’on doit la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Mdina. Le baroque trouve son apothéose dans la ville nouvelle de Floriana dont l’axe central est un large mail orné de fontaines et de statues, tandis que partout des œuvres végétales ornent la ville. Cet art baroque verdoyant se met aussi en scène à La Valette, notamment aux jardins de l’Upper Barrakka construits sur un ancien fort militaire, véritable oasis jalonnée d’arcades, fontaines et sculptures. En parallèle, les Chevaliers continuent à faire montre de leur génie militaire via forts, bastions et courtines, tous bénéficiant d’un traitement décoratif à base de sculptures et bas-reliefs, traduisant encore cette notion de ville d’art. Parmi les édifices phares, notons : la Porte Notre-Dame, chef-d’œuvre baroque inséré dans les Cottonera Lines qui, avec les Margehrita Lines, forment la double enceinte de Bormla, le Fort Saint-Elme ou bien encore le Fort Manoel qui porte la marque de l’architecte français Charles-François de Mondion, héritier de l’art de Vauban d’adapter les fortifications à la nature du terrain.

Modernité britannique

Le baroque est si fortement implanté sur l’archipel que, jusqu’en 1850, les Britanniques continuent d’utiliser les savoir-faire locaux en s’appuyant sur les équipements existants, notamment en matière militaire. Mais cette cohabitation ne dure qu’un temps, et rapidement les Britanniques veulent imposer leur style, témoin de leurs valeurs. Ce sera le style néoclassique. Objectif : créer des bâtiments-manifestes pour marquer l’espace, à l’image de l’hôpital royal naval de Bighi ou de l’église anglicane de La Valette, et effacer toute trace de l’héritage baroque, en prenant notamment en main l’enseignement de l’architecture. Les Britanniques introduisent également le modèle des parcelles étroites avec jardin arrière, créant des successions de maisons répétitives le long de rues rectilignes… : un schéma bien éloigné des traditions maltaises. Mais cette rupture avec le passé s’accompagne malgré tout d’une modernité bienvenue, notamment en matière de ventilation, étanchéité et éclairage. Cette « dureté » s’apaise à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, période durant laquelle va s’exprimer un étonnant éclectisme. Sliema devient l’une des stations balnéaires préférées des grandes familles de La Valette qui s’y font construire d’élégantes villas de style victorien, savant mélange de tous les styles « néo » et faisant la part belle aux bow-windows, célèbres fenêtres à encorbellement. L’architecte phare de l’époque est le Maltais Andrea Vassalo, à qui l’on doit l’étonnante maison néogothique de Mdina et la basilique Ta’Pinu, de style romano-byzantin. De nombreux Maltais succombent à cette mode « néo » pour leurs villas mais en y apportant toujours une touche maltaise : pierre blonde, toit-terrasse, baies vitrées… Dans la seconde moitié du XXe siècle, la présence britannique se manifeste par une architecture influencée par les besoins de la reconstruction et les attendus de l’industrialisation : création de nouveaux axes routiers, urbanisation touristique et développement de lotissements aux rues orthogonales et aux maisons « détachées » avec jardin à l’avant rappelant les villes nouvelles anglaises. Mais à quelques exceptions près, cette modernisation ne s’est jamais faite au détriment du patrimoine existant.

Perspectives contemporaines

A partir des années 1980, Malte n’échappe pas à la spéculation immobilière, voyant se multiplier des projets sans âme détruisant l’harmonie de ses rues paisibles. Pour stopper cela, le gouvernement lance en 2002 un vaste programme de protection et de restauration des balcons maltais. Puis, en 2011, l’Europe aide l’archipel à financer une grande opération de restauration de ses fortifications. Objectif : réhabiliter des zones jusque-là inaccessibles et les rendre aux visiteurs. Ce projet de réhabilitation est indissociable de deux grands événements phares pour La Valette : les 450 ans de sa création en 2016 et son titre de Capitale européenne de la Culture en 2018. Deux événements qui coïncident avec la sortie de terre d’un projet présenté dès 2009 et imaginé par le célèbre architecte Renzo Piano qui repense entièrement l’entrée de La Valette. On entre désormais par la City Gate d’où part un pont-passerelle offrant une vue plongeante sur les douves réaménagées en jardins. Une brèche créée dans les remparts permet au pont de se prolonger sur Republic Street, l’axe central de la ville, tandis que deux immenses escaliers relient les différents niveaux des fortifications entre eux. Plus loin, le nouveau Parlement ravira les amateurs d’architecture brutaliste. Composé de deux blocs équilibrés sur de minces colonnes, l’ensemble donne une grande impression de légèreté. La couleur ocre de la pierre locale et les fenêtres aux allures de moucharabiehs témoignent fièrement de l’identité maltaise. Enfin, Renzo Piano a également imaginé un théâtre à ciel ouvert installé sur les ruines de l’ancien Opéra royal. L’objectif de l’architecte était de conserver les ruines néoclassiques et d’y apposer des structures plus modernes à l’image des grands portiques métalliques supportant enceintes et éclairages. Un dialogue entre passé et présent que l’on retrouve dans le projet des Mercury Towers, encore en cours de construction. Il s’agit-là du dernier projet signé de la main de l’architecte Zaha Hadid. Au cœur du quartier de Saint-Julian, ce projet fait se côtoyer un bâtiment du XIXe siècle et une tour de 33 étages, avec un « twist » au milieu de sa structure qui donne l’impression qu’elle se déhanche. Malte n’a pas fini de vous surprendre !