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La musique traditionnelle

Portée par une scène très vivante et séduisant un public toujours plus grand dans le monde entier, on oublierait presque que la musique traditionnelle irlandaise est vieille d’environ 2 000 ans, datant de l’arrivée des Celtes en Irlande. Établis en Europe de l’Est dès le Ve siècle av. J.-C., les Celtes furent sans aucun doute influencés par les musiques orientales. Tout en s’acheminant vers leur terre d’élection, les Celtes marquèrent de leur empreinte les cultures musicales d’Espagne et de Bretagne, mais aussi du pays de Galles et d’Écosse. C’est toutefois en Irlande que la tradition s’est le mieux articulée, qu’elle a connu son apogée et qu’elle a survécu aux vicissitudes de l’Histoire. La harpe a dominé la musique irlandaise jusqu’au XVIIe siècle. Les lois pénales édictées par les Anglais allaient ensuite interdire toute forme de manifestation de la culture irlandaise dont la musique. Les musiciens continuèrent bien sûr à jouer, mais de manière clandestine, donc plus intime. Un caractère qu’a conservé la musique traditionnelle irlandaise aujourd’hui.

En 1845, la Grande Famine allait causer la mort d’un million de personnes et pousser à l’émigration, jusqu’à la fin du XIXe siècle, un nombre encore supérieur de survivants. Il ne fait aucun doute qu’une grande part de la tradition, chansons, récits et airs, a disparu à cette époque. Toutefois, en quittant le pays, des milliers d’Irlandais emportèrent avec eux leurs instruments et airs traditionnels, et c’est ainsi qu’un réseau de musiciens s’implanta dans des villes comme New York, Boston et Chicago, aujourd’hui connues pour l’importance de leur communauté irlandaise. Dans les années 1920, des artistes de fiddle (le violon irlandais) comme Michael Coleman, James Morrisson ou Paddy Killoran, Irlandais installés aux États-Unis, commencèrent à réaliser des enregistrements. Ces disques eurent un effet immédiat sur les musiciens irlandais restés au pays : non seulement le piano accompagnait le violon et le pipeau, mais le rythme était plus rapide. Ces deux nouveautés apportèrent un changement appréciable. Jusque dans les années 1960, la musique irlandaise se jouait essentiellement dans les pubs, et exclusivement en zone rurale. C’était une musique à danser. Au début des années 1960, les efforts d’un expert en musique irlandaise et grand promoteur du genre, Sean O’Riada, apportèrent une contribution majeure au domaine. Après la création du mythique orchestre Ceoltori Chualann, il se fixa pour but d’inventer une musique nouvelle mais fondée sur la tradition. L’orchestre était composé d’un violon, d’une flûte, d’un pipeau, d’un accordéon et d’un bodhran (tambour gaélique). La nouveauté consista à jouer en solo à l’intérieur du groupe mais aussi à composer des morceaux destinées à être écoutés et non plus uniquement dansés. Le premier concert des Ceoltoiri Chualann ne se tint pas dans un lieu public ou dans une salle de bal, mais au National Concert Hall, salle destinée à la musique classique. C’est le travail d’éclaireur de ce groupe qui initia une vague de revival et occasionna la naissance d’entités légendaires comme The Chieftains – dont certains membres sont d’ailleurs issus de Ceoltori Chualann –, le premier groupe à se produire à l’étranger. Des pionniers, devenus piliers, dont l’influence va s’avérer décisive sur toute une génération de groupes des années 1970, tel Planxty, ou, plus tard, The Bothy Band, orchestre séminal dont les arrangements complexes, les productions en studio et la fougue scénique ont constitué les principaux éléments du succès actuel de la musique irlandaise.

Parmi les musiciens incontournables, outre The Chieftains (qui continue à se produire), on ne peut mieux conseiller que d’écouter Mary Black. Après plus de 40 ans de carrière, cette artiste majeure d’Irlande reste célèbre pour sa voix cristalline et ses grandes interprétations de musique traditionnelle. Incontournable également, The Dubliners est un des groupes phares de la musique traditionnelle irlandaise. Plus récemment, c’est le jeune groupe Téada qui a séduit public et critique grâce à l’authenticité de son répertoire et de ses interprétations. Des groupes importants dont l’essence de la musique repose aussi sur l’utilisation des instruments typiques du pays. Outre les bodhran et fiddle mentionnés précédemment, il est courant d’entendre dans leurs compositions du thin whistle, flûte en laiton à six trous et instrument national ou la villean pipe, cornemuse irlandaise, assez différente de sa petite sœur écossaise. La harpe est également un instrument populaire dans le pays. Issue de la harpe irlandaise du XIXe siècle, cette harpe moderne est de taille relativement importante, comparable à celle de la harpe de concert, et ses cordes sont pincées avec l’extrémité des doigts. Deux harpistes irlandaises plus que recommandables sont Máire Ní Chathasaigh et Moya Brennan.

La musique traditionnelle occupe une telle place en Irlande qu’il ne faut jamais aller bien loin pour en entendre. Chaque ville, chaque village possède son ou ses pubs réputés pour leurs concerts. C’est bien évidemment à Dublin que l’on trouve la plus grande concentration d’adresses de qualité à commencer par The Auld Dubliner l’institution en ville. Un lieu particulièrement chaleureux, surtout en fin de journée à l’heure où la musique live bat son plein. Autre icône, The Temple Bar qui est, avec sa façade rouge vif et noir, l’une des images d’Épinal de la ville. À l’intérieur, c’est ambiance garantie dans ce lieu authentique tout en bois brut rythmé par de la musique traditionnelle dès 17h. Presque aussi célèbre, O’Donoghue’s est le lieu mythique où The Dubliners se sont formés. L’ambiance et les bons concerts y sont toujours au rendez-vous toute la semaine. Loin de Temple Bar, sur la Rive Nord, on trouve The Celt, pub bien dans son jus avec de la bonne musique irlandaise tous les soirs. Dans les environs, citons aussi The Cobblestone, bonne adresse conviant régulièrement des musiciens talentueux venus des quatre coins d’Irlande. Hors de la capitale, à Kilkenny, mentionnons l’institution locale, John Cleere, où de nombreux musiciens se produisent.

Le pays propose aussi quelques rendez-vous de qualité, comme le Fleadh Cheoil, l’un des festivals les plus importants de la musique et de la culture celtiques, se tenant à la fin du mois d’août dans une ville différente chaque année ou le Tradfest, célèbre festival proposant plus de 200 spectacles gratuits. Dans le même esprit, fin mai, à Ennis, se tient le Fleadh Nua, un des plus grands festivals de musique traditionnelle du pays.

La musique populaire

Battant presque aussi fort et vite que sa voisine anglaise, la musique populaire du pays a produit de nombreux noms restés dans les annales. À commencer par U2, bien sûr, incarnation de la pop irlandaise, que le monde adore ou hait (voire adore/hait) et qui a réussi l’exploit de vendre plus de 200 millions d’albums au long de sa carrière. U2 en est le visage mais, cela va sans dire, la musique populaire irlandaise n’a pas attendu le groupe de Bono pour se faire remarquer à l’international. Dès les années 1960, le pays voit apparaître des figures importantes comme Van Morrison (né George Ivan Morrison) qui débute en 1965 dans le groupe rock Them (auteur du fameux Gloria) et a traversé une pléthore de styles durant sa carrière. Peu avant l’explosion du punk, c’est le groupe de rock Thin Lizzy qui devient un carton (surtout aux États-Unis). Mais c’est vraiment durant les années 1990 que l’Irlande attire massivement l’attention. C’est à cette époque qu’apparaissent des noms comme The Corrs, quatre frères et sœurs devenus hyper populaires à l’étranger grâce à leur mélange de traditionnel irlandais et de pop-rock, The Cranberries, qui a été un des plus gros cartons du pays avec Zombie, morceau parlant ouvertement de la guerre, ou encore Sinead O’Connor, très forte personnalité, aussi célèbre pour ses grands tubes comme Nothing Compare 2 U que pour ses immenses coups de gueule. C’est aussi l’époque où explose Enya, énorme succès international grâce à sa fusion new age/celtique.

La musique classique

L’Irlande n’a pas laissé à la postérité de compositeurs aussi éminents que le voisin anglais mais il est intéressant de se pencher sur quelques noms. Au XVIIIe siècle, citons Philip Cogan (1750-1833), qui a composé quelques belles sonates, et John Andrew Stevenson (1761-1833), compositeur d’opéras, de sonates, de concertos et de symphonies, essentiellement connu pour ses collaborations (des accompagnements au piano) avec le poète irlandais Thomas Moore (1779-1852). Au début du XIXe siècle, quelques Irlandais triomphent dans le monde musical anglophone comme le ténor Michael Kelly (1762-1826), aussi compositeur d’une soixantaine d’œuvres (opéras, ballets, cantates, etc.), Thomas Simpson Cooke (1782-1848), lui aussi chanteur et compositeur influent dans le monde de l’opéra de l’époque ou Michael W. Balfe (1808-1870), baryton et compositeur resté célèbre pour son opéra La Bohémienne. Un peu plus tard dans le siècle, c’est William Vincent Wallace (1812-1865) qui connaît un succès international à la fois virtuose du piano et du violon. À la même époque citons également John Field (1782-1837) qui serait le créateur de la nocturne. Plus tard, ce sont les quelque 200 œuvres, dont sept symphonies, de Charles Villiers Stanford (1852-1924) et le romantisme tardif de Hamilton Harty (1879-1941) qui marquent la musique du pays.

Dans la musique contemporaine, l’Irlande s’est illustrée via les travaux de Gerard Victory (1921-1995), qui s’est essayé à la musique tonale, sérielle ou électroacoustique, John Kinsella (né en 1932) considéré comme l’un des plus importants symphonistes depuis Stanford, Seóirse Bodley (né en 1933), installé quelque part entre contemporain et tradition irlandaise. Plus récemment, ce sont les œuvres de Frank Corcoran (né en 1944) et Gerald Barry (né en 1952) qui dominent la création irlandaise.

Côté interprètes, Catherine Hayes (1818-1861) était une soprano de réputation internationale, le ténor John McCormack (1884-1945) était le plus célèbre de son temps, réputé pour la maîtrise de sa respiration, et plus récemment, le flûtiste de concert Sir James Galway fut un des grands solistes de l’Orchestre philharmonique de Berlin (époque Karajan). Citons également le pianiste Barry Douglas, vainqueur en 1986 de la médaille d’or du Concours international Tchaïkovski, et interprète de choix pour Beethoven, Brahms ou Rachmaninov.

Le pays possède plusieurs ensembles symphoniques, les deux principaux étant le National Symphony Orchestra, l’orchestre du National Concert Hall (superbe édifice) et acteur important de la musique contemporaine irlandaise ainsi que le RTE Concert Orchestra, orchestre radiophonique couvrant un répertoire allant du baroque au contemporain. Côté direction, le pays a enfanté une éminente cheffe d’orchestre, Eímear Noone, surtout connue pour son travail musical au sein de blockbusters vidéo-ludiques (World of Warcraft, Legend of Zelda).

Les musiques actuelles

Si la scène irlandaise – essentiellement dublinoise – est aujourd’hui aussi dynamique, c’est peut-être parce qu’elle a compté autrefois quelques acteurs importants comme My Bloody Valentine, les pionniers du shoegaze – genre de rock brumeux, lent et planant – devenus cultissimes. Ce sont eux et des acteurs locaux de la brit-pop dans les années 1990 comme The Divine Comedy ou Roisin Murphy – chanteuse du groupe électro-pop Moloko, maintenant adulée en solo – qui ont été les premières étincelles d’une scène actuelle en ébullition. Parmi les groupes d’aujourd’hui à surveiller de près, il y a Fontaines D.C. et son post-punk brut de décoffrage, Maria Somerville et sa dream pop tout en paysages irlandais ou encore une belle scène rap criblée de champions comme Rejjie Snow, Kojaque, Biig Piig et Denise Chaila.

En vraie capitale, Dublin comporte quelques belles scènes où s’approcher de la crème de la jeune création irlandaise, à commencer par Sin É, à l’atmosphère underground, The Grand Social, bien connu de la jeunesse locale et proposant trois salles dédiées à la musique, ou encore 4 DAME LANE, bar discothèque branché sur deux étages qui programment de bons DJs.

La danse

Au moins aussi emblématiques que les musiques traditionnelles, les danses irlandaises sont un élément intangible, gravées dans le marbre de l’identité du pays. Une des plus connues est appelée stepdance, popularisée par des shows célèbres mondialement tels que Riverdance. Caractérisée par la rigidité du haut du corps des danseurs et leur jeu de jambes complexe suivant le tempo rapide de la musique, le stepdance est une des plus pratiquées dans le pays ainsi que dans la diaspora irlandaise. Autre danse remarquable par son jeu de jambe, la sean-nós se distingue par sa nature plus libre, offrant plus de possibilité de mouvements aux bras. Reprenant un peu l’esprit des précédentes, le set dancing est exécutée en séries de danses (sets), basées sur des quadrilles français adaptés à musique irlandaise, en intégrant notamment des pas de sean-nós.

Très répandues également, les danses ceili sont réunies dans un répertoire de diverses danses de couples ou de groupes, au jeu de jambes généralement simple, plus portées sur les figures et les formations de danseurs.

L’Irlande pratique de nombreuses autres danses comme la jigue, exécutée en solo, pleine d’entrain, caractérisée par des frappements rapides et alternés des talons et des pointes ; les reels, danses énergiques comportant de multiples sauts et s’organisant en lignes de danseurs exécutant des pas les uns après les autres et le hornpipe qui reprend quelques pas de la jigue et des reels. À noter que les danses irlandaises sont souvent classées en fonction des chaussures utilisées pour les exécuter : les souples, appelées ghillies et les rigides, similaires aux chaussures de claquettes.

Il y a de nombreux concours de danse dans le pays, visibles notamment durant les fêtes traditionnelles comme le Fleadh Cheoil, le grand festival de la culture celtiques. Autrement quelques scènes en proposent à l’année, comme le Siamsa Tire Theatre de Tralee, théâtre national qui présente un spectacle de danses et de chants folkloriques (en gaélique) de qualité.

Théâtre

Impossible de ne pas dire un mot sur le théâtre irlandais tant il a enfanté de grands esprits dans ce domaine. Il y a d’abord des génies (n’ayons pas peur des mots) comme Oscar Wilde (1854-1900), dandy dublinois qui a « mis tout son génie dans sa vie mais n'a mis que son talent dans ses œuvres » (pour le paraphraser) et Samuel Beckett, prix Nobel de littérature en 1969, qui a écrit quelques-unes des pièces les plus importantes du siècle passé comme En attendant Godot. N’oublions pas non plus un autre prix Nobel de littérature (1925), George Bernard Shaw (1856-1950), grand auteur de théâtre d’avant-garde ainsi que William Butler Yeats (1865-1939) dont l’œuvre a été marquée par la lutte pour l’indépendance de l’Irlande. Figure emblématique de Dublin, il y a fondé l’Abbey Theatre, lieu toujours ouvert, dynamique et bien programmé. Les amateurs bilingues de théâtre adoreront y voir une pièce. Citons aussi le Gate Theatre, au répertoire contemporain de grande qualité. Dublin propose également deux rendez-vous intéressants, le Dublin Theatre Festival, festival de théâtre le plus ancien d’Europe et le Dublin Fringe Festival avec une belle place accordée à l’humour.