Oud © ismel leal pichs - shutterstock.com.jpg
Théâtre Royal de Marrakech © Mitzo - shutterstock.com.jpg

La musique traditionnelle

Bien qu’elle soit mise en folklore, au Maroc la musique traditionnelle ne s’est jamais muséifiée. Patrimoine vivant, elle évolue constamment et sert d’épine dorsale à de nombreux artistes pour élaborer de nouvelles formes musicales. L’aïta en est un bon exemple. Spécifiquement marocain, ce chant rural apparu fin XIXe a été séminal dans le pays et a engendré la fameuse musique chaâbi moderne. Si la musique arabe représente à peu près 70 % du panorama musical marocain actuel, sa cousine berbère détient quant à elle une place prépondérante dans le patrimoine culturel du pays. Reconnaissable à ses chants répétitifs et ses rythmes intenses, indissociable de la danse, la musique berbère est un trésor pour l’œil et l’oreille. Sa forme la plus connue est sans conteste la dakka marriakchia, une musique religieuse ou sacrée aux rythmes fiévreux et aux chants envoûtants, souvent présente dans les mariages. L’autre expression musicale berbère particulièrement remarquable est l’ahidous. À la fois musique et danse, cette fête collective voit hommes et femmes se regrouper coude à coude en formant des rondes souples et ondulantes, accompagnées de chants, toujours choraux, toujours itératifs, rythmés au bendir, le grand tambourin au cadre de bois et peau de chèvre tendue. Une icône majeure du genre est le groupe Izenzaren et, plus proche de nous, on peut en croiser parfois dans les créations de l’artiste franco-marocaine Zahra Hindi. Un bon moment pour se plonger dans toute la diversité de la culture berbère est le Festival Timitar d’Agadir, un plaisant espace de rencontre entre musiques du monde et amazigh.

Énorme part de la musique traditionnelle marocaine, impossible de passer à côté de la musique des Gnaouas. Ces descendants d’esclaves d’Afrique noire ont conservé précieusement leur héritage mélodique et pratiquent toujours, génération après génération, ces rythmes entêtants appelant à la transe. Mais si la musique gnaoua a autant voyagé hors des frontières marocaines c’est que nombre de ses interprètes ont choisi de la faire fusionner avec des genres du monde entier – jazz, blues, reggae ou électro. Sans cesse renouvelée, la musique gnaoua est une des plus vivantes du pays. Les grands maîtres – les mâalems – à écouter absolument sont Mahmoud Guinia (la star, il collabora jadis avec Pharoah Sanders), Maâlem Abdelkader Amlil (qui a joué régulièrement en France) et Abdellah Boulkhair El Gourd. En France, l’Orchestre national de Barbès l’a beaucoup jouée et métissée avec du jazz, funk ou reggae. Le rendez-vous incontournable du genre est bien entendu le Festival de Musiques Gnaoua d’Essaouira, généralement courant juin. L’occasion de voir les meilleurs artistes gnaouas, ses stars comme ses jeunes talents au travers de nombreux concerts (dont certains gratuits). Aussi, une bonne idée si l’on est de passage à Merzouga est de s’accorder une pause à Dar Gnaoua. Cette « maison des Gnaouas » est un endroit idéal pour profiter d’un thé en assistant à une démonstration des chants traditionnels.

La musique populaire

Pas du tout hermétique aux sonorités de ses voisins, le Maroc apprécie les grandes voix de l’Égypte (Oum Kalthoum, Mohammed Abdel Wahab), proche-orientales (sublime Faïruz) ou encore le raï algérien. Ce dernier, descendant du melhoun, est une combinaison d’airs arabo-africains et d’instruments modernes (boîtes à rythmes, guitares électriques, synthétiseurs). Le melhoun c’est d’ailleurs la source de toute la musique populaire du Maroc. Apparu au XIIe siècle, il est traditionnellement une poésie purement vocale, qui s’est ensuite progressivement accompagnée d’oûd ou de guembri (long luth à deux ou trois cordes) avant d’accueillir amplement les percussions. C’est à partir de ces poèmes chantés réalistes abordant la vie ou l’amour que le châabi, la musique populaire marocaine par excellence, va éclore. Présent dans toute l’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Égypte) et variant selon les régions, le châabi marocain a des influences arabo-andalouses, des rythmes entraînants et des textes légers qui l’ont imposé comme une musique de fête et de danse incontournable (il est très populaire dans les mariages). Pour se faire une idée plus précise du châabi, il suffit de se diriger vers ses grands interprètes : Houcine Slaoui (le modernisateur et père de la musique châabie marocaine), Abdelaziz Stati (la star), Najat Aatabou (surnommée la « Lionne de l’Atlas ») ou Mustapha Bourgogne. À l’épreuve du temps, le châabi évolue, s’adapte et chaque génération propose une nouvelle lecture du genre. Aujourd’hui, il s’enrichit de rythmes électroniques, de pop ou d’auto-tune, comme on peut l’entendre dans les morceaux de Zina Daoudia, la reine actuelle de ce chaâbi marocain moderne.

Impossible d’aborder la musique populaire marocaine sans s’arrêter un instant sur les « Rolling Stones de l’Afrique » : Nas El Ghiwane. Ce groupe de Casablanca des années 1970 est tout simplement légendaire. Utilisant les instruments traditionnels et puisant dans les racines arabo-andalouses et marocaines, l’aïta, le melhoun, le Gnaoua, le groupe a réussi à assembler une musique à la fois poétique et protestataire qui trouve toujours un écho dans la société marocaine d’aujourd’hui. Si jamais l’on cherche un bon endroit pour écouter des grands noms de la musique marocaine, le Festival Mawazine de Rabat propose chaque printemps une affiche énorme attirant une foule monstre (plusieurs millions de spectateurs !). Une bonne occasion de goûter à la musique marocaine par ses stars (aujourd’hui très axées pop mainstream et pour beaucoup issues de télé-crochets).

Les musiques classiques et savantes

À l’instar d’énormément de pays hors du monde occidental, le terme de musique classique peut prendre plusieurs sens au Maroc. Il désigne soit le classique sous l’acception que l’on connaît, soit la musique andalouse (ou « arabo-andalouse »). Cette musique savante, évoquant la musique de la chrétienté́ médiévale (les chants grégoriens) est très prisée du monde intellectuel marocain et demeure très jouée dans les grandes villes du Nord (Fès, Tanger, Tétouan). La raison à ça est que le nord du pays est historiquement la région d’accueil de la musique arabo-andalouse, qui y apparaît au XIIe siècle lorsque des musulmans chassés de Grenade vinrent s’installer à Tétouan. Très codifié, modal, le genre autorise largement l’improvisation à l’orchestre traditionnellement composé d’un rebab, d’un tar (tambour), d’une derbouka et d’un laud (mandoline à quatre cordes). Si les trois grands maîtres de la discipline sont Abdelkrim Raïs, Mohamed Briouel et Omar Metioui, un bon point d’entrée pour découvrir le genre est l’album sobrement intitulé Arabo-Andalusian Music of Marocco de la grande spécialiste Amina Alaoui. Autre remarquable interprète de musique arabo-andalouse, Bahaâ Ronda fait partie de l’orchestre Chabab al-Andalouss (sans doute le meilleur avec l’orchestre arabo-andalou de Fès) et fut l’élève du très révéré Ahmed Piro (comme Amina Alaoui). Le Maroc compte aussi quelques grands solistes de oud toujours épatants à voir et entendre sur scène, dont Driss El Maloumi qui a beaucoup collaboré avec Jordi Savall, Azzouz El Houri, qui a été très présent sur les ondes belges ou Saïd Chraïbi (décédé en 2016) qui a accompagné les plus grandes voix du monde arabe et a marié l’héritage arabo-andalou aux sonorités proche-orientales, turco-balkaniques, flamencas et même indiennes. À savourer en concert notamment lors du Festival de Musique sacrée du monde de Fès.

Moins courant, le classique occidental n’est pas complètement absent du Maroc. L’organe le plus prestigieux est de loin l’Orchestre philharmonique du Maroc (OPM). Fondé par Farid Bensaïd en 1996 (qui y officie en tant que violon solo) dans le but de doter le Maroc d’une formation symphonique de qualité. Après trois décennies d’activité, l’ensemble peut se féliciter de son travail acharné. 80 musiciens, marocains pour la plupart, issus de grands conservatoires, un chef d’orchestre franco-marocain, Mehdi Lougraida, et une cinquantaine de concerts par an pour la plupart très courus, l’OPM s’est imposé comme un acteur majeur du paysage musical marocain. Dans son sillon, en 2005, s’est créé l’Orchestre symphonique royal du Maroc, dirigé par le Russe Oleg Reshetkin, l’âme de cet ensemble que l’on peut croiser au Théâtre national Mohammed V de Rabat. C’est grâce au travail de ces différents acteurs que le classique occidental s’implante progressivement et permet l’éclosion de nouveaux prodiges comme Nour Ayadi, étoile montante du piano ou des talents lyriques, tel Abdellah Lasri, ténor marocain très apprécié en France et en Allemagne. Dans le domaine contemporain, le Maroc compte un très grand nom, Ahmed Essyad, pionnier du mélange de la musique sérielle et de la tradition berbère, dont on se souvient ici pour son opéra Héloïse et Abélard au Théâtre du Châtelet à Paris en 2001.

Le jazz et les musiques actuelles

Tanger, son charme mystique et son atmosphère créative enfumée ont été un aimant à groupes de rock dans les années 1970. Les Stones y avaient leurs habitudes et venaient fumer une pipe de hasch au Café́ Baba et des légendes comme Jimi Hendrix, Cat Stevens, Robert Plant ou Janis Joplin ont été attirés et captivés par l’endroit. Cela dit, si l’on met de côté Nass el-Ghiwane, le rock ne s’est jamais vraiment implanté au Maroc. Un des rares groupes du genre est Hoba Hoba Spirit. Très engagé, mêlant rock, reggae, gnaoua et rap, il revendique une liberté et un détachement des traditions qui ont de lui fait un des porte-étendard du mouvement ayant accompagné sa naissance : la nayda. Signifiant « ça se lève », ce phénomène éclos au début des années 2000 a été un temps comparé à la Movida espagnole promettant une révolution culturelle et créative. Quelques années après, pourtant, le constat est cinglant. La nayda n’a pas été le bouleversement annoncé, sa fougue ayant été étouffée par l’austérité morale ambiante et un développement économique qui a manqué à sa promesse. Avec ou sans nayda, un mouvement a prospéré comme aucun autre : le rap. Très solidement implanté au Maroc, il est un des genres majeurs du pays atteignant aujourd’hui son âge d’or. Avec une industrie du disque vétuste, c’est à la sueur du front de certains pionniers comme H-Kayne que le rap marocain doit son existence. Groupe légendaire fondé en 1996, ce dernier est un des seuls (si ce n’est le seul) groupes de rap marocains à être décoré de la médaille de récompense Nationale. Des icônes qui aux côtés de noms respectés comme Casa Crew et Bigg ont initié la première vague du hip-hop marocain. Depuis, les stars actuelles Shayfeen, Toto, Madd, 7Liwa, LBenj ont imposé un style unique et dégagé des schémas habituels, engrangent des millions de vues sur YouTube et sont devenus de tels phénomènes que les médias du monde entier se les arrachent. Porte-voix de la jeunesse, le genre est aussi populaire parce qu’il questionne dans ses textes la société marocaine et aborde ouvertement drogues, alcool ou encore sexe. Mais la subversion connaît ses limites. C’est ce que rappelle le cas de L7a9ed, rappeur autrefois habitué aux allers-retours en prison, condamné pour ses textes pointant du doigt la corruption de la classe politique ou les violences policières.

Si le Theatro de Marrakech est un très bon club pour entendre cette scène rap, Casablanca la moderne est sans surprise la ville idoine pour les musiques actuelles marocaines. C’est ici qu’a lieu chaque année le Boulevard des Jeunes Musiciens, un des événements les plus aimés et importants du pays et un beau panorama sur la nouvelle scène. Le festival a lieu dans le Technopark où se trouve aussi Boutlek, le centre de musiques actuelles, un incontournable de Casablanca portée par une programmation dynamique. Toujours à Casa, L’UZINE est un espace de création et d’échange entre les artistes et le public à surveiller. Ville de toutes les musiques, Casablanca accueille aussi un bel événement de jazz aux affiches souvent copieuses, le bien nommé Jazzablanca. D’ailleurs, le genre pousse et s’épanouit très bien sous le soleil marocain. Le pays compte quelques très bons artistes – Othman El Kheloufi saxophoniste qui a collaboré avec Ibrahim Maalouf, Majid Bekass et son blues-jazz gnaoua ou Malika Zarra, chanteuse de jazz oriental – et des événements d’envergure dans toutes les grandes villes. Ainsi Tanjazz fait le bonheur de Tanger, Jazz au Chellah se situe là où son nom l’indique, tout comme Jazz in Riad à Fès et Anmoggar-n-Jazz qui apporte le genre à Agadir à l’initiative de l’Institut français.

Le théâtre et les danses

Indissociables des musiques traditionnelles, les danses marocaines sont au moins aussi nombreuses et variées. Parmi les plus remarquables, dans le Haut Atlas, en pays chleuh, on trouve l’ahidou et l’ahouache. La première rassemble sur un rang en alternance hommes et femmes se balançant d’avant en arrière au son d’une mélopée improvisée par les chanteurs tandis que la seconde voit les femmes, serrées côte à côte, encercler les musiciens et onduler du bassin sous l’impulsion du bendir. Haut Atlas toujours, la taskiwin est une danse martiale qui se danse en rang ou en cercle en faisant vibrer les épaules au son des tambourins et des flûtes. Le Maroc a proposé la candidature de la taskiwin à une inscription au Patrimoine immatériel de l’UNESCO. La danse des Gnaouas se distingue quant à elle par ses acrobaties, bonds spectaculaires et tournoiements incessants. Elle s’achève généralement sur une transe. Tout aussi épatante, la guedra, danse des mains, voit une danseuse entourée de voiles et accroupie au centre d’un cercle de musiciens se relever prise de spasmes syncopés et accélérés, frappant de ses mains un tambourin imaginaire, puis retomber, épuisée, en rejetant progressivement ses voiles.

Bien qu’active au Maroc, la danse contemporaine souffre d’un manque de considération et de soutien de la part de l’État. C’est d’ailleurs un des combats menés publiquement par Lahcen Zinoun, nom mondialement connu et révéré de la chorégraphie marocaine. Grand bienfaiteur du genre dans le pays, c’est lui qui a tiré un trait d’union entre patrimoine marocain et modernité occidentale, ouvrant la voie à de grands chorégraphes comme Bouchra Ouizguen (qui travaille beaucoup en France) ou Taoufiq Izeddiou. Ce dernier est d’ailleurs à l’initiative du très bon festival international de danse à Marrakech,  visant à faire découvrir la création chorégraphique contemporaine en investissant chaque année les lieux culturels de la ville.

La scène théâtrale marocaine, de son côté, n’est pas à l’image du Théâtre Cervantes, longtemps le plus important d’Afrique du Nord, mais aujourd’hui laissé à l’abandon. À vrai dire, le théâtre marocain se porte de mieux en mieux. Il y a quantité de dramaturges intéressants et les infrastructures pour accueillir leurs œuvres poussent sur tout le territoire, signe de reconnaissance du genre. L’auteur le plus important est sans conteste Tayeb Saddiki, considéré comme le père du théâtre marocain. Autres piliers, Ahmed Taïeb El Alj est surnommé le « Molière marocain » ou Abdessamad Kenfaoui, dramaturge et célèbre syndicaliste qui promeut un théâtre engagé, militant et surtout populaire. Aujourd’hui, c’est sans doute Nabyl Lahlou qui est considéré comme l’homme de théâtre marocain le plus innovant et influent. On peut assister régulièrement à certaines de ses mises en scène au théâtre national Mohammed-V (le TNM), le plus grand théâtre du Maroc, situé à Rabat. On peut aussi parfois voir de grandes représentations à l’Opéra - Théâtre Royal de Marrakech, dont la programmation n’est hélas pas à la hauteur de la majesté des lieux. Et côté stand-up, impossible de ne pas citer le Marrakech du Rire, festival initié par le comédien et humoriste Jamel Debbouze en 2011, qui a réussi à imposer Marrakech parmi les capitales de la comédie et du rire.