Homme berbère © bibi57 - iStockphoto.com.jpg
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Femme berbère tissant un tapis © hadynyah - iStockphoto.com.jpg

Une mosaïque ethnique

Leur origine ethnique est incertaine, mais on pense que les Berbères viendraient d’Égypte. Peuple nomade, ils se sont ensuite dispersés en Afrique du Nord, laissant sur leur passage des peintures rupestres dans les grottes. Le terme berbère est issu du grec bárbaros, qui désigne les gens dont on ne comprend pas la langue. À leur invasion au Maroc, les Romains retiennent le mot dérivé barbarus pour nommer les autochtones rencontrés durant leur conquête. Ce terme est ensuite repris par les Arabes puis par les Français sous le nom de berbère durant le protectorat, afin de donner une connotation moins péjorative. Mais ce peuple millénaire s’est toujours appelé entre eux Amazighs, « hommes libres et nobles ». Bien que soumis à une succession d’invasions et de dominations étrangères, certains d’entre eux se sont réfugiés dans les montagnes ou dans les zones reculées du Maroc, adoptant un style de vie bien particulier et préservant ainsi leurs traditions millénaires. Aujourd’hui, ils revendiquent leur tribalité, et n’hésitent plus à hisser leur drapeau pour défendre leurs droits lors des manifestations.

La langue amazighe, marque d’identité

De nos jours, le principal critère d’identification de ce peuple morcelé reste la langue berbère, appelée communément tamazight. Elle regroupe en fait près d’une quarantaine de dialectes parlés au Maroc, en Tunisie, en Algérie ou encore en Mauritanie dont la base commune est l’alphabet tifinagh. Constitué de 33 caractères figuratifs, ce système d’écriture daté du VIe av. J.-C. est l’un des plus vieux du monde, et seuls les Touaregs continuent de l’utiliser. Les autres ethnies ont, quant à elles, transcrit la langue berbère dans l’alphabet latin ou arabe. Après des décennies de luttes des militants berbères, la langue amazighe, qui se décline en trois principaux dialectes au Maroc, est officiellement reconnue en 2011 comme deuxième langue du royaume, dorénavant inscrite dans la nouvelle Constitution. À côté du français et de l’arabe, l’alphabet tifinagh trouve depuis sa place sur les bâtiments administratifs, mais il faut attendre juin 2019 pour que les députés votent à l’unanimité son usage officiel dans les administrations et les écoles. Une victoire pour cette ethnie qui peut désormais obtenir des permis de conduire, des actes de mariage, des cartes d’identité et des passeports en langue tamazight. Le berbère a fait aussi son entrée dans le domaine judiciaire, où il est possible de l’utiliser lors des procédures d’investigation et des plaidoiries. On parle même prochainement de billets de banque et des pièces de monnaie édités avec des symboles berbères.

Le drapeau, l’autre emblème des Berbères

Des meetings politiques aux rencontres footballistiques, le drapeau amazigh est hissé fièrement ces dernières années dans tout le Maghreb par les militants berbères qui revendiquent leur identité, longtemps oubliée au détriment de la culture arabe. Conçu par le militant berbériste Youcef Medkour, cet emblème a vu le jour le 12 janvier 1970 à l’occasion du Yennayer, le Nouvel An berbère. Il faudra néanmoins attendre 1998 pour que ce drapeau soit officialisé lors du congrès mondial amazigh, organisé dans les îles Canaries. Il arbore les trois couleurs panberbères, le bleu pour la mer, le vert pour les montagnes et le jaune pour le désert du Sahara, divisées en bandes égales. Ces nuances, que l’on retrouve dans les bijoux berbères, représentent symboliquement le territoire de Tamazgha, l’ensemble des régions historiques du peuple berbère. Le tout est barré en son centre par la lettre Z en tifinagh rouge, qui symbolise le sang commun des Amazighs. Bien qu’il soit déployé librement au Maroc, ce n’est plus le cas en Algérie depuis juin 2019 où il est désormais interdit de le brandir lors des manifestations. Pourtant, symbole d’une culture, d’une langue et d’une identité, il est reconnu dans la Constitution algérienne depuis 2002, mais il semblerait selon l’ancien chef de l’État-Major algérien, Ahmed Gaïd Salah, qu’il soit une menace pour l’unité du pays. Une affaire que les Berbères marocains suivront de près, car c’est aussi leur identité à travers de cet emblème qui est menacée.

Le Nouvel An amazigh, chômé depuis peu au Maroc

Tout aussi important que l’Aïd el-Kebir ou la fin du Ramadan, le Yennayer est une fête populaire ancestrale qui marque le Nouvel An berbère chaque 14 janvier sur le calendrier grégorien. Utilisé depuis l’Antiquité par les ethnies de l’Afrique du Nord, ce calendrier agraire se base sur les saisons et la position des astres et débute avec l’arrivée au pouvoir en Égypte du Berbère Chechanq 1er, devenu pharaon à la mort de son beau-père. L’année 2024 correspond à l’année 2974 pour les peuples berbères. Traditionnellement, cette fête est célébrée dans une ambiance conviviale durant plusieurs jours, autour de plats locaux très copieux, variant selon chaque région. Au Maroc, il est coutume de déguster, entre autres, le cherchem, un plat à base de blé, de pois chiches et de fèves ou le fameux couscous. Durant ces célébrations, les femmes revêtent leur habit traditionnel et se parent de leurs plus beaux bijoux, tandis que les enfants portent des masques d’animaux, qui symbolisent le retour des êtres invisibles sur Terre, et vont de maison en maison demander des friandises. Les croyances et superstitions sont également très présentes afin d’éviter le mauvais œil et espérer une année plus prospère que la précédente. Ainsi, au petit matin du Yennayer, les femmes procèdent au grand nettoyage de la maison afin de chasser les mauvais esprits et la misère de l’année écoulée. En ce début d’année, on y associe également les événements familiaux comme la première coupe de cheveux des petits garçons, les mariages ou les rites d’initiation agricoles. Depuis 2015, cette fête séculaire, l’une des plus vieilles de l’Humanité, est reconnue comme Patrimoine immatériel de l’UNESCO, au même titre que le tifinagh, l’alphabet berbère et le couscous. Trois ans plus tard, l’Algérie fait un autre pas en avant en consacrant le Yennayer comme journée chômée et payée. Depuis, les militants berbères du Maroc ont réclamé de rendre fériée cette journée, au même titre que l’Algérie et la Lybie, ce que le roi Mohammed VI leur a accordé en mai 2023. Le 14 janvier 2024 a été le premier jour de l'An amazigh férié et payé au Maroc.

Les tatouages, la transmission d’une culture

De tout temps, les femmes berbères arborent des dessins décoratifs sur leur corps, que ce soit à titre esthétique pour séduire, mystique pour se protéger du mauvais œil ou encore thérapeutique pour se préserver des maladies. Il existe une multitude de tatouages dans la culture amazighe qui représentent, la plupart du temps, des formes géométriques aux motifs complexes, dont chacune a sa propre symbolique. Ainsi par exemple, une femme avec une barbe tatouée du menton à chaque oreille signifie qu’elle est veuve. En le portant sur soi, les femmes s’attirent toutes ces significations et transmettent également leur identité culturelle. À l’époque, toutes les occasions étaient valables pour se faire tatouer, à tel point qu’une femme était méprisée par sa communauté si elle n’arborait pas de dessins symboliques sur son visage, ses mains ou son dos. On l’utilisait pour se marier, purifier l’âme des péchés, éloigner la misère et les mauvais esprits, entre autres fonctions.

En perpétuant cette tradition, les femmes sont aujourd’hui les gardiennes de l’un des plus vieux rites berbères, qui s’oppose à l’islam actuel, interdisant cette pratique. Devenu ornemental avant tout, le tatouage berbère s’est adapté à la religion, en ne représentant jamais l’image de l’homme et en se réalisant au khôl ou au henné, pour se garder des mutilations. Il est surtout pratiqué dans le milieu rural où les femmes ont conservé la dimension mystique de ces dessins, notamment pour protéger leur nouveau-né du mauvais sort, en les tatouant sur le front avec du noir de fumée. Bien que cette coutume tend à disparaître, certaines mamies berbères arrivent encore à déterminer la région d’origine de certaines tribus, grâce au nombre de traits sur leur tatouage. De même que de plus en plus de jeunes berbères bravent la religion pour aller se faire tatouer les symboles de leurs ancêtres, et perpétuer la tradition.

L’artisanat berbère, l’héritage des femmes

À l’instar des tatouages, les femmes amazighes perpétuent avec passion un savoir-faire artisanal unique, tristement en voie de perdition. À partir de matières locales, elles fabriquent depuis des générations des objets utilitaires comme des nappes brodées ou des plats en terre cuite, vendus de plus en plus comme articles décoratifs aux touristes. L’artisanat le plus remarquable ? Sans aucun doute les tapis des montagnes de l’Atlas, réputés les plus beaux du monde. Suivant une tradition vieille de plus de 1 000 ans, les femmes nouent encore à la main la laine tondue directement des moutons ou chèvres des élevages, et la teintent parfois de couleurs végétales. Au fur et à mesure de leur travail, elles y intègrent des formes allégoriques imaginées à l’instant même et qui évoquent la plupart du temps les expériences de vie. Avec ces symboles, elles transmettent leur patrimoine culturel à travers le monde. Bien que les bijoux en argent soient fabriqués par les hommes berbères, il n’en reste pas moins que ce sont les femmes qui s’en apprêtent et qui en portent toute la symbolique. Ainsi, dans les rites de passage, comme celui du statut de la jeune fille à la mariée, les parures de bijoux, comme les voiles brodés, jouent un rôle majeur. Offerts au fil des années par sa mère, ils constituent la dot de la jeune fille qui exhibe sa parure complète le jour de son mariage. Incrustés de pierres et en argent, ils recèlent eux aussi des symboles forts, expliquant la tradition des ancêtres.

Les greniers collectifs, symbole d’une organisation solidaire

Constructions traditionnelles du Sud marocain, les greniers collectifs sont aujourd’hui les témoins d’une organisation tribale solidaire face aux dangers que représentaient les invasions des ennemis. Dans ces forteresses incrustées dans les montagnes, les Berbères y gardaient leurs objets de valeur, stockaient au frais leur culture de blé, d’orge et de safran ou se mettaient à l’abri lors d’attaques ennemies. Chaque famille disposait d’une chambre forte à l’intérieur de la roche, à laquelle elle accédait par une minuscule porte en bois pour récupérer ses précieux biens. Le tout était surveillé par un gardien, qui était rémunéré en fonction des récoltes. Aujourd’hui, ce patrimoine millénaire est en grande partie à l’abandon. Mais, de même que celui d’Imchguiguilne, une vingtaine de greniers de la région du Souss-Massa, datant de l’époque précoloniale, ont été restaurés dans le cadre d’un programme de sauvetage du patrimoine de la région, initié dans les années 2000. Beaucoup d’autres restent à être remis en état pour faire sortir ce patrimoine architectural de l’oubli.