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Puissance antique

Classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, l’ensemble archéologique de Tarraco est l’un des plus beaux exemples d’une architecture mêlant monumentalisme et science de l’ingénierie au service du pouvoir. Capitale de la province d’Hispanie Citérieure, Tarraco fit l’objet de toutes les attentions, notamment en matière d’aménagement urbain. Grâce à l’établissement de terrasses artificielles, le tracé urbain s’est adapté à la topographie. Les Romains ont également imaginé une division des espaces déterminée par leurs fonctions. Tout en hauteur, se trouvent ainsi les trois terrasses regroupant les édifices de la représentation religieuse et politique, ceux de l’administration et ceux des loisirs. L’importance de Tarraco transparaît dans le choix des matériaux, à commencer par les superbes marbres richement décorés. La plupart des matériaux étaient alors importés et l’on suppose que beaucoup d’artistes et d’artisans venaient eux-mêmes de Rome. Point stratégique, la ville se devait de posséder des fortifications dignes de son statut. Constituées de pierres de taille agencées sur des blocs cyclopéens irréguliers juxtaposés sans mortier, ces murailles représentent l’un des plus anciens exemples d’ingénierie militaire de la péninsule. L’ingénierie hydraulique est un autre domaine dans lequel excellaient les Romains, comme en témoignent les vestiges du système de conduites reliant la ville à l’impressionnant Aqueduc de Les Ferreres avec sa double ligne d’arches se déployant sur 217 m de long. Un monumentalisme que l’on retrouve dans l’architecture de loisirs dont Tarraco possède deux magnifiques exemples : son cirque de 325 m de long et de 115 m de large avec ses arcs en façade et ses impressionnantes portes d’accès ; et son amphithéâtre romain de plan elliptique avec ses voûtes et arcs monumentaux… l’un des seuls amphithéâtres de toute l’Hispanie !

Les Romains ont fait de l’architecture un outil de pouvoir et de domination, rien d’étonnant donc à ce qu’ils souhaitent imposer cette puissance partout, notamment le long des grandes voies de communication. L’Arc de triomphe romain de Bera, tout en pierre de taille, avec ses 8 pilastres striés surmontés de chapiteaux corinthiens, était ainsi un passage obligé pour tous ceux empruntant la Via Augusta reliant Rome à Cadix. A Altafulla, vous pourrez également découvrir la Tour des Scipion, étonnant tombeau romain de plan carré composé de 3 sections superposées de tailles décroissantes et ornées de hauts et bas-reliefs. A l’époque, il était courant d’ériger ces impressionnantes tours funéraires le long des voies de communication. Moins monumentales mais tout aussi fastueuses, les villas témoignent de l’art de vivre à la romaine, entre luxe et volupté. La Villa Romaine dels Munts impressionne par ses pièces pavées de mosaïques polychromes, ses murs peints de fresques et son étonnant système hydraulique composé de citernes et de thermes. La Villa-Mausolée de Centcelles, elle, est un merveilleux exemple d’une architecture romaine influencée par un art chrétien naissant empruntant aux codes d’un fastueux art byzantin, comme le montrent bien les tesselles dorées des mosaïques du mausolée dessinant des scènes païennes et chrétiennes sur son impressionnante coupole. Non loin de Tarraco, une nécropole paléochrétienne fut également découverte, mettant en lumière un type de sépulture bien particulier composé d’une petite structure en tuiles appelées tegula disposées en triangle et couvrant les défunts. Ces débuts de l’art chrétien se lisent également dans les vestiges de la basilique wisigothique, située au cœur de l’amphithéâtre romain, et dont on peut encore deviner les trois vaisseaux et l’abside en fer à cheval.

Splendeurs médiévales

Bien plus que de simples monastères, les édifices du « triangle cistercien » sont d’authentiques forteresses de la foi, symboles de la Reconquête des Rois Chrétiens sur les Maures. Entouré d’une muraille défensive, le Monestir de Poblet se divise en 3 enceintes auxquelles on accède par des portes flanquées de tours et dotées de meurtrières et mâchicoulis, dont les superbes Porte Dorée et Porte Royale. Les fortifications de la 3e enceinte sont les plus impressionnantes… jugez plutôt : 608 m de long, 11 m de haut, 2 m de large et 13 tours. C’est à l’abri de ces chefs-d’œuvre d’ingénierie militaire que se déploie une architecture mêlant la sobriété du roman et la flamboyance du gothique à la pureté spirituelle et formelle cistercienne. Parmi les bâtiments les plus anciens du monastère, la salle capitulaire est sans doute l’un des plus beaux témoins de ce mélange des influences. Voyez ses 4 colonnes octogonales soutenant 9 voûtes en palmier, un motif très présent dans l’architecture cistercienne. Avec son parfait équilibre des dimensions et avec pour seul décor la pureté des formes telles celles de ses piliers cruciformes, l’église Santa Maria est un chef-d’œuvre de sobriété cistercienne, tandis que sa tour-lanterne octogonale joue avec les codes du gothique. En plus d’être une véritable forteresse spirituelle, le monastère était également un palais royal, comme le montre bien le Palais du Roi Martin qui possède tous les attributs du gothique, des fenêtres à ogives aux arcs trilobés.

Autre chef-d’œuvre à ne surtout pas manquer : le Monastère de Santes Creus. On y retrouve une somptueuse salle capitulaire aux arcs en palmier, un beau cloître gothique aux arcs et baies aux motifs ciselés, une église dont on ne peut manquer la très belle rosace aux délicats vitraux du XIIIe siècle ou bien encore un palais royal au patio richement orné de groupes sculptés. Cet étonnant mélange romano-gothique se lit également dans un autre édifice médiéval phare : la Cathédrale de Tarragone. On y retrouve les grandes caractéristiques des édifices religieux de l’époque : plan en croix latine, séparation en 3 vaisseaux avec une imposante nef centrale, tour-lanterne octogonale à la croisée du transept. Tympans et bas-reliefs portent la marque de Maître Jaume Cascalls, l’un des plus grands artistes du gothique catalan. Voyez la finesse, l’expressivité et le dynamisme qui se dégagent de ses sculptures. Tortosa conserve également de superbes témoins médiévaux, à l’image de son Palais Episcopal avec son grand patio, son escalier saillant et ses galeries d’arcades en lancette aux colonnes stylisées… des éléments typiques du gothique catalan que l’on retrouve dans le très beau Palau Despuig.

Ce Moyen-Age se lit également dans l’urbanisme des nombreux villages de la région aux pittoresques dédales de ruelles et de passages voûtés bordés de maisons seigneuriales aux grandes fenêtres gothiques ou de maisons plus modestes, desservant places et placettes et menant souvent à un château. Montblanc a su conserver ses incroyables remparts de 1,5 km de long, 6 m de haut et jalonnés de 32 tours carrées à créneaux protégeant de superbes édifices, telle l’église Sant Miquel avec son très beau plafond à caissons et la Casa Alenya, authentique palais gothique aux fenêtres trilobées. Ses jolies maisons à étages agrippées au relief escarpé de la montagne et formant une sorte de skyline ont valu à Falset le surnom de « New York du Priorat ». Les ruelles de Miravet mènent, elles, aux ruines du Château des Templiers avec sa tour de guet et ses nombreux passages secrets.

Renaissance et baroque

Après une étonnante effervescence médiévale, la Catalogne connaît une perte de vitesse aux XVIe et XVIIe siècles, ce qui explique pourquoi Renaissance et baroque n’ont eu qu’une influence limitée dans la région… ce qui n’a pas empêché l’édification de superbes réalisations, tels les Collèges Royaux de Tortosa créés par Charles Quint en 1564, sublime ensemble Renaissance abritant notamment le Collège de Sant Lluis avec son portail conçu comme un arc de triomphe et son beau patio aux trois niveaux d’arcades tout en harmonie ; et le Collège Sant Jordi i Sant Domenec avec sa façade en arc de triomphe aux colonnes doriques. Prades, surnommée la « ville vermeille » du fait de sa pierre rouge, possède, elle, une magnifique fontaine sphérique Renaissance. Le baroque, quant à lui, se lit dans les chapelles au riche foisonnement décoratif de la Cathédrale de Tarragone, et sur la façade de la Cathédrale de Santa Maria de Tortosa. Voyez comment cette dernière est rythmée de pilastres aux chapiteaux à motifs végétaux, de colonnes galbées et de reliefs flamboyants. A l’intérieur, ne manquez pas la Chapelle Nostra Senyora de la Cinta toute en jaspes, marbres et peintures.

Du néo-classique au Modernisme

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Charles III se lance un défi : construire un grand port sur le delta de l’Ebre. Pour l’occasion, le roi décide de construire une ville toute à sa gloire baptisée Sant Carles, à l’emplacement même d’un village de pêcheurs appelé Rapita. C’est la naissance de Sant Carles de la Rapita où le roi entreprend la construction de grands édifices néo-classiques telles la Glorieta et l’Iglesia Nova… mais sa fin de règne marqua également la fin de ce gigantesque projet qui resta inachevé. Le XVIIIe siècle est également marqué par la construction de palais bourgeois qui empruntent leur richesse décorative au foisonnant rococo, tel le Palau Bofarull de Reus. Déjà présente au XVIIIe siècle, la tradition des grands théâtres se perpétue au XIXe siècle, mêlant lignes classiques, comme le Teatre Principal de Valls, et atours éclectiques, comme le très néo-baroque Théâtre Fortuny de Reus. Un éclectisme que l’on retrouve dans le Parc Samà de Cambrils, étonnant ensemble architectural comprenant une demeure à l’architecture coloniale (un hommage à la famille Sama qui avait fait fortune à Cuba) et un parc ponctué de grottes, lacs artificiels et autres insolites gloriettes.

Mais le XIXe siècle va surtout être marqué par une prospérité industrielle qui va profondément bouleverser le visage des villes, à l’image de Tarragone. C’est à cette époque que les fortifications sont démantelées afin de permettre l’expansion de la ville qui se dote d’un nouveau quartier résidentiel au plan géométrique centré autour de la Rambla Nova. Un plan d’agrandissement imaginé par Josep Maria Pujol i de Barbera, qui dessina également un grand nombre de villas bordant la Rambla Nova, toutes représentantes d’un courant qui va bouleverser la région : le Modernisme, l’Art nouveau ibérique. Prônant l’idée d’œuvre d’art totale, le Modernisme se fait organique et fonctionnel, tout en courbes et en dynamisme, mêlant motifs gothiques, mauresques ou Renaissance à des innovations formelles, et employant à foison brique, pierre, acier, verre et céramique. Quelques-uns des plus grands représentants du Modernisme ont apposé leur marque à Reus. C’est le cas de Pere Caselles i Tarrats à qui l’on doit la Casa Laguna à la façade couverte de céramiques ou la Casa Munné avec son étonnante structure d’angle toute en fer et en verre. Lluís Domènech i Montaner y a imaginé la Casa Navas aux allures de palais arabo-vénitien avec son bow-window aux frises et colonnettes finement ciselées, et surtout l’Institut Pere Mata, symbole d’une architecture pensée au service de l’amélioration des conditions de vie des patients, dont on visite le « Pavillon des Illustres » aux belles mosaïques et élégants vitraux.

Le Modernisme s’épanouit également dans les stations balnéaires alors en plein essor, comme Salou qui abrite la superbe Villa Bonet, réalisée par Domènec Sugranyes i Gras, disciple du célèbre Antoni Gaudí. Avec son cadran solaire, ses poissons en céramique et ses lettres néogothiques, sa façade est un étonnant mélange des genres.

Après la crise du phylloxera, grands producteurs et petits agriculteurs viticoles décident de joindre leurs forces et d’imaginer des coopératives agricoles mêlant constructions économiques et durables et ingénierie rurale afin d’optimiser la productivité. Fières de cette initiative sans précédent, les coopératives souhaitent créer des lieux fonctionnels, certes, mais suscitant surtout l’admiration de tous. Pour se faire, elles font appel aux architectes du Modernisme qui inventent « les cathédrales du vin » des édifices de pierre et de brique, aux façades néogothiques aux pignons travaillés abritant d’immenses nefs rythmées par de savants jeux de voûtes et d’arcatures et dont chaque ouverture est pensée pour réguler température et luminosité ; les espaces étant pensés, eux, pour faciliter le travail des ouvriers agricoles. Parmi les plus belles, notons : la Coopérative Agricole de Nulles imaginée par Cesar Martinell, disciple de Gaudí, à qui l’on doit également El Pinell de Brai et la Coopérative Agricole Falset-Marça ; le Celler-Museu del Vi près de Poblet, dessiné par Lluís Domènech i Montaner ; ou bien encore l’Espluga de Francoli créé par Pere Domenech i Roura. Si la plupart de ces édifices se font clairement néogothiques, certains portent également la marque d’un noucentisme naissant, courant lié au nationalisme catalan et qui prône un idéalisme classique méditerranéen… une mode qui s’est fortement développée au moment des campagnes de restauration du patrimoine antique de Tarragone.

Entre passé et avenir

Comme partout ailleurs en Espagne, la dictature franquiste est une période de stagnation artistique et architecturale et les projets sont rares. Poble Nou del Delta, petit hameau de basses maisons blanches toutes identiques et aux rues bordées de palmiers, est créé en 1957 par le gouvernement franquiste pour loger les « colons » chargés de développer la riziculture dans les Terres de l’Ebre. A l’origine, le village s’appelait Villafranco del Delta. La fin des années 50 est également marquée par l’apparition d’un modernisme rationaliste aux lignes claires et droites et à la rigueur géométrique. Le bâtiment du Gouvernement Civil à Tarragone, réalisé par Alejandro de la Sota, en est un parfait exemple. L’année 1968 marque, elle, les débuts du Barri Gaudí à Reus. Ce projet pour le moins pharaonique marque la première expérience de design urbain à grande échelle du célèbre architecte Ricardo Bofill. L’objectif était de réduire la pression démographique sur le centre-ville et d’imaginer des logements de qualité et économiques. Le projet se compose de 500 unités résidentielles concentrées dans des tours de 8 étages, chaque étage comprenant 12 appartements et s’organisant autour de patios ou vestibules à ciel ouvert. Les tours communiquent entre elles par des terrasses piétonnes et des rues surélevées. En béton couvert d’une enveloppe de brique rouge, ce labyrinthe géométrique ne passe pas inaperçu ! Si de belles villas contemporaines mêlant volumes clairs de béton et structures traditionnelles en pierre sèche voient le jour, notamment aux environs de Tarragone, la région mise surtout sur la restauration de son riche patrimoine, et la mise en valeur de ses trésors vernaculaires, comme les barraca, ces maisons traditionnelles à toit de roseaux peuplant les rizières. Pour les découvrir, une visite au Parc naturel des Terres de l’Ebre s’impose !